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Région Publié le mercredi 30 juin 2010 | Le Patriote

C entre d’interet - A la rencontre des populations des villages de Garango et Koudougou

Le soleil se lève sur Garango ce dimanche 13 juin. En cette période de saison pluvieuse, ce temps clément est un cadeau du ciel. Une belle occasion pour les enfants et les jeunes de ce village de s’adonner à une partie de football, juste à proximité de la voie principale, du reste, beaucoup fréquentée par les automobilistes qui roulent à vive allure. La Coupe du monde de football bat son plein et tous les jeunes veulent ressembler à ces stars du ballon rond. Assis sur un étal, de jeunes garçons devisent. Bien entendu, les causeries tournent autour de cet événement majeur, qui a lieu depuis le 11 juin dernier. Subitement, le temps s’obscurcit. Un épais nuage assombrit le ciel de Garango. De grosses gouttes de pluie ‘’mitraillent’’ les toitures des maisons et le sol. Juste pour quelques minutes et le temps redevient clément. Les échanges se poursuivent comme si de rien n’était. Et, c’est le match Côte d’Ivoire-Portugal (qui ne s’était pas encore joué dimanche 13 et qui l’a été mardi 15) qui meuble la causerie des enfants. Vêtu d’un tee-shirt délavé et jauni par le temps, d’une culotte rapiécée et chaussé d’une paire de pantoufles qui laissent entrevoir toutes ses orteils, le petit Moussa, lance : «Je suis sûr que notre équipe nationale va battre le Portugal». Son père, Zongo Issa, la cinquantaine passé, appuie les dires de son fiston. Dans un français approximatif, l’homme, la barbe hirsute, avec de gros nerfs visibles sur son visage sec, le teint noir, soutient la même chose : «Cette Coupe du monde est pour notre équipe nationale, les Eléphants. Ils vont aller loin», se veut-il rassurant. L’homme pèse bien ses mots lorsqu’il affirme, la main sur le cœur que ‘’ notre équipe nationale, les Eléphants, va aller loin’’. C’est qu’en dépit de son nom à consonance burkinabé, Zongo Issa, est Ivoirien et bien Ivoirien. Tout comme les habitants de ce gros bourg de plus de cinq mille âmes. Garango est en effet, un gros village qui abrite essentiellement des Ivoiriens d’origine Burkinabé. ‘’D’origine’’, puisqu’ils y sont installés depuis 1934, donc vingt huit ans avant l’indépendance de la Côte d’Ivoire. A cette date déjà, des Voltaïques quittent leur Haute Volta natale et émigrent en Côte d’Ivoire, plus précisément à Bouaflé, une ville située à 324 kilomètres d’Abidjan, dans le centre ouest du pays. Ils baptisent cette terre d’accueil du nom du village d’où ils viennent, Garango. Le village est situé à une demi dizaine de kilomètres de Bouaflé. Il y a aussi Koudougou où les habitants sont venus en octobre 1932. Arouna Yoda est le chef de village de Garango. Il est venu s’installer dans ce village avec son père à l’âge de 20 ans. Aujourd’hui, il en a plus de 80 et on lui en donnerait moins. Cet octogénaire est père d’une fratrie d’une quinzaine d’enfants dont l’aîné est Ali Yoda, de la télévision public nationale ivoirienne, la RTI. Elles ont beau être des Ivoiriens d’origine pour certaines et naturalisés pour d’autres, les habitants de ces deux localités rencontrent d’énormes difficultés. Ils sont accusés par les partisans du régime en place ou par les éléments des Forces de défense et de sécurité (FDS) de voler la nationalité ivoirienne: «Personne ne nous considère ici. Aux yeux de certaines personnes, nous sommes des étrangers. Les policiers et gendarmes nous fatiguent aux barrages lors des contrôles de routine ou lorsqu’ils nous rencontrent dans les rues. Ils nous exigent de payer soit 500 F CFA, soit 1000 F CFA, même si nous sommes en possession de tous nos papiers. Pour ne pas perdre ton temps, tu es obligé de payer pour partir», raconte sur le ton de la résignation, en égrenant son chapelet, le vieux Arouna Yoda, vêtu d’un boubou blanc, un chapelet à la main.

