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Société Publié le vendredi 18 juin 2010 | Notre Voie

Bouapé : Un foyer permanent de lèpre depuis 50 ans

Dans le département d’Adzopé, la lèpre est une réalité vivante dans presque tous les foyers, surtout dans les zones rurales. Selon les archives du district sanitaire d’Adzopé, le village de Bouapé (axe Adzopé-Akoupé) semble être un foyer permanent de cette maladie invalidante depuis 1958. Enfants, jeunes, vieux ne sont pas épargnés. Comment en est-on arrivé là ? Que fait le personnel de santé pour lutter contre cette maladie dite de la honte ? “Notre voie” a saisi l’occasion
d’une récente cérémonie en faveur des malades de la lèpre de la région pour en savoir plus. Notre enquête.

“Dans les années 50, quelques-unes de nos familles ont hébergé des voyageurs et autres étrangers en transit dans notre village. Trois parmi eux, deux hommes et une femme souffraient de la lèpre. Par manque de moyens financiers, ceux-ci étaient sans soins véritables et ont fini par cohabiter avec leurs hôtes pendant plusieurs mois. Je pense que tout est parti sans doute de là”, révèle notre premier interlocuteur, un septuagénaire, habitant du village de Bouapé, qui a
préféré garder l’anonymat. Vrai ou faux ? Toujours est-il que le constat sur le terrain semble illustrer les dires du vieil homme.

“J’ai contracté la lèpre en 1999 quand j’avais 4 ans. J’ai aujourd’hui 15 ans. Cela fait donc 11 ans que je traîne la maladie qui a fini par ronger mes doigts et mes orteils. Je ne sais plus à quoi je vais servir dans la vie. J’en souffre moralement ”. Propos de Mlle Yapi Sopie Brigitte, visiblement marquée par la maladie pour son jeune âge. Car, selon les spécialistes, elle présente la forme grave et contagieuse de la lèpre dite multi bacillaire (MB). Son cousin Ohoueu Ohoueu
Rodrigue, 10 ans, n’est pas mieux loti. «C’est au cours du dépistage de 2005 que j’ai été déclaré malade de la lèpre. J’avais à peine 5 ans et mes parents s’apprêtaient à me scolariser. Dans notre cour, en plus de moi, 4 autres membres de ma famille souffrent de la même maladie. Ce qui rend notre condition de vie déplorable. C’est difficile à supporter mais on fait avec», note, tout désespéré, le petit Rodrigue. Dont les propos, avec ceux de Sopie Brigitte, traduisent l’état d’esprit des nombreux malades de la lèpre que compte Bouapé, village de la sous-préfecture d’Adzopé dont il est distant d’environ 25 km . «Cette bourgade de plus de 4000 âmes compte effectivement plusieurs malades de la lèpre dont la plupart, à cause de la honte, restent toujours cachés», confirme Koffi Konin Bernard, infirmier diplômé d’Etat, coordonnateur-lèpre au district
sanitaire d’Adzopé depuis 1992. Celui-ci révèle que de 2000 à 2009, le département d’Adzopé a enregistré au total 188 cas de lèpre dont 72 cas proviennent des villages de Bouapé, d’Ahouabo et d’Ananguié. Le seul village de Bouapé, précise-t-il, totalise 56 cas. Soit environ 6 cas par an.
“Le taux de prévalence 2009 dans ce village est de 12,99 pour 10 000 habitants contre la norme de -1 recommandée par l’OMS. C’est vraiment sérieux et cela nous préoccupe”, souligne le coordonnateur-lèpre du district sanitaire d’Adzopé.

Et Koffi Konin d’ajouter que c’est véritablement à partir de 1999 qu’au niveau du district sanitaire d’Adzopé, les activités de détection ou de dépistage de la lèpre ont pris de l’ampleur et se sont poursuivies régulièrement, surtout dans les zones rurales.

Ainsi l’on apprendra qu’à l’issue d’une vaste campagne de sensibilisation et de dépistage de la lèpre entreprise en 2001 avec l’appui du docteur Eba de l’Institut Raoul Follereau de Côte d’Ivoire, le district sanitaire d’Adzopé a enregistré en son temps 27 malades dont 22 présentant la forme grave ou contagieuse dite multi bacillaire (MB) et 5 présentant la forme simple dite pauci bacillaire (PB).

