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Art et Culture Publié le vendredi 25 juin 2010 | Le Patriote

Interview/ Liste électorale, élections, ivoirité - Alpha Blondy dit ses quatre vérités

© Le Patriote Par Prisca
Blocages répétés de la sortie de crise: Alpha Blondy met en garde les politiciens
Vendredi 16 avril 2010. Abidjan, Café de Versailles à Cocody. La star internationale de la musique reggae, Alpha Blondy fait part à la presse de ses inquiétudes quant à l`avenir des Accords politiques de Ouagadougou
Star incontestable de la musique reggae en Côte d’Ivoire, en Afrique et dans le monde, Alpha Blondy n’en demeure pas moins un observateur averti de la vie politique en Côte d’Ivoire. Dans cet entretien, l’artiste, qui est désormais Ambassadeur de la paix de la Cedeao, jette un regard approfondi sur les soubresauts de son pays. Blondy parle, sans faux-fuyants de Gbagbo, Bédié, ADO et Soro. Il leur propose surtout un schéma, inédit, pour sortir enfin la Côte d’Ivoire du tumulte de la crise.

Le Patriote : Vous aviez dit que tant que la guerre ne prendrait pas fin, vous ne feriez plus de concert. Mais le 12 juin dernier, vous avez donné un concert dit de la paix et de la réconciliation à Bouaké. Pourquoi ?

Alpha Blondy : Je voudrais avant toute chose vous dire que si j’ai accepté votre interview, c’est parce que je m’attends à ce que vous rendiez fidèlement mes propos, que vous retranscriviez mot pour mot ce que je vais vous dire. Je suis tout à fait disposé à apporter des éclaircissements s’il y a des parties que vous n’avez pas comprises. Vous savez, vous êtes pour moi les acteurs clés de la résolution de cette crise.
Ensuite, je tenais à préciser que je ne suis pas un politicien. Souvent peut-être, la maladresse me pousse à prendre position, à dire des vérités qui ne sont pas des vérités de Lapalisse et qui peuvent déranger. Je voudrais donc déjà m’excuser pour certains des mes travers et pour ma naïveté politique.
Effectivement, j’avais dit que tant que la guerre ne prendrait pas fin, je ne sortirais pas de disque. C’est pourquoi j’ai attendu qu’il y ait l’accalmie, que les armes se taisent, pour sortir «Jah victory». A mon sens, ce n’est pas par hasard que cette accalmie est arrivée. C’est Dieu qui a aidé les Ivoiriens, les hommes politiques notamment, à pouvoir trouver une sortie de crise honorable. Je n’avais jamais compris, et je l’avais toujours dénoncé, ce malin plaisir que les hommes politiques ivoiriens éprouvaient à s’entre-humilier. J’explique ces «braquages» des uns envers les autres par le fait que nul ne veut se faire humilier.


L.P.: N’est-ce pas trop réducteur comme perception que de ramener la situation du pays en une question d’égos surdimensionnés?


A.B.: Voyez-vous, Monsieur Bédié, avec ses 120 conseillers, a lancé ce concept diviseur, cette bombe à fragmentation ethnique, qu’on appelle l’«Ivoirité». Et Monsieur Ouattara a été humilié. Avec lui, on nous a tous frappés avec le même bâton. Ouattara a été sérieusement humilié. Ensuite, il y a eu le coup d’Etat, Bédié, tombé a eu droit aussi à son bain d’humiliation. Par la suite, Guéi arriva. Lui également allait s’engouffrer dans cette lancée ivoiritaire en harcelant violemment à Akouédo, tous les militaires dont les noms étaient à consonance nordique. Les survivants ou les fugitifs de cette humiliation et de cette noyade opérées par le régime Guéi, se sont alors armés. Donc, à mon avis, il est grand temps qu’on arrête cette spirale d’humiliation. Or aujourd’hui, progressivement, on est en train de partir vers une autre grande humiliation, qui va évidemment aboutir à une autre crise. C’est le cas Gbagbo Laurent. Les gens me disent: «mais tu dis que c’est ton candidat». Soit, dans une démocratie apaisée on a le droit de dire ces choses là sans se faire lyncher. Mais quand cette démocratie te permet de prendre des positions, et être en danger, il est impérieux que tu puisses vraiment te démarquer si tu veux vraiment la paix pour les uns et pour les autres. En tout cas, il faut se démarquer pour encourager les uns et les autres à aller dans un débat politiquement saint. Nous avons tendance à oublier que la majorité des Ivoiriens sont des demi-lettrés comme moi. Et souvent, il y a plus de ‘’titrologues’’ que des gens qui lisent. C’est souvent dangereux. Voilà pourquoi, je voudrais inviter les journalistes à nous aider à corriger le tir. De nous aider à réussir notre mission. Parce que quand je vais arriver au quartier, je vais donner ma version d’un papier du Patriote, mais tu sais à la centième personne, ce n’est plus ce que moi j’ai dit ce n’est plus ce que Le Patriote a dit. Et après, moi, je vais me sentir frustré, parce que ce n’est pas ce que j’ai dit encore moins ce que j’avais l’intension de dire. J’avoue que ma mission est délicate.