‘’Tu t’appelles Zongo, tu ne peux pas être Ivoirien’’

Le chef du village de Koudougou, Jean-Pierre Zongo Sibiri, qui a poliment refusé d’être photographié, ne dit pas autre chose. Né lui-même dans ce village, de père Burkinabé et de mère ivoirienne, il parle parfaitement la langue de Molière. Sa filiation a-t-elle facilité son choix à la tête de la chefferie de ce village? Bien sûr que non, répond-il, avant de préciser que presque la moitié de la population a été naturalisée. Selon lui, la première vague de naturalisation date de 1980. C’est cette année-là que les toutes premières personnes ont déposé leurs dossiers de naturalisation. Et elles ont obtenu gain de cause, cinq ans plus tard, soit en 1985. Par la suite, le lot des naturalisés a été agrandi sous Henri Konan Bédié (l’ancien président renversé par un coup d’Etat le 24 décembre 1999, NDLR), en 1995. Avec Laurent Gbagbo au pouvoir depuis 2000, la situation est d’autant plus préoccupante qu’elle fait le lit d’une autre plus grave : les tracasseries policières : «Vous ne pouvez pas comprendre combien nous en souffrons», se lamente presque Paul Kaboré, un habitant de Koudougou : «Lorsque vous leur présentez votre carte d’identité nationale, ils crient au scandale. Ils soutiennent qu’un Zongo ou un Kaboré ne peut pas être Ivoirien. Dans ce cas, ceux qui, comme moi, ont leur décret de naturalisation, sont obligés de se promener avec. De sorte que moi par exemple, si les FDS m’interpellent pour me demander mes pièces, je leur montre ma carte d’identité et mon décret de naturalisation. Et c’est ainsi que procèdent tous ceux qui sont dans mon cas.» La situation que vivent les habitants de ces villages les exaspère. A la question de savoir s’ils prennent cette méprise comme une injure, ils n’ont que la loi comme contre témoignage de ce fourvoiement à leur égard. Elle dit (la loi) que : «dès lors que tu es naturalisé, tu es un national du pays. Pourquoi veut-on qu’on soit forcement Burkinabé alors qu’on ne l’est pas parce qu’on a la nationalité ivoirienne obtenue en bonne et due forme?», s’interroge Paul Kaboré, qui nous renvoie la question : «Vous monsieur le journaliste, que diriez-vous et comment vous sentiriez-vous, si vous devenez Français par naturalisation et qu’on vous lance au visage comme une injure, que vous ne l’êtes pas et qu’on vous soutire de l’argent même lorsque vous présentez tous les papiers y afférents? Ceux qui nous rackettent doivent respecter les textes et la signature des dirigeants».
Selon des historiens qui ont requis l’anonymat du fait de la ‘’sensibilité du sujet’’, ces populations qui se sont établies dans ces villages sont arrivées dans les années 1930. Il s’agit donc des populations qui ont été déplacées par la volonté du colonisateur à un moment où il n’y avait pas de frontières entre leur terre d’origine et leur terre d’accueil. «Ce sont des questions qui doivent être réglées par la volonté politique, mais qui sont utilisées comme fonds de commerce par nos politiciens à l’approche des échéances électorales», relève l’un d’entre eux, Professeur à l’Université de Cocody et très proche du pouvoir actuel. Et l’enseignant de poursuivre : « (…) Avant l’indépendance de notre pays, il n’y avait pas d’Ivoiriens en tant que national ivoirien.

