Les Afriques - Fondateur du cabinet de conseil financier Directway Consulting, opérant majoritairement en Afrique, Ezzeddine Saïdane retrace pour Les Afriques l’évolution des systèmes financiers africains au cours des cinquante dernières années.
Les Afriques : Comment jugez-vous l’évolution des systèmes financiers africains depuis les indépendances ?
Ezzeddine Saïdane : Comme le suggère bien le titre de votre journal, le paysage financier africain compte plusieurs « Afriques ». Globalement, les systèmes financiers africains ont évolué à quatre vitesses depuis les indépendances. Avec un système financier aujourd’hui mature, l’Afrique du Sud constitue un cas à part. Les banques de ce pays trustent toujours les premiers rangs dans tous les classements des banques africaines. La Bourse de Johannesburg est aussi une exception, puisqu’elle représentait 85% du total de la capitalisation boursière d’Afrique subsaharienne, en 2008.
« Entre 2007 et 2009, plus de 10 milliards de dollars ont été levés sur 18 places financières africaines.»
Un deuxième groupe de pays africains dispose aujourd’hui de systèmes financiers en voie de maturité. Ce groupe comprend, notamment, le Nigeria, l’Egypte et le Maroc. Dans ces pays, les systèmes financiers reposent sur des banques qui ont acquis une taille importante grâce à un mouvement de concentration et à des opérations d’assainissement, ainsi que sur des marchés financiers bénéficiant d’une certaine profondeur et relativement liquides.
L’Afrique compte aussi des pays disposant de systèmes financiers qu’il serait peut être encore tôt de qualifier de pré-émergents, mais qui connaissent un développement rapide depuis une dizaine d’années. Ce groupe de pays comprend, notamment, le Ghana, la Tunisie, les Seychelles, le Cap-Vert et l’Ile Maurice. Ce dernier pays a eu récemment le courage de lancer une Bourse de commodities. Le reste des pays du continent est à la traine, avec des systèmes financiers dominés par des banques peu développées.
LA : Quelles sont les raisons du retard qu’accusent la majorité des pays africains en matière de développement des systèmes financiers ?
ES : Juste après les indépendances, la quasi-totalité des pays africains ont procédé à la nationalisation de leurs institutions financières. Le dirigisme étatique a été à l’origine de l’orientation du crédit aux entreprises publiques et à certains secteurs dits prioritaires. Le secteur bancaire a été aussi utilisé pour le financement du déficit budgétaire. Dans le même temps, les autres secteurs de l’économie, considérés comme non prioritaires, ont fait l’objet d’un rationnement de crédit.
Outre l’interventionnisme étatique, qui s’est poursuivi pendant au moins deux décennies, les systèmes financiers africains ont pâti de la faiblesse de l’environnement légal et de la dégradation de l’environnement macroéconomique. Dès le début des années 80, les pays africains ont entrepris des programmes d’ajustements structurels comprenant un volet financier. Les résultats des réformes préconisées par ces programmes ont été mitigés. Malgré les progrès réalisés par ce processus de libéralisation poussif, une part significative des banques est restée entre les mains des Etats. L’arrivée des capitaux étrangers dans les secteurs bancaires africains n’a pas non plus eu des retombées positives manifestes sur nos marchés.
Profitant de l’amélioration de leur situation macroéconomique financière dans les années 90, certains pays africains comme l’Afrique du Sud, l’Egypte et le Maroc ont, toutefois, renforcé leurs processus de libéralisation financière, amélioré leur niveau de régulation et provoqué un mouvement de concentration dans le secteur. Ils se sont ainsi dotés de systèmes bancaires solides, qui ont commencé à sortir de leurs frontières pour créer de véritables réseaux panafricains. Dans ces pays, le développement des marchés boursiers a été davantage le résultat de la croissance économique, que l’un de ses moteurs.
Une nouvelle dynamique s’est, d’autre part, enclenchée depuis environ une dizaine d’années dans de nombreux autres pays africains, grâce à la poursuite des efforts d’assainissement du secteur bancaire, à l’amélioration de la croissance économique sur l’ensemble du continent et à la multiplication des Bourses de valeurs mobilières. Entre 2007 et 2009, plus de 10 milliards de dollars ont été levés sur 18 places financières africaines.
LA : Que reste-t-il à faire pour conserver et consolider la nouvelle dynamique des systèmes financiers africains ?
ES : Les progrès réalisés sont évidents, mais la distance qui reste à parcourir est encore longue. L’accès des entreprises privées africaines aux crédits bancaires est difficile, et moins de 20% des particuliers disposent d’un compte en banque. Se focaliser sur le développement des places financières serait prématuré dans les pays africains manquant d’un secteur bancaire suffisamment mature et d’une demande réelle de la part des entreprises pour des instruments de financement alternatifs. D’où la nécessité de se concentrer sur le développement des systèmes bancaires, quitte à prendre parfois des mesures douloureuses. Au Maroc, par exemple, la Banque centrale a interdit la distribution de dividendes pendant huit ans pour recapitaliser les banques ! Le développement des systèmes financiers nécessite aussi la mise en place d’un ensemble de politiques visant à assurer la stabilité économique et à stimuler la confiance des investisseurs. L’Afrique a aujourd’hui de quoi séduire. Le boom actuel des matières premières, que se disputent désormais la Chine, les Etats-Unis, l’Inde et l’Europe, donne à l’Afrique des perspectives de croissance exceptionnelles. Le FMI a d’ailleurs estimé que la croissance du PIB de l’Afrique subsaharienne avoisinerait les 6% par an, à partir de l’année 2011.