L.P : Quel était le sens réel de ce concert?

A.B. Comme son nom l’indique, «peace and unity (paix et unité, ndlr)», parce que les Ivoiriens sont déchirés. Ok! Donc il faut la paix, il faut l’unité, il faut tous les ingrédients qui peuvent amener cette paix, cette unité. Il faut qu’on puisse mettre tous ces ingrédients dans cette grosse sauce familiale pour que l’unité du pays et l’unité des Ivoiriens et la paix que tout le monde réclame, deviennent réalités. Ça ne sera pas la victoire d’un camp sur l’autre, ça sera la victoire des Ivoiriens. Ça sera la victoire des acteurs politiques ivoiriens.

L.P : Les Forces nouvelles chez qui vous avez joué sont acteurs de ce qui s’est passé. Pensez- vous qu’elles peuvent être un véritable arbitre dans ce processus alors qu’elles sont à l’origine de cette crise ?

A.B : Je n’ai pas pris les Forces Nouvelles comme arbitres. J’ai apporté ma contribution à désarmer les esprits. Quand, je dis durant mon concert, qu’il faut donner les papiers à tout le monde- d’ailleurs après on m’a répondu que, il y a eu les audiences foraines tout et tout-je rétorque que les gens disent qu’ils ont besoin de leurs papiers. Et puis le débat est clos. On ne peut pas aller aux élections sans que la raison fondamentale pour laquelle on a pris les armes ne soit réglée.
Et là, je joue mon rôle de porte-voix des sans voix. Je dis: les autres, ils disent que ce n’est pas à cause d’élection qu’ils ont pris les armes. C’est à cause de papiers. Donc il faut comprendre qu’on ne peut pas régler le problème du désarmement, sans celui de l’armement. Si Charles Sanga dit qu’il est fâché et qu’il prend une machette, parce qu’il a été humilié pour affaire de papier, mais si vous voulez que Charles dépose sa machette, donnez-lui son papier au moins. C’est ma lecture. D’autres peuvent aussi dire qu’est-ce que Charles Sanga raconte? Il y a eu les audiences foraines, pour qu’il ait ses papiers. D’autres sont venus mais lui n’est pas venu. Et je dis : ah bon ! Si Charles n’est pas venu, c’est qu’il y a encore bien d’autres qui ne sont pas venus. Il serait donc impérieux, avant d’aller aux élections, qu’on donne les papiers aux retardataires ou paresseux qui n’ont pas pu se faire enrôler à temps. Qu’on rassure tout le monde. Que cette phase humiliante qui a poussé les uns et les autres à cette révolte, soit définitivement réglée. Que les blessures soient soignées.
L.P : N’avez-vous pas peur que votre position nous ramène en arrière, dans la mesure où le processus est à deux pas des élections?
A.B.: Je peux me tromper, mais je pense sincèrement que si on veut une fin totale, il faut régler tous les problèmes qui ont créé la crise. On peut les régler maintenant, ou on peut faire la promesse ferme de les régler après. Comme quelqu’un l’a dit «la guerre est finie mais évitons que la paix soit terrible». Je ne veux pas d’une paix terrible, je veux d’une paix vraie. Il peut y avoir une minorité nuisible, mais cette minorité nuisible peut créer beaucoup de dégâts dans les différents camps. Que ce soit dans le camp présidentiel que dans le camp de l’opposition ou des Forces Nouvelles. Il faut essayer de ramener tout le monde vers une logique de paix. On m’a déjà reproché ce que vous venez de me demander. Mais, mon but n’est pas de ramener les gens en arrière. Mon but est d’attirer l’attention des politiques. Jusqu’à preuve du contraire, j’ai confiance en eux. Même si des fois j’ai été déçu, je crois que nul n’est infaillible, l’erreur est humaine. C’est persévérer dans l’erreur qui est diabolique. J’ai foi, et le fait que moi j’en parle, c’est parce que des gens me l’ont dit.

