Lebanco.net - Bertin Kouadio est enseignant à l’université Wilson de Pennsylvanie (Etats-Unis). Titulaire d’un PhD en relations internationales, il décrypte dans cette interview accordée à lebanco.info, alors qu’il se trouve à Abidjan, en vacances, l’actualité politique en Afrique, marquée par les cinquante ans d’accession au pouvoir de nombreux pays africains.
Vous êtes spécialiste des relations internationales. Aujourd’hui, nombre de pays africains célèbrent leurs 50 ans d’accession à l’indépendance. Peut-on dire que ces pays sont effectivement indépendants?
Merci de me donner l’occasion de parler des relations internationales des pays africains. Au niveau des pays africains, il y a eu plusieurs types d’indépendance. Ce qui fait que le niveau de développement n’est pas le même d’un Etat à un autre. Il faut dire toute de suite que cette indépendance n’est qu’une vue de l’esprit pour beaucoup de pays africains en ce sens que depuis 1960 ils n’ont pas été véritablement autonomes, donc à même de gérer leurs propres affaires comme on le voit ailleurs. Certains pays ou leurs économies ont plus ou moins été « managés » par leurs créanciers quand d’autres pays ont littéralement survécu grâce à l’aide étrangère. Beaucoup d’éléments ont participé à cela comme le clientélisme politique, les accords entre certains pays colonisés et pays colonisateurs, la géopolitique mondiale actuelle, et enfin la globalisation avec toutes ses exigences. Je dirais pour me résumer
que dans la théorie la quasi-totalité des pays africains sont indépendants mais dans la pratique ils ne le sont pas au vu de certaines forces extérieures que j’ai citées tout à l’heure. Premièrement, il y a eu des pays qui ont acquis leur indépendance après négociation, c’est le cas de la Côte d’Ivoire. La majorité de ces pays sont restés très proches du pays colonisateur et ils ont bénéficié d’un grand soutien de ce dernier notamment au plan politique, économique, diplomatique et sécuritaire. Deuxièmement, il y a eu la lutte armée contre l’administration coloniale, par exemple au Zimbabwe, au Mozambique, en Angola, et en Algérie. Il y a eu également un autre type d’indépendance comme en Guinée où des leaders se sont opposés à toute forme de négociation avec le colonisateur. C'est-à-dire l’indépendance toute de suite. Récemment, un nouveau type d’indépendance a vu le jour en Afrique qui n’a rien à
avoir avec l’ère coloniale, celle de l’indépendance acquise par la sécession comme l’Erythrée qui est partie de l’Ethiopie. Il faut noter également que depuis les années 60 l’Afrique a connu différents types de classe politique. Les premiers présidents que nous avons eu, on les appelait" les pères fondateurs ou pères de la nation", et après leur décès, il y a eu l’émergence d’une autre classe politique. Soit qui a été préparée à la succession, soit qui a arraché le pouvoir en tant qu’opposant, ou à la prise du pouvoir d’Etat par une junte militaire. Ces premiers régimes africains étaient basés en majorité sur le parti unique. C’est dans les années 90 que le multipartisme a véritablement pris forme dans les pays africains. Et donc nous avons vu l’émergence de plusieurs partis politiques, de nouveaux leaders souvent avec des visions nouvelles. Toutefois, il faut relever que certains de ces partis avaient
pris une forte coloration ethnique, régionale, ou même religieuse, certains partis ressemblaient plus à un club d’amis, certains partis étaient basés sur une certaine idéologie propre, d’autres n’en avaient pas. A mon avis le multipartisme n’a pas donné les résultats souhaités dans certains pays africains à cause de la culture politique en place d’une part, et l’absence d’institutions adaptées pour supporter cette nouvelle donne.
Vous avez parlé de l’avenir des pays après les pères fondateurs. Quand on prend la Côte d’Ivoire, on sait que le pays a été stable pendant des décennies sous Houphouët-Boigny. Et juste après sa mort, on a connu un coup d’Etat, et une rébellion. Selon vous, à quoi cela est dû ?
