Le Docteur André Banhouman Kamaté, président de la Ligue ivoirienne des Droits de l’Homme (LIDHO), l’une des plus anciennes organisations de défense des droits de l’Homme, se prononce sur la situation juridique des populations des villages de Garango et Koudougou.
Le Patriote : En mission à Bouaflé, notamment dans les villages de Garango et Koudougou, nous avons été interpellés par les populations qui se plaignent que certaines personnes veulent les spolier de leur nationalité ivoirienne et que les Forces de l’ordre les rackettent. Avez-vous écho de ces situations et qu’en pensez-vous?
Dr André Banhouman Kamaté : Cette question n’est pas nouvelle.
Je voudrais d’abord préciser une chose sur la question de nationalité, parce que très peu de personnes en Côte d’Ivoire, à mon avis, apprécient mal cette question. Avant l’indépendance de notre pays, dans cette partie du territoire africain géré par la France, on avait trois catégories de citoyens: on avait les indigènes, les Français et ceux qu’on appelait les assimilés. Il n’y avait donc pas d’Ivoiriens. On est devenu Ivoirien quand on a proclamé l’indépendance et quand on a proclamé le code de la nationalité en 1961.
Qu’est-ce qui s’est passé? Nous avons appris qu’aux environs des années 1995, le président Bédié a procédé à la naturalisation de près de 15.000 personnes. Cela nous a paru ahurissant qu’on naturalise des Ivoiriens. Ces personnes-là, à mon avis, n’avaient pas à être naturalisées. Elles sont ivoiriennes, puisque nous sommes tous d’accord que la nationalité n’est pas liée à l’ethnie, elle n’est pas liée à la religion, elle n’est pas liée à la tribu encore moins à la région. On ne peut donc pas regarder le nom de quelqu’un et dire que celui là est un étranger ou cet autre ne l’est pas. Ce qui confère à nous tous la nationalité ivoirienne, c’est l’appartenance à la nation qui est admis et apprécié par le juge civil. Le juge civil donne un certificat de nationalité, parce qu’il estime que cette personne est ivoirienne. Pour obtenir la nationalité ivoirienne, bien entendu, il y a des critères, des conditions. Le code de la nationalité en son article 6 dit : «Est Ivoirien, celui qui est né d’un parent au moins Ivoirien». A partir de quel moment on établit qu’un parent au moins est né Ivoirien? Je pense que si nous avons admis que ce n’est pas l’ethnie, la région, la religion, on se réfère donc au lieu de naissance. Voici des personnes qui sont nées en Côte d’Ivoire, sur le territoire ivoirien avant l’indépendance qu’on naturalise. Ça pose un problème.
LP: De quel recours dispose ces populations si elles sont victimes d’abus?
Dr ABK: C’est un recours juridique. Tout simplement, parce que celui qui vous dénie votre nationalité, si vous avez la preuve juridique à partir de document administratif, vous lui présentez votre certificat de nationalité qui est le document qui confère la nationalité ivoirienne. S’il conteste votre nationalité, c’est à lui d’apporter la preuve contraire. En matière de droit, ce n’est pas l’accusé qui doit apporter la preuve de sa culpabilité ou non. C’est celui qui accuse qui en apporte la preuve. Quand vous contrôlez un monsieur qui vous présente, à priori, une pièce d’identité, elle peut être vraie ou elle peut être fausse. C’est vous qui apportez la preuve de la fausseté de sa pièce. C’est impensable que quelqu’un qui est sensé, se dénonce lui-même. Si vous avez la preuve que la personne a fraudé, c’est à vous d’en apporter la preuve. Le recours, est un recours de droit. Les personnes qu’on accuse doivent pouvoir porter plainte contre ceux qui les accusent. C’est trop facile d’accuser les gens. Cela frise la diffamation. En réalité, ce n’est pas tellement en terme de recours que les choses doivent se passer, c’est plutôt en terme de sensibilisation. Je pense qu’il faut sensibiliser, d’abord les forces de l’ordre sur la question de la nationalité, de la citoyenneté.
LP: Doit-on conclure que les populations se sont laissées naturaliser par ignorance ou par un abus?
Dr ABK: Je dirai les deux à la fois. Je pense qu’on n’a pas suffisamment intégré dans notre conscience ivoirienne qu’on peut s’appeler Ouédraogo et être parfaitement Ivoirien comme si on s’appelait Lago ou Konan. Sinon, je comprends difficilement qu’on naturalise quelqu’un qui est né sur le territoire ivoirien, avant la proclamation de l’indépendance. On naturalise quelqu’un qui avait une autre nationalité. Or, ces personnes-là ne sont pas nées sur le territoire burkinabé. Certainement que leurs parents ne sont même pas nés sur le territoire burkinabé. Donc elles n’avaient pas la nationalité burkinabé. Ces personnes ne sont aujourd’hui peut-être burkinabé, que par leur nom, leur patronyme. Mais le patronyme ne confère pas la nationalité. Si le patronyme conférait la nationalité, un monsieur comme Philippe Troussier (ancien entraîneur de l’Asec Mimosas, un club de football ivoirien, NDLR), ne serait pas Ivoirien. Parce que, sur aucun territoire de la Côte d’Ivoire, on trouve le nom Troussier. Il est clair aussi qu’un monsieur comme Basile Boli, (international français d’origine ivoirienne qui a joué à l’Olympique de Marseille, NDLR) ne serait jamais Français, parce que sur aucune partie du territoire français on ne trouve le nom Boli. Le patronyme ne confère pas la nationalité. C’est purement juridique.