S’agissant du dépistage et autres formes ou méthodes utilisées, le directeur départemental de la Santé et de l’Hygiène publique explique. « Par le passé, compte tenu du nombre très important des malades de la lèpre dans nos régions et vu surtout l’importance du danger que cela représentait pour les populations vivant surtout dans les zones rurales, on faisait systématiquement le dépistage actif qui consiste à envoyer sur le terrain une ou des équipes des agents de la
santé pour consulter les malades sur place, avant de les soumettre à un régime de traitement sous observance », précise le docteur Koulou Alla Edmond. Avant d’ajouter qu’à présent, les agents de la santé font du dépistage passif qui, selon lui, fait obligation à toute personne suspectée de lèpre de se rendre au centre de santé le plus proche,comme tous les autres patients, afin de se soumettre à une consultation médicale. Au plan du traitement, renchérit le coordonnateur-lèpre
Koffi Konin, au lieu de la monothérapie (MT) basée sur un seul médicament, la DDS (Dapsone), qui se prenait à vie sans forcément guérir la maladie, aujourd’hui le malade de la lèpre est soumis à un traitement par la poly chimiothérapie (PCT).

Celle-ci est basée sur deux médicaments (la Rifampicine et la Dapsone ) ou trois médicaments (la Rifampicine, la Clofazimine-Laprène et la Dapsone ) administrés aux malades de la lèpre, selon les formes que ceux-ci présentent.

Car, à en croire Koffi Konin, se sont des traitements actifs qui permettent de guérir le malade de la lèpre à partir du premier mois. “Le traitement complet de la lèpre se fait au district sanitaire d’Adzopé. Seulement, les cas graves présentant souvent des séquelles sont transférés à l’Institut Raoul Follereau pour y subir la chirurgie”, précise Koffi Konin Bernard, coordonnateur-lèpre au district sanitaire d’Adzopé depuis 18 ans.

Quant au directeur départemental de la santé d’Adzopé, il se réjouit de l’avènement de la poly chimiothérapie. “Dieu merci, avec l’avènement de son traitement par la poly chimiothérapie (PCT), la lèpre est devenue une maladie vulnérable et curable. Aujourd’hui, la lèpre se soigne et se guérit facilement”, note Dr Koulou Alla Edmond.

Au plan des difficultés liées à cette activité, les deux spécialistes de la santé en dénombrent plusieurs. Notamment, selon eux, les facteurs de risque sont dominés par la promiscuité et le non respect des règles élémentaires d’hygiène, en somme les mauvaises conditions socio-économiques que connaissent les malades de la lèpre. Qui de surcroît, à en croire nos deux interlocuteurs, existent encore nombreux dans la région et refusent, à cause de la honte ou par
ignorance, de se présenter dans les structures sanitaires pour se faire soigner.

“Même quand ils sont suivis médicalement, il arrive que par oubli ou volontairement, ces malades de la lèpre ne prennent pas régulièrement leurs médicaments”, déplore M. Konin. Quand Dr Koulou va plus loin. “Dans le village de Bouapé, la situation est encore plus délicate.

La chefferie traditionnelle qui est notre meilleur relais de sensibilisation connaît depuis un certain temps de réels problèmes organisationnels. Les malades de la lèpre sont donc sans conseils et sont livrés à eux-mêmes, dans la pure résignation pour la plupart”, regrette pour sa part Dr Koulou Alla Edmond. Autres difficultés majeures évoquées, l’insuffisance des moyens de locomotion pour
permettre aux agents techniques de couvrir toutes les zones rurales du département d’Adzopé pendant les activités de détection et de dépistage de la lèpre, le manque de ressources financières conséquentes pour soutenir cette activité, compte tenu de l’essoufflement de la Fondation Raoul Follereau qui en réalité, dit-on, finançait en grande partie les opérations de détection et de dépistage de la lèpre en Côte d’Ivoire. Et comme mesures d’urgence ou
stratégies possibles pour sauver un tant soit peu les nombreux malades de la lèpre du département d’Adzopé et surtout ceux du village de Bouapé, le directeur départemental de la Santé et de l’Hygiène Publique révèle. “Nous avons décidé depuis un certain temps d’organiser les journées mondiales des malades de la lèpre dans les villages, afin d’être plus proches de nos parents et lancer un appel pressant encore une fois à toute la population d’Adzopé, surtout à celle bien portante, en vue d’aider les services de santé à lutter efficacement contre ce fléau, en favorisant la détection et le dépistage des cas suspects au sein de la communauté ”, a-t-il envisagé. Avant d’exhorter d’une part, les malades de la lèpre à prendre régulièrement leurs médicaments afin d’obtenir la guérison, et d’autre part, les populations locales ainsi que les spécialistes de la santé à lutter ensemble pour un monde sans lèpre. “Aidons nos proches à se faire dépister.

Car, si le dépistage et le traitement de la lèpre sont effectués assez tôt, la guérison intervient sans séquelles. C’est au prix de cet effort conjugué que nous parviendrons à faire reculer la lèpre dans le village de Bouapé et partant, dans tout le département d’Adzopé”, a recommandé Dr Koulou Alla Edmond, directeur départemental de la Santé et de l’Hygiène Publique.

Enquête réalisée par Patrice Tapé
(tapepatrice@yahoo.fr)
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