Monsieur le Président de l’Union africaine
Monsieur le Secrétaire général des Nations Unies
Monsieur le Président de la Commission de l’Union Africaine,
Madame et Messieurs les chefs d’Etats et de gouvernement,
Mesdames et Messieurs,
C’est un grand honneur que vous me faites, que vous faites à la France en me recevant parmi vous aujourd’hui. Pour la première fois depuis 1963, un chef de l’Etat français est invité à s’exprimer dans cette enceinte qui symbolise l’identité de votre continent et où s’affirment, jour après jour, son unité et son rôle sur la scène internationale. J’y suis extrêmement sensible et vous remercie profondément.
La France assume, depuis quelques semaines et pour une année, la lourde responsabilité de présider le G8 et le G20. Cette double présidence française, nous l’avions évoquée l’an dernier, lors du Sommet de Nice. Je vous avais alors promis de tout faire pour que l’Afrique soit associée aussi étroitement que possible aux travaux du G8 et du G20. C’est cette promesse que j’ai voulu honorer aujourd’hui, en entamant avec vous une concertation que je souhaite, tout au long de cette année, étroite et confiante.
Cet engagement à travailler avec vous, je ne l’ai pas pris uniquement par amitié, si profonde soit celle que j’éprouve pour votre continent. Je l’ai pris parce qu’il correspond, à mes yeux, à une évidente nécessité.
Monsieur le Président,
Madame et Messieurs les Chefs d’Etat et de gouvernement
Au temps de l’émancipation et de l’organisation a succédé celui de l’appropriation par le continent africain de son propre destin. L’Afrique se prend en charge. Elle prend en main son avenir. Votre continent est, depuis plus d’une décennie et à l’initiative des Africains eux-mêmes, le théâtre d’une profonde mutation dont le monde extérieur n’a pas encore pris la mesure.
C’est vrai d’abord dans le domaine économique.
Contrairement à tant d’idées reçues, l’Afrique enregistre des progrès remarquables : Entre 1995 et 2008 l’Afrique subsaharienne a connu une croissance largement supérieure à la moyenne mondiale – 5,1% contre 3,1%-, deux fois plus rapide que sa croissance démographique. Après un ralentissement en 2009 et 2010, dû à la crise internationale, elle devrait, selon le FMI, retrouver un rythme de plus de 5% dès cette année.
Quand aux investissements directs étrangers, leur montant a été multiplié par sept sur le continent entre 2000 et 2008, et leur rentabilité est parmi les plus importantes au monde. Ces résultats spectaculaires s’appuient sur le formidable dynamisme démographique de l’Afrique, la jeunesse de sa population à l’heure où tant de pays doivent faire face au vieillissement de la leur, sur l’urbanisation et la croissance rapide de classe moyennes, sur un marché intérieur en pleine expansion, sur la richesse du sol et du sous-sol : autant d’atouts qui annoncent le décollage économique du continent.
Mais ce mouvement de l’Afrique ne se limite pas à l’économie : la bonne gouvernance, la démocratie, le respect des droits de l’Homme sont autant de valeurs pour lesquelles votre organisation se bat au quotidien et qu’elle fait avancer sur le continent. Ce sont des aspirations profondes de chacun de nos peuples, comme nous le rappellent avec les événements de Tunisie et d’Egypte. La France se tient avec amitié et respect aux côtés des Tunisiens et des Egyptiens dans cette période cruciale.
Permettez-moi, sur ce sujet sensible, au nom du lien fraternel qui unit les peuples d’Afrique et le peuple français, de parler à cœur ouvert. Je veux le faire en ami sincère, parce que l’on doit la vérité à ses amis. Je veux le faire parce que les évènements le rendent nécessaire, parce que devant les victimes innocentes la conscience ne peut rester indifférente, parce que la violence, d’où qu’elle vienne, n’est jamais une solution, parce qu’elle n’appelle rien d’autre que la violence, parce qu’elle n’engendre que la désolation et la souffrance. La France respecte la souveraineté des Etats et le droit des peuples à se déterminer eux-mêmes. Elle ne veut ni donner de leçon, ni chercher à imposer un modèle. Au nom de quoi le pourrait-elle ? Mais il y a des valeurs qui sont universelles, celles de la Charte des Nations Unies et de l’Acte constitutif de l’Union Africaine, celle aussi du dialogue, de l’écoute, de l’ouverture, que chacun, par les moyens qui lui sont propres et qui dépendent évidemment de son histoire, de sa culture, des circonstances, doit s’efforcer de respecter et de promouvoir.
