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Politique Publié le vendredi 21 mai 2010 | Le Nouveau Réveil

Venance Konan (journaliste-écrivain) : “Seule la pression de la rue poussera Gbagbo à organiser les élections”

© Le Nouveau Réveil Par Prisca
Relance du processus de sortie de crise : Gbagbo a rencontré Bédié
Lundi 10 mai 2010. Abidjan, Cocody. Résidence du Président Henri Konan Bédié. Le Président du PDCI-RDA reçoit le chef de l`état dans le cadre de la relance du processus de sortie de crise. Photo: l`arrivée du président Laurent Gbagbo
Après le report de la marche du 15 mai dernier, les leaders du RHDP sont montés au créneau pour expliquer aux Ivoiriens les raisons de cette décision. Venance Konan, journaliste et critique littéraire s’est prêté hier à nos questions pour jeter un regard sur la situation socio-politique après les derniers développements de l’actualité nationale.

L`actualité de ces derniers jours a été marquée par le report de la marche du Rhdp. Quel est votre regard sur cette décision ?

J`ai écouté la conférence de presse du président Bédié à laquelle j`ai assisté. Il a expliqué, il a dit que c`était un souci de paix. Et qu`il y avait des risques de morts. J`ai décidé de ne pas faire de lien entre la visite du Président Gbagbo qu`il a reçu 48 heures auparavant et ce report. Ça m`étonnerait qu`il n`y ait pas de lien. Mais je ne peux pas prouver évidemment. On ne peut pas ne pas mettre cela aussi en rapport avec cette histoire de découverte d`armes à Anyama. Et la convocation de Hamed Bakayoko. Je ne peux pas tirer de conclusion. Mais, c`est des éléments qui me troublent. C`est des coïncidences assez troublantes. Et quand le Président Bédié dit que la marche devrait être insurrectionnelle, je me dis qu`il y a quelque chose en dessous qu`on ne veut pas nous dévoiler. Toujours est il que quelles que soient les raisons, ça crée un trouble au sein de la population, au sein des militants. J`ai entendu beaucoup de gens qui étaient très déçus par ce report. Et qui disent que visiblement l`opposition n`a pas de stratégie pour contraindre M. Gbagbo à organiser les élections.

Entre autres raisons évoquées pour le report, il y avait quand même les Assemblées générales de la Bad à Abidjan. Comment analysez-vous toutes ces raisons évoquées pour justifier le report de la marche ?
Dans un premier temps, je voudrais savoir la marche était pourquoi exactement. Quel était l`objectif de la marche ? Mettre la pression sur M. Gbagbo ? Contraindre M. Gbagbo à quitter le pouvoir ? Je ne sais pas si c`était la pression, je ne vois pas en quoi la marche du samedi gênerait les assises de la Bad, qui ont lieu pratiquement vers la fin du mois. Si c`était une marche d`un jour pour réclamer des élections, je ne vois pas du tout en quoi ça pourrait gêner. Si nous estimons que cette élection est importante et qu`on veut la date, on peut faire la marche quand on veut. On peut marcher même quand la Bad est là. Je n`en vois pas le rapport.

M. Venance Konan, le président de la Jpdci a expliqué dans sa conférence de presse qu`ils avaient décidé de rester dans la rue jusqu`à ce qu`on donne une date alors même qu`on ne savait pas quand Laurent Gbagbo allait donner la date des élections. En plus Alassane Dramane du Rdr disait que la date avait été mal choisie. Partagez-vous cet avis ?
Franchement, moi, j`étais hors du pays au moment où ces tractations avaient lieu, donc je n`ai pas vraiment suivi. Je n`ai pas suivi la conférence de presse dont vous parlez. Mais, toujours est-il que s`ils veulent marcher pour que M. Gbagbo donne une date, ils ont raison. Je ne vois pas le problème que ça pose. Parce qu`aujourd`hui, on a tous besoin de savoir quand ces élections auront lieu.

