Que deviennent les préservatifs jetés dans les WC après usage? Beaucoup d’utilisateurs ne se sont jamais posé cette question. Notre enquête révèle que ces millions d’espèce de cellophane envoyés dans les égouts constituent une menace pour le bien-être des populations.
Âmes sensibles, s’abstenir, ou alors s’armer de courage pour lire ce qui suit. C’est le calvaire d’une jeune dame qui loue un appartement d’une pièce aux-II-Plateaux, 7e tranche, à une centaine de mètres de l’agence de Côte d’Ivoire Télécom située dans ce quartier. De façon récurrente, les rejets de son WC se déversent immédiatement dans sa salle de bain. Et des techniciens venus à son secours ont régulièrement constaté qu’elle est victime d’une obstruction du regard de son bâtiment, causée par des paquets de préservatifs. A chaque fois, les agents les retirent, mais ils sont rappelés quelques mois après pour encore en retirer.
Comme c’est le cas dans la majorité des constructions modernes, son WC et son robinet de douche sont dans le même local. Les tuyaux d’évacuation des eaux de toilette et des escr…se croisent à l’entrée d’une canalisation centrale qui les achemine vers un regard. Sauf qu’ici, ce collecteur connecté à d’autres appartements est fréquemment bouché. Au fur et à mesure, le blocage remonte jusqu’aux maisons. Et les plus proches, comme celle de notre locatrice, sont soumises aux pires refoulements. L’immeuble compte une multitude de studios. Quelques uns sont habités par des dames ou jeunes dames, et le plus grand nombre, par des hommes, eux-aussi, jeunes pour la plupart.
Les coupables introuvables
Notre informatrice et ses co-locatrices les tiennent pour responsables de la souffrance collective. Mais, pour le moment, personne n’a osé s’en plaindre explicitement auprès du gérant qui, lui-aussi, embarrassé, se contente jusque-là de faire appel à la Société de distribution d’eau en Côte d’Ivoire. La Sodeci, on le sait, détient aussi bien la concession de la distribution d’eau potable que celle de la gestion du réseau d’eaux usées enterré. A la direction régionale de l’assainissement Abidjan-Nord, l’on n’a pas mis du temps à reconnaître le dossier de la 7e tranche. «Ce sont nos équipes qui interviennent là-bas », atteste Kangah Mathias, cadre chargé de l’exploitation. Une réponse laconique qui en dit long sur le caractère routinier et agaçant de ce type d’intervention. En fait, le technicien ne pouvait pas être ému par le seul cas que nous lui rapportions. « Le problème des préservatifs représente une épidémie pour nos réseaux », déplore-t-il. Selon lui, plusieurs types de déchets solides retrouvés dans les canalisations : serviettes, éponges, caleç…, fœtus humains…Mais les préservatifs, dit-il, font partie des plus dangereux. Et cela, pour deux raisons majeures. La première est que le condom, fabriqué à partir du caoutchouc, n’est pas biodégradable. L’autre raison, c’est l’abondance de capotes dans les égouts. « Sur le réseau, nous avons des stations qui pompent les eaux venant des ménages. Dans ces stations, on a des tas de préservatifs », révèle-t-il.
Ces capotes n’ont pas une seule provenance. Toutefois des bâtiments comme celui de la 7e tranche ne sont pas les plus grands producteurs. « Les préservatifs sont plus fréquents dans les regards des établissements hôteliers. Nous incitons toujours les opérateurs à l’utilisation de grilles au niveau des sorties de tuyaux pour pouvoir récupérer ces objets-là. Malheureusement, ce sont des choses difficilement contrôlables, étant donné que nous n’avons pas d’emprise directe sur eux. Nous recevons donc ces préservatifs dans nos stations et nos regards qui s’en trouvent bouchés », regrette M. Kangah. Que disent les accusés ?
Les accusés se défendent
Jules, un des gérants de l’hôtel Dino, au Plateau Dokui, reconnaît que certains de ses clients ne déposent pas les condoms dans les corbeilles placées dans les chambres. Mais il affirme que leur établissement n’a jamais connu de problème d’assainissement lié à ces caoutchoucs. Une thèse contraire à celle de jeunes qui habitent non loin de l’hôtel. « Nous avons déjà assisté à des épurations de leurs regards. Chaque fois que le couvercle est levé, il y a comme une explosion due aux préservatifs», soutiennent-ils.
A l’hôtel du Nord d’Adjamé, quartier Croix Rouge, un autre gérant est resté sur la défensive. « Qui vous a dit que tous ceux qui fréquentent l’hôtel viennent pour des rapports sexuels ? », a-t-il interrogé. Avant d’admettre, lui aussi, que des utilisateurs de capotes jettent ces plastiques dans leurs WC. Il ne l’a jamais vérifié dans les tuyaux, mais pense que la découverte d’emballages vides pendant les nettoyages de chambres en est une preuve indiscutable. Les clients qui le font, ne respectent pas, ou ne font pas attention à la consigne qui indique aux occupants de chaque chambre, la présence de corbeilles pour les ordures. Plus de précision dans le message aurait peut-être permis à tous de comprendre que même les préservatifs usagers sont concernés. Pour le gérant, il serait gênant de présenter pareil message à des clients. Les responsables d’hôtels visités n’ont jamais été sensibilisés sur le phénomène. Même pas le géant hôtel Ibis du Plateau. Comme ailleurs, les préservatifs sont également utilisés ici. Mais, selon Assié Jean, responsable du service technique, on en retrouve rarement dans les égouts. « Généralement, nos clients les laissent dans les corbeilles. Nous nettoyons nos regards tous les mois, et rarement nous en découvrons à ce niveau », assure-t-il.