Tous les hommes, tous les peuples y aspirent. De cette aspiration, nul, dans le monde où nous vivons, ne peut se tenir à l’écart. Les nouveaux moyens de communication ont fait de la Terre un village. L’opinion publique mondiale, la conscience universelle, sont devenues des réalités. Elles réunissent tous les peuples qui à chaque instant partagent les mêmes informations, les mêmes émotions. Tous les responsables politiques doivent compter avec elles, avec les valeurs qu’elles portent. Vous, comme moi, nous devons en tenir compte dans notre façon de gouverner.
Dans le monde d’aujourd’hui, on ne peut plus gouverner comme dans celui d’hier. Ce changement, ou bien le subit et c’est la porte ouverte, un jour ou l’autre à la violence, ou bien on le précède, on l’accompagne et il peut s’accomplir sans heurt, sans déchirement, sans ouvrir la voie à toutes les aventures. Ce changement pacifique, la France le souhaite, elle est prête à l’accompagner.
Monsieur le Président de l’Union Africaine,
S’il est un domaine où l’Afrique progresse, c’est bien celui de la prévention et de la résolution pacifique des conflits. Je rends hommage à l’Union Africaine, à sa Commission et à Conseil de Paix et de Sécurité, ainsi qu’à vos organisations régionales, qui jouent aujourd’hui un rôle essentiel.
Bien sûr, tout est loin d’être parfait. L’actualité offre encore trop d’exemples de crises qui soumettent les populations à des violences inacceptables. De nouvelles menaces terrorisme au Sahel, piraterie en Somalie et dans le Golf de Guinée, trafics en tout genre – se développent dangereusement.
Ici ou là, des conflits s’éternisent. Je pense à l’Est de la République Démocratique du Congo, théâtre depuis si longtemps d’une tragédie humanitaire. Je pense à la Somalie, en proie depuis deux décennies au chaos et où le gouvernement de transition peine à asseoir son autorité, malgré l’action admirable des soldats de l’Union africaine.
En Côte d’Ivoire, c’est tout un peuple qui voit bafoué le choix qu’il a librement exprimé lors d’une élection qui devait sceller le retour à la paix. La France apporte un soutien résolu aux efforts de l’Union Africaine, de la Cedeao et du Secrétaire général des Nation Unies pour faire prévaloir, dans la paix, le respect du choix des Ivoiriens.
Malgré les difficultés et quelques reculs, qui interpellent notre conscience et requièrent notre mobilisation, que de victoires remportées contre la violence, contre l’intolérance, contre la dictature ! Que de guerres arrêtées ou évitées ! Que de crises résolues !
On ne le sait pas assez : le nombre de conflits graves sur le continent a fortement diminué au cours des années 2000. Et jamais autant d’élections pluralistes ne s’y sont déroulées qu’au cours des dix dernières années.
Qui aurait dit, il y a un an encore, que le référendum au Sud-Soudan se tiendrait, et qu’il se déroulerait pacifiquement ? Certes, beaucoup reste à faire pour consolider les bases d’une coexistence pacifique entre le Nord et le Sud et restaurer une paix durable et juste du Darfour. Mais enfin, quel message d’espoir ! Nous serons aux côtés de tous les Soudanais pour les aider surmonter les défis de demain.
