A l'initiative des jeunes, les militants du Rhdp entendent le 15 mai prochain, prendre un grand rendez-vous avec l'histoire de leur pays. Dans l'interview qu'il a accepté volontiers de nous accorder hier, le président du Mfa, l'un des leaders du Rhdp, délimite les contours de cette manifestation. Il situe l'enjeu et définit le mot d'ordre.
M. le président, que vous inspire la fête de la liberté que le Fpi vient d'organiser à grande pompe dans le contexte actuel?
C'est la fête de la liberté sauf que toute la Côte d'Ivoire, tout le monde entier sait que Laurent Gbagbo et le Fpi sont au pouvoir en Côte d'Ivoire et qu'on ne peut pas dire que la Côte d'Ivoire est un pays de liberté ou des droits de l'homme. Les libertés sont désormais totalement comprimées. Il y a juste une espèce de liberté d'expression de façade qui est tolérée çà et là. Mais, il faut prendre cela comme le mépris exprimé par ce pouvoir Fpi pour ce qui est de son opposition ou ceux qui ne partagent pas son point de vue. Ce qui leur a valu d'ailleurs d'inventer une belle formule qui est " Y a rien en face". Prétendre quand on est minoritaire dans un pays qu'il n'y a rien en face, on se pose la question si demain ils n'auront en face que les poissons de la lagune Ebrié ou les hippopotame des étends de la réserve de Bouna. Dans tous les cas, une fête de la liberté aujourd'hui en Côte d'Ivoire, c'est choquant, c'est à la limite narguer le peuple. Si le peuple pour cette fois a été patient et a laissé fêter leur fête de la liberté, le 15 mai 2010, ce même peuple de Côte d'Ivoire va démarrer sa véritable fête de la liberté. C'est d'ailleurs le sens de cette grande manifestation du 15 mai 2010 qui a été annoncée depuis près d'un mois par les jeunes du Rhdp.
Comment comprendre qu'on fête la liberté et on s'oppose à ce que les jeunes de l'opposition expriment cette liberté sous prétexte que doivent se tenir les assises de la Bad ?
Justement c'est la question pour laquelle il ne faut pas du tout que les jeunes du Rhdp fléchissent par ce genre d'arguments. J'ai invité les quatre responsables des jeunesses du Rhdp le samedi 1er mai au siège du Mfa. Nous avons eu un long échange et je les ai invités à maintenir la manifestation du 15 mai contre vents et marées, et à ne céder à aucun argument. Les assises de la Bad sont certes importantes et la Côte d'Ivoire gagnerait à ce que la Bad revienne en Côte d'Ivoire. Mais nous pouvons dire que si les problèmes de la Côte d'Ivoire avaient été bien menés et si nous avions eu des élections depuis cinq ans que le mandat de Laurent Gbagbo est échu, la Bad serait déjà en Côte d'Ivoire. Le problème de la Bad est à part. Dans tous les cas, la Bad reviendra ici en Côte d'Ivoire. Elle reviendra d'autant plus tôt que nous aurons les élections et un pouvoir exécutif légitime. Donc la revendication des jeunes s'impose plus que jamais. Et l'objection des assises de la Bad est un prétexte presque dérisoire et insultant pour l'intelligence commune.
Comment comprenez-vous alors le ton avec lequel le ministre de l'Intérieur, M.Tagro, recevant les jeunes du Rhdp s'est adressé à ces derniers qu'il aurait même traités de fuyards ?
Le ministre Tagro est quelqu'un que nous connaissons très réservé, très posé, très poli. On doit avouer que depuis qu'il est au gouvernement, on le reconnaît difficilement. C'est dire que l'ambiance ou l'environnement autour de Gbagbo peut amener à la folie ou au délire. Mais ce n'est pas bien grave. J'invite les jeunes du Rhdp à garder leur sang froid pour bien montrer à M. Tagro ce qu'ils sont réellement ce samedi 15 mai 2010. A partir de là, il pourrait revoir son jugement.
M. le président, on entend dire que des grands moyens ont été déployés pour faire en sorte que la marche soit annulée ou du moins reportée. Est-ce qu'au niveau du Rhdp, des dispositions sont prises dans ce sens ?
