Côte à côte sur la photo de famille, Gbagbo, Bédié et Alassane Ouattara entendent montrer à la face du monde qu’ils sont capables de surmonter leurs divergences quand l’intérêt du pays est en jeu. Les principaux acteurs de la crise ont-ils, enfin, trouvé le médicament à travers le « dialogue inter ivoirien ? » Les sceptiques ont des arguments de poids.
A cinq jours du 15 mai, date choisie par l’opposition pour battre le pavé et réclamer une date du scrutin présidentiel, le chef de l’Etat Laurent Gbagbo, descendu de son piédestal, rendait visite à son prédécesseur Henri Konan Bédié. Le tête-à-tête entre les deux hommes est un évènement. Les medias nationaux et internationaux immortalisent ces instants de « paix des braves ». Le blanc, la couleur de la chemise du numéro un ivoirien en disait long sur son état d’esprit. Côte à côte sur la photo de famille, Gbagbo et Bédié entendaient montrer à la face du monde qu’ils étaient capables de surmonter leurs divergences quand l’intérêt du pays est en jeu. « Mon acceptation de rencontrer le chef de l’Etat ne s’inscrit que dans la recherche du dialogue et constitue une étape importante de la reprise du dialogue inter-ivoirien». C’est en ces termes que N’Zuéba a justifié, le 14 mai, ses échanges avec Gbagbo. Pour consacrer le « dialogue direct inter ivoirien », le candidat-président se rend, 48H après le report sine die de la manifestation du Rhdp, au domicile de l`autre grand opposant, le président du Rdr, Alassane Ouattara. Pour la même préoccupation : créer un climat de paix propice au bon déroulement du processus de sortie de crise. Ces tête-à-tête inhabituels entre le pouvoir et l’opposition significative ont fait naître une lueur d’espoir dans le cœur des populations ivoiriennes : la relance du processus électoral qui pédale dans la choucroute depuis cinq longues années. Après des mois de tension savamment entretenue, l`heure est-elle réellement à l`apaisement entre leaders ivoiriens ? Le dieu de la sagesse a-t-il inspiré le chef de l’Etat pour des solutions durables ou est-ce une entourloupe pour endormir ses opposants, le temps d’organiser, dans la sérénité, les « assemblées annuelles de la Bad » à Abidjan (27 et 28 mai) ? Nombre d’observateurs de la crise ivoirienne qui ont noté sur leur calepin la longue liste de médiations, tant nationales qu’internationales, regardent tout ce manège avec une bonne dose de scepticisme. Ils ont des arguments de poids. Les faits et les actes posés, en effet, par la classe politique, avec à sa tête le premier des Ivoiriens, les confortent dans leur position. Le 10 août 2000 à Yamoussoukro, on s’en souvient, sous l’égide des présidents Gnassingbé Eyadema du Togo et Mathieu Kérékou du Bénin (alors président du Conseil de l’Entente), la classe politique ivoirienne avait convenu d’un pacte particulièrement original : quel que soit le vainqueur de l’élection d’octobre 2000, il devra former un gouvernement d’union avec ses adversaires malheureux. Mathieu Kérékou avait tenté de persuader le général Guéï de ne pas se présenter aux élections présidentielles : « Fais ce que ta conscience te conseille comme bon pour ton pays », avait-il conseillé au n°1 de la junte. A cette même réunion de Yamoussoukro, Alpha Oumar Konaré et Gnassingbé Eyadema avaient essayé d’obtenir qu’aucune exclusion artificielle ne soit faite à l’encontre de l’un ou l’autre des candidats. Guéi a fait la sourde oreille. Laurent Gbagbo, le président élu dans des « conditions calamiteuses » a déchiré les recommandations des chefs d’Etat de la sous région. Depuis l’éclatement de la crise, le 19 septembre 2002, et malgré la longue liste des médiations, le déblocage du processus électoral reste un casse-tête ivoirien, la présidentielle n`en finit plus de se faire attendre après ses reports en série depuis 2005, la fin du mandat de Gbagbo. Le dégel actuel va-t-il résister aux assauts de forces en présence ? Gbagbo va-t-il mettre à profit la décrispation pour achever le contentieux sur la liste électorale provisoire afin de permettre à la Cei de fixer, pour de bon, une date pour l`élection présidentielle tant attendue? En tout cas, après avoir poussé Bédié et ADO à avaler de grosses couleuvres contre l’avis de la majorité des houphouétistes, le président Gbagbo sait qu’il n’a plus de joker. Sauf, bien sûr, si l’opposition regroupée au sein du Rhdp accepte de faire une autre passe à l’adversaire.
Jean Roche Kouamé
Lég : Depuis l’éclatement de la crise, le 19 septembre 2002, et malgré la longue liste des médiations, le déblocage du processus électoral reste un casse-tête ivoirien, la présidentielle n`en finit plus de se faire attendre après ses reports en série depuis 2005, la fin du mandat de Gbagbo.