L.P : Vous avez été accusé à un moment d’être le père d’une charte du nord. Dans vos dernières déclarations vous semblez prendre position pour un camp…

A.B : Pas du tout ! Parce que j’ai une chance inouïe de pouvoir discuter avec tous les camps. Voilà pourquoi, les gens racontent parfois que je mange à la table de Gbagbo, je mange à la table de Bédié, je mange à la table de ADO ou de Soro. Dieu merci, que je mange à toutes ces tables. Là n’est pas la question. Quand on me confie une mission, parce je suis un leader d’opinion, comme Alpha Blondy, je suis désolé. Honnêtement pour vous dire, la crise ivoirienne m’a écartelé. Et quand je dis que la crise ivoirienne m’a écartelé au sens figuré comme au sens propre. Des fois, on me demande de prendre des positions, je suis obligé de regarder à l’intérieur de moi-même, à la lumière de ma propre réflexion. Ce que j’ai dit, beaucoup le pensent tout bas. Je me permets de penser et de ne dire que ce que j’ai entendu. Au « café de Versailles », je reçois tout le monde. On me reproche de recevoir Blé Goudé (le leader des jeunes patriotes que notre équipe a trouvé chez l’artiste, en compagnie de Dakoury Richard ndlr). Parce qu’avant même que je sois nommé ambassadeur de la paix, Charles venait au « Café de Versailles », KKB (Kouadio Konan Bertin) venait, Yayoro, Koné Mamadou, Agbahi Félicien, tous venaient au Versailles, on discute. Même si on n’est pas d’accord avec Charles, sur tous les points, souvent on discute à bâtons rompus. On peut ne pas être forcement d’accord sur tous les points, mais j’essaie d’écouter tous ces différents points de vue et faire valoir mon opinion. Mais il faut que le côté saint du débat prime, pour qu’on puisse se parler. Si on ne se parle pas, on ne se comprend pas. Quand on parle d’aller aux élections dans la précipitation, et que je me réfère à ce que les uns et les autres me disent, j’ai des craintes. Il ne peut pas y avoir de désarmement véritable tant qu’on n’aura pas réglé ce petit problème de papier. D’autres m’ont appelé, quand j’étais à Paris, pour me dire : mais attends ! On dit qu’il y a eu les audiences foraines, tout ça piloté par Soro lui-même. Mais, dans ce cas là, il faut que les politiques voient les politiques. Qu’on ne me dise pas: mon petit frère n’a pas eu son papier ou alors qu’on ne me dise, par exemple, que Charles Sanga est ivoirien et que son fils ne l’est pas. Donc, je ne fais que servir de caisse de résonnance. Et comme depuis que cette guerre a éclaté, je me suis dis qu’il faut prendre au sérieux ce que les gens disent, espérant que ça tombera dans les oreilles d’hommes avertis. Et que les hommes politiques mettront tout en œuvre pour réduire les risques de dérapage. Mais, je ne mets pas pour autant, en cause les acquis.
L.P : Pensez-vous qu’on a déjà acquis beaucoup de choses qu’il faut préserver ?
A.B. : Mais pourquoi aujourd’hui on parlerait d’élections ? De désarmement avant les élections ? De désarmement après les élections ? D’encasernement ? D’ailleurs, ne confondons pas encasernement et désarmement. L’encasernement a déjà commencé, c’est déjà une bonne chose qu’il faut encourager. Si je signale l’autre côté ce n’est parce que je souhaite retarder le processus, où faire revenir les choses en arrière. Si tu veux la paix et qu’il y a un pas qui est fait, tu ne peux que t’en réjouir. Mais j’attire l’attention des uns et des autres sur des petits détails qui peuvent servir de terriers à d’autres situations déplorables ou à déplorer. Mon but, c’est que le tandem Soro-Gbagbo nous amène à cette accalmie. Il faut encourager cela.

