Prendre le pouvoir pour nationaliser l’économie et faire partir l’armée française… un projet de société qui ne souffre d’aucune concession. Pour l’Okpadjélé, le sang parle mieux aux masses, car c’est le vrai langage de la politique.
Le lundi 27 octobre 1970, un groupe d’hommes d’une ethnie bété (la tribu guébié) de la région de Gagnoa, monte à l’assaut de ce centre en tenue de guerre traditionnelle. A leur tête, un jeune ‘’intellectuel’’ de la tribu, Kragbé Gnagbé Okpadjélé, qui avait déjà une fois, manifesté son hostilité au régime du Président Houphouët-Boigny. Un drapeau blanc et noir est planté devant la sous-préfecture, un autre devant la gendarmerie, dont les occupants ouvrent le feu. Cinq assaillants sont tués. Un officier de police (le commandant du corps urbain Obou Kouassi, (ndlr) délégué pour parlementer, est abattu. Les insurgés se replient. Mais déjà des renforts arrivent d’Abidjan. Les représailles s’organisent : ce qui se passe dans les jours qui suivent, personne ne le saura sans doute jamais. Des Guébié sont tués, mais aussi des Baoulé, disait-on, dans des campements isolés par des Guébié en fuite… » (1).
‘’Houphouët n’est plus notre chef et ne le sera plus’’
Ainsi, commencent en 1970, les « incidents de Gagnoa » ou « l’affaire Kragbé Gnagbé ». Kragbé Gnagbé, natif du village de Gaba, dans le canton guébié, à la tête d’une centaine de membres de son parti interdit, le Parti national africain (Pna), armés de fusils et de machettes, assiègent la ville de Gagnoa. Ils descendent le drapeau tricolore (orange, blanc, vert), symbole de la nation ivoirienne, et érigent leur propre drapeau sur les mâts de la sous-préfecture et du commissariat de police. Kragbé Gnagbé proclame la république d’Eburnie, dont il s’autoproclame « Chancelier » et « Commandant en chef de l’armée populaire nationaliste ». Il publie un manifeste, « La proclamation aux tribus d’Eburnie », et une constitution qu’il appelle « La loi organique de l’Etat d’Eburnie » (lire les deux encadrés). Et forme un gouvernement avec des ministres essentiellement bété. « La conscience ethnique devient ainsi mouvement régionaliste » qui souligne, selon l’anthropologue Jean-Pierre Dozon, « l’aspiration clairement séparatiste » du Pana. C’est le casus belli. De retour de France où il a fait des études, Kragbé Gnagbé se lance dans la politique. Se conformant à la constitution ivoirienne qui prévoit, en son article 7, le multipartisme, il crée un parti politique : le Parti national africain. Aussitôt interdit. Il est arrêté, traduit devant le Conseil national (instance du Pdci-Rda) pour s’expliquer. Il sera remis en liberté « pour prendre part lui aussi, à la construction nationale », mais dans le cadre du parti unique (Lire la déclaration du Conseil national).
Le leader du Pana profite de ces moments pour regagner sa région d’origine, organiser ses parents et sa résistance pour la conquête du pouvoir d’Etat. Ce fut chose faite en octobre 1970. « Jusqu’à la convocation, à Abidjan, de l’Assemblée consultative, j’assume le pouvoir politique et militaire à la tête du gouvernement provisoire de l’Etat d’Ebunie, gouvernement d’union nationale », déclare-t-il. Pour d’une part, contester la suprématie baoulé et d’autre part, prendre le pouvoir pour nationaliser l’économie et faire partir l’armée française. Car, non seulement « l’Opadjélé » ne reconnaissait plus le pouvoir de Félix Houphouët-Boigny, qui « n’est plus notre chef et ne le sera plus, n’en déplaise au gouvernement français » dont il serait « le valet », mais encore, la constitution de son nouvel Etat était en faveur d’une expropriation des allogènes baoulé installés dans la région de Gagnoa.