Des dispositions ont déjà commencé à être prises et les choses vont suivre leur cours pour que cette marche se fasse quel que soit ce que le camp présidentiel va déployer comme astuce, énergie et moyens financiers surtout pour essayer de nous amener à renoncer. Nous savons déjà que des enveloppes épaisses ont commencé à circuler. Nous savons aussi qu'il y a des intimidations çà et là. Mais, nous invitons tous ceux qui se réclamant du Rhdp et donc aiment la Côte d'Ivoire et pensent légitimement que le peuple doit faire savoir au monde entier qu'il ne veut plus de Laurent Gbagbo, doivent tous se mobiliser pour que cette grande sortie populaire du 15 mai se fasse. Il ne faut surtout pas se laisser corrompre au passage. Il faut s'inspirer un peu de ce que les chauffeurs de taxis viennent de démontrer récemment à savoir que désormais en Côte d'Ivoire, on commence à avoir assez de dignité pour crier haut et fort son ras-le-bol et aller jusqu'au bout quand on a décidé de mener une action.
Le camp présidentiel parle d'insurrection, le mot est suffisamment fort. En quoi consiste la cérémonie du 15 mai ? Est ce une simple marche ?
Je peux vous dire le 15 mai 2010, nous aurons un événement qui n'a pas de précédent ici en Côte d'Ivoire. C'est quelque chose qu'on n'aura jamais vu. A savoir que tous les Ivoiriens qui sont fatigués de leur misère, de l'état de déliquescence dans lequel continue de s'enfoncer leur pays, et qui estiment que Laurent Gbagbo s'est assez moqué et du pays et du peuple, tous ceux-là sont invités à sortir et à converger pour ce qui est d'Abidjan vers la place de la république. Et pour ce qui est des villes de l'intérieur vers les endroits qui leur seront montrés. Au départ donc, nous aurons un mouvement, une marche vers un endroit précis. Mais le plus important et le plus intéressant, c'est que lorsque les Ivoiriens seront parvenus à ces endroits, ils seront invités à demeurer sur place jusqu'à ce que Laurent Gbagbo se retire du pouvoir. Il s'agit de cela, ni plus ni moins. Je profite de cette interview pour dire à tous ceux qui sont des militants ou sympathisants du Rhdp et qui régulièrement demandent qu'on leur donne un mot d'ordre clair et précis, qu'ils considèrent que c'est ce mot d'ordre qui leur est donné en ce moment. Le 15 mai où que vous soyez, levez-vous, marchez vers l'endroit qui vous sera indiqué. Une fois là-bas, occupez cet endroit le temps qu'il faudra jusqu'à ce que Laurent Gbagbo quitte le pouvoir. C'est clair, c'est net, voici le mot d'ordre pour la marche du 15 mai 2010.
M. Le président, l'armée a pris l'habitude d'avoir un comportement peu recommandable à chacune des manifestations. Ne craignez-vous pas la même réaction le 15 mai ?
Nous lançons un appel au peuple de Côte d'Ivoire pour lui dire que le meilleur anti-dote à ces réactions barbares de certains éléments de nos forces de défense et de sécurité, c'est le grand nombre. On n'a jamais vu dans aucun pays du monde une armée ouvrir le feu lorsqu'elle a 10 000, 15 000 ou 20 000 personnes en face. La meilleure manière de se garder des morts et des blessés, c'est de sortir très nombreux en groupe compacts et compactés. C'est le meilleur anti-dote. Devant 10 000, 20 000 personnes à l'intérieur du pays, si nous avons entre 500 000 et 1000 000 de personnes ici à Abidjan, je ne conçois pas quelque force de l'ordre que ce soit ouvrir le feu.
Entre le Rhdp et Gbagbo qui refuse d'organiser selon vous les élections, est-ce qu'on peut dire que le combat est plus que jamais engagé ?
Laurent Gbagbo est en guerre contre le Rhdp et contre toute la Côte d'Ivoire depuis 2005 puisqu'il a multiplié les astuces et les voies dilatoires pour ne pas qu'on aille aux élections. Et nous pensons que même pour 2010, il ne veut pas d'élections. Nous avons été avec toute la Côte d'Ivoire choqué de l'entendre dire à la cérémonie du 1er mai de la fête du travail, qu'au cas où les élections ne se tiendraient pas avant le 07 août, il accepterait dans la magnificence de renoncer aux grandes cérémonies du cinquantenaire. Ce qui veut dire que Laurent Gbagbo a de ce fait avoué qu'il ne voit pas les élections se tenir avant le 07 août. C'est vous dire que la personne ne compte pas aller aux élections. C'est lui qui a poussé le Rhdp, qui a toujours voulu être une opposition polie, très civilisée parce que beaucoup de ses leaders sont des personnes qui ont déjà eu à diriger l'Etat, dans ses derniers retranchements. Et aujourd'hui, le Rhdp ne lui demande même plus d'élections. Le Rhdp lui demande purement et simplement de quitter le pouvoir.