L.P: Mais Garango et Koudougou sont des villages bien connus au Burkina…
Dr ABK: Si on veut fonctionner par le parallèle, je dirai que Koumassi qui est une commune d’ Abidjan, est une ville du Ghana. Il y a un village qui s’appelle Anoumabo au Ghana. Il y a aussi un quartier appelé Anoumabo ici à Abidjan. Ce n’est donc pas parce que des noms se retrouve à l’extérieur de nos frontières naturelles que les personnes qui habitent sur des territoires qui portent ces noms seraient automatiquement étrangères. Je pense, qu’il y a une volonté politique à ce niveau qui doit être prise pour régler ces problèmes. Pour moi, les populations qui sont à Garango ou à Koudougou, dans la région de Bouaflé sont bel et bien des Ivoiriens.
LP: Le problème identitaire a été à la base de la rébellion qui a éclaté le 19 septembre 2002. La LIDHO qui a été dirigée par d’illustres personnalités, a-t-elle un plan pour mettre définitivement un terme à cette situation?
Dr ABK: Je pense que la question identitaire est aussi liée à la question de nationalité. Je ne veux pas être alarmiste sur la question identitaire. Parce que ceux qui ont voulu surfer sur la question identitaire pour régler des problèmes politiques ont compris que les Ivoiriens sont suffisamment matures pour ne pas les suivre dans cette aventure. Ce que je constate, c’est qu’en Côte d’Ivoire, il y a plusieurs groupes ethniques. Il y a plusieurs cultures. Il y a plusieurs religions. Il y a forcement plusieurs identités. Ce qui est notre force, c’est que nous sommes dans un pays où les identités sont croisées. Cela veut dire que quand vous prenez un nordiste comme moi par exemple, je suis chrétien, ma mère est Baoulé et mon épouse est Abouré, mes enfants, devinez clairement qui ils sont. Des gens comme moi, il y a en plusieurs. Nous sommes dans une société aussi qui se modernise.
La référence identitaire en politique à mon avis est un danger pour la Côte d’Ivoire, pour certains pays d’Afrique. C’est la raison pour laquelle à la LIDHO, nous pensons qu’il faut toujours faire le travail à la base, faire un travail de sensibilisation.
Réalisée par YMA
Le Patriote : En mission à Bouaflé, notamment dans les villages de Garango et Koudougou, nous avons été interpellés par les populations qui se plaignent que certaines personnes veulent les spolier de leur nationalité ivoirienne et que les Forces de l’ordre les rackettent. Avez-vous écho de ces situations et qu’en pensez-vous?
Dr André Banhouman Kamaté : Cette question n’est pas nouvelle.
Je voudrais d’abord préciser une chose sur la question de nationalité, parce que très peu de personnes en Côte d’Ivoire, à mon avis, apprécient mal cette question. Avant l’indépendance de notre pays, dans cette partie du territoire africain géré par la France, on avait trois catégories de citoyens: on avait les indigènes, les Français et ceux qu’on appelait les assimilés. Il n’y avait donc pas d’Ivoiriens. On est devenu Ivoirien quand on a proclamé l’indépendance et quand on a proclamé le code de la nationalité en 1961.
Qu’est-ce qui s’est passé? Nous avons appris qu’aux environs des années 1995, le président Bédié a procédé à la naturalisation de près de 15.000 personnes. Cela nous a paru ahurissant qu’on naturalise des Ivoiriens. Ces personnes-là, à mon avis, n’avaient pas à être naturalisées. Elles sont ivoiriennes, puisque nous sommes tous d’accord que la nationalité n’est pas liée à l’ethnie, elle n’est pas liée à la religion, elle n’est pas liée à la tribu encore moins à la région. On ne peut donc pas regarder le nom de quelqu’un et dire que celui là est un étranger ou cet autre ne l’est pas. Ce qui confère à nous tous la nationalité ivoirienne, c’est l’appartenance à la nation qui est admis et apprécié par le juge civil. Le juge civil donne un certificat de nationalité, parce qu’il estime que cette personne est ivoirienne. Pour obtenir la nationalité ivoirienne, bien entendu, il y a des critères, des conditions. Le code de la nationalité en son article 6 dit : «Est Ivoirien, celui qui est né d’un parent au moins Ivoirien». A partir de quel moment on établit qu’un parent au moins est né Ivoirien? Je pense que si nous avons admis que ce n’est pas l’ethnie, la région, la religion, on se réfère donc au lieu de naissance. Voici des personnes qui sont nées en Côte d’Ivoire, sur le territoire ivoirien avant l’indépendance qu’on naturalise. Ça pose un problème.
LP: De quel recours dispose ces populations si elles sont victimes d’abus?
