Le président de la République a rencontré celui du Rassemblement des républicains (Rdr) lundi dernier. Au menu de leur entretien, les questions brûlantes de l’heure. Mais, surtout leurs rapports personnels.
Mois de mai pluvieux ! Il pleut des gouttes d’eau. Mais aussi de bons symboles pour la suite du processus de paix. Le président de la République chez le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci), en compagnie du Premier ministre. Puis, une semaine plus tard, chez celui du Rassemblement des républicains (Rdr). Ce dernier s’adressant à la presse sous l’œil approbateur de son visiteur. Annoncé comme le mois de tous les dangers, Mai aura finalement permis aux Ivoiriens de savourer un retournement de situation qui fera date. Ni crépitements, ni détonations, ni sirènes d’ambulances, ni…Plutôt ce grand ouf de soulagement d’une population éreintée par 7 ans de crise. Bien sûr, les sujets débattus n’étaient pas faciles. Et, il a fallu du dépassement de soi pour accorder les points de vue. Le tête-à-tête entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara a ainsi été fécond en concessions sur les différents sujets évoqués, révèlent nos sources proches des deux états-majors. Même si chacun des protagonistes a été plus à l’aise sur certains points à l’ordre du jour et moins sur d’autres.
LES ELECTIONS
Les échanges sont vifs sur ce sujet. Le président du Rdr ouvre le feu. « Monsieur le président, je pense qu’il n’est pas bon de retarder les élections ». Et, Ouattara de préciser que cela n’était pas bon pour le pays, car celui-ci bouclera 10 ans sans élection présidentielle en octobre prochain. Une longue attente qui peut être de nature à créer une crispation de la vie socio-politique. L’ancien Premier ministre et candidat du Rdr fera remarquer que cette situation n’était pas à l’avantage du candidat sortant dont la légitimité s’en trouve ternie. D’autant plus que Laurent Gbagbo se proclame démocrate. Ce dernier ne peut que s’aligner sur l’analyse et concéder que la situation est effectivement « inconfortable ». Il reconnaît aussi qu’il y a des attentes et que ça bouillonne. « Je suis prêt pour qu’on aille aux élections le plus rapidement possible », lâche le chef de l’Etat. Et le leader des républicains de saisir cette balle au bond : « Il faut des élections cette année. » Tout en se montrant ouvert sur la période : la fin du prochain trimestre ou de l’année. Il se satisferait même d’une période indicative au lieu d’une date précise. Mais, il faut envoyer un signal à la Côte d’Ivoire et à la communauté internationale. Une petite concession. Car, jusque-là, Ouattara se refusait à accepter que le processus aille au-delà du mois d’octobre, constitutionnellement celui des élections. Il est vrai que les reports successifs de l’élection ont mis les partis politiques dans une situation quelque peu débridée. Sans perspective claire, l’argent pourrait faire défaut à terme. C’est ainsi qu’après avoir atteint sa vitesse de croisière, la pré-campagne est aujourd’hui mise entre parenthèses. Les budgets ne sont pas élastiques. La pression, pour une grande visibilité sur le processus électoral, est donc une question de survie. Le chef de l’Etat est visiblement sensible aux arguments avancés. Puisqu’il donne son accord pour demander au Premier ministre et au président de la Cei de lui proposer une date dès la semaine prochaine.
LISTE ELECTORALE ET FRAUDE
Ce round est celui de Gbagbo. Sur son thème de prédilection, le candidat de La majorité présidentielle met sur la table ses documents et preuves de fraudes supposées orchestrées par des élus Rdr. Très offensif, il soutient que c’est le parti de la rue Lepic qui organise la fraude sur la liste électorale. Ce qui explique pourquoi il freine des quatre fers. Selon lui, des élus Rdr ont soit fabriqué de faux extraits de naissance reportés dans de nouveaux registres, soit attribué les extraits de naissances de personnes décédées à des ressortissants de pays de la sous-région. Il brandit ainsi une liste d’environ 13.000 personnes détectées par ses experts. Son argumentaire s’appuie sur des exemples. Notamment celui du jardinier de l’école de gendarmerie, qui a changé d’identité pour se faire enrôler. Il y a aussi le cas du 5ème adjoint au maire de Bouaké, Touré Tamikolo, qui a été condamné à trois ans de prison pour avoir pré-signé et pré-timbré des extraits d’acte de naissance vendus à des non-Ivoiriens.