Beaucoup de militants du Rhdp ont estimé que les récentes manifestations du Rhdp ont été une symphonie inachevée. Ils craignent que ce soit un remake le 15 mai. Que leur dites-vous ?
Ces militants du Rhdp et surtout une grande partie de la population ivoirienne ont effectivement raison d'être mécontents de la manière dont au niveau des états-majors du Rhdp, les manifestations de février 2010 ont été organisées. Il a surtout manqué deux choses ; qu'on prenne des décisions pour mettre fin à l'action sans avoir pris l'avis des bases. C'est à la limite anti-démocratique. Mais surtout la décision d'arrêter le mouvement a été prise au moment où le mouvement était sur le point d'aboutir, de porter des fruits. Nous reconnaissons humblement et ça a été une grosse erreur de la part de nous les leaders du Rhdp. Nous avons eu à présenter nos excuses à la population et à nos militants. Je réitère encore ces excuses à nos militants et justement je leur dis cette fois-ci, on ne commettra pas ce genre d'erreurs. Nous n'avons pas le droit de commettre ce genre de fautes. C'est pour cela d'ailleurs que le mot d'ordre est donné dès maintenant et il est clair : "populations ivoiriennes, militants du Rhdp, demeurez en place jusqu'au départ de Laurent Gbagbo du pouvoir". C'est clair et net, il n'y a aucune ambiguïté.
A votre avis, qu'est-ce qui bloque véritablement le processus électoral pour que depuis 2010, on n'arrive pas à bouger ?
C'est la question dont la réponse est la plus facile. A savoir que Laurent Gbagbo n'ira aux élections que lorsqu'il sera sûr de les gagner. Il se trouve que le peuple dans sa grande majorité non seulement ne lui est pas favorable, mais le rejette et le vomit. Nous savons que des sondages sérieux engagés par le camp présidentiel ont donné des chiffres entre 10 et 12% de voix favorables à Laurent Gbagbo en cas d'élection présidentielle normale. Ce qui veut dire qu'il n'est même pas sûr d'espérer le second tour à plus forte raison remporter ces élections. Voici le véritable problème de Laurent Gbagbo. Ce pouvoir, il ne veut pas le céder pour beaucoup de raisons. Parmi ces raisons, il est évident qu'il a peur d'avoir à répondre de sa mauvaise gouvernance et de la manière dont les ressources du pays ont été gaspillées, pillées au détriment du bien-être minimum du peuple. Et puis, on pense qu'il a des raisons au niveau des droits de l'homme et du nombre de morts que ce pays a enregistrés d'une manière totalement dictatoriale et barbare depuis qu'il est au pouvoir. Il a peur de ne pas répondre seulement à ce que j'appelle le tribunal des Ivoiriens, mais même au tribunal international.
M. le président, est-ce que le mot d'ordre clair que vous avez donné est partagé par les autres leaders du Rhdp ?
Le Rhdp est un groupe unique. C'est une coalition de partis. Il n'y a pas 4 mots d'ordre. Un mot d'ordre correspondant à chaque parti. Il n'y a qu'un seul mot d'ordre valable et pour les partis et pour leurs militants et pour leurs sympathisants. Ce mot d'ordre est partagé partout. Ce n'est pas le mot d'ordre d'Anaky Kobéna. C'est le mot d'ordre de Konan Bédié pour le Pdci, d'Alassane Ouattara pour le Rdr, de Mabri Toikeusse pour l'Udpci et d'Anaky Kobena pour le Mfa.
M. le président, généralement les militants du Rhdp déplorent dans l'organisation des différentes manifestations, ces derniers temps, le manque de stratégie et de coordination de ses éléments. Est-ce que cette fois-ci vous avez pris toutes les dispositions pour ne pas qu'il y ait des dysfonctionnements afin d'éviter de se retrouver dans les situations précédentes ?
Au niveau du Rhdp, on a travaillé et on continue de travailler pour corriger toutes les imperfections constatées dans le passé ; surtout lors des événements de février et qui ont abouti à une sorte de demi-victoire ou demi-échec auxquels vous faites allusion. D'ailleurs, l'une des décisions qui ont été prises, c'est qu'à côté du directoire normal du Rhdp politique, on a mis en place un directoire pour les opérations qui sera mieux adapté à gérer les crises plutôt que le directoire politique auquel vous êtes habitué. Ce qui veut dire que nous avons fait le constat des erreurs du passé. Nous en avons tiré les conséquences. Nous les corrigerons pour la fois à venir.
