La communauté internationale va-t-elle comprendre que l’Afrique se réveille ? En Tunisie, le peuple s’est révolté contre l’homme soutenu par la soi-disant communauté internationale, en Côte d’Ivoire, c’est l’inverse, le peuple se ressoude autour de l’homme que cette même communauté internationale ne veut pas adouber… L’Afrique se réveille, c’est la grande leçon d’histoire de ce siècle. En République Centrafricaine aussi, un autre événement vient de se produire: le premier tour de l'élection présidentielle s'est déroulé dans des conditions très contestées le 23 janvier dernier et tous les observateurs africains ont reconnu qu'il s'agissait d'un simulacre d'élection. Or, pour l'instant, la communauté internationale semble là aussi dépassée par les circonstances… Yannick Urrien s’est entretenu avec Martin Ziguélé, ancien Premier ministre de la République Centrafricaine, qui s'est porté candidat à la présidence de la République et qui demande l'annulation du premier tour de cette élection. Un entretien exclusif qui nous permet de découvrir un pays qui regorge de richesses naturelles.
Vous avez été le Premier ministre du président Patassé jusqu'au coup d’Etat dont il a été victime. Puis, vous avez été candidat à la présidence de la République, mais vous n'avez pas pu aller jusqu'au bout. Depuis, vous avez beaucoup travaillé sur le développement économique de votre pays et les observateurs notent que vous êtes celui qui maîtrise le mieux les questions liées au développement. Vous avez été candidat à cette élection présidentielle, dont le premier tour du 23 janvier dernier a eu lieu dans des conditions très troubles. Est-ce le résumé de votre parcours ?
C'est bien cela, sauf que je dois préciser que j'étais candidat à l'élection présidentielle en 2005. Je suis arrivé au deuxième tour et c'est à l'issue du deuxième tour que j'ai été «battu», avec 36% en ma défaveur, par l'actuel Président de la République. Ce qui s'est passé chez nous le 23 janvier dernier, lors du premier tour du scrutin, est un scandale. Je vous renvoie au rapport de l'Organisation internationale de la francophonie qui est présidée par l'ancien Président sénégalais Abdou Diouf et qui vient de présenter son rapport concluant que le cœur de l'opération électorale, c'est-à-dire le fichier électoral, était non transparent et non fiable. Tout cela est à la base d'un scrutin qui est complètement faussé. C'est la raison pour laquelle le Collectif des forces du changement, dont je fais partie, a tenu à exprimer le rejet d'office du résultat de cette prétendue élection.
Nous pourrions parler d'une mascarade d’élection en République Centrafricaine, mais aussi de vous... Vous vous trouvez actuellement à Bangui où, selon certaines rumeurs, votre vie serait menacée…
Oui. Vous savez, lorsque l'on s'engage en politique pour effectuer un vrai changement qualitatif dans son pays, aujourd'hui en Afrique, on prend des risques physiques pour soi-même. C'est évident. Mais chacun d'entre nous aime son pays et, lorsque l'on aime son pays, on prend des risques. Je suis actuellement à Bangui, dans une situation sécuritaire assez délétère, mais je vais me battre pour mon peuple qui m'a tout donné.
On ne peut rien faire contre la volonté du peuple, c’est aussi l’enseignement des récents événements de Tunisie…
Oui, personne ne peut rien faire contre la volonté du peuple et l’on ne peut pas tromper tout un peuple tout le temps. L'exemple tunisien est éloquent. Ce que nous voyons depuis quelques jours en Égypte confirme cela encore. Lorsque l'on veut tricher avec le peuple et la volonté populaire, c'est un combat perdu d'avance. C'est une question de temps, une question d'échéance, mais on arrivera toujours au changement. Notre pays n'a que 4 millions d'habitants et 622 000 km², c'est-à-dire une superficie plus grande que la France. Nous avons de la terre, nous avons de l'eau, nous n'avons pas un seul centimètre carré de désert, mais la population est au 172e rang mondial, sur 183, dans l’indice de développement humain. Nous sommes l'un des pays les plus pauvres du monde, alors que nous avons un sous-sol avec du diamant, de l’or, de l'uranium… C'est un scandale ! Ce scandale s'explique par notre manque total de crédibilité aujourd'hui, et c'est contre cela que nous nous battons.
C'est l'objet même de votre programme de redressement économique car votre pays a de grandes richesses…
Absolument. C'est le cœur de ma démarche politique.
Monsieur le Premier ministre, comment expliquez-vous le silence assourdissant de la communauté internationale face à ces fraudes en République Centrafricaine, alors qu'elle semble donner des leçons à des pays lorsque cela l'arrange ?