Propos recueillis par Walid Kéfi, Tunis
Les Afriques : Comment jugez-vous l’évolution des systèmes financiers africains depuis les indépendances ?
Ezzeddine Saïdane : Comme le suggère bien le titre de votre journal, le paysage financier africain compte plusieurs « Afriques ». Globalement, les systèmes financiers africains ont évolué à quatre vitesses depuis les indépendances. Avec un système financier aujourd’hui mature, l’Afrique du Sud constitue un cas à part. Les banques de ce pays trustent toujours les premiers rangs dans tous les classements des banques africaines. La Bourse de Johannesburg est aussi une exception, puisqu’elle représentait 85% du total de la capitalisation boursière d’Afrique subsaharienne, en 2008.
« Entre 2007 et 2009, plus de 10 milliards de dollars ont été levés sur 18 places financières africaines.»
Un deuxième groupe de pays africains dispose aujourd’hui de systèmes financiers en voie de maturité. Ce groupe comprend, notamment, le Nigeria, l’Egypte et le Maroc. Dans ces pays, les systèmes financiers reposent sur des banques qui ont acquis une taille importante grâce à un mouvement de concentration et à des opérations d’assainissement, ainsi que sur des marchés financiers bénéficiant d’une certaine profondeur et relativement liquides.
L’Afrique compte aussi des pays disposant de systèmes financiers qu’il serait peut être encore tôt de qualifier de pré-émergents, mais qui connaissent un développement rapide depuis une dizaine d’années. Ce groupe de pays comprend, notamment, le Ghana, la Tunisie, les Seychelles, le Cap-Vert et l’Ile Maurice. Ce dernier pays a eu récemment le courage de lancer une Bourse de commodities. Le reste des pays du continent est à la traine, avec des systèmes financiers dominés par des banques peu développées.
LA : Quelles sont les raisons du retard qu’accusent la majorité des pays africains en matière de développement des systèmes financiers ?
ES : Juste après les indépendances, la quasi-totalité des pays africains ont procédé à la nationalisation de leurs institutions financières. Le dirigisme étatique a été à l’origine de l’orientation du crédit aux entreprises publiques et à certains secteurs dits prioritaires. Le secteur bancaire a été aussi utilisé pour le financement du déficit budgétaire. Dans le même temps, les autres secteurs de l’économie, considérés comme non prioritaires, ont fait l’objet d’un rationnement de crédit.
Outre l’interventionnisme étatique, qui s’est poursuivi pendant au moins deux décennies, les systèmes financiers africains ont pâti de la faiblesse de l’environnement légal et de la dégradation de l’environnement macroéconomique. Dès le début des années 80, les pays africains ont entrepris des programmes d’ajustements structurels comprenant un volet financier. Les résultats des réformes préconisées par ces programmes ont été mitigés. Malgré les progrès réalisés par ce processus de libéralisation poussif, une part significative des banques est restée entre les mains des Etats. L’arrivée des capitaux étrangers dans les secteurs bancaires africains n’a pas non plus eu des retombées positives manifestes sur nos marchés.
Profitant de l’amélioration de leur situation macroéconomique financière dans les années 90, certains pays africains comme l’Afrique du Sud, l’Egypte et le Maroc ont, toutefois, renforcé leurs processus de libéralisation financière, amélioré leur niveau de régulation et provoqué un mouvement de concentration dans le secteur. Ils se sont ainsi dotés de systèmes bancaires solides, qui ont commencé à sortir de leurs frontières pour créer de véritables réseaux panafricains. Dans ces pays, le développement des marchés boursiers a été davantage le résultat de la croissance économique, que l’un de ses moteurs.
Une nouvelle dynamique s’est, d’autre part, enclenchée depuis environ une dizaine d’années dans de nombreux autres pays africains, grâce à la poursuite des efforts d’assainissement du secteur bancaire, à l’amélioration de la croissance économique sur l’ensemble du continent et à la multiplication des Bourses de valeurs mobilières. Entre 2007 et 2009, plus de 10 milliards de dollars ont été levés sur 18 places financières africaines.
LA : Que reste-t-il à faire pour conserver et consolider la nouvelle dynamique des systèmes financiers africains ?
ES : Les progrès réalisés sont évidents, mais la distance qui reste à parcourir est encore longue. L’accès des entreprises privées africaines aux crédits bancaires est difficile, et moins de 20% des particuliers disposent d’un compte en banque. Se focaliser sur le développement des places financières serait prématuré dans les pays africains manquant d’un secteur bancaire suffisamment mature et d’une demande réelle de la part des entreprises pour des instruments de financement alternatifs. D’où la nécessité de se concentrer sur le développement des systèmes bancaires, quitte à prendre parfois des mesures douloureuses. Au Maroc, par exemple, la Banque centrale a interdit la distribution de dividendes pendant huit ans pour recapitaliser les banques ! Le développement des systèmes financiers nécessite aussi la mise en place d’un ensemble de politiques visant à assurer la stabilité économique et à stimuler la confiance des investisseurs. L’Afrique a aujourd’hui de quoi séduire. Le boom actuel des matières premières, que se disputent désormais la Chine, les Etats-Unis, l’Inde et l’Europe, donne à l’Afrique des perspectives de croissance exceptionnelles. Le FMI a d’ailleurs estimé que la croissance du PIB de l’Afrique subsaharienne avoisinerait les 6% par an, à partir de l’année 2011.
Propos recueillis par Walid Kéfi, Tunis