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Politique Publié le mercredi 23 mars 2011 | Le Temps

Les morts ne sont pas morts / Harris Mémel-Fotê mobilise la jeunesse patriotique de 2011

Qui est Harris Memel-Fotê ?

L’enfant de Dedeku Sar – ainsi que l’ont surnommé ses compatriotes (Alex I-Lemon, La refondation, Abidjan, 2009), Harris Mémel-Fotê naquit le 30 janvier 1930 à Mopoyem. Il fit d’abord ses études primaires à Dabou avant d’entamer les études secondaires et supérieures en France (Grasse, Nice, Marseille et Paris). Comme étudiant, il milita à l’Aecif (Association des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire en France) et à la Feanf (Fédérations des étudiants d’Afrique noire francophone). Partisan du combat pour l’indépendance des pays africains francophones, Harris Mémel-Fotê répond à l’appel lancé à toute la jeunesse africaine par le gouvernement de Conakry afin qu’elle lui vienne en aide après la défection des coopérants français que de Gaulle venait de sommer de quitter la Guinée (qui venait de dire "Non" à la dépendance).

Brillant universitaire, anthropologue de renom, Harris Mémel-Fotê fut, au plan politique, la jonction entre Sékou Touré et Kouame Nkrumah qu’il côtoya de 1958 à 1959. Décédé le 11 mai 2008, Harris Mémel-Fotê fut successivement membre fondateur de l’Institut d’Ethno-Sociologie, membre du Comité exécutif du conseil africain des sociologues et des anthropologues (Casa), président du Comté scientifique du Codesria, président de l’Académie des sciences, des arts, des cultures d’Afrique et des diasporas africaines (Ascad), président de la Fondation Harris Mémel-Fotê, Membre de l’Académie universelle des cultures. Au soir de sa vie et malgré la maladie, il a accordé de nombreux entretiens à son neveu Alex I-Lemon, témoignages qui ont donné lieu à l’ouvrage L’enfant de Dedeku Sar où le philosophe, anthropologue donne sa position sur la rébellion, les moyens de la combattre ainsi que sur le sens même de la vie.
On peut considérer les propos de Mémel (2003-2005) comme un ensemble de conseils d’outre-tombe prodigués à la jeunesse patriotique de mars 2011.

L’intelligence, le respect et l’observance des lois avant toutes choses

«Il y a deux groupes de gens. Ceux qui pensent que le changement se fait par la richesse et ceux qui pensent qu'il se fait par l'intelligence comme Senghor». Lors d'une visite officielle de Senghor en Côte d'Ivoire, pendant que le président Houphouët lui montrait les réalisations de Yamoussoukro, il lui a posé la question : «entends-tu le bruit des petits oiseaux ? ».
Nous avons choisi le chemin de Senghor, le chemin de la culture, non pas parce que l'autre chemin n'est pas bon mais parce qu'il n'est pas meilleur que le nôtre. Dans notre environnement africain, le changement ne peut venir ni de la richesse ni de la force (armée), mais plutôt de l’intelligence, du respect et de l’observance des lois.

Le devoir des gouvernants (Ebebu)

«Nous sommes d'un héritage culturel où ceux qui ont le pays (Eb) en mains et qui prennent toutes les grandes décisions s'appellent les « Ebebu ». Ceux-là restent en permanence au pays de sorte que, lorsque se pose un grand problème dans la cité, ils puissent rapidement prendre les décisions qui s'imposent. Si la communauté doit être exterminée, ils le seront avec elle. C'est la raison pour laquelle dans les temps anciens, l'Ebebu ne dormait jamais à l'étranger. Cela caractérisait la responsabilité d’avoir l''Eb' entre ses mains».

