A quoi sert le journalisme ? Cette question, qui est moins triviale qu’il n’y paraît à première vue, devrait mobiliser, non seulement la profession, mais aussi la société entière. Il est clair qu’il ne saurait y avoir de réponse monolithique à cette interrogation. Mais il est plus que nécessaire de structurer la réflexion.
Il nous semble, pour notre part, qu’il est utile de rapprocher deux figures, afin de mieux mener le débat. Celle, contemporaine, du journaliste africain, dans sa dimension «engagée», et celle du prophète des temps bibliques. Pourquoi la mise en parallèle est-elle pertinente ? Parce que les deux acteurs évoluent dans des systèmes politiques dont l’ouverture n’est pas la caractéristique première : des monarchies théocratiques d’une part, et des simili-démocraties où le culte du chef est omniprésent d’autre part. L’un comme l’autre font face à un même défi : dire une parole alternative et dérangeante là où la société hésite entre la complaisance et la peur. En effet, le progrès est impossible là où l’altérité est contrariée, là où la pensée unique règne, confortée par les égoïsmes et les petits calculs à court terme.
Le défi de la parole dérangeante n’est pas une mince affaire. Notre culture politique est totalitaire, même quand dans le quotidien de nos régimes sont en voie de démocratisation. Les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire se confondent et neutralisent souvent des vérités qui devraient être criées, si l’intérêt général était au centre des préoccupations. Plus globalement, la culture populaire peut sembler sommaire et prompte à juger sans comprendre. Et la population pour laquelle le journaliste engagé se bat peut ne pas toujours cerner son intérêt, prise qu’elle est au piège des passions partisanes.
Le prophète parle de la part de Dieu, le journaliste doit être la voix du peuple, qui, dit la tradition, est la voix de Dieu. Le journaliste doit avoir le phénoménal courage de parler, à temps et à contretemps. Dire les vérités qui rassurent, mais également celles qui dérangent. Le prophète n’est pas, dans la tradition biblique, seulement celui qui prédit l’avenir. Il est aussi celui qui «reprend» la société, et lui donne de se regarder telle qu’elle est, afin de se repentir – de se réformer. «Lève-toi, va à Ninive, la grande ville, et crie contre elle ! car sa méchanceté est montée jusqu'à moi», demande ainsi Jahvé au prophète Jonas. C’est le prophète Nathan que Jahvé envoie au roi David pour le convaincre de sa faute et de son injustice quand il fait tuer un de ses soldats pour prendre sa femme. Comme nous, journalistes d’aujourd’hui, Jonas et Nathan avaient peur des effets de leur parole. Mais c’était leur «job» que de dire le mot difficile à dire. Et ils l’accomplissaient…
Le prophète biblique est, peut-on rétorquer, protégé par le sacré. Le journaliste, lui aussi, peut être protégé. Par une opinion qui, parce qu’elle en a eu l’expérience, a désormais compris l’utilité fondamentale des «diseurs de vérités». Le prophète a le pouvoir de dévoiler l’avenir, peut-on ajouter. Le journaliste, en éclairant l’actualité, peut de son côté permettre à tout citoyen ayant le sens du discernement, d’ouvrir les portes de l’avenir. Le prophète biblique, souvent, met le peuple face à un carrefour. Selon la voie qu’il choisit, plusieurs destinées s’offrent à lui.
Un des atouts du prophète des temps anciens, c’est sa crédibilité. Elle a été éprouvée par le temps. Il n’est pas lui-même acteur de la vie publique, dans l’arène, bataillant pour sa chapelle politique, pour ses intérêts immédiats. Il ne protège ni ne pourfend le roi. Il est le plus grand loyaliste, parce qu’il sait plus que personne que le roi est oint par Dieu avant d’être porté par les hommes. Il n’est donc pas un opposant. Son légitimisme ne contrarie pas sa liberté de ton. Au contraire, c’est sa révérence au roi, son amour du pays et sa crainte de Dieu qui l’obligent à ne pas crier avec la meute, à ne pas rejoindre le cercle des applaudisseurs, à se tenir loin des passions courtisanes. A être le gardien de l’intérêt général.
Bien entendu, le journaliste n’est pas le seul à pouvoir remplir la mission «prophétique» dans notre contexte de société laïque. Les religieux, les membres de la société civile, les artistes, les universitaires sont tous appelés par l’Histoire à jouer le rôle difficile de vigies de leur temps. Sans haine et sans complaisance. Le défi est immense, et nul ne peut prétendre le relever sans l’aide de Dieu. Mais nous sommes tous appelés à essayer…
* Cet édito est une rédiffusion.