Encadré/ les médiations au chevet du grand corps malade
Du 19 septembre 2002 à mai 2010
- Abdoulaye Wade, Président du Sénégal, en tant que président de la Cedeao (2002-2003)
- Eyadema Gnassingbé, Président du Togo, en tant que doyen des présidents des pays de la Cedeao (médiateur récurrent jusqu’à sa mort)
- Alpha Oumar Konaré, ancien Président du Mali, en tant que président de la Commission de l’Union africaine.
- Amani Toumani Touré, dit ATT, Président du Mali
- John Kuofor, Président du Ghana, en tant que président de la Cedeao (2003-2005)
- Omar Bongo, Président du Gabon, en tant que doyen des chefs d’Etat africains.
- Mamadou Tandja, Président du Niger, en tant que président de la Cedeao à partir de 2005
- Olusegun Obasanjo, Président du Nigeria, en tant que président de l’UA de 2004 à 2006 (médiateur récurrent)
- Abdou Diouf, ancien Président du Sénégal, en tant que président de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie).
- Thabo Mbeki, Président de la République d’Afrique du Sud, désigné comme médiateur par l’Union africaine, le 7 novembre 2004.
- Mohamed VI, roi du Maroc a « failli » entrer en lice en février 2005, mais il s’est précipitamment retiré suite à un imbroglio diplomatico-politique.
- Denis Sassou Nguesso, Président du Congo, en tant que président nouvellement élu de l’UA (2006).
Depuis mars 2005, le profil de la médiation a changé : Thabo Mbeki a été désavoué. La Cedeao et l’UA sont devenues les médiateurs de référence, relayés et appuyés par l’Onu qui a mis en place en octobre 2005 le « Groupe international de travail » (GIT) composé de membres des trois organismes et « chargé d’évaluer, contrôler et suivre le processus de paix ». La médiation a vécu et laissé place à une coercition relative.
-Blaise Compaoré, Président du Faso parraine l’Accord politique de Ouagadougou signé le 4 mars 2007 et baptisé le « dialogue direct » Gbagbo-Soro. Le secrétaire général des Forces nouvelles, ex-rébellion, est nommé Premier ministre.
- Abdoulaye Wade, Président du Sénégal, est ré-sollicité en avril 2010 par Gbagbo pour « parler aux autres acteurs de la crise. » A tous ceux qui voient en Wade, le successeur à Compaoré, Gbagbo répond par une boutade. « Trop de viandes ne gâte pas la sauce. Au contraire, cela améliore le goût. »
-Depuis le 14 mai 2010, il a lancé le « dialogue inter-ivoirien » qui cadre avec son slogan : « Asseyons-nous et discutons »…
J. R.K (avec le concours de Yveline Dévérin, Me de conférences de géographie
Université de Toulouse-le-Mirail Gresoc-UTM/ Sedet-Paris VII, auteur de « Crise ivoirienne : du bon usage de la médiation ».
A cinq jours du 15 mai, date choisie par l’opposition pour battre le pavé et réclamer une date du scrutin présidentiel, le chef de l’Etat Laurent Gbagbo, descendu de son piédestal, rendait visite à son prédécesseur Henri Konan Bédié. Le tête-à-tête entre les deux hommes est un évènement. Les medias nationaux et internationaux immortalisent ces instants de « paix des braves ». Le blanc, la couleur de la chemise du numéro un ivoirien en disait long sur son état d’esprit. Côte à côte sur la photo de famille, Gbagbo et Bédié entendaient montrer à la face du monde qu’ils étaient capables de surmonter leurs divergences quand l’intérêt du pays est en jeu. « Mon acceptation de rencontrer le chef de l’Etat ne s’inscrit que dans la recherche du dialogue et constitue une étape importante de la reprise du dialogue inter-ivoirien». C’est en ces termes que N’Zuéba a justifié, le 14 mai, ses échanges avec Gbagbo. Pour consacrer le « dialogue direct inter ivoirien », le candidat-président se rend, 48H après le report sine die de la manifestation du Rhdp, au domicile de l`autre grand opposant, le président du Rdr, Alassane Ouattara. Pour la même préoccupation : créer un climat de paix propice au bon déroulement du processus de sortie de crise. Ces tête-à-tête inhabituels entre le pouvoir et l’opposition significative ont fait naître une lueur d’espoir dans le cœur des populations ivoiriennes : la relance du processus électoral qui pédale dans la choucroute depuis cinq longues années. Après des mois de tension savamment entretenue, l`heure est-elle réellement à l`apaisement entre leaders ivoiriens ? Le dieu de la sagesse a-t-il inspiré le chef de l’Etat pour des solutions durables ou est-ce une entourloupe pour endormir ses opposants, le temps d’organiser, dans la sérénité, les « assemblées annuelles de la Bad » à Abidjan (27 et 28 mai) ? Nombre d’observateurs de la crise ivoirienne qui ont noté sur leur calepin la longue liste de médiations, tant nationales qu’internationales, regardent tout ce manège avec une bonne dose de scepticisme. Ils ont des arguments de poids. Les faits et les actes posés, en effet, par la classe politique, avec à sa tête le premier des