Ce devait être un jour "historique". La première élection présidentielle à être ouverte à tous les candidats depuis l'indépendance de la Côte d'Ivoire, en 1960. Après six années de reports, le scrutin, dont le deuxième tour s'est tenu dimanche, devait permettre à tout un pays enlisé dans une guerre civile larvée et un marasme économique d'ouvrir une nouvelle page de son histoire.
Mais le "pays des éléphants" s'est réveillé au bord du gouffre, vendredi 3 décembre, avec deux présidents à sa tête : l'opposant Alassane Ouattara, déclaré vainqueur avec plus de 54 % des voix par la Commission électorale, et Laurent Gbagbo, le président sortant, reconduit à la tête du pays par le Conseil constitutionnel, qui le crédite de 51 % des voix.
L'espoir a laissé place à l'inquiétude. Face à ce bras de fer juridique, les observateurs redoutent un troisième tour dans la rue et une nouvelle flambée de violences. Sous couvre-feu jusqu'à dimanche, le pays est en partie coupé du monde après la décision de l'armée de fermer les frontières.
•Un scrutin historique
Sous le règne du père de l'indépendance, Félix Houphouët-Boigny (1959-1993), qui ne souffrait aucune opposition, puis ceux de Konan Bédié (1993-1999) et de Laurent Gbagbo (2000-2010), aucune élection réellement pluripartite n'avait pu se dérouler. Initialement prévue au terme du premier mandat de M. Gbagbo, en 2005, cette première élection pleinement démocratique a été reportée à six reprises en raison, notamment, d'un conflit ethnique entre le Nord et le Sud qui a plongé le pays dans une quasi guerre civile.
Ces reports, et les enjeux de ce scrutin, expliquent l'immense attente de la communauté internationale, qui a investi des sommes considérables pour permettre ces élections. Entre les quelque 9 000 uniformes de l'Onuci (les forces des Nations unies pour le maintien de la paix en Côte d'Ivoire), les 966 soldats français de l'opération Licorne, les médiations successives de la France, de l'Union africaine et du président burkinabé Blaise Campaoré, "cela fait près de dix ans que la communauté internationale est au chevet de la Côte d'Ivoire", explique Philippe Hugon, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de la Côte d'Ivoire. "Ce scrutin est sans doute l'un des plus chers de l'histoire", s'exclame-t-il.
•L'"ivoirité"
Sous la présidence de Félix Houphouët-Boigny, le pays a connu une forte croissance économique et a encouragé une immigration massive, principalement venue du Burkina Faso. "On estime que 25 % de la population était d'origine non ivoirienne, près de 40 % à Abidjan, souligne Philippe Hugon. Puis la croissance a ralenti, et les 'étrangers' ont commencé à être montrés du doigt, comme souvent en cas de crise."
Le concept d'"ivoirité", fondé par Konan Bédié, était né. Le 8 décembre 1994, une révision du code électoral impose aux candidats à la présidence de prouver leur ascendance ivoirienne. Ce concept, qui sera repris à son compte par M. Gbagbo, a servi de prétexte pour écarter M. Ouattara, qui fut pourtant le premier ministre de Félix Houphouët-Boigny entre 1990 et 1993, lors des scrutins de 1995 et de 2000, en raison de ses origines burkinabées supposées.
•Un pays coupé en deux
L'ivoirité, ce "poison politique", a engendré de fortes tensions entre le Nord, principalement musulman, et le Sud, à majorité catholique. En 2002, des soldats rebelles tentent un coup de force. La rébellion, bientôt baptisée les "Forces nouvelles", occupe progressivement la moitié nord du pays, et instaure une partition de la Côte d'Ivoire. Laurent Gbagbo, alors président, accuse Alassane Ouattara d'avoir fomenté cette rébellion. L'intervention de la France puis de l'Onuci permettront de maintenir le pays dans une situation de "ni guerre ni paix" jusqu'à aujourd'hui, selon les termes de Philippe Hugon.
Après l'échec des accords de Marcoussis en 2003, la guerre civile ne prend réellement fin qu'avec la signature des accords de paix de Ouagadougou en 2007, qui conduisent le président Gbagbo à nommer Guillaume Soro, un des leaders des rebelles, chef d'un gouvernement de transition. "Cette cohabitation a apaisé les relations Nord-Sud et ce scrutin n'est pas réductible au déterminant ethno-régionaliste, explique le chercheur. Alassane Ouattara a certes fait le plein de voix dans son fief du Nord, et Laurent Gbagbo dans le Sud, mais c'est principalement la volonté de la population de sortir de la crise économique qui a déterminé les votes."