Le problème de la Côte d’Ivoire est complexe. Il faut dire que le fait que la Côte d’Ivoire ait été stable pendant longtemps a fortement contribué à négliger sa propre sécurité qu’elle a prise pour acquise. Dans cette crise, il faut savoir différencier les causes profondes ou lointaines des causes immédiates. Beaucoup de politologues et autres observateurs avertis ont parlé d’ivoirité, d’appartenance ethnique, et même d’exclusion d’une certaine frange de la population comme étant la base ou le facteur qui a enclenché la crise ivoirienne. A cela il faut ajouter le processus démocratique des années 90, dont les élections de 1995 et 2000 et leurs conséquences immédiates. Il s’est passé beaucoup de choses entre 1960 et 2002, et donc il faut pousser le débat plus loin. Je vous donne une liste d’éléments ou facteurs que j’appelle les causes profondes ou lointaines liées directement ou indirectement à la crise qui
je pense méritent autant d’attention. Un : la crise économique des années 80 suite à la chute des prix des principales matières premières et ses conséquences sur les populations et l’Etat. Deux : la mort du Président Houphouët-Boigny et les conséquences de sa disparition sur la scène politique. Trois : l’affaiblissement des institutions ou de l’appareil étatique. Quatre : la forte immigration non-contrôlée et l’absence de textes clairs la régissant. Cinq : le changement ou la nature des relations franco-ivoiriennes après Houphouët-Boigny, qui est dû à mon avis au changement des leaders au plus haut sommet des deux Etats (France et Côte d’Ivoire). Chaque gouvernement en France avait entretenu un type de relation avec la Côte d’Ivoire qui, il me semble, était très loin de la continuité. Ce changement des relations franco-ivoiriennes était prévisible car les forces de la globalisation allaient imposer tôt ou tard un
nouvel élan politique en Côte d’Ivoire et donc un nouveau type de relation entre les deux pays. Pour en revenir à l’Afrique, je dirais que de façon générale, les crises politiques et économiques ont sérieusement affaibli les pays africains sur tous les plans. Les populations se sont appauvries davantage. Quant au tissu social, il a été déchiré après l’avènement du multipartisme dans de nombreux pays africains. On pourrait être tenté d’avancer que sur ce plan, le multipartisme ou l’apprentissage de la démocratie en Afrique nous a apporté plus de problèmes qu’il n’en a résolus. Les populations étant analphabètes dans leur majorité, certains politiques africains ont dû concentrer leurs efforts à contenir les masses urbaines qui regorgent leurs ennemis politiques tout en négligeant la grande majorité rurale. Par ailleurs, certains politiques africains ont préféré utiliser les ressources de l’Etat pour investir
abondamment dans la sécurisation de leur pouvoir, négligeant de fait des secteurs vitaux comme l’éducation, la santé, et l’environnement. Un fait qui peut être vite corrigé avec une simple volonté politique.
Dans ce contexte où les secteurs vitaux sont abandonnés, on voit les pays africains organiser de grandes cérémonies pour commémorer leurs cinquante ans d’indépendance. Comment jugez-vous l’opportunité de ces cérémonies ?
Je pense que célébrer le cinquantenaire n’est pas une mauvaise chose en soi. Cela est opportun en ce sens que chaque pays doit marquer une pause pour faire un bilan puis tracer le chemin d’un futur meilleur. Malheureusement, dans beaucoup de pays africains, il y a tellement de problèmes que les populations trouvent la célébration du cinquantenaire inutile. A mon ami, le cinquantenaire doit être une cérémonie symbolique qui doit inviter à la réflexion de toutes les couches sociales ou les forces vives de la nation, une sorte de bilan et de remise en cause à travers laquelle, il faut instruire les populations sur l’avenir du pays au plan politique, économique, socioculturel, et environnemental. Il doit aussi être une occasion et un instrument de rapprochement des populations pour renforcer l’unité nationale. Enfin, il doit être une sorte d’agenda politique avec des priorités bien établies à court et à long terme.