Il nous semble, pour notre part, qu’il est utile de rapprocher deux figures, afin de mieux mener le débat. Celle, contemporaine, du journaliste africain, dans sa dimension «engagée», et celle du prophète des temps bibliques. Pourquoi la mise en parallèle est-elle pertinente ? Parce que les deux acteurs évoluent dans des systèmes politiques dont l’ouverture n’est pas la caractéristique première : des monarchies théocratiques d’une part, et des simili-démocraties où le culte du chef est omniprésent d’autre part. L’un comme l’autre font face à un même défi : dire une parole alternative et dérangeante là où la société hésite entre la complaisance et la peur. En effet, le progrès est impossible là où l’altérité est contrariée, là où la pensée unique règne, confortée par les égoïsmes et les petits calculs à court terme.
Le défi de la parole dérangeante n’est pas une mince affaire. Notre culture politique est totalitaire, même quand dans le quotidien de nos régimes sont en voie de démocratisation. Les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire se confondent et neutralisent souvent des vérités qui devraient être criées, si l’intérêt général était au centre des préoccupations. Plus globalement, la culture populaire peut sembler sommaire et prompte à juger sans comprendre. Et la population pour laquelle le journaliste engagé se bat peut ne pas toujours cerner son intérêt, prise qu’elle est au piège des passions partisanes.
Le prophète parle de la part de Dieu, le journaliste doit être la voix du peuple, qui, dit la tradition, est la voix de Dieu. Le journaliste doit avoir le phénoménal courage de parler, à temps et à contretemps. Dire les vérités qui rassurent, mais également celles qui dérangent. Le prophète n’est pas, dans la tradition biblique, seulement celui qui prédit l’avenir. Il est aussi celui qui «reprend» la société, et lui donne de se regarder telle qu’elle est, afin de se repentir – de se réformer. «Lève-toi, va à Ninive, la grande ville, et crie contre elle ! car sa méchanceté est montée jusqu'à moi», demande ainsi Jahvé au prophète Jonas. C’est le prophète Nathan que Jahvé envoie au roi David pour le convaincre de sa faute et de son injustice quand il fait tuer un de ses soldats pour prendre sa femme. Comme nous, journalistes d’aujourd’hui, Jonas et Nathan avaient peur des effets de leur parole. Mais c’était leur «job» que de dire le mot difficile à dire. Et ils l’accomplissaient…
Le prophète biblique est, peut-on rétorquer, protégé par le sacré. Le journaliste, lui aussi, peut être protégé. Par une opinion qui, parce qu’elle en a eu l’expérience, a désormais compris l’utilité fondamentale des «diseurs de vérités». Le prophète a le pouvoir de dévoiler l’avenir, peut-on ajouter. Le journaliste, en éclairant l’actualité, peut de son côté permettre à tout citoyen ayant le sens du discernement, d’ouvrir les portes de l’avenir. Le prophète biblique, souvent, met le peuple face à un carrefour. Selon la voie qu’il choisit, plusieurs destinées s’offrent à lui.
Un des atouts du prophète des temps anciens, c’est sa crédibilité. Elle a été éprouvée par le temps. Il n’est pas lui-même acteur de la vie publique, dans l’arène, bataillant pour sa chapelle politique, pour ses intérêts immédiats. Il ne protège ni ne pourfend le roi. Il est le plus grand loyaliste, parce qu’il sait plus que personne que le roi est oint par Dieu avant d’être porté par les hommes. Il n’est donc pas un opposant. Son légitimisme ne contrarie pas sa liberté de ton. Au contraire, c’est sa révérence au roi, son amour du pays et sa crainte de Dieu qui l’obligent à ne pas crier avec la meute, à ne pas rejoindre le cercle des applaudisseurs, à se tenir loin des passions courtisanes. A être le gardien de l’intérêt général.
Bien entendu, le journaliste n’est pas le seul à pouvoir remplir la mission «prophétique» dans notre contexte de société laïque. Les religieux, les membres de la société civile, les artistes, les universitaires sont tous appelés par l’Histoire à jouer le rôle difficile de vigies de leur temps. Sans haine et sans complaisance. Le défi est immense, et nul ne peut prétendre le relever sans l’aide de Dieu. Mais nous sommes tous appelés à essayer…
* Cet édito est une rédiffusion.