Des représentants du chef de l'Etat au sein de la commission électorale ont néanmoins prétexté de votes "frauduleux" dans le Nord, tenu par l'ex-rébellion, pour empêcher physiquement l'annonce de résultats partiels, mardi (voir la vidéo). "Il y a eu des irrégularités, dans le Nord comme dans le Sud, mais elles ne suffisent pas à expliquer l'énorme écart de voix entre les deux candidats", souligne Philippe Hugon (la commission électorale donnait Ouattara vainqueur avec 54,1 % des voix contre 45,9 % au président sortant).
•Gbagbo-Ouattara, une vieille inimitié
Alassane Dramane Ouattara (surnommé "ADO"), un économiste de 68 ans passé par le FMI, a été nommé premier ministre par Félix Houphouët-Boigny en 1990. Il est un "dioula", un homme du Nord, de confession musulmane. Sa réputation de gestionnaire, tendance libérale, lui vaut de nombreuses amitiés en Occident, parmi lesquelles Nicolas Sarkozy ou Dominique Strauss-Kahn.
A 65 ans, Laurent Gbagbo, lui, est un vieux militant socialiste, opposant historique à Félix Houphouët-Boigny. Populiste, pragmatique et fin politicien, il est surnommé "le boulanger" pour sa faculté à rouler ses adversaires dans la farine. Il clame vouloir réussir la "deuxième indépendance" de la Côte d'Ivoire en l'affranchissant de sa dépendance économique avec la France. C'est un "bété", catholique, mais il est fortement influencé par ses deux femmes, l'une évangéliste, l'autre musulmane.
Une ancienne aversion sépare les deux hommes. M. Gbagbo n'a jamais pardonné à M. Ouattara, alors chef du gouvernement de Félix Houphouët-Boigny, d'avoir avalisé son emprisonnement. Et il le considère toujours comme l'inspirateur et le financier de la rébellion nordiste qui, en septembre 2002, a failli lui coûter son fauteuil. Quant à ADO, il rêve d'effacer l'"injustice" que constitue à ses yeux son éviction passée de l'échiquier politique.
Mais le "pays des éléphants" s'est réveillé au bord du gouffre, vendredi 3 décembre, avec deux présidents à sa tête : l'opposant Alassane Ouattara, déclaré vainqueur avec plus de 54 % des voix par la Commission électorale, et Laurent Gbagbo, le président sortant, reconduit à la tête du pays par le Conseil constitutionnel, qui le crédite de 51 % des voix.
L'espoir a laissé place à l'inquiétude. Face à ce bras de fer juridique, les observateurs redoutent un troisième tour dans la rue et une nouvelle flambée de violences. Sous couvre-feu jusqu'à dimanche, le pays est en partie coupé du monde après la décision de l'armée de fermer les frontières.
•Un scrutin historique
Sous le règne du père de l'indépendance, Félix Houphouët-Boigny (1959-1993), qui ne souffrait aucune opposition, puis ceux de Konan Bédié (1993-1999) et de Laurent Gbagbo (2000-2010), aucune élection réellement pluripartite n'avait pu se dérouler. Initialement prévue au terme du premier mandat de M. Gbagbo, en 2005, cette première élection pleinement démocratique a été reportée à six reprises en raison, notamment, d'un conflit ethnique entre le Nord et le Sud qui a plongé le pays dans une quasi guerre civile.
Ces reports, et les enjeux de ce scrutin, expliquent l'immense attente de la communauté internationale, qui a investi des sommes considérables pour permettre ces élections. Entre les quelque 9 000 uniformes de l'Onuci (les forces des Nations unies pour le maintien de la paix en Côte d'Ivoire), les 966 soldats français de l'opération Licorne, les médiations successives de la France, de l'Union africaine et du président burkinabé Blaise Campaoré, "cela fait près de dix ans que la communauté internationale est au chevet de la Côte d'Ivoire", explique Philippe Hugon, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de la Côte d'Ivoire. "Ce scrutin est sans doute l'un des plus chers de l'histoire", s'exclame-t-il.
