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Économie Publié le mardi 3 août 2010 | Le Patriote

Fahé Maurice (économiste) - “Le capitalisme néolibéral est un système de corruption’’

Nous proposons dans la suite de notre enquête sur l’Ong Akoundan Ouflè, l’analyse d’un économiste, Fahé Maurice. Le Patriote : Monsieur l’économiste, comment expliquez-vous le fait que les Ivoiriens, dans leur grande majorité affluent vers les maisons de placement et les micro-finances douteuses? Fahé Maurice : Cette question fait appel à deux réponses. L’afflux comme vous le dites répond à deux besoins. Et c’est la conséquence de ces deux besoins. Le premier besoin, est que les personnes qui sont démunies sont de plus en plus nombreuses dans ce pays. Les chiffes officielles font état de 48,79% de pauvres en Côte d’Ivoire. Et je pense que la réalité est plus grave que ça. Et donc, ces centaines de milliers de citoyens, ont besoin comme les autres, de financer leurs activités, et de trouver des ressources. Et ces ressources, ils ne les trouvent pas auprès des systèmes bancaires classiques. La deuxième explication qu’on pourrait donner, c’est bien l’économie politique actuelle. Aujourd’hui, nous sommes à l’ère du capitalisme néo-libéral. Et sous le règne du capitalisme néo libéral, l’Etat ne doit pas intervenir. Il doit se désengager, faire faire. L’initiative privée devient la règle et l’intervention publique l’exception. C’est le règne de l’individualisme qui conduit à l’émiettement et la fragmentation de la société. Le capitalisme néo-libéral correspond ainsi au règne du chacun pour soi. Dans un tel système, triomphe la débrouillardise, la tricherie, la combine, l’arnaque, etc., car le capitalisme néo-libéral est un système de corruption généralisé. Ces gens sont par conséquent prêts à participer, à soutenir toute initiative placée sous l’enseigne du patriotisme. Et il y a un deuxième courant fait d’opportunistes de toutes sortes, de partisans du « c’est notre tour ». Ceux-là aspirent à « l’argent en vitesse », car ils veulent s’enrichir et vite. C’est ce second courant dont certains membres arnaquent les autres, les naïfs. Voilà un peu les raisons, en plus des raisons principales, les raisons secondaires qui permettent de comprendre aujourd’hui l’afflux des Ivoiriens allant vers les maisons de placements. LP : Donc, pour vous, c’est le système bancaire qui est défaillant ? FM : Oui, tout à fait, si l’on se place du point de vue des besoins des masses ivoiriennes. C’est le système bancaire qui est en cause. Aussi, il y a des éléments conjoncturels comme la crise qui sont à la base de cette situation. Mais, le fait majeur relève du système bancaire. Ce qui soulève le problème de la souveraineté monétaire. Si nous n’avons pas un système bancaire destiné à financer l’économie nationale, on sera à la remorque des autres pendant des siècles encore. Vous savez, il n’y a aucun pays au monde qui se soit développé avec la monnaie d’un autre. Ce n’est pas possible. La monnaie que nous avons aujourd’hui a été créée le 25 décembre 1945 pat le général de Gaulle. Aucun parlement africain n’a eu à se prononcer là-dessus. C’est une monnaie étrangère. Et d’ailleurs ce n’est même pas une monnaie, c’est un sous-multiple du franc français hier, et aujourd’hui de l’Euro. Pour résoudre quant au fond la question du financement de l’activité économique nationale, il faut sortir de ce système. LP : Mais cela ne saurait justifier le fait que l’Etat ivoirien ne joue pas son rôle régalien en ne sécurisant pas les ressources de ses concitoyens. FM : Oui bien sûr. Vous posez là une question qui est essentielle. Moi, je suis d’accord avec vous pour dire que l’Etat doit continuer à jouer son rôle. Parce que dans les pays comme les nôtres, l’Etat est tout. Les autres ne représentent rien. La question est celle de savoir quel type d’Etat il nous faut. Si vous regardez dans la Côte d’Ivoire d’hier, et vous regardez la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui, il y a une différence notable et frappante. Hier, c’était par l’Etat que la Côte