La réaction des autorités
M Kangah persiste et signe que tous les hôtels ne sont pas des modèles en la matière. Il souhaite pour cela que la tutelle initie une campagne nationale de sensibilisation. Tapé Zékré, ex-directeur général de l’assainissement à la Sodeci, et directeur de l’assainissement au ministère de la Construction, de l’Urbanisme et de l’Habitat n’est pas opposé à cette idée. Bien au contraire, il a déjà entamé des démarches dans ce sens. « Des déchets solides de toutes natures se retrouvent dans le réseau enterré. Le cas des préservatifs est particulier. Nous avons déjà soumis un projet de campagne de sensibilisation à la Banque mondiale. Dès que le financement sera obtenu, nous viendrons vers vous les médias », promet-il.
Les établissements hôteliers ont pour tutelle le ministère du Tourisme et de l’Artisanat. Nous y sommes rendus entre autres pour savoir si l’aspect assainissement est pris en compte dans la délivrance des agréments. Diako Ibrahim, un des responsables du guichet unique, a répondu par l’affirmative. Tout projet de création de réceptif hôtelier, dit-il, est impérativement soumis à une étude d’impact environnemental réalisé par les services spécialisés du ministère de l’Environnement. Il permet de s’assurer que les bâtiments peuvent être correctement desservis en eau potable et que les eaux usées peuvent être également évacuées sans nuisances. Ensuite, comme pour tout autre bâtiment, les installations sont validées par le ministère de la Construction et de l’urbanisme. Ce sont autant d’attestations qui composent le dossier de demande d’agrément. Il souligne cependant qu’une fois l’autorisation délivrée, le ministère du Tourisme ne s’intéresse plus qu’à l’aspect exploitation. « Nos inspecteurs viennent vérifier que les dimensions des chambres et autres services sont aux normes », explique-t-il. Le reste est l’affaire du ministère à charge de l’assainissement. En entendant que celui-ci obtienne les moyens nécessaires, le changement de comportement peut commencer
Cissé Sindou
Âmes sensibles, s’abstenir, ou alors s’armer de courage pour lire ce qui suit. C’est le calvaire d’une jeune dame qui loue un appartement d’une pièce aux-II-Plateaux, 7e tranche, à une centaine de mètres de l’agence de Côte d’Ivoire Télécom située dans ce quartier. De façon récurrente, les rejets de son WC se déversent immédiatement dans sa salle de bain. Et des techniciens venus à son secours ont régulièrement constaté qu’elle est victime d’une obstruction du regard de son bâtiment, causée par des paquets de préservatifs. A chaque fois, les agents les retirent, mais ils sont rappelés quelques mois après pour encore en retirer.
Comme c’est le cas dans la majorité des constructions modernes, son WC et son robinet de douche sont dans le même local. Les tuyaux d’évacuation des eaux de toilette et des escr…se croisent à l’entrée d’une canalisation centrale qui les achemine vers un regard. Sauf qu’ici, ce collecteur connecté à d’autres appartements est fréquemment bouché. Au fur et à mesure, le blocage remonte jusqu’aux maisons. Et les plus proches, comme celle de notre locatrice, sont soumises aux pires refoulements. L’immeuble compte une multitude de studios. Quelques uns sont habités par des dames ou jeunes dames, et le plus grand nombre, par des hommes, eux-aussi, jeunes pour la plupart.
Les coupables introuvables
Notre informatrice et ses co-locatrices les tiennent pour responsables de la souffrance collective. Mais, pour le moment, personne n’a osé s’en plaindre explicitement auprès du gérant qui, lui-aussi, embarrassé, se contente jusque-là de faire appel à la Société de distribution d’eau en Côte d’Ivoire. La Sodeci, on le sait, détient aussi bien la concession de la distribution d’eau potable que celle de la gestion du réseau d’eaux usées enterré. A la direction régionale de l’assainissement Abidjan-Nord, l’on n’a pas mis du temps à reconnaître le dossier de la 7e tranche. «Ce sont nos équipes qui interviennent là-bas », atteste Kangah Mathias, cadre chargé de l’exploitation. Une réponse laconique qui en dit long sur le caractère routinier et agaçant de ce type d’intervention. En fait, le technicien ne pouvait pas être ému par le seul cas que nous lui rapportions. « Le problème des préservatifs représente une épidémie pour nos réseaux », déplore-t-il. Selon lui, plusieurs types de déchets solides retrouvés dans les canalisations : serviettes, éponges, caleç…, fœtus humains…Mais les préservatifs, dit-il, font partie des plus dangereux. Et cela, pour deux raisons majeures. La première est que le condom, fabriqué à partir du caoutchouc, n’est pas biodégradable. L’autre raison, c’est l’abondance de capotes dans les égouts. « Sur le réseau, nous avons des stations qui pompent les eaux venant des ménages. Dans ces stations, on a des tas de préservatifs », révèle-t-il.