•L'"ivoirité"
Sous la présidence de Félix Houphouët-Boigny, le pays a connu une forte croissance économique et a encouragé une immigration massive, principalement venue du Burkina Faso. "On estime que 25 % de la population était d'origine non ivoirienne, près de 40 % à Abidjan, souligne Philippe Hugon. Puis la croissance a ralenti, et les 'étrangers' ont commencé à être montrés du doigt, comme souvent en cas de crise."
Le concept d'"ivoirité", fondé par Konan Bédié, était né. Le 8 décembre 1994, une révision du code électoral impose aux candidats à la présidence de prouver leur ascendance ivoirienne. Ce concept, qui sera repris à son compte par M. Gbagbo, a servi de prétexte pour écarter M. Ouattara, qui fut pourtant le premier ministre de Félix Houphouët-Boigny entre 1990 et 1993, lors des scrutins de 1995 et de 2000, en raison de ses origines burkinabées supposées.
•Un pays coupé en deux
L'ivoirité, ce "poison politique", a engendré de fortes tensions entre le Nord, principalement musulman, et le Sud, à majorité catholique. En 2002, des soldats rebelles tentent un coup de force. La rébellion, bientôt baptisée les "Forces nouvelles", occupe progressivement la moitié nord du pays, et instaure une partition de la Côte d'Ivoire. Laurent Gbagbo, alors président, accuse Alassane Ouattara d'avoir fomenté cette rébellion. L'intervention de la France puis de l'Onuci permettront de maintenir le pays dans une situation de "ni guerre ni paix" jusqu'à aujourd'hui, selon les termes de Philippe Hugon.
Après l'échec des accords de Marcoussis en 2003, la guerre civile ne prend réellement fin qu'avec la signature des accords de paix de Ouagadougou en 2007, qui conduisent le président Gbagbo à nommer Guillaume Soro, un des leaders des rebelles, chef d'un gouvernement de transition. "Cette cohabitation a apaisé les relations Nord-Sud et ce scrutin n'est pas réductible au déterminant ethno-régionaliste, explique le chercheur. Alassane Ouattara a certes fait le plein de voix dans son fief du Nord, et Laurent Gbagbo dans le Sud, mais c'est principalement la volonté de la population de sortir de la crise économique qui a déterminé les votes."
Des représentants du chef de l'Etat au sein de la commission électorale ont néanmoins prétexté de votes "frauduleux" dans le Nord, tenu par l'ex-rébellion, pour empêcher physiquement l'annonce de résultats partiels, mardi (voir la vidéo). "Il y a eu des irrégularités, dans le Nord comme dans le Sud, mais elles ne suffisent pas à expliquer l'énorme écart de voix entre les deux candidats", souligne Philippe Hugon (la commission électorale donnait Ouattara vainqueur avec 54,1 % des voix contre 45,9 % au président sortant).
•Gbagbo-Ouattara, une vieille inimitié
Alassane Dramane Ouattara (surnommé "ADO"), un économiste de 68 ans passé par le FMI, a été nommé premier ministre par Félix Houphouët-Boigny en 1990. Il est un "dioula", un homme du Nord, de confession musulmane. Sa réputation de gestionnaire, tendance libérale, lui vaut de nombreuses amitiés en Occident, parmi lesquelles Nicolas Sarkozy ou Dominique Strauss-Kahn.
A 65 ans, Laurent Gbagbo, lui, est un vieux militant socialiste, opposant historique à Félix Houphouët-Boigny. Populiste, pragmatique et fin politicien, il est surnommé "le boulanger" pour sa faculté à rouler ses adversaires dans la farine. Il clame vouloir réussir la "deuxième indépendance" de la Côte d'Ivoire en l'affranchissant de sa dépendance économique avec la France. C'est un "bété", catholique, mais il est fortement influencé par ses deux femmes, l'une évangéliste, l'autre musulmane.
Une ancienne aversion sépare les deux hommes. M. Gbagbo n'a jamais pardonné à M. Ouattara, alors chef du gouvernement de Félix Houphouët-Boigny, d'avoir avalisé son emprisonnement. Et il le considère toujours comme l'inspirateur et le financier de la rébellion nordiste qui, en septembre 2002, a failli lui coûter son fauteuil. Quant à ADO, il rêve d'effacer l'"injustice" que constitue à ses yeux son éviction passée de l'échiquier politique.