Le péché originel du PDCI et les difficultés du FPI et de la Majorité Présidentielle (Lmp)

«Le problème Ouattara est un héritage du Pdci, c'est un genre de péché originel. La situation n'a pas été clarifiée avant qu'il soit président d'un parti politique en Côte d'Ivoire. On ne liquide pas un héritage rapidement!...).
Nous avons commencé, il faut le dire, avec beaucoup de difficultés, à cause de ce problème. Il y a toujours des «trous» en politique, l'essentiel est de maîtriser le mouvement.
Notre point fort est que nous connaissons mieux le peuple, c'est la mère. En tant que parti, nous ne sommes pas encore au point. C'est une marche et les conditions de cette marche résident dans le peuple. Ceux qui viendront demain vont la continuer. Nos deux principaux problèmes sont des problèmes de langage et des problèmes idéologiques.
Nous ne maîtrisons pas encore la langue et notre environnement social, qui est en train de changer, nous envoie des problèmes qu'il faut résoudre presque immédiatement. Mais ces problèmes, bien qu'imbriqués, sont hiérarchisés».

Réflexion sur la dialectique de la violence et de la démocratie

«C'est vrai que nous n’avons pas pensé à la violence dans le processus de démocratisation. Nous avons nié l'importance de la violence dans la démocratie alors que nous savons que c'est par la violence que la démocratie est née. Notre effort a toujours été un effort pour discréditer la violence comme le font tous les mouvements démocratiques contemporains.
Comme nous avons commis l'erreur de ne pas repenser la violence dans le processus de démocratisation, nous allons le faire. Il s’agit de montrer, théoriquement, l’importance de la violence dans le processus de démocratisation et d’essayer de voir si on peut ou non s’en passer (…).
La Côte d'Ivoire a indiqué clairement qu'elle est armée. Les militaires ivoiriens sont dans une position où, s'ils ont la certitude d'être attaqués, ils se défendront comme il se doit.
La communauté internationale se plie toujours au diktat du pays. Quand le peuple se soulève, elle cède».
"Aujourd'hui, nous voulons faire les choses comme le peuple le sent".

Les pouvoirs de la négociation

«Cette guerre a permis de voir que la Côte d'Ivoire a un certain génie de la négociation, de la tactique, que les autres (ceux qui se sont retrouvés dans la même situation) n'ont pas.
Si nous n'étions pas socialistes, nous ne pourrions pas résister longtemps. Notre logique est plus forte que celle de nos adversaires: nous n'avons pas privilégié la guerre. Nous nous sommes engagés dans la négociation. Nous avons fait preuve de patience pour que les uns et les autres comprennent mieux notre combat. Et malgré toutes les manipulations et les campagnes de diabolisation pour chasser le président du pouvoir, nous demeurons plus forts».

L’heure de la libération a sonné

«Quand nous serons décidés d'en finir avec cette crise, ce sera fini. Si nous décidons que les Français et l'Onu doivent partir, ils partiront, même après avoir fait des dégâts (...).
Le fait de ne pas pouvoir chasser le président du pouvoir et lui arracher la Côte d'Ivoire après tant de sacrifices et d'efforts est le signe que personne ne pourra diriger ce pays après avoir enlevé Gbagbo de force. Le jusqu'auboutisme de Chirac est guidé par un sentiment d'affront à laver. Il se dit que s'il renonce, c'est comme s'il n'est pas fort. En vérité, il n'est pas fort, car s'il l'était, il ne serait pas venu en Afrique pour ne s'arrêter qu'au Sénégal, c'est-à-dire dans un pays où on peut l'écouter et le suivre. Avec cette crise, la France est à un tournant important de ses relations avec l'Afrique ».

L’incroyable manque de solidarité du RHDP même face au péril national

«Les trois principaux problèmes auxquels nous faisons face sont d'abord le jusqu'auboutisme de Chirac dont nous avons parlé. Ensuite, l'opposition systématique qui est la base même de nos difficultés en ce sens qu'il y a un manque incroyable de solidarité et ce, même face au péril national. Les opposants préfèrent se livrer à des tueries. Les fusils sont donnés gratuitement et il ne reste qu'à tuer pour prendre le pouvoir. Les tueries, c'est chic, c'est plus facile et c'est plus rapide que la voie des débats d'idées et des urnes. Enfin, nous, nous voulons changer les mentalités et en cela, nous avons touché le cœur même des problèmes de développement».

Le sens à donner à nos vies

«Nous devons continuer dans notre voie, même si nous devons y laisser notre peau. Il s'agit de planter et si possible laisser d'autres récolter. Nous ne sommes pas comme les autres qui veulent planter et récolter».

Par Dédy Séri
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