Ivoiriens, les confortent dans leur position. Le 10 août 2000 à Yamoussoukro, on s’en souvient, sous l’égide des présidents Gnassingbé Eyadema du Togo et Mathieu Kérékou du Bénin (alors président du Conseil de l’Entente), la classe politique ivoirienne avait convenu d’un pacte particulièrement original : quel que soit le vainqueur de l’élection d’octobre 2000, il devra former un gouvernement d’union avec ses adversaires malheureux. Mathieu Kérékou avait tenté de persuader le général Guéï de ne pas se présenter aux élections présidentielles : « Fais ce que ta conscience te conseille comme bon pour ton pays », avait-il conseillé au n°1 de la junte. A cette même réunion de Yamoussoukro, Alpha Oumar Konaré et Gnassingbé Eyadema avaient essayé d’obtenir qu’aucune exclusion artificielle ne soit faite à l’encontre de l’un ou l’autre des candidats. Guéi a fait la sourde oreille. Laurent Gbagbo, le président élu dans des « conditions calamiteuses » a déchiré les recommandations des chefs d’Etat de la sous région. Depuis l’éclatement de la crise, le 19 septembre 2002, et malgré la longue liste des médiations, le déblocage du processus électoral reste un casse-tête ivoirien, la présidentielle n`en finit plus de se faire attendre après ses reports en série depuis 2005, la fin du mandat de Gbagbo. Le dégel actuel va-t-il résister aux assauts de forces en présence ? Gbagbo va-t-il mettre à profit la décrispation pour achever le contentieux sur la liste électorale provisoire afin de permettre à la Cei de fixer, pour de bon, une date pour l`élection présidentielle tant attendue? En tout cas, après avoir poussé Bédié et ADO à avaler de grosses couleuvres contre l’avis de la majorité des houphouétistes, le président Gbagbo sait qu’il n’a plus de joker. Sauf, bien sûr, si l’opposition regroupée au sein du Rhdp accepte de faire une autre passe à l’adversaire.
Jean Roche Kouamé
Lég : Depuis l’éclatement de la crise, le 19 septembre 2002, et malgré la longue liste des médiations, le déblocage du processus électoral reste un casse-tête ivoirien, la présidentielle n`en finit plus de se faire attendre après ses reports en série depuis 2005, la fin du mandat de Gbagbo.
Encadré/ les médiations au chevet du grand corps malade
Du 19 septembre 2002 à mai 2010
- Abdoulaye Wade, Président du Sénégal, en tant que président de la Cedeao (2002-2003)
- Eyadema Gnassingbé, Président du Togo, en tant que doyen des présidents des pays de la Cedeao (médiateur récurrent jusqu’à sa mort)
- Alpha Oumar Konaré, ancien Président du Mali, en tant que président de la Commission de l’Union africaine.
- Amani Toumani Touré, dit ATT, Président du Mali
- John Kuofor, Président du Ghana, en tant que président de la Cedeao (2003-2005)
- Omar Bongo, Président du Gabon, en tant que doyen des chefs d’Etat africains.
- Mamadou Tandja, Président du Niger, en tant que président de la Cedeao à partir de 2005
- Olusegun Obasanjo, Président du Nigeria, en tant que président de l’UA de 2004 à 2006 (médiateur récurrent)
- Abdou Diouf, ancien Président du Sénégal, en tant que président de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie).
- Thabo Mbeki, Président de la République d’Afrique du Sud, désigné comme médiateur par l’Union africaine, le 7 novembre 2004.
- Mohamed VI, roi du Maroc a « failli » entrer en lice en février 2005, mais il s’est précipitamment retiré suite à un imbroglio diplomatico-politique.
- Denis Sassou Nguesso, Président du Congo, en tant que président nouvellement élu de l’UA (2006).
Depuis mars 2005, le profil de la médiation a changé : Thabo Mbeki a été désavoué. La Cedeao et l’UA sont devenues les médiateurs de référence, relayés et appuyés par l’Onu qui a mis en place en octobre 2005 le « Groupe international de travail » (GIT) composé de membres des trois organismes et « chargé d’évaluer, contrôler et suivre le processus de paix ». La médiation a vécu et laissé place à une coercition relative.
-Blaise Compaoré, Président du Faso parraine l’Accord politique de Ouagadougou signé le 4 mars 2007 et baptisé le « dialogue direct » Gbagbo-Soro. Le secrétaire général des Forces nouvelles, ex-rébellion, est nommé Premier ministre.
- Abdoulaye Wade, Président du Sénégal, est ré-sollicité en avril 2010 par Gbagbo pour « parler aux autres acteurs de la crise. » A tous ceux qui voient en Wade, le successeur à Compaoré, Gbagbo répond par une boutade. « Trop de viandes ne gâte pas la sauce. Au contraire, cela améliore le goût. »
-Depuis le 14 mai 2010, il a lancé le « dialogue inter-ivoirien » qui cadre avec son slogan : « Asseyons-nous et discutons »…
J. R.K (avec le concours de Yveline Dévérin, Me de conférences de géographie
Université de Toulouse-le-Mirail Gresoc-UTM/ Sedet-Paris VII, auteur de « Crise ivoirienne : du bon usage de la médiation ».