Selon certains de ses hauts conseillers, Gbagbo est d’autant plus sûr de son fait qu’il s’inquiète des confidences d’un homme d’affaires selon lesquelles son rival était sûr de sa victoire car convaincu qu’il contrôle la liste électorale. Il interpelle donc un Ouattara visiblement gêné. Ce dernier tente de mettre ces irrégularités au compte de quelques changements de nom. Avant de marquer son accord pour le nettoyage de la liste provisoire dite blanche des 5.300.000 personnes enrôlées et la vérification de la liste définitive par tous. Une concession importante. Car, du côté de l’opposition l’on avait toujours rejeté cette exigence du Fpi. «Le directoire du Rhdp exige la préservation des acquis du processus électoral notamment la liste blanche de 5.300.000 électeurs élaborée selon le mode opératoire consensuel, déclarée fiable et équilibrée par M. Choi et auxquels viendront s’ajouter les électeurs issus du traitement de la liste grise », indique l’alliance des houphouétistes, dans un communiqué daté du 6 mai 2010.
Ouattara donne surtout son accord à la proposition de confier la vérification au Premier ministre. Tout en s’inquiétant que les modalités de vérification soient tributaires des politiques. Est-ce à dire qu’il soutient le Comité d’experts chargé par la Primature de procéder à la vérification ?
LA MARCHE DU 15 MAI
Gbagbo est toujours à l’offensive. Il explique qu’il n’est pas dans sa culture d’interdire les marches. Et, il n’a jamais demandé que celle du 15 mai, projetée par la jeunesse des houphouétistes, le soit. Il réaffirme ses réserves sur les motivations de cette manifestation. Car, selon les renseignements, elle avait un caractère insurrectionnel. L’opposant dégage sa responsabilité en soutenant qu’il n’avait même pas été saisi officiellement de cette marche et de sa date. Même chose pour le directoire du Rhdp. « Personne ne m’en a informé », insiste-t-il. Tout en concédant qu’on pouvait en effet lui reprocher son silence sur le sujet.
Cela dit, en tant que banquier international, Ouattara ne se voit en aucune manière en train de gêner le retour de la Banque africaine de développement (Bad) à Abidjan, en soutenant une telle manifestation. A preuve, au sein du directoire du Rhdp et face aux jeunes, il a été à la pointe de la bataille pour son report. Son implication a été pour beaucoup dans le dégel, alors qu’Henri Konan Bédié, lui, semblait toujours favorable à une marche pacifique et bien encadrée.
LES RAPPORTS ENTRE LES DEUX HOMMES
Après avoir fait le tour des sujets qui fâchaient, les deux anciens alliés du Front républicain se sont laissés aller à une touche de nostalgie en évoquant le passé. Notamment la complicité qu’ils avaient pu développer au sein de leur alliance (Certainement le Front républicain, sous le régime Bédié). Après des années d’incompréhension, il est vrai qu’en 2008, les deux hommes avaient eu un tête-à-tête. Les ministres Désiré Tagro (Fpi) et Hamed Bakayoko (Rdr) et Adama Bictogo (Rdr) pourraient avoir favorisé ce rendez-vous au palais.
Gbagbo concède que son interlocuteur a ainsi été le premier à entamer le dialogue direct qu’il vient d’expérimenter avec succès. Et le leader républicain d’assurer qu’il est au-delà des clivages. Il ne comprend donc pas pourquoi son ancien allié a rompu les amarres et commencé à l’attaquer dans ses discours. Des attaques que lui et son camp ont considérées comme une rupture de la parole donnée. Le dépit de Ouattara peut être d’autant plus légitime qu’il avait donné un ton civilisé à sa pré-campagne, s’interdisant toute attaque en dessous de la ceinture contre le chef de l’Etat.
Le candidat de La majorité présidentielle se laisse attendrir. Lui aussi dit ne pas comprendre la rupture. Sur ce, Gbagbo exprime sa préoccupation sur la nécessité d’un climat apaisé pour les élections. Assurances de Ouattara : les problèmes ne viendront pas de lui. « Il est envisageable que tu gagnes l’élection. De même, tu dois envisager que moi aussi je peux les gagner », lance le candidat de la rue Lepic. Histoire de bien montrer qu’il entend jouer jusqu’au bout son rôle de challenger. Fin de partie.