Apparemment, les leaders du Rhdp, quand on les écoute, ils n`étaient pas opposés par principe à la marche, mais ils ont estimé que nonobstant les assises de la Bad et les risques d`affrontements, les conditions d`organisation n`étaient pas réunies pour une marche de cette ampleur.
Je ne sais pas les conditions, mais je veux dire que le fait même que la Bad doit tenir ses assises était un moment propice pour contraindre M. Gbagbo à donner une date. Parce que c`était une façon de mettre la pression sur lui à condition, bien sûr, que la marche soit pacifique. Mais les jeunes pouvaient rester dans la rue jusqu`à ce qu`il donne une date. Sachant que la Bad doit venir, M. Gbagbo serait contraint de faire un geste. Il faut utiliser les moyens de pression quand il faut. Même quand il n`y a pas d`enjeu, il faut mettre la pression et là il y avait un enjeu important pour M. Gbagbo qui tient à ce que ces assises se tiennent. C`était le moment de mettre la pression sur lui. C`est une arme de pression. Il faut avoir quelque chose sous la main pour réclamer quelque chose. En tout cas, certains sont formels. Il y aurait eu un carnage. Le Fpi aurait massacré les marcheurs s`ils sortaient. Ça aurait peut-être aussi été l`occasion pour M. Gbagbo de quitter le pouvoir. Il y a déjà eu massacre en 2004. Je ne pense pas qu`il échapperait à un autre massacre. S`il avait été jusque-là, je crois ça aurait été la fin. Mais, je ne sais pas pourquoi M. Gbagbo massacrerait des gens qui marchent pacifiquement au moment où lui-même attend la Bad.

Mais en février dernier, il a fait massacrer des Ivoiriens en faisant tirer à bout portant sur des manifestants aux mains nues.
Parfois, il faut payer le prix du sang. Parfois, c`est long, mais il faut savoir ce qu`on veut. Février, c`est peut-être un peu loin. Un mort, c`est toujours un mort. Mais, je dis qu`ils ont été assez malins pour le faire de façon isolée : quelques morts à Gagnoa, quelques morts à Divo ou ailleurs. Et ça n`a pas eu d`impact réellement. Alors, si le samedi 15 mai, les gens avaient marché et qu`il y avait eu un bain de sang, c`est M. Gbagbo qui en payerait le prix. Il se serait retrouvé devant un tribunal et puis c`est tout !

L`Onu est venue faire une enquête en Côte d`Ivoire, il n`y a pas eu de suite. Pensez-vous qu`une autre enquête de l`extérieur donnerait encore quelque chose. Alors, Gbagbo va payer son forfait devant qui ?
Si ceux qui ont perdu leurs militants n`ont pas mis la pression pour qu`il y ait une suite, qu`est-ce que vous voulez qu`on fasse ? Est-ce que vous avez vu les leaders du Rhdp porter plainte quand il y a eu ces morts ?

Il y a quand même une procédure qui a été déjà engagée par les Nations Unies.
Les Nations Unies sont venues constater. Ils ont compté le nombre de mort. Je crois qu`ils ont énuméré 120 morts. Mais, c`est à nous, Ivoiriens, de réclamer justice. C`est à nous de mettre la pression pour que l`Onu aille loin. Et puis, ce n`est pas l`Onu qui juge. Que s`est-il passé en Guinée quand ils ont tiré sur les gens dans un stade ? Les Guinéens ont mis une telle pression que le tribunal pénal international ? (Tpi) a été obligé de se mobiliser. Quelle est la pression que nous avons mise sur qui pour faire bouger les institutions internationales. Ce n`est que récemment, cette année que j`ai entendu dire qu`on va porter plainte. Depuis 2004, c`est maintenant qu`on va porter plainte ? Au moment où on était chaud dans l`action et que le sang était encore frais, est-ce que quelqu`un a menacé de se retirer du gouvernement ? Aucun. Si vous-mêmes dites que quelqu`un, en l`occurrence Laurent Gbagbo, a tiré sur vos militants (vous-mêmes vous parlez de 400 morts et l`Onu reconnait 120 morts) et qu`au lendemain vous venez vous asseoir dans le gouvernement de ce monsieur, qu`est-ce que vous voulez que les autres fassent pour vous ? Pendant des années, est-ce qu`on a commémoré une seule fois, cette date ? A-t-on demandé une seule fois aux Ivoiriens de mettre une seule bougie à leur fenêtre en souvenir de ces morts ? Moi, je suis étonné que M. Bédié et M. Ouattara, qui ont occupé de si hautes fonctions, qui ont un réseau de relations large à travers le monde, n`aient pas pu mettre la pression suffisamment sur M. Gbagbo. Je me réfère à cette histoire de Zongo (journaliste burkinabé mort dans des conditions assez suspectes, Ndlr). Blaise Compaoré est accusé d`avoir tué Zongo, ça fait plus de 10 ans, mais tous les jours, on rappelle à M. Compaoré la mort de Zongo. Aujourd`hui, il ne peut plus toucher à un journaliste là-bas. Ici, avez-vous entendu faire des 120 morts un sujet de pression, un élément de sa compagne ? Je me souviens qu`une fois, M. Gbagbo était parti aux Etats-Unis, c`était avant cette histoire-là. Il y a eu des Ivoiriens qui ont manifesté devant son hôtel au point où il a dû quitter son hôtel, de sortir en cachette. Après, il est allé parler à l`Onu tranquillement. Il a été reçu par Obama. S`il y avait une opposition bien organisée, on aurait encore organisé des manifestations là en montrant les cadavres pour que le monde entier voie ce qui s`est passé ici. Mais, rien. Il ne s`est passé absolument rien. Ne demandez pas à l`Onu de faire ce que vous n`êtes pas capables de faire vous-mêmes.