Les défenseurs des droits
de l’Homme indignés

On est devenu Ivoirien quand on a proclamé l’indépendance et quand on a proclamé le code de la nationalité en 1961», argumente-t-il. De leur côté, les associations et mouvements de défense des droits de l’homme ne disent pas autre chose. Pour le président de la Ligue ivoirienne des droits de l’Homme (LIDHO), le Docteur André Kamaté, le débat sur la nationalité de ces populations est un faux débat : « (…) Ces personnes-là, à mon avis, n’avaient pas à être naturalisées. Elles sont ivoiriennes, puisque nous sommes tous d’accord que la nationalité n’est pas liée à l’ethnie. Elle n’est pas liée à la religion, ni à la tribu encore moins à la région. On ne peut donc pas regarder le nom de quelqu’un et dire que celui-ci est un étranger ou cet autre ne l’est pas. Ce qui confère à nous tous la nationalité ivoirienne, c’est l’appartenance à la nation qui est admise et appréciée par le juge civil (…) ». Le président de l’Action pour la promotion des droits de l’homme (APDH), Hervé Gouaméné, abonde dans le même sens que celui de la LIDHO. Seulement voilà, «certaines d’entre elles ont été naturalisées par le président Henri Konan Bédié en 1995 et le Journal officiel qui l’atteste est disponible», rappelle M. Gouaméné. Le Mouvement ivoirien des droits humains, (MIDH) est du même avis que les deux autres. Un responsable de cette structure a tenu à préciser que c’est un dossier que l’organisation «suit de près». Mais il n’y a pas que les responsables des mouvements et associations de défense des droits de l’Homme qui s’intéressent à la question de la nationalité. La société civile ne veut pas être en marge de ce débat qui, en Côte d’Ivoire constitue une préoccupation majeure.

Racket en direct

Le racket des FDS les exaspère à tel point que les populations des villages de Koudougou et de Garango n’hésitent même plus à se défendre comme elles peuvent. Quitte à froisser l’autorité des FDS. A bord du car qui nous amène à Bouaflé pour ce travail, nous avons été nous-même témoin de l’agacement des populations. Le car, bondé de voyageurs est sifflé par les policiers, non loin de la village de Koudougou. L’agent de la Police nationale, un Sergent de Police procède au « contrôle de routine». Il demande aux passagers de brandir leurs pièces «pour faciliter le contrôle». Ce que tout le monde fait. Il jette des coups d’œil sur les pièces ainsi brandies. «Merci, merci» dit-il à certains passagers. Puis, lorsqu’il arrive au niveau d’un passager, il marque un arrêt, lui retire sa pièce d’identité et lui demande de descendre. Après le contrôle, il rejoint à terre le voyageur qui l’y attend. Devant les autres occupants du car, une conversation s’engage. Le policier fait savoir au passager qu’il n’a pas le droit d’être en possession d’une carte nationale d’identité ivoirienne. «Pourquoi cela ?», lui demande celui-ci. «Toi-même tu sais pourquoi», lui répond l’agent de police, qui lui fait savoir que le nom qu’il porte étant un nom Burkinabé (Zongo), ce dernier «a fait comment pour avoir cette pièce?». Réponse du concerné: «Je suis Ivoirien», avant de lui présenter une photocopie de son décret de naturalisation. Le policier ne lâche pas prise: «Où tu as eu ça?». C’est alors que le passager lui balance au visage cette phrase cinglante qui traduit son exaspération et son ras-le-bol, après avoir toisé l’agent des Forces de l’ordre: «Chef, je viens juste de le ramasser». Le sergent de Police est ‘’foudroyé’’ par cette réaction à laquelle il ne s’attendait certainement pas. Cela le laisse sans voix pendant quelques secondes. Sans mot dire, il remet la pièce d’identité et la copie du décret de naturalisation au voyageur et demande au conducteur du car de partir. On saura plus tard que celui-ci se nomme Zongo Maxime, né à Koudougou (Bouaflé) le 26 avril 1968. Dans le véhicule qui démarre, il a regagné sa place. Il est descendu à Koudougou, sa destination. Il est presque 18 h 30. Le vrombissement du car se confond avec la voix du muezzin qui appelle les musulmans à la prière du soir. Zongo Maxime presse les pas pendant que le véhicule poursuit son chemin vers Bouaflé, juste à une demi dizaine de kilomètres.
Yves-M. ABIET (Envoyé spécial)
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