Nous ne nous expliquons pas ce silence de la communauté internationale parce que nous pensons que véritablement, ce qui se joue ici, c'est le sort de plusieurs millions d'habitants qui veulent s'en sortir. C'est pour cette raison que vous pouvez remarquer dans les dépêches de presse que la mobilisation de la population a été massive parce qu'elle croyait qu'en participant fortement au vote, elle allait provoquer l'alternance par les urnes. Au moment où je vous parle, la population est très frustrée et j'en appelle à toutes les Nations démocratiques, particulièrement à la France, qui est quand même l'allié le plus ancien de notre pays, pour ne pas laisser sombrer une espérance collective parce que quelqu'un veut se maintenir illégalement et frauduleusement au pouvoir en manipulant et en dénaturant l'expression du suffrage populaire.
Vous avez évoqué la mission d'observation déployée par l'Organisation mondiale de la francophonie pour cette élection présidentielle, qui fait part de certains dysfonctionnements. J'ai lu le rapport et j'ai constaté qu'il ne s'agissait pas de dysfonctionnements mais de véritables fraudes, avec des distributions de cartes d'électeur et de bulletins de vote à l'entrée des bureaux, un nombre élevé de votes par dérogation… La lecture de ce rapport est stupéfiante !
Si l'objectif que chacun recherche est de faire refléter le suffrage populaire, ces élections doivent être annulées sans débat ! Le cœur du processus électoral, c'est de prime abord la qualité, la transparence et la fiabilité du fichier électoral : cela n'a pas été le cas.
Il y a chez certains dirigeants africains et arabes, comme celui qui veut se maintenir en place en République Centrafricaine, une attitude qui consiste à traiter la population comme des moutons que l'on peut contrôler. Peut-être n'ont-ils pas compris que le monde a changé ?
Absolument ! Sous les latitudes dans lesquelles nous vivons ici, il y en a encore qui pensent que leur peuple n'est que du bétail, qu'ils peuvent l'encadrer, en faire ce qu'ils veulent, le tondre, le traire… Et puis, lorsqu'ils se seront enrichis, le peuple excédé se révoltera et ils pourront fuir avec leurs lingots d'or pour se planquer sous d'autres latitudes. C'est exactement cela !
L'économiste que vous êtes a beaucoup de projets pour développer la République Centrafricaine, qui regorge de richesses naturelles : concrètement, qu'allez-vous faire maintenant ?
Nous irons jusqu'au bout, notre détermination est totale. Nous allons faire jouer la légalité à fond, nous allons mener tous les recours possibles et imaginables. Si la Cour constitutionnelle ne dit pas le droit, parce qu'elle a le devoir de dire la justice au nom du peuple centrafricain, si elle ne dit pas le droit, nous allons faire appel à nos militants, c'est-à-dire à la population, pour que son suffrage soit respecté.
L'Afrique se réveille en ce début d'année 2011 : on l'a vu en Côte d'Ivoire, avec le peuple qui refuse de laisser la communauté internationale dicter son choix, en Tunisie, où le peuple a renversé son dictateur protégé par cette même communauté internationale et aujourd'hui chez vous, où le peuple va aussi se battre pour faire respecter son choix…
L'Afrique se réveille ! Ceux qui fonctionnent avec des logiques anciennes et qui pensent que nos peuples peuvent tout accepter aujourd'hui, se trompent lourdement.
Kernews (Radio française)
NB: Les titres sont de
la rédaction
Vous avez été le Premier ministre du président Patassé jusqu'au coup d’Etat dont il a été victime. Puis, vous avez été candidat à la présidence de la République, mais vous n'avez pas pu aller jusqu'au bout. Depuis, vous avez beaucoup travaillé sur le développement économique de votre pays et les observateurs notent que vous êtes celui qui maîtrise le mieux les questions liées au développement. Vous avez été candidat à cette élection présidentielle, dont le premier tour du 23 janvier dernier a eu lieu dans des conditions très troubles. Est-ce le résumé de votre parcours ?
C'est bien cela, sauf que je dois préciser que j'étais candidat à l'élection présidentielle en 2005. Je suis arrivé au deuxième tour et c'est à l'issue du deuxième tour que j'ai été «battu», avec 36% en ma défaveur, par l'actuel Président de la République. Ce qui s'est passé chez nous le 23 janvier dernier, lors du premier tour du scrutin, est un scandale. Je vous renvoie au rapport de l'Organisation internationale de la francophonie qui est présidée par l'ancien Président sénégalais Abdou Diouf et qui vient de présenter son rapport concluant que le cœur de l'opération électorale, c'est-à-dire le fichier électoral, était non transparent et non fiable. Tout cela est à la base d'un scrutin qui est complètement faussé. C'est la raison pour laquelle le Collectif des forces du changement, dont je fais partie, a tenu à exprimer le rejet d'office du résultat de cette prétendue élection.
Nous pourrions parler d'une mascarade d’élection en République Centrafricaine, mais aussi de vous... Vous vous trouvez actuellement à Bangui où, selon certaines rumeurs, votre vie serait menacée…
Oui. Vous savez, lorsque l'on s'engage en politique pour effectuer un vrai changement qualitatif dans son pays, aujourd'hui en Afrique, on prend des risques physiques pour soi-même. C'est évident. Mais chacun d'entre nous aime son pays et, lorsque l'on aime son pays, on prend des risques. Je suis actuellement à Bangui, dans une situation sécuritaire assez délétère, mais je vais me battre pour mon peuple qui m'a tout donné.