Donc, il est clair que le 15 Mai, il n'est pas question de changer un seul iota du mot d'ordre du Rhdp ?
Le changement pourrait venu selon vous d'où et de qui ? Il ne changera pas le mot d'ordre. Il était question de savoir à quelle date il fallait donner le mot d'ordre. Mais, lors de notre dernière tournée effectuée par nos différentes missions à l'intérieur du pays, tous nos délégués sont revenus vers nous en nous disant que le peuple réclamait le mot d'ordre sans attendre. On ne pouvait donc plus attendre. Il fallait donner le mot d'ordre dès lors. C'est clair. Le peuple de Côte d'Ivoire a environ 13 jours pour s'emparer de ce mot d'ordre et lui-même saura quel contenu il faut y mettre.
Cette marche annoncée par l'opposition suscite beaucoup de craintes au niveau du pouvoir. On note beaucoup de rumeurs, de dispositions, d'appels et d'organisations au niveau des forces de l'ordre. Pensez-vous que le régime de M. Gbagbo a des raisons réelles d'avoir peur de cette journée du 15 Mai ?
Dans tout pays au monde, si celui qui est au pouvoir apprend que le peuple compte sortir pour demander son départ, il doit s'inquiéter. Il est évident qu'aujourd'hui il doit être saisi de panique, mais ce n'est que le fruit de leur mauvaise gouvernance sur 10 années. C'est une sanction. Et ça sera la sanction du peuple. Ils doivent partir et ils partiront.
Quelle doit être la position de la communauté internationale dans tout ça ? Est-ce que l'opposition ivoirienne a déchiré Ouaga ou est-ce l'expression d'un ras-le-bol pour exiger les élections ?
Cette grande manifestation populaire du 15 mai est d'abord et avant tout quelque chose qui sort du peuple. Certes, l'idée avait été lancée par les jeunes du Rhdp qui pensaient à une manifestation classique. Mais au fur et à mesure que l'idée a fait son chemin au niveau des populations, elles s'en sont emparées et ont y projeté toutes leurs frustrations, leurs douleurs, leur souffrances et leurs misères qu'on leur a proposées depuis 10 ans que Laurent Gbagbo est au pouvoir. Pour ce qui est du 15 mai, ce n'est pas tellement une marche qui est son souci, mais une délivrance. C'est la raison pour la quelle les jeunes avaient jugé utile de qualifier cette marche ''la marche de la délivrance''. Le peuple va se libérer à partir du 15 mai 2010. Quel que soit le temps que ça mettra, le peuple en a fait son affaire et le peuple saura démontrer et à Gbagbo et à la face du monde comme le disait les anciens latins ''vox populi, vox dei''.
Le Rhdp a souhaité marcher pour arracher des cartes d'électeur et les élections à Gbagbo. Le chef du gouvernement Guillaume Soro et le président de la Cei viennent de prendre un communiqué pour dire que les contentieux reprennent. N'est-ce pas une façon de vous couper l'herbe sous les pieds ?
Le Premier ministre et le président de la Cei viennent d'annoncer effectivement que le contentieux reprend. Dans la même veine, Laurent Gbagbo vient de renoncer à la célébration grandiose du Cinquantenaire. Nous entendrons certainement beaucoup d'autres choses dans les jours qui viennent. Toutes ces choses tendant à montrer ou à démontrer qu'il ne s'oppose pas qu'il y ait cette manifestation du 15 mai. Je vous le redis cette affaire du 15 mai, c'est désormais l'affaire du peuple ; ce peuple de Côte d'Ivoire qui à mon avis a des raisons de croire qu'en dépit de la reprise de ce contentieux électoral, Laurent Gbagbo mettra tout en œuvre pour qu'on n’ait pas les élections en 2010. Alors le peuple dit à Laurent Gbagbo, désormais ces élections, mange-les et avale-les, mais sans nous. Et débarrasse-nous le plancher. Quand on a parlé de la manière dont ça s'était déroulé la dernière fois, je dis que par rapport aux attentes de la population, les leaders du Rhdp doivent pour la manifestation du 15 mai donner leur adhésion totale pour lever toute ambigüité parce que le peuple de Côte d'Ivoire a commencé à douter d'eux. Le peuple de Côte d'Ivoire qui continue de souffrir a commencé à se demander si les leaders de cette opposition d'une manière ou d'une autre, ne sont pas complices de Laurent Gbagbo. Donc, cette grande manifestation serait une espèce de rédemption pour les leaders du Rhdp. Il faut qu'ils le comprennent.
