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Société Publié le mardi 18 janvier 2011 | Nord-Sud

Tueries en cascade, couvre-feux intempestifs, rumeurs d’attaques - Des habitants fuient Abobo

Abobo ressemble, aujourd’hui, à Bagdad, la capitale irakienne, après la chute de Sadam Hussein. Attaque armée, couvre-feu sectoriel, rumeurs incessantes d’attaques sont devenus le quotidien des habitants du quartier le plus populaire d’Abidjan. Devant la situation, certaines personnes ont décidé de fuir leurs quartiers.


Il est 8 heures. La brume matinale de ce samedi couvre le ciel de Pk18, un sous-quartier d’Abobo. La poussière est présente dans l’air. De part et d’autre de ce quartier précaire s’étendent bas-fond, touffes d’herbes et crevasses. C’est là que le 11 janvier, des policiers et des civils ont trouvé la mort dans de violents affrontements armés. Au carrefour Diallo où les scènes macabres ont eu lieu, on peut voir des impacts de balles sur le mur en planche d’un kiosque. A côté, la porte d’un magasin est trouée par des plombs. A une cinquantaine de mètres, un kiosque de vente de chawarma a été mitraillé. Ce qui n’empêche pas les riverains de vaquer à leurs activités. Mais sur le-qui-vive. On marche dans les ruelles poussiéreuses en gardant les oreilles bien ouvertes. Au moindre coup de feu, c’est la débandade. Un conseil, il faut éviter de courir inutilement dans la rue. Ça veut peut-être dire un danger pour eux.
Dans cette peur généralisée, des familles ont déménagé à la cloche de bois. Parmi elles, la famille D. L’époux a incité sa femme et ses enfants à quitter Pk18, deux jours après les tueries du 11 janvier. Ils habitaient une maison basse de deux pièces. A.F., leur voisin, indique qu’ils ne lui ont pas donné d’explication exacte sur leur destination, mais qu’il est sûr que ce déménagement est lié à l’insécurité du quartier. Car, selon lui, d’autres personnes comme lui commencent à quitter Pk18 à cause de l’insécurité. Une habitante du quartier, Olga B., aujourd’hui au Mahou, en témoigne. Elle évoque des raisons assez spécifiques qui l’ont poussée à partir dare-dare du quartier. Un groupe d’habitants de Pk 18, bien organisé et assez armé, mène des opérations assez secrètes qui mettent la vie d’une catégorie de personnes en danger. Selon elle, depuis un moment, ils ont décidé d’éliminer certains habitants de La majorité présidentielle (Lmp) du quartier qui seraient des indics pour les forces de l’ordre. Elle avance qu’environ six personnes ont trouvé la mort à Pk18 dans ces opérations secrètes. Des personnes qu’on soupçonnait de donner la position de ce petit groupe de personnes qui défend le quartier contre les attaques des forces de l’ordre. Bien qu’elle ne soit pas Lmp, elle pense que ces opérations mettaient la vie des habitants en danger. Ce qui l’a poussée à quitter Pk18.

PK 18 et Marley : Zones dangeureuses
Elle ne compte pas y retourner d’ailleurs. Ils sont plusieurs personnes dans ce cas, à avoir fui le quartier. Mais, selon le témoignage de certains habitants de Pk18, seuls des partisans Lmp quittent le coin. Une chose est sûre, pendant qu’une partie de la population quitte le quartier craignant les représailles des fds, l’autre partie met les voiles à cause des exactions d’un groupe armé du quartier. Mais, il y a une troisième catégorie de personnes qui abandonne Pk18 à cause de leurs boulots. La plupart d’entre eux quittent le travail tard et le couvre-feu les empêche de rentrer à la maison à temps.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le quartier de Pk18 n’est pas la seule zone que les habitants fuient. Mamadou, un travailleur dans une entreprise de communication aux-II-Plateaux, ne dort plus chez lui à Abobo-Château depuis que le couvre-feu a été instauré à Abobo. Vu qu’il quitte le boulot tard, il a préféré négocier avec un ami non loin de son lieu de travail pour passer les nuits chez lui après le travail. Dans la matinée, il rejoint sa famille qui est restée à Abobo-Château. A Abobo Bc, Masséni B. a dû quitter son mari momentanément avec leur enfant pour aller habiter la Riviera, cité Siad Promo. Elle a eu peur, dit-elle. Après les séries d’attaques que la commune d’Adama Toungara a subies, elle a proposé à son mari d’aller rester pendant un moment chez sa mère avec leur enfant, le temps que les choses se calment. Le chef de famille n’y a vu aucun inconvénient. Quoiqu’Abobo Bc soit l’un des quartiers les moins touchés par les récentes attaques. Parmi les zones à risque il serait difficile d’oublier le sous-quartier d’Abobo, le plus mythique en ce moment : Marley. Au lendemain des affrontements de Pk18, 5 policiers y ont trouvé la mort et trois cargos militaires ont été brûlés lors d’un affrontement sanglant avec des populations de ce quartier, situé derrière le rond-point d’Abobo. Ce samedi matin, six carcasses de véhicules sont visibles aux abords du collège Saint Joseph d’Abobo. Parmi elles, le reste des trois cargos militaires pris à partie par la population. Les moteurs et les pièces encore utilisables ont été enlevés par des individus. L’asphalte est noirci par des pneus brûlés. Les riverains passent à côté de ce spectacle effroyable sans sembler y prêter attention. Contrairement à Pk18, ici la tendance n’est pas à la fuite. « On vit ici et on y reste », c’est ainsi que la plupart des habitants raisonnent. Quelques rares personnes ont abandonné le quartier plus pour des raisons professionnelles que parce qu’ils ont peur. Mais ce n’est qu’un aurevoir. L’un d’entre eux indique que c’est parce qu’il travaille à la Riviéra II qu’il est obligé de quitter Marley pendant quelque temps à cause du couvre-feu. Il a trouvé une connaissance à côté de son lieu de travail qui a accepté de l’héberger. Ici, de concert, les habitants sont prêts à affronter toutes sortes d’attaques. La preuve, le lendemain de l’attaque sanglante du 12 janvier, les femmes ont demandé à leurs maris d’aller habiter à Abobo-derrière rail et qu’elles allaient assurer la sécurité des maisons. C’était par peur des représailles policières. Mais, le lendemain, les hommes sont aussitôt revenus prendre leur place de chef de famille dans leurs maisons. Dans l’attente d’une plausible attaque, les habitants de Marley se méfient de tout étranger dans leur fief.
Le sentiment qui se dégage en parcourant les rues d’Abobo en ce moment, c’est qu’on peut à tout moment être pris dans une attaque surprise, comme à Bagdad où des attentats suicident sont à tous les coins de rue.

Raphaël Tanoh

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