Dr ABK: C’est un recours juridique. Tout simplement, parce que celui qui vous dénie votre nationalité, si vous avez la preuve juridique à partir de document administratif, vous lui présentez votre certificat de nationalité qui est le document qui confère la nationalité ivoirienne. S’il conteste votre nationalité, c’est à lui d’apporter la preuve contraire. En matière de droit, ce n’est pas l’accusé qui doit apporter la preuve de sa culpabilité ou non. C’est celui qui accuse qui en apporte la preuve. Quand vous contrôlez un monsieur qui vous présente, à priori, une pièce d’identité, elle peut être vraie ou elle peut être fausse. C’est vous qui apportez la preuve de la fausseté de sa pièce. C’est impensable que quelqu’un qui est sensé, se dénonce lui-même. Si vous avez la preuve que la personne a fraudé, c’est à vous d’en apporter la preuve. Le recours, est un recours de droit. Les personnes qu’on accuse doivent pouvoir porter plainte contre ceux qui les accusent. C’est trop facile d’accuser les gens. Cela frise la diffamation. En réalité, ce n’est pas tellement en terme de recours que les choses doivent se passer, c’est plutôt en terme de sensibilisation. Je pense qu’il faut sensibiliser, d’abord les forces de l’ordre sur la question de la nationalité, de la citoyenneté.
LP: Doit-on conclure que les populations se sont laissées naturaliser par ignorance ou par un abus?
Dr ABK: Je dirai les deux à la fois. Je pense qu’on n’a pas suffisamment intégré dans notre conscience ivoirienne qu’on peut s’appeler Ouédraogo et être parfaitement Ivoirien comme si on s’appelait Lago ou Konan. Sinon, je comprends difficilement qu’on naturalise quelqu’un qui est né sur le territoire ivoirien, avant la proclamation de l’indépendance. On naturalise quelqu’un qui avait une autre nationalité. Or, ces personnes-là ne sont pas nées sur le territoire burkinabé. Certainement que leurs parents ne sont même pas nés sur le territoire burkinabé. Donc elles n’avaient pas la nationalité burkinabé. Ces personnes ne sont aujourd’hui peut-être burkinabé, que par leur nom, leur patronyme. Mais le patronyme ne confère pas la nationalité. Si le patronyme conférait la nationalité, un monsieur comme Philippe Troussier (ancien entraîneur de l’Asec Mimosas, un club de football ivoirien, NDLR), ne serait pas Ivoirien. Parce que, sur aucun territoire de la Côte d’Ivoire, on trouve le nom Troussier. Il est clair aussi qu’un monsieur comme Basile Boli, (international français d’origine ivoirienne qui a joué à l’Olympique de Marseille, NDLR) ne serait jamais Français, parce que sur aucune partie du territoire français on ne trouve le nom Boli. Le patronyme ne confère pas la nationalité. C’est purement juridique.
L.P: Mais Garango et Koudougou sont des villages bien connus au Burkina…
Dr ABK: Si on veut fonctionner par le parallèle, je dirai que Koumassi qui est une commune d’ Abidjan, est une ville du Ghana. Il y a un village qui s’appelle Anoumabo au Ghana. Il y a aussi un quartier appelé Anoumabo ici à Abidjan. Ce n’est donc pas parce que des noms se retrouve à l’extérieur de nos frontières naturelles que les personnes qui habitent sur des territoires qui portent ces noms seraient automatiquement étrangères. Je pense, qu’il y a une volonté politique à ce niveau qui doit être prise pour régler ces problèmes. Pour moi, les populations qui sont à Garango ou à Koudougou, dans la région de Bouaflé sont bel et bien des Ivoiriens.
LP: Le problème identitaire a été à la base de la rébellion qui a éclaté le 19 septembre 2002. La LIDHO qui a été dirigée par d’illustres personnalités, a-t-elle un plan pour mettre définitivement un terme à cette situation?
Dr ABK: Je pense que la question identitaire est aussi liée à la question de nationalité. Je ne veux pas être alarmiste sur la question identitaire. Parce que ceux qui ont voulu surfer sur la question identitaire pour régler des problèmes politiques ont compris que les Ivoiriens sont suffisamment matures pour ne pas les suivre dans cette aventure. Ce que je constate, c’est qu’en Côte d’Ivoire, il y a plusieurs groupes ethniques. Il y a plusieurs cultures. Il y a plusieurs religions. Il y a forcement plusieurs identités. Ce qui est notre force, c’est que nous sommes dans un pays où les identités sont croisées. Cela veut dire que quand vous prenez un nordiste comme moi par exemple, je suis chrétien, ma mère est Baoulé et mon épouse est Abouré, mes enfants, devinez clairement qui ils sont. Des gens comme moi, il y a en plusieurs. Nous sommes dans une société aussi qui se modernise.
La référence identitaire en politique à mon avis est un danger pour la Côte d’Ivoire, pour certains pays d’Afrique. C’est la raison pour laquelle à la LIDHO, nous pensons qu’il faut toujours faire le travail à la base, faire un travail de sensibilisation.
Réalisée par YMA