Interview réalisée par Patrice Yao, Akwaba Saint Clair et Paul Koffi
M. le président, que vous inspire la fête de la liberté que le Fpi vient d'organiser à grande pompe dans le contexte actuel?
C'est la fête de la liberté sauf que toute la Côte d'Ivoire, tout le monde entier sait que Laurent Gbagbo et le Fpi sont au pouvoir en Côte d'Ivoire et qu'on ne peut pas dire que la Côte d'Ivoire est un pays de liberté ou des droits de l'homme. Les libertés sont désormais totalement comprimées. Il y a juste une espèce de liberté d'expression de façade qui est tolérée çà et là. Mais, il faut prendre cela comme le mépris exprimé par ce pouvoir Fpi pour ce qui est de son opposition ou ceux qui ne partagent pas son point de vue. Ce qui leur a valu d'ailleurs d'inventer une belle formule qui est " Y a rien en face". Prétendre quand on est minoritaire dans un pays qu'il n'y a rien en face, on se pose la question si demain ils n'auront en face que les poissons de la lagune Ebrié ou les hippopotame des étends de la réserve de Bouna. Dans tous les cas, une fête de la liberté aujourd'hui en Côte d'Ivoire, c'est choquant, c'est à la limite narguer le peuple. Si le peuple pour cette fois a été patient et a laissé fêter leur fête de la liberté, le 15 mai 2010, ce même peuple de Côte d'Ivoire va démarrer sa véritable fête de la liberté. C'est d'ailleurs le sens de cette grande manifestation du 15 mai 2010 qui a été annoncée depuis près d'un mois par les jeunes du Rhdp.
Comment comprendre qu'on fête la liberté et on s'oppose à ce que les jeunes de l'opposition expriment cette liberté sous prétexte que doivent se tenir les assises de la Bad ?
Justement c'est la question pour laquelle il ne faut pas du tout que les jeunes du Rhdp fléchissent par ce genre d'arguments. J'ai invité les quatre responsables des jeunesses du Rhdp le samedi 1er mai au siège du Mfa. Nous avons eu un long échange et je les ai invités à maintenir la manifestation du 15 mai contre vents et marées, et à ne céder à aucun argument. Les assises de la Bad sont certes importantes et la Côte d'Ivoire gagnerait à ce que la Bad revienne en Côte d'Ivoire. Mais nous pouvons dire que si les problèmes de la Côte d'Ivoire avaient été bien menés et si nous avions eu des élections depuis cinq ans que le mandat de Laurent Gbagbo est échu, la Bad serait déjà en Côte d'Ivoire. Le problème de la Bad est à part. Dans tous les cas, la Bad reviendra ici en Côte d'Ivoire. Elle reviendra d'autant plus tôt que nous aurons les élections et un pouvoir exécutif légitime. Donc la revendication des jeunes s'impose plus que jamais. Et l'objection des assises de la Bad est un prétexte presque dérisoire et insultant pour l'intelligence commune.
Comment comprenez-vous alors le ton avec lequel le ministre de l'Intérieur, M.Tagro, recevant les jeunes du Rhdp s'est adressé à ces derniers qu'il aurait même traités de fuyards ?
Le ministre Tagro est quelqu'un que nous connaissons très réservé, très posé, très poli. On doit avouer que depuis qu'il est au gouvernement, on le reconnaît difficilement. C'est dire que l'ambiance ou l'environnement autour de Gbagbo peut amener à la folie ou au délire. Mais ce n'est pas bien grave. J'invite les jeunes du Rhdp à garder leur sang froid pour bien montrer à M. Tagro ce qu'ils sont réellement ce samedi 15 mai 2010. A partir de là, il pourrait revoir son jugement.
M. le président, on entend dire que des grands moyens ont été déployés pour faire en sorte que la marche soit annulée ou du moins reportée. Est-ce qu'au niveau du Rhdp, des dispositions sont prises dans ce sens ?
Des dispositions ont déjà commencé à être prises et les choses vont suivre leur cours pour que cette marche se fasse quel que soit ce que le camp présidentiel va déployer comme astuce, énergie et moyens financiers surtout pour essayer de nous amener à renoncer. Nous savons déjà que des enveloppes épaisses ont commencé à circuler. Nous savons aussi qu'il y a des intimidations çà et là. Mais, nous invitons tous ceux qui se réclamant du Rhdp et donc aiment la Côte d'Ivoire et pensent légitimement que le peuple doit faire savoir au monde entier qu'il ne veut plus de Laurent Gbagbo, doivent tous se mobiliser pour que cette grande sortie populaire du 15 mai se fasse. Il ne faut surtout pas se laisser corrompre au passage. Il faut s'inspirer un peu de ce que les chauffeurs de taxis viennent de démontrer récemment à savoir que désormais en Côte d'Ivoire, on commence à avoir assez de dignité pour crier haut et fort son ras-le-bol et aller jusqu'au bout quand on a décidé de mener une action.