Qui aurait pensé, il y a un an encore, que la Guinée, après cinquante ans de dictature, élirait pour la première fois librement son Président, en la personne de notre ami Alpha Condé, ici présent et que je salue ? Puissent le Niger et Madagascar, deux pays également chers à la France, suivre rapidement le même chemin et retrouver ainsi leur place au sein de votre famille. Plus fort, plus uni, plus sûr de lui et conscient de ce qu’il apporte au monde, votre continent entend désormais occuper toute la place qui lui revient sur la scène internationale. Or, le monde lui-même a besoin d’une Afrique qui s’assume et qui s’affirme, d’une Afrique qui construit son avenir, d’une Afrique qui contribue aussi à la résolution des grands problèmes de notre temps. Le monde a besoin de l’Afrique car ce continent apportera, pour les décennies à venir, les relais de croissance nécessaires à sa prospérité. Le monde a besoin d »’une Afrique organisée car la régulation de la mondialisation doit s’appuyer sur des ensembles régionaux structurés capables de faire entendre pleinement leurs voix. Le monde a besoin d’une Afrique engagée car les défis de notre temps (changements climatiques, menaces transnationales, pandémies, déséquilibres monétaires et financiers) sont planétaires et exigent des réponses collectives. Monsieur le Président,
Madame, Messieurs les Chefs d’Etat et de gouvernement,
Nos destins sont liés. Reconnaître à l’Afrique sa juste place dans les grandes enceintes internationales lui permettre de prendre part aux grandes décisions, c’est non seulement répondre à son aspiration légitime, mais c’est mieux construire notre avenir commun. Telle est la conviction qui m’animera tout au long de cette année de présidence française du G20 et du G8. Le G 20 a adopté à Séoul en novembre dernier un plan d’actions ambitieux pour le développement. Mon premier devoir sera donc de mettre en œuvre avec l’aide notamment de l’Afrique du Sud, membre du G20 et qui co-préside avec la France le groupe de travail « Développement ». Je souhaite qu’un accent particulier soit mis sur deux thèmes du plan d’actions : la sécurité alimentaire et les infracstructures. Alors qu’une grave crise alimentaire menace à nouveau, deux ans après les émeutes de la faim de 2008, alors que près d’un milliard d’êtres humains sont mal-nourris, la sécurité alimentaire doit être notre première priorité. J’avais lancé n juin 2008 au Sommet de la FAO le projet d’un partenariat mondial pour relancer l’investissement dans l’agriculture et renforcer la cohérence des interventions de la communauté internationale. Depuis lors, des progrès importants ont été réalisés. La part des projets agricoles dans le portefeuille des banques de développement a doublé, passant de 5% à 10%. Il faut aller loin. Pour satisfaire les besoins alimentaires de 9 milliards d’êtres humains en 2050, la Production agricole mondiale devra augmenter de 70% au cours des 40 prochaines années. Mais il faut aussi lutter contre l’excessive volatilité des prix agricoles : elle a été multipliée par trois en vingt ans, avec la franciarisation croissante des marchés agricoles. Les prix sont aujourd’hui au plus haut et les premières victimes en sont les pays les le plus pauvres. Il faut négocier les marchés dérivés de produits agricoles. Il faut accroître la transparence des informations sur les produits et les stocks. Il fait aussi, dès qu’une crise menace coordonner les politiques agricoles, mobiliser des stocks d’urgence et mettre en œuvre des mécanismes d’assurance pour les pays les plus pauvres. Pourquoi ne pas réfléchir aux moyens de permettre aux pays en développement d’accéder à des instruments de couverture contre les variations de cours ou les évènements météorologiques qui peuvent affecter les récoltes ? Il faut enfin améliorer l’offre agricole dans les pays en développement, encourager la recherche, augmenter la productivité. Toutes ces propositions, je les ai discutées avec le président de la Banque mondiale et des représentants des Nations-Unies, le G20 s’y attelle et je compte sur votre soutien pour faire aboutir ce chantier. Deuxième thème prioritaire : les infrastructures. Là encore, je veillerai à ce que l’Afrique soit au cœur de nos travaux : en effet, les dépenses annuelles d’investissement y couvrent moins de la moitié des besoins (45 milliards de dollars sur 93), alors que le renforcement des infrastructures permettrait au continent de gagner deux points de croissance. Quant au G8, j’ai tenu à ce que son partenariat avec l’Afrique soit renforcé. Huit dirigeants africains, soit autant que de membre du G8, participeront au Sommet de Deauville le 27 mai. Ce sera une occasion privilégiée d’échanges approfondis. Pour la première fois, nous