L.P : Assumez-vous l’idée d’avoir dénoncé un moment l’Ivoirité…en accusant le président Bédié d’être le père de ce concept…. ?
A.B : Non ! Non ! Je me tue à dire que le premier qui a reçu la morsure de la trahison, c’est bel et bien Bédié. Ceux des «Ivoiritaires» qui ont amené Bédié à cela, j’en ai parlé à certains. Et j’ai été étonné par ce qu’ils m’ont dit. Certains m’ont dit ceci: « Mais! On a tout fait pour monter Bédié à l’arbre. Il ne tenait qu’a lui de s’accrocher, quand il est arrivé au sommet». Et je leur ai rétorqué: quand vous l’avez fait monter à l’arbre en question, lui aviez-vous dit que vous aviez une tronçonneuse? Donc aujourd’hui, je parle de ça pour rappeler aux Ivoiriens, la cause de cette crise. Et j’avoue que quand on te rend apatride ou quand tu as l’impression d’être un apatride comme ceux qui m’on parlé, ils m’ont donné cette impression-là. Il est normal de tirer sur la sonnette d’alarme. Pour dire attention les gars!
L.P : Cette opinion est-elle réellement importante pour arriver à une situation que vous voulez prévenir ?
A.B : Au début de la crise, les gens parlaient, on n’a pas vraiment fait attention. On n’a même pas écouté. On a banalisé ce qu’ils disaient jusqu’au jour où ça nous a pété à la gueule. Si le tandem Gbagbo-Soro arrive à détruire ce virus qu’est l’ivoirité, alors, ils entreront tous les deux, dans l’histoire. Je suis allé même plus loin en disant que s’il y a un qui sera prêt à applaudir des deux mains et des deux pieds, ce sera bien Alassane Ouattara, qui est l’une des victimes principales de ce concept. Il faut qu’en Côte d’Ivoire, on ait le courage de se dire les vérités. Chaque fois que j’ai une interview avec des journalistes comme vous, je perds au moins cinq kilos. Je me pose la question de savoir ce que je vais dire pour ne pas froisser les gens. Je ne suis pas un politicien. Souvent on me pose des questions pièges et je tombe là dedans. Mais, cela ne me décourage pas de parler. Car, je me dis que s’ils viennent vers moi, c’est qu’ils sont quelque part emmerdés devant. Quand tu vois le genou porter le chapeau, c’est que la tête a un problème. Mais, j’essaie à mon modeste niveau, d’apporter ma contribution pour que la paix en Côte d’ivoire soit une réalité et non une utopie. Nous avons assez payé le prix de nos querelles. Il faut qu’on en sorte. Comme on le dit, j’essaie d’éteindre le feu en crachant, en pissant dessus. Je veux éteindre le feu. Et à un moment donné, je me suis permis de neutraliser mes propres sentiments. Vous qui me critiquez, j’ai besoin de votre éclairage. Mon but n’est pas de blesser quelqu’un mais d’aller de l’avant. Pour revenir à ma querelle avec Le Patriote, on m’a demandé, «qu’est-ce qu’Alassane t’a fait et tu l’insultes?». Mais Alassane ne m’a rien fait et je me tue à vous le dire.
L.P.: Entretenez-vous de bonnes relations avec lui?
A.B.: Il m’a écrit pour me féliciter pour ma nomination en tant qu’Ambassadeur de la paix de la Cedeao. J’avoue que ça m’a ému parce que je pleure vite. Et puis, je vais vous le dire. Comment Alassane peut-il laisser les petits frères m’insulter sans dire «stop». S’il y a quelqu’un qui a mis sa vie sur la ligne rouge pour Alassane Ouattara, c’est bien moi.
L.P.: Vous étiez d’ailleurs militant de son parti?
A.B.: Non.
L.P.: Mais, vous aviez déclaré que vous étiez RDR pian !!!