On ne peut rien faire contre la volonté du peuple, c’est aussi l’enseignement des récents événements de Tunisie…
Oui, personne ne peut rien faire contre la volonté du peuple et l’on ne peut pas tromper tout un peuple tout le temps. L'exemple tunisien est éloquent. Ce que nous voyons depuis quelques jours en Égypte confirme cela encore. Lorsque l'on veut tricher avec le peuple et la volonté populaire, c'est un combat perdu d'avance. C'est une question de temps, une question d'échéance, mais on arrivera toujours au changement. Notre pays n'a que 4 millions d'habitants et 622 000 km², c'est-à-dire une superficie plus grande que la France. Nous avons de la terre, nous avons de l'eau, nous n'avons pas un seul centimètre carré de désert, mais la population est au 172e rang mondial, sur 183, dans l’indice de développement humain. Nous sommes l'un des pays les plus pauvres du monde, alors que nous avons un sous-sol avec du diamant, de l’or, de l'uranium… C'est un scandale ! Ce scandale s'explique par notre manque total de crédibilité aujourd'hui, et c'est contre cela que nous nous battons.
C'est l'objet même de votre programme de redressement économique car votre pays a de grandes richesses…
Absolument. C'est le cœur de ma démarche politique.
Monsieur le Premier ministre, comment expliquez-vous le silence assourdissant de la communauté internationale face à ces fraudes en République Centrafricaine, alors qu'elle semble donner des leçons à des pays lorsque cela l'arrange ?
Nous ne nous expliquons pas ce silence de la communauté internationale parce que nous pensons que véritablement, ce qui se joue ici, c'est le sort de plusieurs millions d'habitants qui veulent s'en sortir. C'est pour cette raison que vous pouvez remarquer dans les dépêches de presse que la mobilisation de la population a été massive parce qu'elle croyait qu'en participant fortement au vote, elle allait provoquer l'alternance par les urnes. Au moment où je vous parle, la population est très frustrée et j'en appelle à toutes les Nations démocratiques, particulièrement à la France, qui est quand même l'allié le plus ancien de notre pays, pour ne pas laisser sombrer une espérance collective parce que quelqu'un veut se maintenir illégalement et frauduleusement au pouvoir en manipulant et en dénaturant l'expression du suffrage populaire.
Vous avez évoqué la mission d'observation déployée par l'Organisation mondiale de la francophonie pour cette élection présidentielle, qui fait part de certains dysfonctionnements. J'ai lu le rapport et j'ai constaté qu'il ne s'agissait pas de dysfonctionnements mais de véritables fraudes, avec des distributions de cartes d'électeur et de bulletins de vote à l'entrée des bureaux, un nombre élevé de votes par dérogation… La lecture de ce rapport est stupéfiante !
Si l'objectif que chacun recherche est de faire refléter le suffrage populaire, ces élections doivent être annulées sans débat ! Le cœur du processus électoral, c'est de prime abord la qualité, la transparence et la fiabilité du fichier électoral : cela n'a pas été le cas.
Il y a chez certains dirigeants africains et arabes, comme celui qui veut se maintenir en place en République Centrafricaine, une attitude qui consiste à traiter la population comme des moutons que l'on peut contrôler. Peut-être n'ont-ils pas compris que le monde a changé ?
Absolument ! Sous les latitudes dans lesquelles nous vivons ici, il y en a encore qui pensent que leur peuple n'est que du bétail, qu'ils peuvent l'encadrer, en faire ce qu'ils veulent, le tondre, le traire… Et puis, lorsqu'ils se seront enrichis, le peuple excédé se révoltera et ils pourront fuir avec leurs lingots d'or pour se planquer sous d'autres latitudes. C'est exactement cela !
L'économiste que vous êtes a beaucoup de projets pour développer la République Centrafricaine, qui regorge de richesses naturelles : concrètement, qu'allez-vous faire maintenant ?
Nous irons jusqu'au bout, notre détermination est totale. Nous allons faire jouer la légalité à fond, nous allons mener tous les recours possibles et imaginables. Si la Cour constitutionnelle ne dit pas le droit, parce qu'elle a le devoir de dire la justice au nom du peuple centrafricain, si elle ne dit pas le droit, nous allons faire appel à nos militants, c'est-à-dire à la population, pour que son suffrage soit respecté.
L'Afrique se réveille en ce début d'année 2011 : on l'a vu en Côte d'Ivoire, avec le peuple qui refuse de laisser la communauté internationale dicter son choix, en Tunisie, où le peuple a renversé son dictateur protégé par cette même communauté internationale et aujourd'hui chez vous, où le peuple va aussi se battre pour faire respecter son choix…
L'Afrique se réveille ! Ceux qui fonctionnent avec des logiques anciennes et qui pensent que nos peuples peuvent tout accepter aujourd'hui, se trompent lourdement.
Kernews (Radio française)
NB: Les titres sont de
la rédaction