Kesy B. Jacob
Mois de mai pluvieux ! Il pleut des gouttes d’eau. Mais aussi de bons symboles pour la suite du processus de paix. Le président de la République chez le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci), en compagnie du Premier ministre. Puis, une semaine plus tard, chez celui du Rassemblement des républicains (Rdr). Ce dernier s’adressant à la presse sous l’œil approbateur de son visiteur. Annoncé comme le mois de tous les dangers, Mai aura finalement permis aux Ivoiriens de savourer un retournement de situation qui fera date. Ni crépitements, ni détonations, ni sirènes d’ambulances, ni…Plutôt ce grand ouf de soulagement d’une population éreintée par 7 ans de crise. Bien sûr, les sujets débattus n’étaient pas faciles. Et, il a fallu du dépassement de soi pour accorder les points de vue. Le tête-à-tête entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara a ainsi été fécond en concessions sur les différents sujets évoqués, révèlent nos sources proches des deux états-majors. Même si chacun des protagonistes a été plus à l’aise sur certains points à l’ordre du jour et moins sur d’autres.
LES ELECTIONS
Les échanges sont vifs sur ce sujet. Le président du Rdr ouvre le feu. « Monsieur le président, je pense qu’il n’est pas bon de retarder les élections ». Et, Ouattara de préciser que cela n’était pas bon pour le pays, car celui-ci bouclera 10 ans sans élection présidentielle en octobre prochain. Une longue attente qui peut être de nature à créer une crispation de la vie socio-politique. L’ancien Premier ministre et candidat du Rdr fera remarquer que cette situation n’était pas à l’avantage du candidat sortant dont la légitimité s’en trouve ternie. D’autant plus que Laurent Gbagbo se proclame démocrate. Ce dernier ne peut que s’aligner sur l’analyse et concéder que la situation est effectivement « inconfortable ». Il reconnaît aussi qu’il y a des attentes et que ça bouillonne. « Je suis prêt pour qu’on aille aux élections le plus rapidement possible », lâche le chef de l’Etat. Et le leader des républicains de saisir cette balle au bond : « Il faut des élections cette année. » Tout en se montrant ouvert sur la période : la fin du prochain trimestre ou de l’année. Il se satisferait même d’une période indicative au lieu d’une date précise. Mais, il faut envoyer un signal à la Côte d’Ivoire et à la communauté internationale. Une petite concession. Car, jusque-là, Ouattara se refusait à accepter que le processus aille au-delà du mois d’octobre, constitutionnellement celui des élections. Il est vrai que les reports successifs de l’élection ont mis les partis politiques dans une situation quelque peu débridée. Sans perspective claire, l’argent pourrait faire défaut à terme. C’est ainsi qu’après avoir atteint sa vitesse de croisière, la pré-campagne est aujourd’hui mise entre parenthèses. Les budgets ne sont pas élastiques. La pression, pour une grande visibilité sur le processus électoral, est donc une question de survie. Le chef de l’Etat est visiblement sensible aux arguments avancés. Puisqu’il donne son accord pour demander au Premier ministre et au président de la Cei de lui proposer une date dès la semaine prochaine.
LISTE ELECTORALE ET FRAUDE
Ce round est celui de Gbagbo. Sur son thème de prédilection, le candidat de La majorité présidentielle met sur la table ses documents et preuves de fraudes supposées orchestrées par des élus Rdr. Très offensif, il soutient que c’est le parti de la rue Lepic qui organise la fraude sur la liste électorale. Ce qui explique pourquoi il freine des quatre fers. Selon lui, des élus Rdr ont soit fabriqué de faux extraits de naissance reportés dans de nouveaux registres, soit attribué les extraits de naissances de personnes décédées à des ressortissants de pays de la sous-région. Il brandit ainsi une liste d’environ 13.000 personnes détectées par ses experts. Son argumentaire s’appuie sur des exemples. Notamment celui du jardinier de l’école de gendarmerie, qui a changé d’identité pour se faire enrôler. Il y a aussi le cas du 5ème adjoint au maire de Bouaké, Touré Tamikolo, qui a été condamné à trois ans de prison pour avoir pré-signé et pré-timbré des extraits d’acte de naissance vendus à des non-Ivoiriens.