préparerons ensemble, dès les prochains jours, une déclaration conjointe, pour permettre à l’Afrique de peser véritablement sur les conclusions des travaux. Je souhaite que nos discussions nous permettent de mieux mesurer ensemble le respect des engagements pris, l’efficacité de l’aide et les conditions d’un accroissement substantiel des investissements privés en Afrique. Je pense notamment à l’environnement des affaires et à la transparence des industries extractives : nous parlerons de l’obligation pour toute entreprise de publier, par projet, l’ensemble des paiements qu’elle verse. Je proposerai à l’Union européenne d’adopter rapidement des règles à ce sujet, comme l’ont fait les Etats-Unis. Nous parlerons aussi d’initiatives concrètes, qu’il s’agisse de l’accès à l’énergie ou de la réduction de la facture numérique. Vous l’avez compris, je souhaite que la présidence française du G20 et du G8 soit vraiment utile à l’Afrique. Mais pour réussir, nous devons agir ensemble. C’est le cas, en particulier, sur un sujet d’une importance majeure : le financement du développement et de la lutte contre le réchauffement climatique. Regardons les choses en face. L’aide publique au développement sera largement insuffisante pour atteindre les Objectifs du Millénaire d’ici à 2015 et pour tenir l’engagement de Copenhague de consacrer 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 aux pays en développement. L’aide publique mondiale, c’est aujourd’hui 120 milliards de dollars par an. A elle seule, d’ailleurs, la France, deuxième contributeur, fournit 10% de ce total et, malgré la crise, elle a décidé de maintenir son effet, notamment en faveur de l’Afrique. Mais l’Etat des finances publiques des pays développés ne leur permet pas d’augmenter de façon importante leurs contributions, et certainement pas de les doubler. Pardonnez-moi ce langage de vérité. Il est la marque du respect et de l’amitié que j’ai pour vous. Je pourrais, sur un sujet aussi sensible, me contenter, comme d’autres, de rester vague et de valoriser le bilan de la France qui depuis 2007, a augmenté son aide publique au développement de 35%. La vérité, c’est que nous avons un choix à faire : soit nous nous limitons à l’aide publique, et nous ne serons pas au rendez vous des engagements pris par la communauté internationale ; soit nous nous décidons enfin à développer les financements innovants à plus grande échelle, afin d’honorer la parole donnée et surtout répondre aux défis du développement et du climat. La France a fait son choix. Tout en maintenant son effort d’aide, elle plaidera résolument pour de nouveaux financements innovants après avoir déjà été pionnière lors de la création de la taxe sur les billets d’avions qui finance UNITAID. Je proposerai aux membres du G20 de travailler cette année à la mise en œuvre des excellentes propositions du groupe des Nations Unies sur le financement à long terme du climat, coprésidé par le Premier Ministre Mêlés. Les Ministres des Finances du G20 en discuteront dès leur première réunion en France, dans trois semaines. Je souhaite que la question des financements innovants soit mise sur la table. Toutes les solutions doivent être étudiées pour présenter au G20 un panier d’options. Chaque pays pourra alors choisir les financements innovants qu’il voudra mettre en œuvre. Je suis pour ma part convaincu qu’une taxe infinitésimale sur les transactions financières serait à la fois juste, utile et efficace. Certes, je ne méconnais pas les oppositions qui existent. Mais si un groupe suffisamment large de pays pionniers veulent aller de l’avant, alors rien ne pourra arrêter ce mouvement. Pour rallier aux financements innovants un grand nombre de pays du G20, puis l’ensemble de la communauté internationale, j’ai besoin d’un soutien fort et déterminé de l’Afrique. Je sais que certains parmi vous craignent qu’il s’agisse d’un prétexte pour retarder la tenue des engagements pris. Or, dans mon esprit, c’est exactement le contraire : l’aide publique est indispensable et doit rester le pilier central de notre action. Mais seul l’apport additionnel des financements innovants nous permettra d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Ce combat pour les financements innovants, je veux le livrer dès cette année. Mais je ne peux le faire sans vous, et encore moins contre vous. J’appelle donc aujourd’hui l’Union Africaine et tous ses membres à exprimer leur soutien à cette ambition, pour que le rêve d’aujourd’hui devienne la réalité de demain.
Monsieur le Président,
Madame et Messieurs les chefs d’Etats et de Gouvernement,
Je souhaite plein succès à votre Sommet et vous remercie une nouvelle fois de l’honneur que vous m’avez accordé en me recevant aujourd’hui parmi vous.
