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Afrique Publié le mardi 6 juillet 2010 | Le Patriote

Ouganda : raid sur entebbe

Fred Kaizi, Enseignant Ougandais : “Le règne d’Idi Amin a été une page noire”
L’ex- Président Idi Amin Dada qui a dirigé l’Ouganda d’une main de fer de 1971 à 1979 est mort le 20 juillet 2003 à l’âge de 79 ans. Fred Kaizi, enseignant et interprète Ougandais que nous avons rencontré à Kampala, présente l’ex-homme fort d’Ouganda sous toutes ses facettes. Entretien.

Le Patriote : Qui était Idi Amin Dada pour les Ougandais?
Fred Kaizi : Idi Amin Dada a été le président de l’Ouganda du 25 janvier 1971 au 11 avril 1979. C’était un grand sportif, champion en natation, champion d’Ouganda de boxe dans la catégorie poids-lourd de 1951 à 1960, il avait la cognée terrible. On rapporte même qu’il avait tué un caïman qui l’avait mordu avec ses mains. Depuis cette morsure, il avait fait tuer beaucoup de caïmans. Il n’était pas bon soldat, même s’il s’était autoproclamé Maréchal. Mais il était un très bon pilote des avions de chasse. Il aimait aussi les femmes. Le nombre de ses maitresses reste inconnu à Entebbe et à Kampala.

L.P. : Comment était-il arrivé au pouvoir?
F.K. : Il est arrivé au pouvoir par un coup d’Etat le 25 janvier 1971, après avoir renversé le président Milton Obote qui, lui était devenu impopulaire, alors que ce dernier prenait part à un sommet du Commonwealth, à Singapour. Le peuple Ougandais a accueilli son avènement au pouvoir sous des applaudissements. La communauté internationale aussi, notamment la grande Bretagne ont salué cette prise de pourvoir parce qu’elle voyait en Idi un allié. Mais à l’exercice du pouvoir, l’homme a beaucoup déçu les Ougandais. Dès lors, l’euphorie de départ a cédé le pas au pessimisme. Les huit années pendant lesquelles il s’est maintenu au pouvoir ont été une page noire pour notre histoire.

L.P. : Comment a-t-il pu décevoir un peuple qui l’a pourtant accueilli par des applaudissements?
F.K. : Amin Dada était un dictateur. Et sa dictature se manifestait sous plusieurs formes. Dès sa prise de pouvoir, il promet au peuple l’organisation d’élections. Mais il ne tient pas parole. Et pour se maintenir au pouvoir, il créa le "State Research Bureau", qui se révèle être des escadrons de la mort destinés à pourchasser et assassiner les partisans d’Obote. L’intelligentsia ougandaise et les chefs militaires qui n’ont pas soutenu son coup d’État sont aussi exécutés. Les effectifs militaires augmentent considérablement et l’armée absorbe tout le budget du pays. Il dissout le Parlement et fait remplacer les tribunaux civils par des tribunaux militaires. Tous les postes du gouvernement et de l’Administration étaient occupés par des militaires. Il gouvernait par décrets. Et comme il n’était pas très instruit, il développait un sentiment d’infériorité vis-à-vis des intellectuels et des opérateurs économiques. Il voyait en ce groupe de compatriotes, une menace pour son pouvoir. C’est pourquoi dans un premier temps, il a commencé à faire régner la terreur. Il faisait assassiner et exécuter tous ceux qui lui faisaient ombrage. Vous comprenez pourquoi beaucoup d’Ougandais ont dû fuir le pays sous son règne. Même les étrangers n’étaient pas les bienvenus sous son règne. Il en a chassés des milliers.

L.P. : Quel souvenir le peuple Ougandais gardait-il de lui avant sa mort, lorsqu’il était en exil en 2003 en Arabie Saoudite?
F.K. : Le souvenir d’Amin Dada après sa chute n’est pas resté longtemps dans la mémoire collective des Ougandais. On parle très peu de lui aujourd’hui. Cela m’étonne moi-même. Mais cela s’explique par plusieurs facteurs. Après la chute du dictateur, l’Ouganda a connu une guerre civile qui a duré huit ans. Au sortir de cette guerre, l’Ouganda a eu à faire face à la pandémie du Sida qui a causé autant de morts que la guerre civile et les exécutions d’Idi Amin Dada dont l’histoire est désormais du passé pour les Ougandais. Après tout, avec ce que le peuple a connu les deux décennies après sa chute, c’est normal qu’il soit oublié.

L.P. : Pourtant l’Ouganda lui doit sa notoriété dans le concert des Nations?
F.K. : Je suis entièrement d’accord avec vous sur ce point. Vous avez raison. Parce que ce qu’Idi a fait, était extraordinaire pour ne pas retenir l’attention du monde. Il a été d’une brutalité qui rappelle l’époque médiévale. Les crimes qu’il a commis ne pouvaient laisser personne indifférent. Ces actes ont fait connaitre l’Ouganda, malheureusement, c’est sur un mauvais visage: celui d’un sanguinaire. Aujourd’hui quand vous entendez parler d’Idi Amin Dada, c’est plus sur un ton de plaisanterie, quelque fois un peu moqueur.

L.P. : La famille D’Idi vit-elle en Ouganda?
F.K. : Oui. Il a des enfants qui vivent ici et à Londres. On trouve aussi beaucoup de ses maîtresses ici. Mais les Ougandais ne s’occupent pas d’eux. Le peuple ne peut pas les «victimiser». Ils n’y sont pour rien dans le cynisme d’Idi.