Le camp présidentiel parle d'insurrection, le mot est suffisamment fort. En quoi consiste la cérémonie du 15 mai ? Est ce une simple marche ?
Je peux vous dire le 15 mai 2010, nous aurons un événement qui n'a pas de précédent ici en Côte d'Ivoire. C'est quelque chose qu'on n'aura jamais vu. A savoir que tous les Ivoiriens qui sont fatigués de leur misère, de l'état de déliquescence dans lequel continue de s'enfoncer leur pays, et qui estiment que Laurent Gbagbo s'est assez moqué et du pays et du peuple, tous ceux-là sont invités à sortir et à converger pour ce qui est d'Abidjan vers la place de la république. Et pour ce qui est des villes de l'intérieur vers les endroits qui leur seront montrés. Au départ donc, nous aurons un mouvement, une marche vers un endroit précis. Mais le plus important et le plus intéressant, c'est que lorsque les Ivoiriens seront parvenus à ces endroits, ils seront invités à demeurer sur place jusqu'à ce que Laurent Gbagbo se retire du pouvoir. Il s'agit de cela, ni plus ni moins. Je profite de cette interview pour dire à tous ceux qui sont des militants ou sympathisants du Rhdp et qui régulièrement demandent qu'on leur donne un mot d'ordre clair et précis, qu'ils considèrent que c'est ce mot d'ordre qui leur est donné en ce moment. Le 15 mai où que vous soyez, levez-vous, marchez vers l'endroit qui vous sera indiqué. Une fois là-bas, occupez cet endroit le temps qu'il faudra jusqu'à ce que Laurent Gbagbo quitte le pouvoir. C'est clair, c'est net, voici le mot d'ordre pour la marche du 15 mai 2010.
M. Le président, l'armée a pris l'habitude d'avoir un comportement peu recommandable à chacune des manifestations. Ne craignez-vous pas la même réaction le 15 mai ?
Nous lançons un appel au peuple de Côte d'Ivoire pour lui dire que le meilleur anti-dote à ces réactions barbares de certains éléments de nos forces de défense et de sécurité, c'est le grand nombre. On n'a jamais vu dans aucun pays du monde une armée ouvrir le feu lorsqu'elle a 10 000, 15 000 ou 20 000 personnes en face. La meilleure manière de se garder des morts et des blessés, c'est de sortir très nombreux en groupe compacts et compactés. C'est le meilleur anti-dote. Devant 10 000, 20 000 personnes à l'intérieur du pays, si nous avons entre 500 000 et 1000 000 de personnes ici à Abidjan, je ne conçois pas quelque force de l'ordre que ce soit ouvrir le feu.
Entre le Rhdp et Gbagbo qui refuse d'organiser selon vous les élections, est-ce qu'on peut dire que le combat est plus que jamais engagé ?
Laurent Gbagbo est en guerre contre le Rhdp et contre toute la Côte d'Ivoire depuis 2005 puisqu'il a multiplié les astuces et les voies dilatoires pour ne pas qu'on aille aux élections. Et nous pensons que même pour 2010, il ne veut pas d'élections. Nous avons été avec toute la Côte d'Ivoire choqué de l'entendre dire à la cérémonie du 1er mai de la fête du travail, qu'au cas où les élections ne se tiendraient pas avant le 07 août, il accepterait dans la magnificence de renoncer aux grandes cérémonies du cinquantenaire. Ce qui veut dire que Laurent Gbagbo a de ce fait avoué qu'il ne voit pas les élections se tenir avant le 07 août. C'est vous dire que la personne ne compte pas aller aux élections. C'est lui qui a poussé le Rhdp, qui a toujours voulu être une opposition polie, très civilisée parce que beaucoup de ses leaders sont des personnes qui ont déjà eu à diriger l'Etat, dans ses derniers retranchements. Et aujourd'hui, le Rhdp ne lui demande même plus d'élections. Le Rhdp lui demande purement et simplement de quitter le pouvoir.