Transcrit par Dosso Villard, envoyé spécial
Monsieur le Secrétaire général des Nations Unies
Monsieur le Président de la Commission de l’Union Africaine,
Madame et Messieurs les chefs d’Etats et de gouvernement,
Mesdames et Messieurs,
C’est un grand honneur que vous me faites, que vous faites à la France en me recevant parmi vous aujourd’hui. Pour la première fois depuis 1963, un chef de l’Etat français est invité à s’exprimer dans cette enceinte qui symbolise l’identité de votre continent et où s’affirment, jour après jour, son unité et son rôle sur la scène internationale. J’y suis extrêmement sensible et vous remercie profondément.
La France assume, depuis quelques semaines et pour une année, la lourde responsabilité de présider le G8 et le G20. Cette double présidence française, nous l’avions évoquée l’an dernier, lors du Sommet de Nice. Je vous avais alors promis de tout faire pour que l’Afrique soit associée aussi étroitement que possible aux travaux du G8 et du G20. C’est cette promesse que j’ai voulu honorer aujourd’hui, en entamant avec vous une concertation que je souhaite, tout au long de cette année, étroite et confiante.
Cet engagement à travailler avec vous, je ne l’ai pas pris uniquement par amitié, si profonde soit celle que j’éprouve pour votre continent. Je l’ai pris parce qu’il correspond, à mes yeux, à une évidente nécessité.
Monsieur le Président,
Madame et Messieurs les Chefs d’Etat et de gouvernement
Au temps de l’émancipation et de l’organisation a succédé celui de l’appropriation par le continent africain de son propre destin. L’Afrique se prend en charge. Elle prend en main son avenir. Votre continent est, depuis plus d’une décennie et à l’initiative des Africains eux-mêmes, le théâtre d’une profonde mutation dont le monde extérieur n’a pas encore pris la mesure.
C’est vrai d’abord dans le domaine économique.
Contrairement à tant d’idées reçues, l’Afrique enregistre des progrès remarquables : Entre 1995 et 2008 l’Afrique subsaharienne a connu une croissance largement supérieure à la moyenne mondiale – 5,1% contre 3,1%-, deux fois plus rapide que sa croissance démographique. Après un ralentissement en 2009 et 2010, dû à la crise internationale, elle devrait, selon le FMI, retrouver un rythme de plus de 5% dès cette année.
Quand aux investissements directs étrangers, leur montant a été multiplié par sept sur le continent entre 2000 et 2008, et leur rentabilité est parmi les plus importantes au monde. Ces résultats spectaculaires s’appuient sur le formidable dynamisme démographique de l’Afrique, la jeunesse de sa population à l’heure où tant de pays doivent faire face au vieillissement de la leur, sur l’urbanisation et la croissance rapide de classe moyennes, sur un marché intérieur en pleine expansion, sur la richesse du sol et du sous-sol : autant d’atouts qui annoncent le décollage économique du continent.
Mais ce mouvement de l’Afrique ne se limite pas à l’économie : la bonne gouvernance, la démocratie, le respect des droits de l’Homme sont autant de valeurs pour lesquelles votre organisation se bat au quotidien et qu’elle fait avancer sur le continent. Ce sont des aspirations profondes de chacun de nos peuples, comme nous le rappellent avec les événements de Tunisie et d’Egypte. La France se tient avec amitié et respect aux côtés des Tunisiens et des Egyptiens dans cette période cruciale.
Permettez-moi, sur ce sujet sensible, au nom du lien fraternel qui unit les peuples d’Afrique et le peuple français, de parler à cœur ouvert. Je veux le faire en ami sincère, parce que l’on doit la vérité à ses amis. Je veux le faire parce que les évènements le rendent nécessaire, parce que devant les victimes innocentes la conscience ne peut rester indifférente, parce que la violence, d’où qu’elle vienne, n’est jamais une solution, parce qu’elle n’appelle rien d’autre que la violence, parce qu’elle n’engendre que la désolation et la souffrance. La France respecte la souveraineté des Etats et le droit des peuples à se déterminer eux-mêmes. Elle ne veut ni donner de leçon, ni chercher à imposer un modèle. Au nom de quoi le pourrait-elle ? Mais il y a des valeurs qui sont universelles, celles de la Charte des Nations Unies et de l’Acte constitutif de l’Union Africaine, celle aussi du dialogue, de l’écoute, de l’ouverture, que chacun, par les moyens qui lui sont propres et qui dépendent évidemment de son histoire, de sa culture, des circonstances, doit s’efforcer de respecter et de promouvoir.
