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Art et Culture Publié le mercredi 28 juillet 2010 | Le Mandat

Interview/ Antoinette Konan (Artiste-musicienne) : "Le rôle d’arbitre de l’artiste n’existe plus"

© Le Mandat Par Prisca
Showbiz - U Roy au Palais de la Culture
Vendredi 2 avril 2010. Abidjan. La star jamaïcaine de la musique reggae, U-Roy en concert pour la première fois en Côte d`Ivoire
L’artiste-musicienne Antoinette Konan, également reine de ‘’l’ahoco’’, fait partie de ceux qui pensent à juste titre, que la liberté d’expression a disparu depuis longtemps du quotidien des Ivoiriens. Dans cette interview, elle exprime son amertume face aux comportements de certaines personnes et sa nostalgie des années 60 dans le milieu culturel où régnait la solidarité entre les artistes…


Vous enseigniez la musique à l’Insaac mais depuis un certain temps, vous avez arrêté cette activité. Pouvez-vous nous en donner les raisons ?

J’ai arrêté d’enseigner la musique à l’Institut National Supérieur des Arts et de l`Action Culturelle (Insaac) parce qu’il y avait beaucoup de contraintes auxquelles j’étais confrontée. La femme, doublée de l’artiste que je suis, ne peut pas souffrir de la sorte. Lorsque vous voulez former des gens, il faut qu’on vous laisse la liberté de le faire. Lorsque vous posez une question, l’on vous demande « pourquoi posez-vous une telle question? » Vraiment, j’en avais assez. Excusez-moi, mais je ne peux pas vous en dire plus.


Parlant de votre carrière, combien d’albums avez-vous à votre
actif ?

J’en suis à mon treizième album. Je devrais en être au quatorzième actuellement; mais j’attends que les choses se tassent dans le milieu pour que je me réengage encore, parce qu’il y a beaucoup de questions que je me pose.


De quand date votre dernier album?

Je ne me le rappelle plus trop bien; mais je crois que mon dernier album date de fin 2008-début 2009. Son titre est ‘’Grande est sa miséricorde’’.


Qu’est-ce qui explique votre retrait de la scène musicale ?

Si le public ne me voit plus sur la scène musicale depuis un certain temps, ce n’est pas parce que je suis malade. J’ai décidé tout simplement de me retirer du milieu au vu de tout ce qui s’y passe, à cause d’un certain nombre de blessures et de déceptions à certains niveaux. Comme je ne veux plus dire des choses que les gens vont mal interpréter, je me tais en me mettant à l’écart, pour observer ce qui se passe autour de moi, parce que je pense que j’ai assez parlé.


Quelles sont ces choses que vous aviez dénoncées et que des gens ont prises en mal ?

J’ai dit beaucoup de choses sur ma carrière musicale, sur le plan social, dans les interviews que j’ai accordées à certain de vos confrères et je me rends compte que ce que j’ai dit s’est aussi réalisé. Donc je n’ai plus rien à dire.


Vous avez été candidate malheureuse à la Présidence du Conseil d’Administration du Burida et vous avez décrié la mauvaise gestion de cette maison du droit d’auteurs. Qu’est ce qui vous a fait dire que le Burida est mal géré ?

Je n’aime pas cette expression ‘’malheureuse’’. Je préfère que vous dites ‘’vous n’avez pas été prise en compte’’. Je n’ai pas été votée mais je n’ai rien à me reprocher. J’ai décrié un peu tout ce qui se passe aujourd’hui au Burida. Donc je ne peux pas être malheureuse. Si au moins les faits m’avaient donné tort, j’aurais dit que je suis malheureuse. Mais comme il apparaît que ce que j’ai dit n’est pas faux, donc je ne peux pas l’être.


Vous avez envisagé de créer une autre maison de droits d’auteur. Où en êtes-vous présentement avec ce projet ?

C’est vrai, j’ai envisagé la création d’une nouvelle maison de droits d’auteurs. Ce projet demeure. Tout est là mais j’attends que la période soit plus propice, quand je rencontrerai la personne qui croira en la vraie culture, pas celle qui est actuellement. Peut-être que ce n’est pas sûr que j’aie quelqu’un qui veuille me financer, donc j’attends d’avoir d’autres atouts plus percutants, plus convaincants, pour que la personne décide de financer ce projet, surtout que ce n’est pas un petit projet.


La Côte d’Ivoire fête ses 50 ans d’indépendance, le mois prochain. Qu’est-ce qui vous a marquée, côté culture dans les années 60?