Personnellement, je pense qu’une fête pompeuse n’est pas souhaitable vues les conditions actuelles dans bons nombre de pays africains. Sur ce plan, je suis en phase avec la décision sage du Président Gbagbo.
Cinquante ans après l’indépendance de la Côte d’Ivoire, que reste- t- il à faire au plan économique, politique et social ?
Je dirais qu’au niveau politique, la Côte d’Ivoire doit arriver à un stade de maturité qui lui permettra de garantir le rétablissement de l’ordre publique, l’Etat de droit, et la cohésion sociale gage de stabilité durable et de développement, ce qui permettra à ce beau pays de reprendre sa place dans le concert des grandes nations. Cela est très important. Il faut reformer les institutions de l’Etat pour garantir une séparation claire des pouvoirs. Il faut combattre la corruption à tous les niveaux pour instaurer la bonne gouvernance. C’est cela qui va encourager tout le monde à faire bloc autour de l’Etat. Il faut lutter contre la fuite des cerveaux par l’amélioration de la masse salariale et des conditions de travail, et puis il faut associer la diaspora ivoirienne aux affaires du pays. Car cette diaspora est devenue grande et est très éduquée, elle investit beaucoup en Côte d’Ivoire notamment dans l’immobilier.
Elle est devenue une source de survie pour beaucoup de familles ivoiriennes via les services de western union ou moneygram. Il faut alimenter les secteurs vitaux comme la santé, l’éducation et l’environnement. Il faut chercher à décentraliser l’administration pour la rendre plus opérationnelle. La délocalisation de la capitale politique est devenue plus qu’un impératif. Et si possible, il faut informatiser l’administration, c’est ce vers lequel beaucoup de pays courent aujourd’hui. Au niveau économique, il faut l’industrialisation. Aucun pays au monde ne peut survivre et se développer avec 90% des travailleurs sur le dos de l’Etat. Les pays africains doivent être capables de pouvoir transformer leurs matières premières en produits semi-finis ou finis pour les vendre à des prix compétitifs sur les marchés mondiaux. Il faut promouvoir le développement du secteur privé et encourager les banques à faire des micro-prêts
aux individus et PME à des taux faibles. Aujourd’hui, la majorité des Africains travaillent dans l’informel car l’Etat ne peut pas tout faire. En même temps que l’informel donne un souffle à l’Etat au niveau des emplois, le même Etat perd en revenus car il a du mal à taxer les individus qui animent ce secteur. C’est le cas des vendeurs ambulants. Au niveau social, il faut relever le niveau de vie des populations et faire de la jeunesse une vraie priorité. On peut avoir tous les diplômes, mais si on n’a pas d’emploi pendant un temps, on pourrait facilement tomber dans la dépression et la criminalité. Aussi, il faut enrayer le cumul des fonctions administratives pour créer de nouveaux postes pour l’insertion des jeunes. Ça rend le système lourd et inefficace. Il faut avoir une justice impartiale au service de l’Etat et des populations. Au niveau de l’environnement, il faut éviter l’exploitation abusive de nos forêts.
Cela joue sur le climat. Il y a aussi la pratique de l’agriculture traditionnelle qui a accéléré l’appauvrissement des terres. Donc une modernisation du secteur agricole s’impose. Enfin, il faut éduquer les populations sur l’hygiène environnementale.
Un mot sur le processus de sortie de crise en Côte d’Ivoire ?
Je suis optimiste. Je suis convaincu qu’en 2010, il y aura élections. Mais en tant qu’homme des sciences politiques, je suis plutôt préoccupé par l’issue de ces élections. Je n’ai aucun doute sur la bonne foi des uns et des autres, mais j’ai juste une série d’interrogations qui me passent par la tête. Seront-elles transparentes? Les résultats seront-ils acceptés par tous les candidats et sympathisants? Dans le même temps, je me dis que le peuple de Côte d’Ivoire a muri, qu’il a appris beaucoup dans cette crise qui perdure avec ses conséquences néfastes sur le pays en général et les pauvres en particulier. Je souhaite que les perdants acceptent les résultats au nom du jeu démocratique pour donner un souffle nouveau à ce beau pays qui est le nôtre.