A.B.: Oui. Mais, c’est M. Lida Kouassi qui, à l’époque, m’avait compris. Il a dit qu’Alpha Blondy a dit «je suis RDR pian!!!» par dépit. Parce qu’à l’époque, dès que tu t’appelais Madou, Seydou, tu étais catalogué RDR. J’ai déposé mes dossiers pour renouveler mon passeport avec mes jumeaux Hassan et Housseine. Ils sont consanguins, de même père et même mère comme on dit. L’un a son passeport et à l’autre, on demande d’envoyer une pièce de sa mère. Pourtant, ils sont jumeaux. Bref, on ne va pas remuer le couteau. C’était même avant le fameux «RDR pian!!». Quand on traitait Alassane Ouattara de mossi, je n’ai pas fait de charte (du Nord), j’ai fait pire. J’ai parlé de sécession.
L.P.: Voulez-vous dire que vous n’avez pas écrit la charte du Nord?
A.B.: J’ai demandé qu’on m’apporte une copie de la fameuse charte et personne n’a pu le faire. En ce qui me concerne, je n’ai jamais écrit de charte du Nord. En 1995, Fologo nous a appelés et nous a demandés de faire quelque chose parce que le pays était en danger. Nous avions une tournée et on a décidé de la baptiser «Caravane de l’unité». Je vais vous faire un aveu. A l’époque, quand les gens attaquaient Alassane Ouattara, j’ai dit à Koné Dodo: «toi c’est Koné, moi c’est Koné, il serait maladroit qu’on se mette du côté d’ADO. Il faut qu’on conjugue cette Côte d’Ivoire plurielle». Je me souviens que j’avais chanté la chanson « multipartisme n’est pas tribalisme ». Je vais le dire sincèrement, c’est le même élan qui m’a poussé à soutenir Laurent Gbagbo. Savez-vous pourquoi ? Parce que ce n’est pas lui qui a crée l’ivoirité. Mais, ça ne veut pas dire que je suis contre Alassane Dramane Ouattara, Paul ou Pierre. Ça n’a rien à avoir.
L.P. : Ne pensez-vous pas que le régime en place est ivoiritaire ?
A.B. : J’ai attiré l’attention de mon petit frère Charles Blé Goudé. Je lui ai dit: «fais attention! Les Ivoiritaires qui étaient autour de Bédié, se sont réunis autour de Guéi quand Bédié est tombé. Et quand Guéi est parti, ils sont venus se mettre autour de Gbagbo. Et quelqu’un m’a dit, «c’est ton candidat qui a créé l’ivoirité». Je lui ai répondu: «attention, quand l’ivoirité arrivait Gbagbo n’était pas au pouvoir. Il n’espérait même pas arriver au pouvoir». Ce sont les inventeurs de l’ivoirité qui ont cassé le PDCI pour donner naissance au RDR. Excusez-moi, je ne suis pas en train d’agresser le PDCI, mais plutôt de dire une vérité historique. Tant que l’ivoirité n’est pas morte, la paix en Côte d’Ivoire ne sera qu’une paix relative. C’est un couteau à trois tranchants. Aujourd’hui, on est en train de sortir de la crise et on sort cette fameuse liste (électorale dite blanche). Ok, on aurait dû quand même mettre dans les fraudeurs aussi des Ghanéens et des Libériens. On m’a aussi dit que ce n’est pas la même histoire. J’ai discuté longuement avec la personne qui a attiré mon attention là-dessus. Cette anecdote pour vous dire que le débat selon lequel quand on parle d’ivoirité on accuse les gens du Nord, est vrai. Mais, il y a mille et une versions qui circulent. Des gens parlent de textes. Mais, quand c’est aussi flagrant que ce nous voyons, on fait un aménagement. Qu’on donne les papiers à ceux-là. Et puis le débat est clos.
L.P. : Vous proposez alors qu’on fasse comme Mamadou Koulibaly l’avait suggéré? C’est à dire que l’ensemble de ceux qui se sont enrôlés, aient la carte nationale d’identité?
A.B. : Bien sûr et Koulibaly a raison sur ce point. S’ils se sont fait enrôler qu’on leur donne leur carte d’identité.
L.P. : Même s’il y a des fraudeurs parmi eux ?
