Cinquième journée de détention maladroite pour nos confrères Théophile Kouamouo, Saint-Claver Oula et Stéphane Guédé. Après les «folles» première, deuxième et troisième journées, depuis hier vendredi, ils ont d’abord fait escale au palais de justice d’Abidjan-Plateau, avant d’être carrément déférés à la Maison de correction d’Abidjan, Maca. Sans état d’âme. Comme des bandits de grands chemins. Les feuilletons se succèdent et les méthodes peu orthodoxes utilisées par le Procureur de la République Tchimou Raymond donnent à réfléchir beaucoup plus sérieusement sur les mécanismes et procédures de la justice ivoirienne. L’on peut se poser des questions. Il est vrai que l’utilité du troisième pouvoir, le Judiciaire, ne peut être matière à spéculations. Pour un état de droit, il faut en effet que la justice soit le seul garant de la lecture du droit afin de constituer un contrepoids essentiel en cas de distorsion ou de mauvaise interprétation des règles en vigueur. Cependant, cette place indispensable laissée à la justice n’est profitable que «si et seulement» si les hommes en robe, investis alors du pouvoir judiciaire, lisent correctement le droit. Dans l’affaire de «vol de document» qu’il oppose aux responsables du Nouveau Courrier, on ne peut s’imaginer que le procureur de la République ignore la dépénalisation du délit de presse en Côte d’Ivoire. Encore qu’il lui faut prouver le délit en question. Exercice qui, à l’évidence, ne sera pas de toute aise à solutionner. Le document publié par le journal est censé provenir de trois sites majeurs : Le cabinet du Président de la République à qui ce document «hautement» confidentiel a été remis, le cabinet du Procureur de la République lui-même qui a supervisé et mené cette enquête et produit son rapport. La fuite pouvant aussi provenir du dernier conclave à Grand-Bassam des experts juridiques commis à la rédaction dudit rapport. En usant de tous moyens pour obliger les confrères de livrer leur source, le magistrat n’est plus le juge mais Tchimou Raymond veut se rendre à lui-même justice. Il passe ainsi pour le justicier dans la ville. «Un justicier dans la ville», en anglais «Death wish», est un film policier américain réalisé par Michael Winner en 1974 dans le rôle vedette, Charles Bronson. Après l’assassinat de son épouse et l’agression de sa fille, un architecte se donne la mission de vengeur ou de justicier dans la ville. Les critiques de cinéma estiment que c’est l’un des nombreux films sur les insuffisances de la justice. Dans ce scénario, ce n’est pas l’affection que porte le justicier pour ses proches qui est à noter. Mais plutôt, le caractère indiscipliné dans la démarche du justicier qui est essentiel à relever. Le justicier peut alors se définir comme quelqu’un de rancunier, de revanchard. Quelqu’un qui se bat seulement pour son honneur à lui. La démarche du justicier est donc intéressée. Sans idéal, il n’a que sa cause qui l’importe. Il est seul dans son aventure et fixe lui-même les conditions et les mécanismes de sa réussite. De ce fait, le terme de justicier est une personne visant à faire régner sa conception de la justice. Le terme peut alors désigner de manière ironique, une personne habilitée à rendre la justice, mais qui montre dans son action un zèle particulièrement poussé. Un individu pouvant éventuellement être perçu comme excessif. Le procureur Tchimou craint plutôt le revers d’une certaine négligence, ayant conduit à la fuite d’un document confidentiel, qu’il a seulement remis au Chef de l’Etat. Il cherche alors d’où vient cette trahison. Et il sait qu’il joue sa carrière sur ce coup là. De nos jours, une société disposant d’une bonne police, de bons juges, de bons avocats et de toutes les instances judiciaires jouant franc jeu, n’a officiellement plus besoin de justicier. Et le Procureur Tchimou doit comprendre qu’il ne doit pas être le justicier mais demeurer le juge dont la démarche est froide, sans passion, qui donne le juste verdict dans le traitement d’une affaire. Ce juge qui n’interprète pas le droit au gré de ses attentes. C’est injuste de mettre un individu en prison seulement parce qu’il est soupçonné d’avoir commis un délit. L’injustice est encore plus grande. Monsieur le Procureur, enfilez votre robe de juge et lisez correctement le droit. Au nom de la République.
Editorial Publié le samedi 17 juillet 2010 | Le Nouveau Courrier
Un justicier dans la ville
© Le Nouveau Courrier Par DRPresse : Trois journalistes de "Le nouveau Courrier" en prison pour une enquête sur le cacao