Interview réalisée par Elvis Ahonon
Vous êtes spécialiste des relations internationales. Aujourd’hui, nombre de pays africains célèbrent leurs 50 ans d’accession à l’indépendance. Peut-on dire que ces pays sont effectivement indépendants?
Merci de me donner l’occasion de parler des relations internationales des pays africains. Au niveau des pays africains, il y a eu plusieurs types d’indépendance. Ce qui fait que le niveau de développement n’est pas le même d’un Etat à un autre. Il faut dire toute de suite que cette indépendance n’est qu’une vue de l’esprit pour beaucoup de pays africains en ce sens que depuis 1960 ils n’ont pas été véritablement autonomes, donc à même de gérer leurs propres affaires comme on le voit ailleurs. Certains pays ou leurs économies ont plus ou moins été « managés » par leurs créanciers quand d’autres pays ont littéralement survécu grâce à l’aide étrangère. Beaucoup d’éléments ont participé à cela comme le clientélisme politique, les accords entre certains pays colonisés et pays colonisateurs, la géopolitique mondiale actuelle, et enfin la globalisation avec toutes ses exigences. Je dirais pour me résumer
que dans la théorie la quasi-totalité des pays africains sont indépendants mais dans la pratique ils ne le sont pas au vu de certaines forces extérieures que j’ai citées tout à l’heure. Premièrement, il y a eu des pays qui ont acquis leur indépendance après négociation, c’est le cas de la Côte d’Ivoire. La majorité de ces pays sont restés très proches du pays colonisateur et ils ont bénéficié d’un grand soutien de ce dernier notamment au plan politique, économique, diplomatique et sécuritaire. Deuxièmement, il y a eu la lutte armée contre l’administration coloniale, par exemple au Zimbabwe, au Mozambique, en Angola, et en Algérie. Il y a eu également un autre type d’indépendance comme en Guinée où des leaders se sont opposés à toute forme de négociation avec le colonisateur. C'est-à-dire l’indépendance toute de suite. Récemment, un nouveau type d’indépendance a vu le jour en Afrique qui n’a rien à
avoir avec l’ère coloniale, celle de l’indépendance acquise par la sécession comme l’Erythrée qui est partie de l’Ethiopie. Il faut noter également que depuis les années 60 l’Afrique a connu différents types de classe politique. Les premiers présidents que nous avons eu, on les appelait" les pères fondateurs ou pères de la nation", et après leur décès, il y a eu l’émergence d’une autre classe politique. Soit qui a été préparée à la succession, soit qui a arraché le pouvoir en tant qu’opposant, ou à la prise du pouvoir d’Etat par une junte militaire. Ces premiers régimes africains étaient basés en majorité sur le parti unique. C’est dans les années 90 que le multipartisme a véritablement pris forme dans les pays africains. Et donc nous avons vu l’émergence de plusieurs partis politiques, de nouveaux leaders souvent avec des visions nouvelles. Toutefois, il faut relever que certains de ces partis avaient
pris une forte coloration ethnique, régionale, ou même religieuse, certains partis ressemblaient plus à un club d’amis, certains partis étaient basés sur une certaine idéologie propre, d’autres n’en avaient pas. A mon avis le multipartisme n’a pas donné les résultats souhaités dans certains pays africains à cause de la culture politique en place d’une part, et l’absence d’institutions adaptées pour supporter cette nouvelle donne.
Vous avez parlé de l’avenir des pays après les pères fondateurs. Quand on prend la Côte d’Ivoire, on sait que le pays a été stable pendant des décennies sous Houphouët-Boigny. Et juste après sa mort, on a connu un coup d’Etat, et une rébellion. Selon vous, à quoi cela est dû ?