d’Ivoire s’est construite. En Asie du Sud-est il en a été ainsi. En plus de cela, vous avez un pays comme la Côte d’Ivoire qui est coupé » en deux. La réalité, quand vous parlez d’Etat aujourd’hui, il ne dépasse pas la limite de la portée de votre regard, il ne va pas plus loin que là où vont vos yeux. Occupé à assurer les conditions de sa propre survie, le régime a peu de temps et de ressources à accorder à la sécurité de ceux qu’Adam Smith appelle les a-sociaux. Le délitement, de l’Etat, la déconstruction de l’Etat, ajoutés au triomphe de l’initiative privée fait que le système dans lequel nous sommes est propice à tous les vendeurs d’illusions. C’est un système de corruption. Le capitalisme libéral est un système de corruption. Quand vous parlez de banques volantes, ce n’est pas en Côte d’Ivoire que cela a commencé. C’est aujourd’hui un phénomène mondial. Les banques volantes servent à atténuer les conséquences du règne sans partage du capital financier. Elles servent à faire croire aux pauvres que quelque chose est fait pour eux, que le système ne les oublie pas. LP : On a parlé des maisons de placements, on a eu également Dôni Dôni, aujourd’hui on parle d’Akoundan Ouflê, toutes ces maisons de placements se créent et fonctionnent au nez à la barbe de l’Etat. Est-ce que vous n’avez pas le sentiment que l’Etat a démissionné ? FM : Oui, cela c’est le résultat du contexte général et du contexte économique, politique et social propre à la Côte d’Ivoire. J’ai évoqué tout à l’heure, un contexte de crise dans lequel, il y a une polarisation de la société en deux factions. Il y a ceux qui pensent et qui affirment que ce sont des patriotes, qui veulent que la Côte d’Ivoire vive de ses propres moyens. J’ai dit aussi que parmi les patriotes, il y avait deux courants, il y a les patriotes sincères et puis, il y a les autres. Et les autres, ils sont malheureusement, les plus nombreux. LP : Les autres, c’est qui exactement ? FM : C’est ceux qui sont les opportunistes de tous bords. De tous acabits, qui pensent que la présence du chef de l’Etat à leurs côtés, leur permettrait de tirer leur épingle du jeu. Ils se disent que s’ils étaient allés au PDCI, ils n’auraient pas eu ce qu’ils ont aujourd’hui. S’ils étaient allés ailleurs, ils n’auraient pas eu ce qu’ils ont aujourd’hui. Donc, se disent-ils, c’est leur temps. C’est leur tour. C’est ce courant-là qui est le courant majoritaire aujourd’hui. Et donc, les gens profitent du fait qu’il y a des gens sincères qui pensent que la Côte d’Ivoire devrait reprendre entre ses mains, les leviers monétaires, économiques, et politique de sa vie. Et c’est ce genre de personnes dont on abuse. Alors, quand vous dites que c’est au nez et à la barbe de l’Etat, évidemment, l’Etat autorise, mais, ce que l’Etat ne fait pas, c’est de sanctionner ceux qui utilisent ces éléments-là pour commettre des délits. LP : Vous avez parlé de répression tout à l’heure. Pour bon nombre d’observateurs, le laxisme de l’Etat laisse perplexe dans la répression. Si l’Etat autorise, n’a-t-il pas le droit de contrôler ? FM : Tout à fait. L’autorisation donne certes des droits, mais elle crée des responsabilités. C’est du donnant/donnant. Moi je vous autorise, mais vous avez la responsabilité de faire ceci ou de ne pas faire cela. C’est cela normalement le sens et le contenu de l’autorisation. Mais nous sommes dans un contexte où on pense que lorsqu’on défend telle position, on doit être dispensé de toute sanction, parce que si vous me sanctionnez, vous perdez l’appui, le soutien. Et on a peur de cela. Cela alimente donc l’impunité. Cela veut dire que l’Etat est en faillite. Si vous voulez que j’emprunte un chemin plus court, l’Etat actuel est un état en faillite. Et le président de l’Assemblée nationale Mamadou Koulibaly le dit, de manière subtile, quand il dit que le préalable aujourd’hui, c’est de mettre en place de nouvelles institutions, cela veut dire que celles qui sont là ne marchent pas. LP : Quelle analyse faites-vous alors de la manière dont le chef de l’Etat béninois à gérer la question des maisons de placement