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Société Publié le mardi 13 avril 2010 | Nuit & Jour

Lutte contre la pauvreté - Coulibaly Clément, ramasseur d’ordures : « Mes parents m’ont abandonné à cause de mon travail »

Toujours membre du groupe Blackis Tam-tam, Coulibaly Clément est éboueur depuis 1992. Dans l’entretien ci-dessous, il relate des difficultés liées à l’exercice de sa fonction.

Vous êtes éboueur depuis 1992. Comment appréhendez-vous les préjugés que cela peut susciter ?

Il est vrai que cela peut poser problème qu’un jeune ivoirien exerce le métier d’éboueur. Mais je pense qu’il s’agit d’un état d’esprit qu’il faut dépasser. Pourquoi nourrir ce genre de complexe, puisqu’on peut servir son pays à tous les postes, en exerçant tout métier. Il est faux de dire qu’il n’y a pas de travail. En repêchant des sacs de sachets, on peut gagner 3000 FCFA au kilogramme. On peut donc créer de la richesse, rien qu’en collectionnant des sachets usagés. Je suis donc très à l’aise dans ma tête comme dans ma peau.

Vous dites cela comme si c’était facile à gérer, alors que le fait d’exercer cet emploi vous à créer des difficultés. Comment se passent vos relations dans votre lieu de résidence ?

Il est vrai que les choses n’ont pas été faciles pour moi au début. Mais j’ai été réconforté par le temps et par certaines réalités. Ceux qui se moquaient de moi, venaient chaque jour me demander de l’argent. J’ai été très choqué d’entendre une demoiselle m’interdire de dire à ses parents le travail que j’exerce. C'est-à-dire qu’elle avait honte qu’on sache le travail que j’exerce. Pourtant elle ne se gênait pas de bénéficier de mes petits soins, mes cadeaux, etc. Les gens ont tellement développé ce complexe, que les jeunes changent de quartier afin de travailler à l’aise. Certains ne peuvent pas travail dans leurs quartiers et même dans leurs villes de résidence, à cause des préjugés. Il faut donc que les gens surmontent cet état d’esprit. Parmi ceux qui affirment qu’il n’y a pas de sot métier, il y en a qui sont pas sincères. Certains le disent, tout en combattant ceux qui embrassent certains boulots, en les couvrant de préjugés.

Donc, il n’est pas facile pour vous d’évoluer dans votre boulot d’éboueur…

Je reconnais que cela n’est pas facile, parce que j’ai pris trop de coups. Avant de devenir éboueur, j’évoluais dans un groupe qui s’appelait Blackis Tam-tam, manager à l’époque par Angelo Kabila. C’est avec dédain que mon binôme a perçu mon projet, alors que je lui expliquais que c’est parce que j’étais fatigué de tendre les mains pour survivre. Aujourd’hui, il est plutôt fier de moi, parce qu’il s’est peut-être aperçu que je ne mendie plus pour vivre.

Avez-vous toujours des projets au niveau de la musique ?

J’ai fini la composition d’un maxi single, mais je suis bloqué par le manque de moyen pour produire. Le jour que j’aurai les moyens nécessaires ou un producteur, mon CD sera sur le marché. Mais cet album, je le ferai seul, parce que j’étais tout seul à pousser mes wotro (pousse-pousse de ramassage des ordures, ndlr). J’espère qu’un jour, quelqu’un comprendra le sens de ma lutte parce que les jeunes ont besoin d’être sensibilisés à l’auto-emploi. Mais le fait qui m’a le plus traumatisé, c’est le départ de la mère de mes enfants.

Donc, elle est partie parce que vous êtes éboueur ?

Elle n’ose pas affirmer cela, mais en réalité, c’est à cause de mon boulot qu’elle est partie. J’avais tout mis en sa disposition pour qu’elle s’épanouisse financièrement, en donnant surtout un sens à sa vie par le travail. Malgré tous mes efforts, elle trouvait toujours des arguments pour créer de petits problèmes. C’est qu’entre temps, des gens de mauvaise moralité avaient commencé à lui raconter n’importe quoi.

Si je comprends bien, ils ont réussi à faire admettre à votre épouse, qu’il n’est pas honorable de vivre avec un ramasseur d’ordures ?

C’est exactement cela, et parmi ces mauvais conseillers, figurent certains de mes amis et parents. Ils ont tellement envenimé nos relations, que mon beau père m’a conseillé d’abandonner mon travail d’éboueur, ou d’embaucher d’autres personnes pour travailler à ma place. J’ai tenté toutes les méthodes de conciliation, en vain. On m’a plutôt fait subir toutes les humiliations.

Tout ça, parce que vous avez choisi d’exercer un métier qui procure des revenus, pourtant…

Absolument, et c’est le plus grand des nombreux coups que j’ai pris. C’est pourquoi je félicite et je remercie le Président Laurent Gbagbo, pour avoir dit : Mettez-vous au travail, l’Etat provenance n’existe plus, le travail le plus fiable est celui qu’on s’offre.

Y a-t-il au moins une seule personne qui vous a manifesté de la sympathie ?

Bien sûr. Il s’agit de Kêrê Yendaogo Abou, qui est aujourd’hui un commerçant très prospère. Il est burkinabé, mais il s’est occupé de moi deux années durant. Il a pris en charge six mois durant, ma femme lorsqu’elle était enceinte de notre premier enfant. Pendant que mes frères ivoiriens me fuyaient à cause de mes difficultés financières. C’est ce même monsieur qui m’a offert mon premier pousse-pousse, afin que je commence à travailler. Aujourd’hui, j’en ai trois et je gagne pas moins de 150.000 FCFA par mois.

Comment les choses se passent-t-elles au sein de votre propre famille ?

Un seul de mes parents me fréquente. Les autres membres de ma famille m’ont tourné le dos. Je me bats seul, et mon crime est d’avoir choisi d’être éboueur. Aucun d’entre eux ne me fréquente, et je n’ai même pas été associé au mariage de ma propre petite sœur.

Avec toutes ces difficultés, pouvez-vous encore affirmer qu’il n’y a pas de sot métier ?

Je continue d’affirmer qu’il n’y a pas de sot métier. Chaque métier à ses joies, ses peines et ses risques. Je souhaite même que l’on fasse la promotion des idées de Laurent Gbagbo adressées aux jeunes, à travers des affiches. Parce que l’emploi le plus fiable, c’est effectivement celui qu’on s’offre. Savez-vous que parmi nous qui travaillons dans les décharges, certains peuvent gagner jusqu’à 10.000 FCFA par jour ? Il faut que l’on soit fier que des jeunes ivoiriens aient enfin compris, qu’on peut servir son pays même en nettoyant les égouts.

Réalisée par Franck Boyo

Légende 1 : Coulibaly Clément s’est approprié très tôt les vertus de l’auto-emploi…

Légende 2 : … Ce qui n’est pas sans conséquences, puisqu’il est abandonné par les siens.
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