Tous les hommes, tous les peuples y aspirent. De cette aspiration, nul, dans le monde où nous vivons, ne peut se tenir à l’écart. Les nouveaux moyens de communication ont fait de la Terre un village. L’opinion publique mondiale, la conscience universelle, sont devenues des réalités. Elles réunissent tous les peuples qui à chaque instant partagent les mêmes informations, les mêmes émotions. Tous les responsables politiques doivent compter avec elles, avec les valeurs qu’elles portent. Vous, comme moi, nous devons en tenir compte dans notre façon de gouverner.
Dans le monde d’aujourd’hui, on ne peut plus gouverner comme dans celui d’hier. Ce changement, ou bien le subit et c’est la porte ouverte, un jour ou l’autre à la violence, ou bien on le précède, on l’accompagne et il peut s’accomplir sans heurt, sans déchirement, sans ouvrir la voie à toutes les aventures. Ce changement pacifique, la France le souhaite, elle est prête à l’accompagner.
Monsieur le Président de l’Union Africaine,
S’il est un domaine où l’Afrique progresse, c’est bien celui de la prévention et de la résolution pacifique des conflits. Je rends hommage à l’Union Africaine, à sa Commission et à Conseil de Paix et de Sécurité, ainsi qu’à vos organisations régionales, qui jouent aujourd’hui un rôle essentiel.
Bien sûr, tout est loin d’être parfait. L’actualité offre encore trop d’exemples de crises qui soumettent les populations à des violences inacceptables. De nouvelles menaces terrorisme au Sahel, piraterie en Somalie et dans le Golf de Guinée, trafics en tout genre – se développent dangereusement.
Ici ou là, des conflits s’éternisent. Je pense à l’Est de la République Démocratique du Congo, théâtre depuis si longtemps d’une tragédie humanitaire. Je pense à la Somalie, en proie depuis deux décennies au chaos et où le gouvernement de transition peine à asseoir son autorité, malgré l’action admirable des soldats de l’Union africaine.
En Côte d’Ivoire, c’est tout un peuple qui voit bafoué le choix qu’il a librement exprimé lors d’une élection qui devait sceller le retour à la paix. La France apporte un soutien résolu aux efforts de l’Union Africaine, de la Cedeao et du Secrétaire général des Nation Unies pour faire prévaloir, dans la paix, le respect du choix des Ivoiriens.
Malgré les difficultés et quelques reculs, qui interpellent notre conscience et requièrent notre mobilisation, que de victoires remportées contre la violence, contre l’intolérance, contre la dictature ! Que de guerres arrêtées ou évitées ! Que de crises résolues !
On ne le sait pas assez : le nombre de conflits graves sur le continent a fortement diminué au cours des années 2000. Et jamais autant d’élections pluralistes ne s’y sont déroulées qu’au cours des dix dernières années.
Qui aurait dit, il y a un an encore, que le référendum au Sud-Soudan se tiendrait, et qu’il se déroulerait pacifiquement ? Certes, beaucoup reste à faire pour consolider les bases d’une coexistence pacifique entre le Nord et le Sud et restaurer une paix durable et juste du Darfour. Mais enfin, quel message d’espoir ! Nous serons aux côtés de tous les Soudanais pour les aider surmonter les défis de demain.
