Après sa démission du poste de Gouverneur de la Bceao, Philippe-Henri Dacoury-Tabley a expliqué les péripéties de sa démarche. C’était au sortir du sommet de chefs d’Etat et de gouvernement de l’Uemoa, le samedi 22 janvier 2011 à Bamako. Ci-dessous, l’intégralité de sa déclaration
« La Banque centrale, dès l'aggravation de la crise en Côte d'Ivoire, c'est-à-dire après la proclamation des résultats du second tour de l'élection présidentielle, a vite senti que des difficultés allaient apparaître au niveau de l'économie ivoirienne, dans le cadre de l'émission de bons du trésor. La Côte d'Ivoire allait connaître des défauts de paiements. Cette situation a interpellé la Banque centrale au plus haut point, parce que nous sommes garant de la stabilité financière et bancaire de l'Union. Aussi, avons-nous pris des dispositions rapides pour sécuriser le remboursement des bons du trésor, au niveau du Trésor ivoirien. Cela s'est passé entre le 1er et le 23 janvier (2011). Cela dit, nous avons travaillé avec le Trésor qui était en place. Nous avons pris donc toutes nos responsabilités. On a mis en place un dispositif pour cela. Le 23 décembre 2010, le président de la Conférence des Chefs d'Etat, a demandé une réunion extraordinaire du Conseil des ministres de l'Union à la Bceao, à l'effet de se prononcer sur les événements de la Côte d'Ivoire. A notre niveau, au niveau de la Banque centrale, durant un mois, nous avons résisté aux appels incessants, aux pressions qui nous demandaient de nous prononcer sur la validité de l'élection de tel ou tel candidat. Nous nous sommes dits que la Banque centrale n'est pas un organe politique qui n'a pas à proclamer les résultats d'une élection. Nous nous sommes donc tenus à cette position. Et, c'est ce qui a emmené à saisir la Banque centrale et qui a fait circuler beaucoup de rumeur. Le 23 décembre donc, le Conseil des ministres a pris la décision politique que l'Union monétaire reconnaît Monsieur Alassane Ouattara comme président légitime de la Côte d'Ivoire. Dès cet instant, la Banque centrale qui est un organe de l'Union a pris acte de la décision et s'est inscrire totalement dans l'application de cette décision. Nous avons, à partir de là, écris au gouvernement légitime pour qu'il nous envoie des représentants dans les organes de la Banque centrale. C'est ainsi qu'un représentant a été désigné pour siéger au Conseil d'administration, en la personne du nouveau Directeur général du Trésor, M. Koné Adama, deux représentants ont été désignés pour siéger au sein du Conseil des ministres de l'Union, en la personne de M. Charles Koffi Diby et de M. Mabri Toikeusse. D'autres démarches ont été faites pour mettre en application la décision du Conseil des ministres. Cependant, l'action concernant la signature au sein de la Banque centrale des nouvelles autorités a rencontré des difficultés majeures liées à la situation sécuritaire et au fait que le pouvoir en place maintienne toujours les rouages de l'Etat. Dans ces conditions, il était parfaitement impossible à la Banque centrale d'appliquer la totalité des décisions
qui ont été prises par le Conseil des ministres à Bissau. Je crois que la Banque centrale n'est pas la seule institution dans ce cas là. Puisque, les responsables des régies qui ont été nommés par le gouvernement légitime, jusqu'à présent, n'ont pas réussi à prendre fonction au sein de l'administration publique ivoirienne qui est toujours entre les mains du gouvernement sortant. Cette difficulté rencontrée a fait croire à beaucoup que la Banque centrale refusait d'appliquer les décisions de Bissau. Nos agents ont travaillé dans un climat d'hostilité, dans un climat qui a fait qu'ils n'ont pas pu mettre en œuvre totalement ces décisions là. Par ailleurs, il convient de dire que l'ensemble de l'administration du Trésor, les Douanes, les Impôts continuent d'être entre les mains du gouvernement sortant. Or, les relations entre la Banque centrale et le Trésor ne se limitent pas uniquement aux relations entre le trésorier et le Directeur national de la Bceao. Ce sont des rapports entre des agents, des employés des deux institutions, rapports qui se déclinent au quotidien. Tous les jours, ils se téléphonent, ils font des mises à jour, ils font des nivellements.