L.P. : On ne saurait parler du règne d’Idi Amin Dada sans évoquer le raid israélien sur Entebbe en 1976. Que savez-vous de cette opération historique?
F.K. : Ce que je sais de cette opération n’est pas plus que ce que les livres et les films racontent. J’étais beaucoup jeune à l’époque. Mais ce qui nous a frappés, c’est que lorsque cette opération a eu lieu, ni la radio ni la télévision Ougandaise n’en ont fait cas. Le peuple Ougandais a appris la nouvelle par la rumeur. C’est une opération qui a été vécue par Idi et son gouvernement comme une humiliation. Il a fallu attendre quelques jours plus tard pour que le Président explique dans un discours télévisé, ce qui s’était passé. Il a annoncé que le pays avait été envahi par Israël, qu’il avait envoyé une note de protestation aux Nations Unies et qu’il attendait une condamnation de l’Etat israélien.

L.P. : Mais comment le peuple a réagi à ce raid?
F.K. : Les Ougandais qui en avaient assez de la dictature d’Idi Amin Dada ne pouvaient qu’applaudir. Mais il l’a fait sous cape puisqu’il ne pouvait pas laisser transparaitre cette joie. Ce raid a été déterminant pour le peuple Ougandais. Il a donné du cran à beaucoup de nos soldats qui étaient en exil. Ces derniers ont organisé une rébellion et avec le soutien de la Tanzanie que Idi menaçait d’annexer, ils ont attaqué le gouvernement qui n’a pas résisté. Idi a dû prendre la fuite le 11 avril 1979 en direction de la Libye, à bord d’un avion de chasse, le MIG 25 à partir de la base militaire de Bombo.

L.P. : Cette opération israélienne avait eu pour conséquence la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays. Qu’en est-il aujourd’hui?
F.K. : Idi avait automatiquement suspendu toute relation avec Israël en signe de protestation. Il s’est même permis de chasser les Israéliens d’Ouganda. Après sa chute, les relations entre les deux Etats ne se sont pas renouées de sitôt. A la prise de pouvoir de Muséveni Yoweri, les choses ont mis du temps avant de rentrer dans l’ordre. Aujourd’hui, je peux vous assurer que beaucoup d’Israéliens vivent ici en Ouganda sans problème. Il y a un consulat général israélien ici à Kampala. C’est parce que les Israéliens sont discrets qu’on ne les remarque pas beaucoup dans la ville. Ils participent à la vie économique chez nous notamment dans le secteur des grands travaux.

L.P. : La chute d’Idi n’a pas cependant empêché l’Ouganda de sombrer dans une guerre fratricide. Comment cela a-t-il pu arriver?
F.K. : Beaucoup de facteurs expliquent la guerre civile que nous avons vécue. C’est l’armée tanzanienne qui a envahi la ville avec l’aide des guérillas ougandaises baptisés UNLA (Ndlr, Uganda National Libération Army). Il y a d’abord le fait que l’UNLA était majoritairement composée des gens du nord, des Ougandais originaires d’Acholi du Nord. Or, Amin avait fait exécuter beaucoup de soldats de cette zone du pays qu’il soupçonnait d’être proches du Président qu’il a déchu par le coup d’Etat. Avant cela, il y avait également un problème hérité du colon qui avait recruté massivement les gens du sud dans l’armée. Le sud avait donc le pouvoir militaire. Lorsque la rébellion est venue à bout d’Idi, le partage du pouvoir est devenu une discorde entre le sud et le nord. C’est ce qui a débouché sur la guerre civile. L’autre élément qu’il ne faut pas oublier c’est qu’après le renversement du président Milton Obote, ce dernier n’était plus aimé à cause de sa politique marxiste. L’erreur que l’on a commise, a été d’avoir permis à Obote de se présenter à l’élection présidentielle de 1980. Sa réélection n’a pas été du goût des sudistes qui sont rentrés en rébellion. Les Ougandais craignaient qu’il remette en scelle sa politique marxiste dont ils ont souffert. Les militaires d’origine nordiste ont dû renverser Obote en 1985 et ont entamé des compromis. C’est de ces compromis que Yoweri est arrivé au pouvoir en 1986.

L.P. : Pourquoi Amin n’est jamais rentré de son exil avant sa mort?
F.K. : Le gouvernement de Musseveni lui a fait comprendre que l’exil était mieux pour lui parce que s’il osait revenir, il devait répondre des crimes qu’il avait commis. Pour ce que je sais, Idi a été vraiment malheureux de ne pas pouvoir revenir au pays.

L.P. : Musseveni est au pouvoir depuis 1986, quels commentaires faites-vous de ce long règne?
F.K. : Il y a eu quelques erreurs au départ, mais dans l’ensemble, le pays a connu une stabilité et a renoué avec le progrès. Au plan économique l’Ouganda connaît ces dernières années une croissance économique. Mais, c’est un pouvoir quelque peu tribaliste et bien des membres du gouvernement sont trempés dans la corruption. C’est curieux mais le président lui-même ne parvient pas à se séparer d’eux. L’autre fait notable est que, le gouvernement a gagné la lutte contre le Sida en s’impliquant et en mettant les moyens là où il faut pour sauver les vies et faire baisser le taux de prévalence qui était le plus élevé d’Afrique. En Ouganda, le Sida a été maitrisé.
Entretien réalisé à Kampala (Ouganda) par
Alexandre Lebel Ilboudo

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