Le problème de la Côte d’Ivoire est complexe. Il faut dire que le fait que la Côte d’Ivoire ait été stable pendant longtemps a fortement contribué à négliger sa propre sécurité qu’elle a prise pour acquise. Dans cette crise, il faut savoir différencier les causes profondes ou lointaines des causes immédiates. Beaucoup de politologues et autres observateurs avertis ont parlé d’ivoirité, d’appartenance ethnique, et même d’exclusion d’une certaine frange de la population comme étant la base ou le facteur qui a enclenché la crise ivoirienne. A cela il faut ajouter le processus démocratique des années 90, dont les élections de 1995 et 2000 et leurs conséquences immédiates. Il s’est passé beaucoup de choses entre 1960 et 2002, et donc il faut pousser le débat plus loin. Je vous donne une liste d’éléments ou facteurs que j’appelle les causes profondes ou lointaines liées directement ou indirectement à la crise qui
je pense méritent autant d’attention. Un : la crise économique des années 80 suite à la chute des prix des principales matières premières et ses conséquences sur les populations et l’Etat. Deux : la mort du Président Houphouët-Boigny et les conséquences de sa disparition sur la scène politique. Trois : l’affaiblissement des institutions ou de l’appareil étatique. Quatre : la forte immigration non-contrôlée et l’absence de textes clairs la régissant. Cinq : le changement ou la nature des relations franco-ivoiriennes après Houphouët-Boigny, qui est dû à mon avis au changement des leaders au plus haut sommet des deux Etats (France et Côte d’Ivoire). Chaque gouvernement en France avait entretenu un type de relation avec la Côte d’Ivoire qui, il me semble, était très loin de la continuité. Ce changement des relations franco-ivoiriennes était prévisible car les forces de la globalisation allaient imposer tôt ou tard un
nouvel élan politique en Côte d’Ivoire et donc un nouveau type de relation entre les deux pays. Pour en revenir à l’Afrique, je dirais que de façon générale, les crises politiques et économiques ont sérieusement affaibli les pays africains sur tous les plans. Les populations se sont appauvries davantage. Quant au tissu social, il a été déchiré après l’avènement du multipartisme dans de nombreux pays africains. On pourrait être tenté d’avancer que sur ce plan, le multipartisme ou l’apprentissage de la démocratie en Afrique nous a apporté plus de problèmes qu’il n’en a résolus. Les populations étant analphabètes dans leur majorité, certains politiques africains ont dû concentrer leurs efforts à contenir les masses urbaines qui regorgent leurs ennemis politiques tout en négligeant la grande majorité rurale. Par ailleurs, certains politiques africains ont préféré utiliser les ressources de l’Etat pour investir
abondamment dans la sécurisation de leur pouvoir, négligeant de fait des secteurs vitaux comme l’éducation, la santé, et l’environnement. Un fait qui peut être vite corrigé avec une simple volonté politique.
Dans ce contexte où les secteurs vitaux sont abandonnés, on voit les pays africains organiser de grandes cérémonies pour commémorer leurs cinquante ans d’indépendance. Comment jugez-vous l’opportunité de ces cérémonies ?
Je pense que célébrer le cinquantenaire n’est pas une mauvaise chose en soi. Cela est opportun en ce sens que chaque pays doit marquer une pause pour faire un bilan puis tracer le chemin d’un futur meilleur. Malheureusement, dans beaucoup de pays africains, il y a tellement de problèmes que les populations trouvent la célébration du cinquantenaire inutile. A mon ami, le cinquantenaire doit être une cérémonie symbolique qui doit inviter à la réflexion de toutes les couches sociales ou les forces vives de la nation, une sorte de bilan et de remise en cause à travers laquelle, il faut instruire les populations sur l’avenir du pays au plan politique, économique, socioculturel, et environnemental. Il doit aussi être une occasion et un instrument de rapprochement des populations pour renforcer l’unité nationale. Enfin, il doit être une sorte d’agenda politique avec des priorités bien établies à court et à long terme.
Personnellement, je pense qu’une fête pompeuse n’est pas souhaitable vues les conditions actuelles dans bons nombre de pays africains. Sur ce plan, je suis en phase avec la décision sage du Président Gbagbo.