Dans ces conditions, il était vraiment impossible à la Banque centrale de pouvoir établir des relations professionnelles et institutionnelles avec le nouveau Trésor public mis en place. A ce stade, il nous a été demandé, certaines requêtes ont été posées, parce que le pouvoir légitime ne comprenait pas trop pourquoi nous nous arrêtions à ces difficultés là. On a donc demandé que je limoge mon directeur national. J'ai indiqué qu'il a fait son travail, et qu'il m'était difficile de le limoger. Et qu'en tout fait de cause, c'est un agent qui a toujours bien fait son travail et que confronté à des difficultés, à des cas de force majeure, il ne pouvait rien faire d'autre que ce qu'il a fait. Je
tiens à noter que j'ai régulièrement rendu compte des difficultés rencontrées par l'institution dans l'application des décisions de Bissau. C'est ainsi que le 7 janvier dernier, j'ai rendu compte au Conseil des ministres, en faisant le point des actions déjà menées, et en indiquant les actions à mener et les difficultés rencontrées. Dans l'espoir que le Conseil des ministres aurait donné des instructions nouvelles et des orientations et un soutien nous permettant d'aller plus loin dans l'application des mesures de Bissau. Ce qui n'a pas été le cas. Le 17 janvier, j'ai à nouveau fait un rapport intérimaire pour indiquer les difficultés rencontrées sur le terrain et le soutien absolu qu'il convient d'accorder à la Banque centrale pour qu'elle puisse appliquer effectivement sur le terrain les décisions de Bissau. On m'a répondu que ces difficultés étaient si énormes qu'il fallait les porter à la Conférence des Chefs d'Etat. Ce qui nous vaut notre présence aujourd'hui (ndlr: le samedi 22 janvier 2011). J'ai fait un rapport à la Conférence, j'ai indiqué les difficultés. Face à l'incompréhension des uns et des autres, faces aux difficultés qui sont liées aux questions sécuritaires-Parce que vous ne pouvez pas vouloir appliquer des décisions qui vont à l'encontre d'un pouvoir qui est encore en place, ces décisions s'appliquent avec l'assentiment, l'accord des uns et des autres-nous ne pouvons pas exécuter ces décisions là, alors que ceux auprès de qui on doit les exécuter y sont totalement hostiles. Voilà les difficultés réelles que nous avons relevées. Mais, face à l'incompréhension de ces explications, face au fait que les uns et les autres n'arrivent pas à bien saisir ce qui s'est réellement passé ou ce qui se passe sur le terrain, face au fait que la politique a tendance à être introduite à la Banque centrale, nous avons accepté de rendre la démission qui nous a été demandée. Je voudrais souligner que je suis profondément attristé pour l'Institution que j'ai servi pendant 35 ans. Je pense qu'il y avait mieux à faire que ce qui a été fait. Je reste attaché à cette Institution. Je crois en l'Union monétaire et j'espère que les jours à venir ne seront pas sombres pour notre Union et que nous pourrions continuer cet idéal d'intégration que nous avons commencé. Il est indispensable que notre zone, notre espace monétaire continue d'être ensemble, continue de se consolider. J'y tiens énormément et, c'est la seule tristesse que j'ai en ayant rendu cette démission qui m'a été demandée. Parce que, effectivement, la politique est en train d'entrer à la Banque centrale ».
Propos recueillis par
BAMBA Idrissa
(Envoyé spécial à Bamako)
« La Banque centrale, dès l'aggravation de la crise en Côte d'Ivoire, c'est-à-dire après la proclamation des résultats du second tour de l'élection présidentielle, a vite senti que des difficultés allaient apparaître au niveau de l'économie ivoirienne, dans le cadre de l'émission de bons du trésor. La Côte d'Ivoire allait connaître des défauts de paiements. Cette situation a interpellé la Banque centrale au plus haut point, parce que nous sommes garant de la stabilité financière et bancaire de l'Union. Aussi, avons-nous pris des dispositions rapides pour sécuriser le remboursement des bons du trésor, au niveau du Trésor ivoirien. Cela s'est passé entre le 1er et le 23 janvier (2011). Cela dit, nous avons travaillé avec le Trésor qui était en place. Nous avons pris donc toutes nos responsabilités. On a mis en place un dispositif pour cela. Le 23 décembre 2010, le président de la Conférence des Chefs d'Etat, a demandé une réunion extraordinaire du Conseil des ministres de l'Union à la Bceao, à l'effet de se prononcer sur les événements de la Côte d'Ivoire. A notre niveau, au niveau de la Banque centrale, durant un mois, nous avons résisté aux appels incessants, aux pressions qui nous demandaient de nous prononcer sur la validité de l'élection de tel ou tel candidat. Nous nous sommes dits que la Banque centrale n'est pas un organe politique qui n'a pas à proclamer les résultats d'une élection. Nous nous sommes donc tenus à cette position. Et, c'est ce qui a emmené à saisir la Banque centrale et qui a fait circuler beaucoup de rumeur. Le 23 décembre donc, le Conseil des ministres a pris la décision politique que l'Union monétaire reconnaît Monsieur Alassane Ouattara comme président légitime de la Côte d'Ivoire. Dès cet instant, la Banque centrale qui est un organe de l'Union a pris acte de la décision et s'est inscrire totalement dans l'application de cette décision. Nous avons, à partir de là, écris au gouvernement légitime pour qu'il nous envoie des représentants