Qui aurait pensé, il y a un an encore, que la Guinée, après cinquante ans de dictature, élirait pour la première fois librement son Président, en la personne de notre ami Alpha Condé, ici présent et que je salue ? Puissent le Niger et Madagascar, deux pays également chers à la France, suivre rapidement le même chemin et retrouver ainsi leur place au sein de votre famille. Plus fort, plus uni, plus sûr de lui et conscient de ce qu’il apporte au monde, votre continent entend désormais occuper toute la place qui lui revient sur la scène internationale. Or, le monde lui-même a besoin d’une Afrique qui s’assume et qui s’affirme, d’une Afrique qui construit son avenir, d’une Afrique qui contribue aussi à la résolution des grands problèmes de notre temps. Le monde a besoin de l’Afrique car ce continent apportera, pour les décennies à venir, les relais de croissance nécessaires à sa prospérité. Le monde a besoin d »’une Afrique organisée car la régulation de la mondialisation doit s’appuyer sur des ensembles régionaux structurés capables de faire entendre pleinement leurs voix. Le monde a besoin d’une Afrique engagée car les défis de notre temps (changements climatiques, menaces transnationales, pandémies, déséquilibres monétaires et financiers) sont planétaires et exigent des réponses collectives. Monsieur le Président,
Madame, Messieurs les Chefs d’Etat et de gouvernement,
Nos destins sont liés. Reconnaître à l’Afrique sa juste place dans les grandes enceintes internationales lui permettre de prendre part aux grandes décisions, c’est non seulement répondre à son aspiration légitime, mais c’est mieux construire notre avenir commun. Telle est la conviction qui m’animera tout au long de cette année de présidence française du G20 et du G8. Le G 20 a adopté à Séoul en novembre dernier un plan d’actions ambitieux pour le développement. Mon premier devoir sera donc de mettre en œuvre avec l’aide notamment de l’Afrique du Sud, membre du G20 et qui co-préside avec la France le groupe de travail « Développement ». Je souhaite qu’un accent particulier soit mis sur deux thèmes du plan d’actions : la sécurité alimentaire et les infracstructures. Alors qu’une grave crise alimentaire menace à nouveau, deux ans après les émeutes de la faim de 2008, alors que près d’un milliard d’êtres humains sont mal-nourris, la sécurité alimentaire doit être notre première priorité. J’avais lancé n juin 2008 au Sommet de la FAO le projet d’un partenariat mondial pour relancer l’investissement dans l’agriculture et renforcer la cohérence des interventions de la communauté internationale. Depuis lors, des progrès importants ont été réalisés. La part des projets agricoles dans le portefeuille des banques de développement a doublé, passant de 5% à 10%. Il faut aller loin. Pour satisfaire les besoins alimentaires de 9 milliards d’êtres humains en 2050, la Production agricole mondiale devra augmenter de 70% au cours des 40 prochaines années. Mais il faut aussi lutter contre l’excessive volatilité des prix agricoles : elle a été multipliée par trois en vingt ans, avec la franciarisation croissante des marchés agricoles. Les prix sont aujourd’hui au plus haut et les premières victimes en sont les pays les le plus pauvres. Il faut négocier les marchés dérivés de produits agricoles. Il faut accroître la transparence des informations sur les produits et les stocks. Il fait aussi, dès qu’une crise menace coordonner les politiques agricoles, mobiliser des stocks d’urgence et mettre en œuvre des mécanismes d’assurance pour les pays les plus pauvres. Pourquoi ne pas réfléchir aux moyens de permettre aux pays en développement d’accéder à des instruments de couverture contre les variations de cours ou les évènements météorologiques qui peuvent affecter les récoltes ? Il faut enfin améliorer l’offre agricole dans les pays en développement, encourager la recherche, augmenter la productivité. Toutes ces propositions, je les ai discutées avec le président de la Banque mondiale et des représentants des Nations-Unies, le G20 s’y attelle et je compte sur votre soutien pour faire aboutir ce chantier. Deuxième thème prioritaire : les infrastructures. Là encore, je veillerai à ce que l’Afrique soit au cœur de nos travaux : en effet, les dépenses annuelles d’investissement y couvrent moins de la moitié des besoins (45 milliards de dollars sur 93), alors que le renforcement des infrastructures permettrait au continent de gagner deux points de croissance. Quant au G8, j’ai tenu à ce que son partenariat avec l’Afrique soit renforcé. Huit dirigeants africains, soit autant que de membre du G8, participeront au Sommet de Deauville le 27 mai. Ce sera une occasion privilégiée d’échanges approfondis. Pour la première fois, nous préparerons ensemble, dès