Cinquante ans après l’indépendance de la Côte d’Ivoire, que reste- t- il à faire au plan économique, politique et social ?
Je dirais qu’au niveau politique, la Côte d’Ivoire doit arriver à un stade de maturité qui lui permettra de garantir le rétablissement de l’ordre publique, l’Etat de droit, et la cohésion sociale gage de stabilité durable et de développement, ce qui permettra à ce beau pays de reprendre sa place dans le concert des grandes nations. Cela est très important. Il faut reformer les institutions de l’Etat pour garantir une séparation claire des pouvoirs. Il faut combattre la corruption à tous les niveaux pour instaurer la bonne gouvernance. C’est cela qui va encourager tout le monde à faire bloc autour de l’Etat. Il faut lutter contre la fuite des cerveaux par l’amélioration de la masse salariale et des conditions de travail, et puis il faut associer la diaspora ivoirienne aux affaires du pays. Car cette diaspora est devenue grande et est très éduquée, elle investit beaucoup en Côte d’Ivoire notamment dans l’immobilier.
Elle est devenue une source de survie pour beaucoup de familles ivoiriennes via les services de western union ou moneygram. Il faut alimenter les secteurs vitaux comme la santé, l’éducation et l’environnement. Il faut chercher à décentraliser l’administration pour la rendre plus opérationnelle. La délocalisation de la capitale politique est devenue plus qu’un impératif. Et si possible, il faut informatiser l’administration, c’est ce vers lequel beaucoup de pays courent aujourd’hui. Au niveau économique, il faut l’industrialisation. Aucun pays au monde ne peut survivre et se développer avec 90% des travailleurs sur le dos de l’Etat. Les pays africains doivent être capables de pouvoir transformer leurs matières premières en produits semi-finis ou finis pour les vendre à des prix compétitifs sur les marchés mondiaux. Il faut promouvoir le développement du secteur privé et encourager les banques à faire des micro-prêts
aux individus et PME à des taux faibles. Aujourd’hui, la majorité des Africains travaillent dans l’informel car l’Etat ne peut pas tout faire. En même temps que l’informel donne un souffle à l’Etat au niveau des emplois, le même Etat perd en revenus car il a du mal à taxer les individus qui animent ce secteur. C’est le cas des vendeurs ambulants. Au niveau social, il faut relever le niveau de vie des populations et faire de la jeunesse une vraie priorité. On peut avoir tous les diplômes, mais si on n’a pas d’emploi pendant un temps, on pourrait facilement tomber dans la dépression et la criminalité. Aussi, il faut enrayer le cumul des fonctions administratives pour créer de nouveaux postes pour l’insertion des jeunes. Ça rend le système lourd et inefficace. Il faut avoir une justice impartiale au service de l’Etat et des populations. Au niveau de l’environnement, il faut éviter l’exploitation abusive de nos forêts.
Cela joue sur le climat. Il y a aussi la pratique de l’agriculture traditionnelle qui a accéléré l’appauvrissement des terres. Donc une modernisation du secteur agricole s’impose. Enfin, il faut éduquer les populations sur l’hygiène environnementale.
Un mot sur le processus de sortie de crise en Côte d’Ivoire ?
Je suis optimiste. Je suis convaincu qu’en 2010, il y aura élections. Mais en tant qu’homme des sciences politiques, je suis plutôt préoccupé par l’issue de ces élections. Je n’ai aucun doute sur la bonne foi des uns et des autres, mais j’ai juste une série d’interrogations qui me passent par la tête. Seront-elles transparentes? Les résultats seront-ils acceptés par tous les candidats et sympathisants? Dans le même temps, je me dis que le peuple de Côte d’Ivoire a muri, qu’il a appris beaucoup dans cette crise qui perdure avec ses conséquences néfastes sur le pays en général et les pauvres en particulier. Je souhaite que les perdants acceptent les résultats au nom du jeu démocratique pour donner un souffle nouveau à ce beau pays qui est le nôtre.
Interview réalisée par Elvis Ahonon