Etes-vous déçu des hommes politiques ivoiriens, notamment l`opposition ?
Je suis totalement déçu des hommes politiques ivoiriens. Je suis totalement déçu qu`on en soit là encore aujourd`hui 20 mai 2010 (hier, Ndlr) à ne pas savoir quand les élections auront lieu, qu`on soit là avec cette bande de voyous qui pillent au Nord et cette bande de voyous qui pillent au Sud et qui fait n`importe quoi. Quand le Rhdp dit qu`il représente 2/3 des Ivoiriens, ce que je suis enclin à croire, je dirais même plus. Et que cette alliance de partis n`arrive pas à dicter sa loi et qu`ils soient obligés d`attendre que ce soit M. Gbagbo qui leur donne la note sur laquelle ils doivent danser, je ne peux qu`être déçu par le pouvoir que j`accuse d`être un pouvoir dictatorial autant que par l`opposition que j`accuse d`être totalement incompétente.

Mais vous aussi, la société civile, on vous reproche votre immobilisme et votre manque d`initiative.
La société civile, c`est vous et moi. Ce n`est pas une organisation qui existe en tant que telle. Une société civile est quelque chose de diffus. Chacun joue son rôle. Moi, en tant que journaliste, j`écris toujours pour dénoncer ce régime. Ceci étant dit, il faut reconnaître que la société civile, dans son ensemble, n`est pas organisée et c`est dommage. Je me souviens, lorsqu`Abdoulaye Wade avait pris certaines mesures impopulaires en 2007, le lendemain dans les radios, partout on entendait que ça. Et Wade a été obligé de reculer parce que là-bas, il y a une société notamment les syndicats, les associations diverses, qui ont une vision de leur société, qui ont réagi. Je me souviens aussi que lorsque Kérékou voulait se maintenir au pouvoir à la fin de son 2ème mandat, il y a eu une velléité, mais la société civile béninoise s`est mobilisée. On n`entendait que ça dans les journaux, sur les radios, partout. Finalement, il a compris et il a reculé. Mais, ici, effectivement il n`y a pas une société civile qui a envie de se battre pour qu`on aille en avant.

Pensez-vous que le peuple dans son ensemble qui a été nourrie à la sève de la paix est capable de prendre son destin en main ?
Pour que le peuple prenne son destin en main, il faut un leader. Lorsque dix (10) mille personnes se retrouvent au même endroit, ça veut dire que quelqu`un a organisé la chose pour qu`ils soient là au même endroit. Ce n`est pas par hasard. Le peuple souffre, mais qui est le leader qui est capable de mobiliser. Lorsqu`il a fallu faire tomber Robert Guéi, en 2000, on a vu près de cent (100) mille personnes dans la rue. Vous croyez que c`était fortuit. C`est parce que quelqu`un derrière a organisé ça. En 1990, lorsque les enfants criaient Houphouët voleur, dans les rues, ce n`était pas non plus par hasard. Il y a eu quelqu`un pour organiser ça. On sait qui a organisé ça. Mais si aujourd`hui, il n`y a plus de leader capable d`organiser ça.