A.B. : Pourquoi pas. Ce n’est quand même pas 2000 fraudeurs. Si la femme de Charles Sanga a fait 40 enfants ou un chiffre faramineux d’enfants, il y a quand même malaise. Mais on doit pouvoir corriger cela. Mais ce que je déplore, c’est le fait que tous les fraudeurs viennent de la même région. C’est malsain. Et quand, je parle du côté du Ghana ou du Libéria, on me dit que ce n’est pas la même affinité de langue. Mais je ne parle pas de langue, je parle plutôt de tribu. Un ami, très bien placé, m’a dit quelque chose qui m’a fait rire, mais c’est une vérité. Il m’a dit : « L’étranger dans le débat de la Côte d’Ivoire, c’est la Côte d’Ivoire ». Les Koyakas étaient à Séguéla, les Odiennékas à Odienné, les Gouros à leur place…Bref, quand la Côte d’Ivoire est née, des villages ont été divisés lors de sa délimitation. Maintenant, on dit que ceux d’ici ne sont pas d’ici, mais de là. Ce n’est pas juste non plus. J’ai dénoncé cela. Des fois, j’ai l’impression que les gens ne prennent pas la mesure véritable de ce que je dis. Quand j’ai fait la chanson, « Guerre civile », elle finit par le refrain, « bombe tribale, bombe coloniale, comment allons-faire pour la désamorcer ? » Ca coûtait quoi de dire à ceux qui ont fait la carte de la Côte d’Ivoire, de dire que les Akans sont de Côte d’Ivoire, mais la même population se trouve au Ghana. Ça coûtait de dire que les guérés, les yacoubas sont de Côte d’Ivoire et que la même population se trouve au Libéria. Ça coûtait quoi de dire que les Mandés sont du Nord de la Côte d’Ivoire et que la même population se trouve au Burkina Faso, au Mali et en Guinée. Cela aurait une petite différence et surtout permis aux gens d’arrêter d’accuser les autres d’être des étrangers. L’aspect ethnique et tribal dans le débat politique en Afrique fout la m... Nous aurions pu faire l’économie de cela. Si nous voulons mettre une fin totale à cette crise, il faut absolument donner les papiers à tous les Ivoiriens, à ceux qui n’en ont pas. Je compte, en tant qu’Ambassadeur de la paix de la Cedeao, sur le Président de la République et le Premier ministre pour faire plaisir aux Ivoiriens, afin que leur tandem mette fin à cette crise.
L.P. : La Côte d’Ivoire était considérée comme un laboratoire d’intégration. Comment expliquiez-vous qu’on soit devenus aujourd’hui ce laboratoire de désintégration ?
A.B. : Mon souhait pour arrêter les rumeurs et autres supputations est que M. Gbagbo Laurent, M. Alassane Dramane Ouattara et M. Bédié, M. Wodié, M. Soro Guillaume, M. Banny se réunissent pour adopter une charte pour la paix. Ensemble, ils peuvent trouver avec leurs équipes respectives, une solution définitive à la crise en Côte d’Ivoire.
L.P. : Après le Forum de réconciliation et bien d’autres rencontres…
A.B. : Laissons le forum de réconciliation. J’appelle cela, Forum de l’ « insultation ». Ils se sont insultés copieusement et chacun est parti avec ses colères. Ce n’est pas ce que je veux. Je veux que l’intelligentsia politique ivoirienne se réunisse loin de vous les journalistes et de nous les curieux. Ce sera la vraie paix. Et je souhaiterais aussi que Blé Goudé, Karamoko Yayoro et KKB mettent de l’eau dans leur vin et qu’ils se rencontrent encore.
L.P. : N’est-ce pas des solutions nouvelles qu’Alpha est en train de donner alors qu’on attend une date pour les élections ?
A.B. : Se précipiter pour aller aux élections actuellement nous emmène dans le ravin.
L.P. : Pourquoi ?
A.B. : Parce que les discours dans les différents journaux sont très agressifs. Et il y a beaucoup de dérapages. On voudrait sortir d’une guerre. Et si on va aux élections avec la même passion et la même agressivité et qu’il y a deux vainqueurs, on fait comment ?

