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Politique Publié le mardi 5 octobre 2010 | Le Nouveau Courrier

Pourquoi la démocratie n’est pas un luxe pour les Africains

Avant de répondre à cette question, il n’est pas inutile de rappeler la définition de la démocratie. Pour moi, on peut parler de démocratie lorsque le peuple («demos» en grec) choisit librement les personnes qui vont le gouverner pendant quatre, cinq ou sept ans, ce qui revient à dire que, dans le système démocratique, le pouvoir appartient au peuple puisque lui seul a la capacité de faire et de défaire.
Ce système, auquel la plupart des premiers présidents mirent fin aussitôt après avoir accédé au pouvoir, force est d’admettre qu’il peine à s’imposer sur le continent. En effet, hormis le Mali, le Bénin, Sao Tomé, Botswana, la Tanzanie, la Zambie, etc., nombre de pays africains continuent d’être confrontés à des pratiques qui n’ont rien à voir avec la démocratie : modification de la Constitution, trucage des élections, remplacement de l’ancien président par son fils, médias et justice aux ordres, arrestation et emprisonnement des journalistes pour «offense au chef de l’Etat», etc. Il en va ainsi peut-être parce qu’on ne se débarrasse pas aussi facilement de 30 ans de monolithisme synonyme d’immobilisme. Faut-il pour autant penser avec Jacques Chirac que la démocratie pluraliste ne convient guère à l’Afrique et qu’il faudrait une démocratie taillée sur mesure pour les Africains (Cf. Jeune Afrique du 27 mai 1987, p. 32) ? Ma réponse est que les Africains n’aspirent nullement à une démocratie au rabais mais à cette démocratie libérale qui, «née dans la douleur au sein d’une société britannique aristocratique et à dominante masculine, transplantée dans une société américaine toujours à dominante masculine et de surcroît esclavagiste, mit du temps à s’imposer en Europe continentale (Antoine Séry, Côte d’Ivoire. Après la faillite, l’espoir?, L’Harmattan, 1990, p. 119). Pourquoi ? D’abord, parce qu’ils sont des hommes et des femmes à part entière. Ensuite, parce que le système démocratique permet de conquérir le pouvoir sans tuer et de le quitter sans être tué.
Troisième raison : la démocratie empêche celui qui a été élu à la magistrature suprême de faire n’importe quoi. Par exemple, interférer dans le judiciaire et le législatif. Montesquieu (1689-1755) appelait cela non pas la séparation mais l’équilibre des pouvoirs : «Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.» (De l’esprit des lois, livre XI, chapitre IV).
Quatrièmement, la démocratie est préférable à la monarchie (gouvernement d’un seul), à la gérontocratie (gouvernement des vieux) ou à la ploutocratie (gouvernement des riches) parce qu’elle ne fait pas du peuple «une simple masse, un volume, un poids, rien» (François Roustang, Il suffit d’un geste, Odile Jacob, 2004, pp. 137-138) alors que le «guide» ou le «timonier» est tout, sait tout, a droit à tout et commande tout. Le témoignage de Charles Donwahi est, de ce point de vue, instructif : «Le système institué par le chef de l’État faisait de lui la seule source de droit. Il était le seul qui condamnait, emprisonnait et libérait de façon régalienne. Cette conception des choses prévalut dans toutes les affaires politiques.» (La foi et l’action, Itinéraire d’un humaniste, Paris, De mémoire d’homme, 1997, p. 64).
Enfin, la démocratie offre la possibilité non pas d’injurier ni de diffamer mais de parler de ce qui est positif et négatif dans l’action des gouvernants. Ce droit à la critique constructive est nécessaire à toute société qui désire progresser. Le vrai démocrate reconnaît le droit au désaccord car, «pour qu’il y ait démocratie, il faut que les citoyens soient libres d’être d’accord ou de ne pas être d’accord avec ce qui se fait» (Laurent Gbagbo, Côte d’Ivoire. Agir pour les libertés, Paris, L’Harmattan, 1991, p. 106), il se souvient au contraire que «tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute» , que la tentation est grande, pour les détenteurs du pouvoir, «d’arrêter le développement qu’ils ont à instaurer, et de substituer ainsi leur maintien à la loi qui leur fixe pour rôle d’être l’un des éléments nécessaires à la vitalité du groupe» (Michel de Certeau, La faiblesse de croire, Paris, Seuil, 1987, p. 133).
La démocratie ainsi présentée n’est pas parfaite; elle n’est pas non plus une panacée en ce sens qu’elle ne réglera pas tous nos problèmes. En effet, on peut avoir un pays démocratique et ne pas être capable de manger à sa faim, de se soigner, d’avoir les moyens de mettre ses enfants à l’école, de vivre dans un quartier propre. Et l’Afrique traditionnelle, comment était-elle dirigée ? Pour l’historien Joseph Ki Zerbo, «on faisait comprendre au roi, avant d’être investi, qu’il devait régner au profit du peuple. Le roi, dans la plupart des cas, prononçait des serments et s’engageait solennellement, au nom des ancêtres, à travailler pour la population et à ne pas commettre des abus, des actes de vol, de détournement de femmes, etc. Un contrat liant le roi et sa population par un engagement réciproque était souvent conclu, par exemple en pays ashanti. Le roi lui-même était sous la surveillance d’un certain nombre de pouvoirs partiels, par exemple ses conseillers ou les griots» (À quand l’Afrique ? Entretien avec René Holenstein, Paris, Éditions de l’Aube, coll. «Poche essai», 2004, pp. 73-74).

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