Beaucoup de militants du Rhdp ont estimé que les récentes manifestations du Rhdp ont été une symphonie inachevée. Ils craignent que ce soit un remake le 15 mai. Que leur dites-vous ?
Ces militants du Rhdp et surtout une grande partie de la population ivoirienne ont effectivement raison d'être mécontents de la manière dont au niveau des états-majors du Rhdp, les manifestations de février 2010 ont été organisées. Il a surtout manqué deux choses ; qu'on prenne des décisions pour mettre fin à l'action sans avoir pris l'avis des bases. C'est à la limite anti-démocratique. Mais surtout la décision d'arrêter le mouvement a été prise au moment où le mouvement était sur le point d'aboutir, de porter des fruits. Nous reconnaissons humblement et ça a été une grosse erreur de la part de nous les leaders du Rhdp. Nous avons eu à présenter nos excuses à la population et à nos militants. Je réitère encore ces excuses à nos militants et justement je leur dis cette fois-ci, on ne commettra pas ce genre d'erreurs. Nous n'avons pas le droit de commettre ce genre de fautes. C'est pour cela d'ailleurs que le mot d'ordre est donné dès maintenant et il est clair : "populations ivoiriennes, militants du Rhdp, demeurez en place jusqu'au départ de Laurent Gbagbo du pouvoir". C'est clair et net, il n'y a aucune ambiguïté.
A votre avis, qu'est-ce qui bloque véritablement le processus électoral pour que depuis 2010, on n'arrive pas à bouger ?
C'est la question dont la réponse est la plus facile. A savoir que Laurent Gbagbo n'ira aux élections que lorsqu'il sera sûr de les gagner. Il se trouve que le peuple dans sa grande majorité non seulement ne lui est pas favorable, mais le rejette et le vomit. Nous savons que des sondages sérieux engagés par le camp présidentiel ont donné des chiffres entre 10 et 12% de voix favorables à Laurent Gbagbo en cas d'élection présidentielle normale. Ce qui veut dire qu'il n'est même pas sûr d'espérer le second tour à plus forte raison remporter ces élections. Voici le véritable problème de Laurent Gbagbo. Ce pouvoir, il ne veut pas le céder pour beaucoup de raisons. Parmi ces raisons, il est évident qu'il a peur d'avoir à répondre de sa mauvaise gouvernance et de la manière dont les ressources du pays ont été gaspillées, pillées au détriment du bien-être minimum du peuple. Et puis, on pense qu'il a des raisons au niveau des droits de l'homme et du nombre de morts que ce pays a enregistrés d'une manière totalement dictatoriale et barbare depuis qu'il est au pouvoir. Il a peur de ne pas répondre seulement à ce que j'appelle le tribunal des Ivoiriens, mais même au tribunal international.
M. le président, est-ce que le mot d'ordre clair que vous avez donné est partagé par les autres leaders du Rhdp ?
Le Rhdp est un groupe unique. C'est une coalition de partis. Il n'y a pas 4 mots d'ordre. Un mot d'ordre correspondant à chaque parti. Il n'y a qu'un seul mot d'ordre valable et pour les partis et pour leurs militants et pour leurs sympathisants. Ce mot d'ordre est partagé partout. Ce n'est pas le mot d'ordre d'Anaky Kobéna. C'est le mot d'ordre de Konan Bédié pour le Pdci, d'Alassane Ouattara pour le Rdr, de Mabri Toikeusse pour l'Udpci et d'Anaky Kobena pour le Mfa.
M. le président, généralement les militants du Rhdp déplorent dans l'organisation des différentes manifestations, ces derniers temps, le manque de stratégie et de coordination de ses éléments. Est-ce que cette fois-ci vous avez pris toutes les dispositions pour ne pas qu'il y ait des dysfonctionnements afin d'éviter de se retrouver dans les situations précédentes ?
Au niveau du Rhdp, on a travaillé et on continue de travailler pour corriger toutes les imperfections constatées dans le passé ; surtout lors des événements de février et qui ont abouti à une sorte de demi-victoire ou demi-échec auxquels vous faites allusion. D'ailleurs, l'une des décisions qui ont été prises, c'est qu'à côté du directoire normal du Rhdp politique, on a mis en place un directoire pour les opérations qui sera mieux adapté à gérer les crises plutôt que le directoire politique auquel vous êtes habitué. Ce qui veut dire que nous avons fait le constat des erreurs du passé. Nous en avons tiré les conséquences. Nous les corrigerons pour la fois à venir.
Donc, il est clair que le 15 Mai, il n'est pas question de changer un seul iota du mot d'ordre du Rhdp ?