L.P. : Une mauvaise paix n’est-elle pas mieux qu’une situation de ni guerre ni paix ?
A.B. : Une mauvaise paix est une guerre. On dira que la guerre est finie, mais la paix est terrible. C’est le cas de l’Irak. Je veux des élections sportives, un arrangement entre les politiques.
L.P. : Mais ici, il y a déjà le consensus autour de la volonté de chacun d’aller aux élections…
A.B. : N’est-il pas de notre devoir de leur dire que certes votre volonté est là, mais la paix, ça se protège comme le dénuement d’élections après une crise comme celle qu’on a vécue. Sinon, on peut demander qu’on donne les papiers, mais ça dépend de comment on demande. Si tu veux les arracher, y a drap. On peut aller aux élections de façon sportive. Il faut que le vainqueur rassure les vaincus sur ce qu’il va faire pour eux. Le Roi de Jordanie disait : « La démocratie signifie différentes choses en différents endroits ». On n’est pas obligé de singer la démocratie française ou américaine parce que nos populations n’ont pas le même degré de culture. Il faut que nous fassions une démocratie à notre taille. Et selon nos habitudes, nos cultures, nos traditions. Il faut que M. Gbagbo, M.Bédié et M. Ouattara s’asseyent pour discuter et faire des arrangements, de sorte que le vainqueur puisse soutenir les vaincus pour ne pas qu’il y ait de l’humiliation. Si la guerre nous coûte de l’argent et du sang, ce n’est pas en donnant de l’argent à ceux qui vont perdre pour maintenir la cohésion sociale qui va nous coûter cher. La paix a son prix.
L.P. : Comptez-vous en tant qu’ambassadeur de la Cedeao rencontrer ces leaders et leur vendre ce nouveau schéma ?
A.B. : Ecoutez, les schémas de sortie de crise j’en ai déjà donnés. J’ai réussi pas obtenir une sorte de pyramide de service civique afin d’alléger les charges de Soro par rapport aux anciens combattants. Cela a été possible parce que MM Gbagbo, Ouattara et Soro m’ont écouté. Même quand j’ai été récemment en Israël, ceux qui ont fait la médiation en Angola, ont proposé leur service à la Côte d’Ivoire. Je les ai mis en contact avec la Primature et la Présidence. Ce que je voudrais proposer, ce sont des élections apaisées, sportives. Je déteste des élections où le vainqueur humilie le vaincu. Je suis fatigué de voir d’anciens chefs d’Etat africains raser les murs en Europe. Que tous ceux qui ont été présidents ou premiers ministres aient droit aux honneurs. On a des grands banquiers comme MM. Ouattara, Banny, on a des cerveaux comme le « petit » Thiam à Londres. Ce ne sont pas des hommes intelligents qui manquent et on est en train de s’ennuyer comme des blaireaux. On est tous fiers. Et quand des fiers se battent entre eux, même les mots ont un poids. Qui veut être humilié ? Gbagbo, Ouattara, Bédié, Mabri ne sont pas seuls. Ils ont leur équipe. Il faut que ceux qui perdent aient la garantie qu’ils ne seront pas à la rue.
L.P. : Il y a quand même une vie après le pouvoir comme on a pu le constater au Mali, au Bénin et au Sénégal. Le fait de penser qu’on est fait pour être un homme aux affaires ne met-il pas les pays africains en retard ?
A.B. : Vous parlez du Mali, mais Alpha Oumar Konaré continue de prodiguer des conseils à Amadou Toumani Touré son successeur sur certains dossiers. Pourquoi ne pouvons-nous pas faire la même chose ici ? C’est quoi ce gâchis politique ! On parle tous de sauver la Côte d’Ivoire, mais certains veulent jeter le bébé avec l’eau de bain. Il faut désarmer les politiques.
L.P. : Certains pensent que vous prenez partie pour un camp contre l’autre…
A.B. : Quand j’ai pris position pour Monsieur Ouattara, qu’est-ce qu’on n’a pas dit ? Toutes les hypothèses sont passées ? Ce que vous ne savez pas, c’est que des militaires sont venus ici. Quelqu’un m’a appelé ? C’est Alassane Ouattara qui m’a appelé. Donc quelque part, mes histoires avec M. Ouattara là, mettez ça de côté.