dans les organes de la Banque centrale. C'est ainsi qu'un représentant a été désigné pour siéger au Conseil d'administration, en la personne du nouveau Directeur général du Trésor, M. Koné Adama, deux représentants ont été désignés pour siéger au sein du Conseil des ministres de l'Union, en la personne de M. Charles Koffi Diby et de M. Mabri Toikeusse. D'autres démarches ont été faites pour mettre en application la décision du Conseil des ministres. Cependant, l'action concernant la signature au sein de la Banque centrale des nouvelles autorités a rencontré des difficultés majeures liées à la situation sécuritaire et au fait que le pouvoir en place maintienne toujours les rouages de l'Etat. Dans ces conditions, il était parfaitement impossible à la Banque centrale d'appliquer la totalité des décisions
qui ont été prises par le Conseil des ministres à Bissau. Je crois que la Banque centrale n'est pas la seule institution dans ce cas là. Puisque, les responsables des régies qui ont été nommés par le gouvernement légitime, jusqu'à présent, n'ont pas réussi à prendre fonction au sein de l'administration publique ivoirienne qui est toujours entre les mains du gouvernement sortant. Cette difficulté rencontrée a fait croire à beaucoup que la Banque centrale refusait d'appliquer les décisions de Bissau. Nos agents ont travaillé dans un climat d'hostilité, dans un climat qui a fait qu'ils n'ont pas pu mettre en œuvre totalement ces décisions là. Par ailleurs, il convient de dire que l'ensemble de l'administration du Trésor, les Douanes, les Impôts continuent d'être entre les mains du gouvernement sortant. Or, les relations entre la Banque centrale et le Trésor ne se limitent pas uniquement aux relations entre le trésorier et le Directeur national de la Bceao. Ce sont des rapports entre des agents, des employés des deux institutions, rapports qui se déclinent au quotidien. Tous les jours, ils se téléphonent, ils font des mises à jour, ils font des nivellements.
Dans ces conditions, il était vraiment impossible à la Banque centrale de pouvoir établir des relations professionnelles et institutionnelles avec le nouveau Trésor public mis en place. A ce stade, il nous a été demandé, certaines requêtes ont été posées, parce que le pouvoir légitime ne comprenait pas trop pourquoi nous nous arrêtions à ces difficultés là. On a donc demandé que je limoge mon directeur national. J'ai indiqué qu'il a fait son travail, et qu'il m'était difficile de le limoger. Et qu'en tout fait de cause, c'est un agent qui a toujours bien fait son travail et que confronté à des difficultés, à des cas de force majeure, il ne pouvait rien faire d'autre que ce qu'il a fait. Je
tiens à noter que j'ai régulièrement rendu compte des difficultés rencontrées par l'institution dans l'application des décisions de Bissau. C'est ainsi que le 7 janvier dernier, j'ai rendu compte au Conseil des ministres, en faisant le point des actions déjà menées, et en indiquant les actions à mener et les difficultés rencontrées. Dans l'espoir que le Conseil des ministres aurait donné des instructions nouvelles et des orientations et un soutien nous permettant d'aller plus loin dans l'application des mesures de Bissau. Ce qui n'a pas été le cas. Le 17 janvier, j'ai à nouveau fait un rapport intérimaire pour indiquer les difficultés rencontrées sur le terrain et le soutien absolu qu'il convient d'accorder à la Banque centrale pour qu'elle puisse appliquer effectivement sur le terrain les décisions de Bissau. On m'a répondu que ces difficultés étaient si énormes qu'il fallait les porter à la Conférence des Chefs d'Etat. Ce qui nous vaut notre présence aujourd'hui (ndlr: le samedi 22 janvier 2011). J'ai fait un rapport à la Conférence, j'ai indiqué les difficultés. Face à l'incompréhension des uns et des autres, faces aux difficultés qui sont liées aux questions sécuritaires-Parce que vous ne pouvez pas vouloir appliquer des décisions qui vont à l'encontre d'un pouvoir qui est encore en place, ces décisions s'appliquent avec l'assentiment, l'accord des uns et des autres-nous ne pouvons pas exécuter ces décisions là, alors que ceux auprès de qui on doit les exécuter y sont totalement hostiles. Voilà les difficultés réelles que nous avons relevées. Mais, face à l'incompréhension de ces explications, face au fait que les uns et les autres n'arrivent pas à bien saisir ce qui s'est réellement passé ou ce qui se passe sur le terrain, face au fait que la politique a tendance à être introduite à la Banque centrale, nous avons accepté de rendre la démission qui nous a été demandée. Je voudrais souligner que je suis profondément attristé pour l'Institution que j'ai servi pendant 35 ans. Je pense qu'il y avait mieux à faire que ce qui a été fait. Je reste attaché à cette Institution. Je crois en l'Union monétaire et j'espère que les jours à venir ne seront pas sombres pour notre Union et que nous pourrions continuer cet idéal d'intégration que nous avons commencé. Il est indispensable que notre zone, notre espace monétaire continue d'être ensemble, continue de se consolider. J'y tiens énormément et, c'est la seule tristesse que j'ai en ayant rendu cette démission qui m'a été demandée. Parce que, effectivement, la politique est en train d'entrer à la Banque centrale ».
Propos recueillis par
BAMBA Idrissa
(Envoyé spécial à Bamako)