Ces capotes n’ont pas une seule provenance. Toutefois des bâtiments comme celui de la 7e tranche ne sont pas les plus grands producteurs. « Les préservatifs sont plus fréquents dans les regards des établissements hôteliers. Nous incitons toujours les opérateurs à l’utilisation de grilles au niveau des sorties de tuyaux pour pouvoir récupérer ces objets-là. Malheureusement, ce sont des choses difficilement contrôlables, étant donné que nous n’avons pas d’emprise directe sur eux. Nous recevons donc ces préservatifs dans nos stations et nos regards qui s’en trouvent bouchés », regrette M. Kangah. Que disent les accusés ?
Les accusés se défendent
Jules, un des gérants de l’hôtel Dino, au Plateau Dokui, reconnaît que certains de ses clients ne déposent pas les condoms dans les corbeilles placées dans les chambres. Mais il affirme que leur établissement n’a jamais connu de problème d’assainissement lié à ces caoutchoucs. Une thèse contraire à celle de jeunes qui habitent non loin de l’hôtel. « Nous avons déjà assisté à des épurations de leurs regards. Chaque fois que le couvercle est levé, il y a comme une explosion due aux préservatifs», soutiennent-ils.
A l’hôtel du Nord d’Adjamé, quartier Croix Rouge, un autre gérant est resté sur la défensive. « Qui vous a dit que tous ceux qui fréquentent l’hôtel viennent pour des rapports sexuels ? », a-t-il interrogé. Avant d’admettre, lui aussi, que des utilisateurs de capotes jettent ces plastiques dans leurs WC. Il ne l’a jamais vérifié dans les tuyaux, mais pense que la découverte d’emballages vides pendant les nettoyages de chambres en est une preuve indiscutable. Les clients qui le font, ne respectent pas, ou ne font pas attention à la consigne qui indique aux occupants de chaque chambre, la présence de corbeilles pour les ordures. Plus de précision dans le message aurait peut-être permis à tous de comprendre que même les préservatifs usagers sont concernés. Pour le gérant, il serait gênant de présenter pareil message à des clients. Les responsables d’hôtels visités n’ont jamais été sensibilisés sur le phénomène. Même pas le géant hôtel Ibis du Plateau. Comme ailleurs, les préservatifs sont également utilisés ici. Mais, selon Assié Jean, responsable du service technique, on en retrouve rarement dans les égouts. « Généralement, nos clients les laissent dans les corbeilles. Nous nettoyons nos regards tous les mois, et rarement nous en découvrons à ce niveau », assure-t-il.
La réaction des autorités
M Kangah persiste et signe que tous les hôtels ne sont pas des modèles en la matière. Il souhaite pour cela que la tutelle initie une campagne nationale de sensibilisation. Tapé Zékré, ex-directeur général de l’assainissement à la Sodeci, et directeur de l’assainissement au ministère de la Construction, de l’Urbanisme et de l’Habitat n’est pas opposé à cette idée. Bien au contraire, il a déjà entamé des démarches dans ce sens. « Des déchets solides de toutes natures se retrouvent dans le réseau enterré. Le cas des préservatifs est particulier. Nous avons déjà soumis un projet de campagne de sensibilisation à la Banque mondiale. Dès que le financement sera obtenu, nous viendrons vers vous les médias », promet-il.
Les établissements hôteliers ont pour tutelle le ministère du Tourisme et de l’Artisanat. Nous y sommes rendus entre autres pour savoir si l’aspect assainissement est pris en compte dans la délivrance des agréments. Diako Ibrahim, un des responsables du guichet unique, a répondu par l’affirmative. Tout projet de création de réceptif hôtelier, dit-il, est impérativement soumis à une étude d’impact environnemental réalisé par les services spécialisés du ministère de l’Environnement. Il permet de s’assurer que les bâtiments peuvent être correctement desservis en eau potable et que les eaux usées peuvent être également évacuées sans nuisances. Ensuite, comme pour tout autre bâtiment, les installations sont validées par le ministère de la Construction et de l’urbanisme. Ce sont autant d’attestations qui composent le dossier de demande d’agrément. Il souligne cependant qu’une fois l’autorisation délivrée, le ministère du Tourisme ne s’intéresse plus qu’à l’aspect exploitation. « Nos inspecteurs viennent vérifier que les dimensions des chambres et autres services sont aux normes », explique-t-il. Le reste est l’affaire du ministère à charge de l’assainissement. En entendant que celui-ci obtienne les moyens nécessaires, le changement de comportement peut commencer
Cissé Sindou