Le changement pourrait venu selon vous d'où et de qui ? Il ne changera pas le mot d'ordre. Il était question de savoir à quelle date il fallait donner le mot d'ordre. Mais, lors de notre dernière tournée effectuée par nos différentes missions à l'intérieur du pays, tous nos délégués sont revenus vers nous en nous disant que le peuple réclamait le mot d'ordre sans attendre. On ne pouvait donc plus attendre. Il fallait donner le mot d'ordre dès lors. C'est clair. Le peuple de Côte d'Ivoire a environ 13 jours pour s'emparer de ce mot d'ordre et lui-même saura quel contenu il faut y mettre.
Cette marche annoncée par l'opposition suscite beaucoup de craintes au niveau du pouvoir. On note beaucoup de rumeurs, de dispositions, d'appels et d'organisations au niveau des forces de l'ordre. Pensez-vous que le régime de M. Gbagbo a des raisons réelles d'avoir peur de cette journée du 15 Mai ?
Dans tout pays au monde, si celui qui est au pouvoir apprend que le peuple compte sortir pour demander son départ, il doit s'inquiéter. Il est évident qu'aujourd'hui il doit être saisi de panique, mais ce n'est que le fruit de leur mauvaise gouvernance sur 10 années. C'est une sanction. Et ça sera la sanction du peuple. Ils doivent partir et ils partiront.
Quelle doit être la position de la communauté internationale dans tout ça ? Est-ce que l'opposition ivoirienne a déchiré Ouaga ou est-ce l'expression d'un ras-le-bol pour exiger les élections ?
Cette grande manifestation populaire du 15 mai est d'abord et avant tout quelque chose qui sort du peuple. Certes, l'idée avait été lancée par les jeunes du Rhdp qui pensaient à une manifestation classique. Mais au fur et à mesure que l'idée a fait son chemin au niveau des populations, elles s'en sont emparées et ont y projeté toutes leurs frustrations, leurs douleurs, leur souffrances et leurs misères qu'on leur a proposées depuis 10 ans que Laurent Gbagbo est au pouvoir. Pour ce qui est du 15 mai, ce n'est pas tellement une marche qui est son souci, mais une délivrance. C'est la raison pour la quelle les jeunes avaient jugé utile de qualifier cette marche ''la marche de la délivrance''. Le peuple va se libérer à partir du 15 mai 2010. Quel que soit le temps que ça mettra, le peuple en a fait son affaire et le peuple saura démontrer et à Gbagbo et à la face du monde comme le disait les anciens latins ''vox populi, vox dei''.
Le Rhdp a souhaité marcher pour arracher des cartes d'électeur et les élections à Gbagbo. Le chef du gouvernement Guillaume Soro et le président de la Cei viennent de prendre un communiqué pour dire que les contentieux reprennent. N'est-ce pas une façon de vous couper l'herbe sous les pieds ?
Le Premier ministre et le président de la Cei viennent d'annoncer effectivement que le contentieux reprend. Dans la même veine, Laurent Gbagbo vient de renoncer à la célébration grandiose du Cinquantenaire. Nous entendrons certainement beaucoup d'autres choses dans les jours qui viennent. Toutes ces choses tendant à montrer ou à démontrer qu'il ne s'oppose pas qu'il y ait cette manifestation du 15 mai. Je vous le redis cette affaire du 15 mai, c'est désormais l'affaire du peuple ; ce peuple de Côte d'Ivoire qui à mon avis a des raisons de croire qu'en dépit de la reprise de ce contentieux électoral, Laurent Gbagbo mettra tout en œuvre pour qu'on n’ait pas les élections en 2010. Alors le peuple dit à Laurent Gbagbo, désormais ces élections, mange-les et avale-les, mais sans nous. Et débarrasse-nous le plancher. Quand on a parlé de la manière dont ça s'était déroulé la dernière fois, je dis que par rapport aux attentes de la population, les leaders du Rhdp doivent pour la manifestation du 15 mai donner leur adhésion totale pour lever toute ambigüité parce que le peuple de Côte d'Ivoire a commencé à douter d'eux. Le peuple de Côte d'Ivoire qui continue de souffrir a commencé à se demander si les leaders de cette opposition d'une manière ou d'une autre, ne sont pas complices de Laurent Gbagbo. Donc, cette grande manifestation serait une espèce de rédemption pour les leaders du Rhdp. Il faut qu'ils le comprennent.
Interview réalisée par Patrice Yao, Akwaba Saint Clair et Paul Koffi