L.P. : Vous avez été aussi méchant ces derniers temps dans la presse avec lui.

A.B. : Je dis on appelle ça en Dioula « Gbrèko gbrèko massoubako ». Il n’a pas bu, il n’a pas craché, et puis c’est lui. Tu sais pourquoi, moi aussi, on m’a attaqué ? « Gbrèko gbrèko massoubako »,

L.P. : Mais, qui est le « on » ?


A.B. : Mais, c’est le journal « Le Patriote ».

L.P. : Le Patriote n’est pas le journal de M. Ouattara.

A.B. : Non, non, non !! C’est le journal d’Hamed Bakayoko et qui dit Hamed Bakayoko, dit Alassane Dramane Ouattara. C’est comme si tu me défendais pendant longtemps, même au prix de ta vie. A cause de moi on t’a menacé de mort. Toutes les épithètes, tu as eu droit. Ok ? Et puis un jour, j’ai des petits qui ont un journal qui t’agresse. On m’accuse de dire des contrevérités quand j’ai fait le Festarrr en question. J’ai invité tout le monde. J’ai invité M. Ouattara, Soro, Bédié, j’ai invité tout le monde. Charles Sanga, j’ai dit, que j’ai invité tout le monde. Votre journal a écrit que Gbagbo m’a donné 300 millions et que j’ai donné 100 millions à Blé Goudé. Vous savez les conséquences sur ma vie ? Le cendrier qu’on vendait à 1500 F, on me l’a fait acheter à 100.000 F. Les petits frères que j’avais invités comme Fadal Dey pour assurer la première partie, exigeaient une brique (Ndlr, un million). J’avais prévu 300.000 pour Ismaël, 400.000 F pour Fadal Deh qui est mon petit gourou personnel, et j’en passe. Et on est allé leur raconter que moi, je vais leur donner 50.000 F, ça m’a fait mal, j’en ai pleuré. On m’a dit : répond au Patriote à travers un droit de réponse, j’ai dit que je ne réponds pas. Parce que je n’ai pas affaire à Charles Sanga. Je n’ai pas affaire à Bakary Nimaga. Si, eux, ils ont fait ça, c’est mon grand frère Alassane Ouattara qui ne leur a rien dit qui me fait mal. Donc comme vous avez menti en m’accusant, je me suis donc dit, si c’est pour mentir, moi aussi je suis fort dans le mensonge. Donc, je ne vous ai rien fait, vous m’avez agressé. Moi aussi j’ai agressé Alassane. Et après, on m’a demandé Alassane t’a fait quoi ? Je leur ai dit, il ne m’a rien fait. On appelle ça en Dioula « Gbrèko gbrèko massoubako ». Vous avez menti, j’ai attaqué.

L.P. : En mentant ?

A.B. : Tu crois que je vais me gêner ? Vous avez écrit 300 millions là, est-ce que vous avez une preuve ? Vous avez menti. Alors moi, pourquoi je vais me gêner ? Mais, après, j’ai eu très mal sur ma conscience. Quand vous avez écrit dans vos journaux, il y a des gens qui m’ont appelé pour me menacer de mort. Je suis allé prendre une arme pour me protéger. Et c’est écrit devant ma porte, « une arme n’entre pas ici ». Vous avez une bombe entre les mains. Vos plumes sont des flingues. Il faut que soyez conscients de cela. Il y a des gens même qui m’ont trouvé en concert à New York m’interpellant : « pourquoi tu fais palabre avec ton grand frère Alassane ? Nous sommes les gens de Dimbokro. » Où est votre affaire dans ça ? C’est vrai, je reconnais qu’il ne m’a rien fait. Mais qu’est-ce que diantre, moi j’ai fait au Patriote ? Rien. Charles Sanga dis-moi, qu’est-ce que j’ai fait au Patriote ? Si je ne sais pas, je vais m’excuser.

L.P. : Votre vœu le plus cher pour le Ivoiriens, c’est lequel ?
A.B. : Je veux des élections à l’ivoirienne. J’ai foi en ce que les Ivoiriens puissent surmonter cette épreuve. Ce sont des querelles de personnes. On aurait pu faire l’économie des violences et du sang. Ce que nous vivons doit pouvoir nous affermir davantage.
Ce n’est pas évident de parler à un peuple divisé. Je ne peux pas parler et prétendre faire plaisir à la fois, à Tanoh, Aly ou Charles. Ce n’est pas possible. Voilà, un débat où tout le monde a raison. Quand quelqu’un t’explique son problème, tu dis yako. Donc, tout le monde a raison, tout le monde a tort. Moi, je voudrais que votre article puisse éclairer les Ivoiriens par rapport à mes prises de positions, éclairer aussi bien le camp présidentiel que celui de l’opposition pour ne pas que les uns et les autres prennent ce que j’ai dit pour une nouvelle lance de combat. J’ai parlé au nom de ceux qui m’ont parlé. Je n’ai pas la science infuse. En politique, je suis zéro. Je n’ai pas un savoir politique. Si par naïveté politique, j’ai dit quelque chose qui blesse, je demande pardon.

Je voudrais pour terminer, saluer la mémoire d’un aîné qui nous a malheureusement quittés. Il s’agit de Coulibaly Sié Zoumana, anciennement cadre à la BCEAO à Paris et à Dakar. J’adresse mes condoléances les plus attristées à sa famille et à tous les frères et sœurs de Tafiré. Je partage la douleur et la tristesse qu’ils vivent en ce moment. Je suis autant affligé qu’eux car le grand frère «Sié Zoum» m’a été, il y a quelques années, d’un précieux soutien. Que Dieu le prenne chez lui.

Réalisée par Charles Sanga et Y. Sangaré
Collaboration: Kéita Moussa
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