En août 1966 déjà, il avait fait distribuer, dans tous les quartiers d’Abidjan, des tracts d’un « gouvernement révolutionnaire clandestin » qui dénonce « le vol des terres des paysans bété par des allogènes baoulé, avec la complicité du pouvoir central ».
Le Pdci-Rda, parti unique, prend la menace insurrectionnelle très au sérieux et lance l’offensive. Après les premières escarmouches à Gagnoa, Kragbé Gnagbé et son armée se retirent dans un maquis situé entre les villages de Bobia, Dikouéhipalégnoa et de Tipadipa, dans les cantons Paccolo et Guébié. Le « Chancelier de l’Etat d’Eburnie » ne faisait pas l’unanimité dans sa région natale. Après son arrestation puis sa libération, certains ont commencé à prendre leurs distances et à se méfier de lui. Et surtout sa propension séditieuse et les exactions (racket des paysans à travers des impôts sauvages, menaces contre ceux qu’il accusait de collaborer avec le pouvoir Pdci-Rda, etc.) n’ont fait qu’excéder des Bété qui voyaient d’un mauvais œil son action. Kragbé Gnagbé et son armée font alors subir des représailles aux populations allochtones traitées de suppôts du pouvoir central et autochtones accusées de collaboration avec « l’ennemi ». Dans les villages et sur les routes, l’armée de Kragbé Gnagbé contrôle les identités et passe systématiquement à l’arme à feu ou à l’arme blanche, les « ennemis ».
Une semaine après le siège de Gagnoa par les sécessionnistes, l’armée nationale conduite par l’officier Gaston Ouassénan Koné intervient, prend rapidement le contrôle de la situation dans la région, en matant l’insurrection. « C’était un mouvement ethnique et insurrectionnel, qui s’attaquait aux autres ethnies et aux emblèmes de la République. L’ordre républicain devait être – et a été – rétabli », justifie Georges Ouégnin, ancien directeur du protocole d’Etat de Côte d’Ivoire (Cf. Côte d’Ivoire : 50 ans d’indépendance, Jeune Afrique spécial n°3).
Le lundi 27 octobre 1970, un groupe d’hommes d’une ethnie bété (la tribu guébié) de la région de Gagnoa, monte à l’assaut de ce centre en tenue de guerre traditionnelle. A leur tête, un jeune ‘’intellectuel’’ de la tribu, Kragbé Gnagbé Okpadjélé, qui avait déjà une fois, manifesté son hostilité au régime du Président Houphouët-Boigny. Un drapeau blanc et noir est planté devant la sous-préfecture, un autre devant la gendarmerie, dont les occupants ouvrent le feu. Cinq assaillants sont tués. Un officier de police (le commandant du corps urbain Obou Kouassi, (ndlr) délégué pour parlementer, est abattu. Les insurgés se replient. Mais déjà des renforts arrivent d’Abidjan. Les représailles s’organisent : ce qui se passe dans les jours qui suivent, personne ne le saura sans doute jamais. Des Guébié sont tués, mais aussi des Baoulé, disait-on, dans des campements isolés par des Guébié en fuite… » (1).