d’argent ? FM : Là, vous me posez une question de comparaison. Le Bénin ne connaît pas la crise que nous connaissons. C’est déjà un élément extrêmement important. Et puis, la société béninoise, dans son parcours, dans son évolution, est tout à fait différente de la société ivoirienne. Nous en sommes encore à faire nos classes quant à la régulation des crises internes. La société ivoirienne est en plus très polarisée. On a parlé de chauvinisme, d’ivoirité, de ceci ou de cela, et pour moi, toutes ces questions doivent être résolues pour qu’on en revienne à une société paisible qui règle les problèmes de la vie, conformément à la loi. C’est pourquoi, je dis que l’Etat actuel est un état en faillite. Parce que si l’Etat ne peut pas fonctionner conformément à la loi qu’il se donne, cela sous-entend qu’il n’existe pas d’Etat. LP : La crise pourrait-elle tout justifier ? FM : La crise ne justifie pas tout. Cependant, elle doit amener les citoyens à se poser les questions qui méritent d’être posées. Aujourd’hui, c’est quoi la question qui doit être posée, moi je répondrais que c’est la question de la liberté, du pain et de paix. Mais peut être que vous avez une solution qui est différente de la mienne. LP : Selon vous, comment peut-on en sortir de toutes ces escroqueries qui s’organisent à n’en point finir ? Ou comment y mettre fin ? FM : Alors, on en revient à la même chose. L’économique est au service du politique. Vous comprenez ce que je veux dire. C’est-à-dire que le préalable à tout, c’est une bonne décision politique. L’économiste est un technicien, mais la technique doit pouvoir être mise au service du politique. Voilà, aujourd’hui, nous ne sommes pas dans une situation où la technique pourrait se mettre valablement au service d’idée, laquelle d’ailleurs, on ne voit pas. Alors vous dites comment est-ce qu’on doit faire pour s’en sortir, moi je dis, et je suis d’avis avec Mamadou Koulibaly, il faut de nouvelles institutions. Il faut une nouvelle légalité, une nouvelle légitimité. Il faut transformer notre Etat, en un Etat démocratique, qui fonctionne selon les principes du droit, selon la loi. C’est ce que les autres appellent un Etat de droit. Mais pour parvenir à cela, il faut que les Ivoiriens qui désirent la liberté, le pain et la paix se rassemblent. Ce dont il s’agit, c’est d’une révolution démocratique. Nous sommes en phase de révolution démocratique. Il faut faire la révolution démocratique jusqu’au bout. Si cette révolution démocratique ne va pas jusqu’au bout, si elle est une fois encore ajournée par un jeu de passe comme en 1990, nous connaîtrons d’autres crises de régimes peut-être plus laide que celle d’aujourd’hui. LP : Dans cette reconstruction, quelle devrait être le visage du système bancaire ivoirien ? FM : Le système bancaire que nous pourrions avoir ne peut être que le reflet des aspirations que nous avons aujourd’hui. C’est-à-dire un système bancaire qui réponde aux besoins des citoyens ivoiriens et de l’économie ivoirienne. LP : Est-ce que le rayonnement auquel on assiste dans le système bancaire ne vous contredit pas? FM : Vous me parlez de quel rayonnement. Tout dépend de quel point de vue on se place. La Côte d’Ivoire est endettée comme jamais. Nous sommes sous Dsrp (Dossier stratégique de réduction de la pauvreté), sous l’initiative Ppte, à la recherche du point d’achèvement etc. On n’a même plus l’ambition d’éradiquer la pauvreté, on ne veut plus que la réduire. Vous croyez que c’est cela le rayonnement ? D’ailleurs un rapport de la Banque de France fait état de ce qu’il y a trop de banques dans la zone Uemoa. Mais plus de 50% des dépôts sont le fait des éternelles banques coloniales. Il y a certes beaucoup de guichets, mais tous ces guichets n’ont pas la même importance. D’ailleurs, toutes ces banques sont concentrées à Abidjan et le problème du financement de l’activité économique, du financement du développement se pose toujours avec la même acuité. Vous parlez de rayonnement, moi je ne suis pas de votre avis. Coulibaly Brahima
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