Peut-on croire à la sincérité de Gbagbo pour une fois ?
Je suis comme Saint Thomas, j`attends de voir pour croire. Je reste persuadé que M. Gbagbo ne veut pas aller aux élections. Ça, il ne m`a pas encore démontré le contraire. Et je pense que ses actions-là (ses rencontres avec Bédié et Ouattara), ce sont des actions de charme par rapport à la Bad qui doit venir tenir ses Assemblées ici. Vous verrez. On dit que dans une semaine, on aura la date. Mais la date, ce n`est pas ce qui a manqué ici. Depuis 5 ans, on ne fait que donner des dates qu`on ne respecte pas. Quand il y a une petite pression ou quelque chose qui oblige qu`on donne une date, on donne une date et puis c`est tout. On va donner une date peut-être la semaine prochaine, la Bad va tenir ses assises, tout le monde va applaudir. Et puis, une fois que les participants vont partir, on joue au même jeu. Le problème fondamental, c`est que M. Gbagbo sait que dans des élections claires, il ne gagnera pas. Alors, à moins que les deux autres, M. Bédié et M. Ouattara n`aient cédé, et que M. Gbagbo n`ait l`occasion de faire tout ce qu`il veut de la liste électorale. Sinon, je ne vois pas M. Gbagbo faire des élections ni aujourd`hui, ni demain.

Il y a une nouvelle donne quand même qui se dégage de ces rencontres, c`est que, pour une fois, on parle de dialogue ivoiro-ivoirien au sens réel du terme. M. Gbagbo qui, dans une démarche, va voir M. Bédié et M. Ouattara pour parler sans orgueil des problèmes de la Côte d`Ivoire. Ne pensez-vous pas que ça peut augurer des lendemains meilleurs ?
Il a fallu qu`on arrive en 2010 pour qu`on fasse ce dialogue, qu`on aille commencer depuis le début. Quel temps perdu !
Vous savez, M. Gbagbo est assez fort pour sortir toujours quelque chose de son chapeau. Il y a eu Marcoussis, enfin, tous les accords qu`on a connus. Dès qu`il arrive au bout d`un système, il change et il fait autre chose. Qu`est-ce qu`on n`a pas dit sur l`accord de Ouaga ? On a parlé de dialogue direct. Dialogue direct entre qui ? On a dit pour une fois, les Ivoiriens se sont parlé, les belligérants se sont parlé. Mais pourquoi, dans le même temps, on n`a pas parlé avec les autres ? Cet accord a donné quoi finalement ? Ça fait plus de 3 ans qu`on est dedans. Comme c`est en train de s`essouffler et que tout le monde commence en avoir marre, il faut trouver autre chose. Et cette nouvelle chose, est-ce qu`on voit actuellement ? Dialogue avec Bédié, dialogue avec Ouattara et puis après ? Bon, on verra.

Ce dialogue avec Bédié et Ouattara met à la touche Guillaume. On ne sait pas très bien quel est l`avenir avec les initiatives du chef de l`Etat.
Si c`est pour sacrifier quelqu`un, ce n`est pas ce qu`il peut gêner Gbagbo. S`il doit sacrifier Soro pour obtenir ce qu`il veut, il le fera sans aucun état d`âme. M. Gbagbo, c`est lui seul qui sait où il veut aller. Et ce que moi je crois est qu`il ne veut pas aller aux élections. Maintenant, tous les moyens sont bons. Aujourd`hui ce qu`il a trouvé comme nouvelle arme, un nouveau truc qu`il a sorti de son chapeau, c`est ce dialogue avec Bédié et Ouattara. Si Soro Guillaume doit en payer le prix, il le payera. Il a sacrifié Affi N`Guessan quand on est sorti de Marcoussis. Affi N`Guessan est quand même plus proche que Soro. Ce n`est pas le départ de Soro qui va lui faire tant mal.

M. Venance Konan, dans cet environnement, il y a aussi la Commission électorale indépendante (Cei) qui a un rôle important à jouer. Pensez-vous qu`elle fait ce qu`elle a à faire ?
C`est la Cei même qui devrait faire bouger les choses. Mais comme vous, je suis surpris par le silence très assourdissant du président de cette commission. Que se passe-t-il ? Vraiment, je ne sais pas. Lui aussi, comme tous les autres, attend que décide Gbagbo pour suivre.

Interview réalisée par Akwaba Saint-Clair
Patrice Yao
Coll : François Konan
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