‘’Houphouët n’est plus notre chef et ne le sera plus’’
Ainsi, commencent en 1970, les « incidents de Gagnoa » ou « l’affaire Kragbé Gnagbé ». Kragbé Gnagbé, natif du village de Gaba, dans le canton guébié, à la tête d’une centaine de membres de son parti interdit, le Parti national africain (Pna), armés de fusils et de machettes, assiègent la ville de Gagnoa. Ils descendent le drapeau tricolore (orange, blanc, vert), symbole de la nation ivoirienne, et érigent leur propre drapeau sur les mâts de la sous-préfecture et du commissariat de police. Kragbé Gnagbé proclame la république d’Eburnie, dont il s’autoproclame « Chancelier » et « Commandant en chef de l’armée populaire nationaliste ». Il publie un manifeste, « La proclamation aux tribus d’Eburnie », et une constitution qu’il appelle « La loi organique de l’Etat d’Eburnie » (lire les deux encadrés). Et forme un gouvernement avec des ministres essentiellement bété. « La conscience ethnique devient ainsi mouvement régionaliste » qui souligne, selon l’anthropologue Jean-Pierre Dozon, « l’aspiration clairement séparatiste » du Pana. C’est le casus belli. De retour de France où il a fait des études, Kragbé Gnagbé se lance dans la politique. Se conformant à la constitution ivoirienne qui prévoit, en son article 7, le multipartisme, il crée un parti politique : le Parti national africain. Aussitôt interdit. Il est arrêté, traduit devant le Conseil national (instance du Pdci-Rda) pour s’expliquer. Il sera remis en liberté « pour prendre part lui aussi, à la construction nationale », mais dans le cadre du parti unique (Lire la déclaration du Conseil national).
Le leader du Pana profite de ces moments pour regagner sa région d’origine, organiser ses parents et sa résistance pour la conquête du pouvoir d’Etat. Ce fut chose faite en octobre 1970. « Jusqu’à la convocation, à Abidjan, de l’Assemblée consultative, j’assume le pouvoir politique et militaire à la tête du gouvernement provisoire de l’Etat d’Ebunie, gouvernement d’union nationale », déclare-t-il. Pour d’une part, contester la suprématie baoulé et d’autre part, prendre le pouvoir pour nationaliser l’économie et faire partir l’armée française. Car, non seulement « l’Opadjélé » ne reconnaissait plus le pouvoir de Félix Houphouët-Boigny, qui « n’est plus notre chef et ne le sera plus, n’en déplaise au gouvernement français » dont il serait « le valet », mais encore, la constitution de son nouvel Etat était en faveur d’une expropriation des allogènes baoulé installés dans la région de Gagnoa.
En août 1966 déjà, il avait fait distribuer, dans tous les quartiers d’Abidjan, des tracts d’un « gouvernement révolutionnaire clandestin » qui dénonce « le vol des terres des paysans bété par des allogènes baoulé, avec la complicité du pouvoir central ».
Le Pdci-Rda, parti unique, prend la menace insurrectionnelle très au sérieux et lance l’offensive. Après les premières escarmouches à Gagnoa, Kragbé Gnagbé et son armée se retirent dans un maquis situé entre les villages de Bobia, Dikouéhipalégnoa et de Tipadipa, dans les cantons Paccolo et Guébié. Le « Chancelier de l’Etat d’Eburnie » ne faisait pas l’unanimité dans sa région natale. Après son arrestation puis sa libération, certains ont commencé à prendre leurs distances et à se méfier de lui. Et surtout sa propension séditieuse et les exactions (racket des paysans à travers des impôts sauvages, menaces contre ceux qu’il accusait de collaborer avec le pouvoir Pdci-Rda, etc.) n’ont fait qu’excéder des Bété qui voyaient d’un mauvais œil son action. Kragbé Gnagbé et son armée font alors subir des représailles aux populations allochtones traitées de suppôts du pouvoir central et autochtones accusées de collaboration avec « l’ennemi ». Dans les villages et sur les routes, l’armée de Kragbé Gnagbé contrôle les identités et passe systématiquement à l’arme à feu ou à l’arme blanche, les « ennemis ».
Une semaine après le siège de Gagnoa par les sécessionnistes, l’armée nationale conduite par l’officier Gaston Ouassénan Koné intervient, prend rapidement le contrôle de la situation dans la région, en matant l’insurrection. « C’était un mouvement ethnique et insurrectionnel, qui s’attaquait aux autres ethnies et aux emblèmes de la République. L’ordre républicain devait être – et a été – rétabli », justifie Georges Ouégnin, ancien directeur du protocole d’Etat de Côte d’Ivoire (Cf. Côte d’Ivoire : 50 ans d’indépendance, Jeune Afrique spécial n°3).