les prochains jours, une déclaration conjointe, pour permettre à l’Afrique de peser véritablement sur les conclusions des travaux. Je souhaite que nos discussions nous permettent de mieux mesurer ensemble le respect des engagements pris, l’efficacité de l’aide et les conditions d’un accroissement substantiel des investissements privés en Afrique. Je pense notamment à l’environnement des affaires et à la transparence des industries extractives : nous parlerons de l’obligation pour toute entreprise de publier, par projet, l’ensemble des paiements qu’elle verse. Je proposerai à l’Union européenne d’adopter rapidement des règles à ce sujet, comme l’ont fait les Etats-Unis. Nous parlerons aussi d’initiatives concrètes, qu’il s’agisse de l’accès à l’énergie ou de la réduction de la facture numérique. Vous l’avez compris, je souhaite que la présidence française du G20 et du G8 soit vraiment utile à l’Afrique. Mais pour réussir, nous devons agir ensemble. C’est le cas, en particulier, sur un sujet d’une importance majeure : le financement du développement et de la lutte contre le réchauffement climatique. Regardons les choses en face. L’aide publique au développement sera largement insuffisante pour atteindre les Objectifs du Millénaire d’ici à 2015 et pour tenir l’engagement de Copenhague de consacrer 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 aux pays en développement. L’aide publique mondiale, c’est aujourd’hui 120 milliards de dollars par an. A elle seule, d’ailleurs, la France, deuxième contributeur, fournit 10% de ce total et, malgré la crise, elle a décidé de maintenir son effet, notamment en faveur de l’Afrique. Mais l’Etat des finances publiques des pays développés ne leur permet pas d’augmenter de façon importante leurs contributions, et certainement pas de les doubler. Pardonnez-moi ce langage de vérité. Il est la marque du respect et de l’amitié que j’ai pour vous. Je pourrais, sur un sujet aussi sensible, me contenter, comme d’autres, de rester vague et de valoriser le bilan de la France qui depuis 2007, a augmenté son aide publique au développement de 35%. La vérité, c’est que nous avons un choix à faire : soit nous nous limitons à l’aide publique, et nous ne serons pas au rendez vous des engagements pris par la communauté internationale ; soit nous nous décidons enfin à développer les financements innovants à plus grande échelle, afin d’honorer la parole donnée et surtout répondre aux défis du développement et du climat. La France a fait son choix. Tout en maintenant son effort d’aide, elle plaidera résolument pour de nouveaux financements innovants après avoir déjà été pionnière lors de la création de la taxe sur les billets d’avions qui finance UNITAID. Je proposerai aux membres du G20 de travailler cette année à la mise en œuvre des excellentes propositions du groupe des Nations Unies sur le financement à long terme du climat, coprésidé par le Premier Ministre Mêlés. Les Ministres des Finances du G20 en discuteront dès leur première réunion en France, dans trois semaines. Je souhaite que la question des financements innovants soit mise sur la table. Toutes les solutions doivent être étudiées pour présenter au G20 un panier d’options. Chaque pays pourra alors choisir les financements innovants qu’il voudra mettre en œuvre. Je suis pour ma part convaincu qu’une taxe infinitésimale sur les transactions financières serait à la fois juste, utile et efficace. Certes, je ne méconnais pas les oppositions qui existent. Mais si un groupe suffisamment large de pays pionniers veulent aller de l’avant, alors rien ne pourra arrêter ce mouvement. Pour rallier aux financements innovants un grand nombre de pays du G20, puis l’ensemble de la communauté internationale, j’ai besoin d’un soutien fort et déterminé de l’Afrique. Je sais que certains parmi vous craignent qu’il s’agisse d’un prétexte pour retarder la tenue des engagements pris. Or, dans mon esprit, c’est exactement le contraire : l’aide publique est indispensable et doit rester le pilier central de notre action. Mais seul l’apport additionnel des financements innovants nous permettra d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Ce combat pour les financements innovants, je veux le livrer dès cette année. Mais je ne peux le faire sans vous, et encore moins contre vous. J’appelle donc aujourd’hui l’Union Africaine et tous ses membres à exprimer leur soutien à cette ambition, pour que le rêve d’aujourd’hui devienne la réalité de demain.
Monsieur le Président,
Madame et Messieurs les chefs d’Etats et de Gouvernement,
Je souhaite plein succès à votre Sommet et vous remercie une nouvelle fois de l’honneur que vous m’avez accordé en me recevant aujourd’hui parmi vous.
Transcrit par Dosso Villard, envoyé spécial