Selon certains de ses hauts conseillers, Gbagbo est d’autant plus sûr de son fait qu’il s’inquiète des confidences d’un homme d’affaires selon lesquelles son rival était sûr de sa victoire car convaincu qu’il contrôle la liste électorale. Il interpelle donc un Ouattara visiblement gêné. Ce dernier tente de mettre ces irrégularités au compte de quelques changements de nom. Avant de marquer son accord pour le nettoyage de la liste provisoire dite blanche des 5.300.000 personnes enrôlées et la vérification de la liste définitive par tous. Une concession importante. Car, du côté de l’opposition l’on avait toujours rejeté cette exigence du Fpi. «Le directoire du Rhdp exige la préservation des acquis du processus électoral notamment la liste blanche de 5.300.000 électeurs élaborée selon le mode opératoire consensuel, déclarée fiable et équilibrée par M. Choi et auxquels viendront s’ajouter les électeurs issus du traitement de la liste grise », indique l’alliance des houphouétistes, dans un communiqué daté du 6 mai 2010.
Ouattara donne surtout son accord à la proposition de confier la vérification au Premier ministre. Tout en s’inquiétant que les modalités de vérification soient tributaires des politiques. Est-ce à dire qu’il soutient le Comité d’experts chargé par la Primature de procéder à la vérification ?
LA MARCHE DU 15 MAI
Gbagbo est toujours à l’offensive. Il explique qu’il n’est pas dans sa culture d’interdire les marches. Et, il n’a jamais demandé que celle du 15 mai, projetée par la jeunesse des houphouétistes, le soit. Il réaffirme ses réserves sur les motivations de cette manifestation. Car, selon les renseignements, elle avait un caractère insurrectionnel. L’opposant dégage sa responsabilité en soutenant qu’il n’avait même pas été saisi officiellement de cette marche et de sa date. Même chose pour le directoire du Rhdp. « Personne ne m’en a informé », insiste-t-il. Tout en concédant qu’on pouvait en effet lui reprocher son silence sur le sujet.
Cela dit, en tant que banquier international, Ouattara ne se voit en aucune manière en train de gêner le retour de la Banque africaine de développement (Bad) à Abidjan, en soutenant une telle manifestation. A preuve, au sein du directoire du Rhdp et face aux jeunes, il a été à la pointe de la bataille pour son report. Son implication a été pour beaucoup dans le dégel, alors qu’Henri Konan Bédié, lui, semblait toujours favorable à une marche pacifique et bien encadrée.
LES RAPPORTS ENTRE LES DEUX HOMMES
Après avoir fait le tour des sujets qui fâchaient, les deux anciens alliés du Front républicain se sont laissés aller à une touche de nostalgie en évoquant le passé. Notamment la complicité qu’ils avaient pu développer au sein de leur alliance (Certainement le Front républicain, sous le régime Bédié). Après des années d’incompréhension, il est vrai qu’en 2008, les deux hommes avaient eu un tête-à-tête. Les ministres Désiré Tagro (Fpi) et Hamed Bakayoko (Rdr) et Adama Bictogo (Rdr) pourraient avoir favorisé ce rendez-vous au palais.
Gbagbo concède que son interlocuteur a ainsi été le premier à entamer le dialogue direct qu’il vient d’expérimenter avec succès. Et le leader républicain d’assurer qu’il est au-delà des clivages. Il ne comprend donc pas pourquoi son ancien allié a rompu les amarres et commencé à l’attaquer dans ses discours. Des attaques que lui et son camp ont considérées comme une rupture de la parole donnée. Le dépit de Ouattara peut être d’autant plus légitime qu’il avait donné un ton civilisé à sa pré-campagne, s’interdisant toute attaque en dessous de la ceinture contre le chef de l’Etat.
Le candidat de La majorité présidentielle se laisse attendrir. Lui aussi dit ne pas comprendre la rupture. Sur ce, Gbagbo exprime sa préoccupation sur la nécessité d’un climat apaisé pour les élections. Assurances de Ouattara : les problèmes ne viendront pas de lui. « Il est envisageable que tu gagnes l’élection. De même, tu dois envisager que moi aussi je peux les gagner », lance le candidat de la rue Lepic. Histoire de bien montrer qu’il entend jouer jusqu’au bout son rôle de challenger. Fin de partie.
Kesy B. Jacob