Dans les années 60, du point de vue culture, c’était propre. C`est-à-dire que dans tout ce qu’on faisait, on voyait clair, on savait où on allait. Cela donnait même l’envie à la population de s’intéresser à ce qu’on faisait. Donc, on a vu l’évolution de certains d’entre nous et la population nous a suivis dans nos carrières respectives. On a vu qu’on évoluait par rapport à notre travail et aussi, par rapport à notre volonté d’évoluer dans ce sens. Il y avait également une certaine solidarité entre les artistes. Les dénigrements qu’on a vus et entendus depuis un certain moment, les méchancetés vaines qu’on a rencontrées çà et là, n’existaient pas à cette époque-là. Même si les gens ne se comprenaient pas, ils le faisaient de façon subtile. Ce que je voulais dire, c’est que l’être humain n’est pas facile à gérer. Donc, on ne peut pas être dans une communauté et puis s’attendre à une entente parfaite. Malgré certaines incompréhensions, on finissait par se réconcilier. Finalement, c’etait l’entente qui restait. D’ailleurs, cela se voyait quand on organisait des spectacles à Yamoussoukro. Les artistes étaient pimpants, propres de la tête aux pieds. Cette époque me manque parce qu’il y avait un travail de fond qui était fait.


Soyez un peu plus explicite

On ne s’habillait pas n’importe comment, on ne passait pas n’importe comment à la télévision. Les gens de cette époque-là, avaient soif d’une culture qui était un tout. M. Ben Soumahoro se mettait par exemple à la porte du studio lorsqu’on avait de grandes émissions pour contrôler les vêtements que nous portions. Quand il voyait que votre mise n’était pas présentable, il vous refusait l’accès du studio. Il y avait vraiment de la rigueur dans l’habillement. Aujourd’hui, certaines personnes se sont transformées en producteurs d’artistes et ce sont elles qui font la loi à la télévision; ce sont elles qui corrompent, et qui soudoient. Enfin, je ne comprends plus l’esprit de la culture. Je ne sais pas si c’est la culture qu’on veut promouvoir ou les individus. Donc, quand je ne comprends pas, je me mets un peu en retrait pour regarder jusqu’où ces agissements peuvent nous conduire.


Est-ce pour cela que l’on vous trouve renfermée ?

Peut-être c’est parce que je comprends des choses que d’autres ne comprennent pas. Je comprends très vite et comme je ne veux pas déranger, je reste dans mon coin de peur de choquer.


Qu’est-ce que vous avez dit par exemple qui aurait choqué ?

J’ai vu pendant la campagne de la présidence du Conseil d’Administration au Burida, les méchancetés qui ont été dites à mon encontre. Malgré notre modeste expérience de la culture en Côte d’Ivoire, quand vous appelez quelque chose par son nom, ça choque. Je ne veux plus choquer les gens donc je me mets à l’écart.


Est-ce-à dire que vous n’êtes pas associée aux préparatifs du cinquantenaire ?

Si! L’on m’a bien associée à l’événement. Mais quels moyens ai-je pour préparer un événement de cette envergure ? Le cinquantenaire n’est pas une petite affaire. On m’a mise dans le lot de mes aînés de Bouaké qui sont des cadres et c’est un honneur que l’on me fait. Mais le problème est que les moyens nous font défaut. Je pense donc que, si c’était vraiment sérieux comme moi, je le vois, on aurait dû mettre une logistique en place. Par exemple, mettre une ou deux voitures à la disposition des personnes qui vont à l’intérieur du pays pour sensibiliser la population.


Vous voulez dire que des moyens n’ont pas été dégagés pour la circonstance ?

Si des moyens ont été dégagés, je n’en suis pas au courant. Donc tout ce à quoi je rêvais est resté là. C’est à la préfecture de Bouaké qu’on tenait les réunions; mais elle a été saccagée. Où tenir alors les réunions ? Si c’est à domicile, ce sera chez qui ? S’il y avait une suite à cela, on m’aurait informé. Mais jusque-là, personne ne me dit quoi que ce soit.


Votre mot de fin ?

Concernant la Côte d’Ivoire, j’ai assez parlé; mais j’ai l’impression que les gens retournent ce que je dis, contre moi. Alors que je parle parce que je pense que quelque chose peut être fait de façon positive. Dans notre milieu, il y a trop de sous-entendus. Dans la culture, il faut appeler chaque chose par son nom. Là, je ne sais pas s’il y a une culture en Côte d’Ivoire actuellement. Parce que le rôle de l’artiste qui était d’être l’arbitre de la société, n’existe plus et l’artiste lui-même, s’y complaît. On ne dit plus rien, on est là et le pays se meurt. Pourtant, c’est l’artiste qui fait bouger la société. Ce sont les critiques qui font développer une société. A partir du moment où il n’y a plus de critique, c’est qu’on est appelé à mourir tout doucement. Chacun pense qu’il est assez mature. C’est normal que chacun vive sa propre expérience. Je n’ai plus donc rien à dire concernant la Côte d’Ivoire, relativement aux artistes.

Réalisée par Adèle Kouadio
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