Parmi les innombrables promesses faites par Laurent Gbagbo pour s’attirer la confiance des Ivoiriens, il y en a une seule qu’il a tenue durant ses dix ans de gestion du pays : le chaos avant de quitter le pouvoir. Eh bien, Gbagbo est parti, mais derrière lui se trouve un pays à reconstruire presqu’entièrement. Gbagbo est parti, mais il laisse derrière lui, un pays à reconstruire. Presqu’entièrement. L’état des lieux est sans appel. La Côte d’Ivoire est un Etat défiguré à cause justement de la politique hasardeuse menée durant une décennie par ceux qui avaient sa gestion en main. Depuis que la vie reprend petit à petit, le constat est amer. A Abidjan, les rues sont impraticables. ‘’Ornées’’ qu’elles sont par ce qui reste encore après des scènes de pillage indescriptibles, orchestrés par des jeunes patriotes. L’on a compris aux dernières heures de la chute du dictateur, que la vie n’avait plus aucun sens. Tant ses partisans l’ont ôtée à des centaines et peut-être à des milliers d’Ivoiriens et d’étrangers. A l’ouest du pays, le spectacle est ahurissant. Les derniers partisans de Gbagbo ont, avant de quitter la ville de Duékoué, semé tristesse, désolation, amertume et terreur. Des corps sans vie jonchent les rues de cette ville carrefour, autrefois point stratégique du trafic du binôme café-cacao. Les organisations de défense des droits de l‘homme font état de la découverte de charniers. Les victimes, selon le reportage d’une chaine de télévision internationale, sont de tous ordres. Elles sont civiles, militaires, hommes de Dieu, patients, qui tentaient de sortir d’hôpital pour chercher à manger et que des balles assassines des mercenaires et miliciens de Gbagbo ont fauchés. Comme aux premières heures de l’éclatement de l’ex-rébellion, l’ouest du pays a, ces derniers mois de crise postélectorale, payé un lourd tribut à la résistance et à l’entêtement de Gbagbo à quitter le pouvoir. A côté du conflit ethnique orchestré de toute pièce, il s’en est fallu de peu pour que les partisans de Gbagbo fassent basculer une simple crise issue d’une élection, en une guerre religieuse. La preuve, ces derniers n’ont point hésité à incendier des mosquées et à faire assassiner des imams. A Lakota, des autochtones, militants de l’ancien parti au pouvoir, ont pillé et mis le feu à des mosquées durant les conflits interethniques qui ont secoué la ville du 12 au 15 février dernier. Résultat de cette politique de la terre brûlée de Gbagbo : Abidjan et l’intérieur du pays vivent au rythme de l’insécurité. Les armes sont entre les mains des personnes qui pourtant, n’ont pas le droit de les posséder. Non seulement Gbagbo lui-même en a acheté à foison, mais ses lieutenants, comme Blé Goudé et Damana Pickass, les ont distribuées à la pelle aux jeunes patriotes et aux étudiants. Ceux-ci s’en servent d’ailleurs pour piller, violer, voler et réduire à néant les droits élémentaires de l’homme. La commune de Yopougon qu’ils considèrent comme leur fief est aujourd’hui une vraie poudrière. Un refuge pour quelques miliciens et mercenaires qui ont décidé de semer le chaos avant leur mise hors d’état de nuire qui ne saurait tarder. Depuis lundi dernier, la commune est le théâtre de violents affrontements entre, d’un côté miliciens et mercenaires payés par Gbagbo et de l’autre, des soldats des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) qui ont l’obligation de maintenir l’ordre dans la plus grande commune du district d’Abidjan. C’est à juste titre d’ailleurs que des observateurs de la scène politique ivoirienne soutiennent que la Côte d’Ivoire a été réduite à néant par son ancien dirigeant avant de s’en aller. Donnant du coup du fil à retordre au nouveau président de la République. Alassane Ouattara, puisque c’est bien de lui qu’il s’agit, aura bien du pain sur la planche. Il devra non seulement reconstruire un pays défiguré au sens propre, mais aussi et surtout ramener la paix et la réconciliation. Comment amener celui qui a perdu un proche à accepter de vivre ensemble avec son bourreau d’hier, sans qu’il ne soit habité par un quelconque sentiment de vengeance? Comment cet Ivoirien qui s’est investi durant toute sa vie dans la construction de sa résidence peut-il accepter de tout perdre et de tout recommencer par la faute d’un individu qui a tout détruit? C’est justement sur ce point que la communauté internationale et les Ivoiriens attendent le premier magistrat du pays. Les meurtrissures et les plaies provoquées par son prédécesseur sont tellement profondes qu’ADO est attendu à l’œuvre. Mais pour qui connaît l’homme, nul doute qu’il mettra un point d’honneur à venir à bout de ce défi.
Yves-M. ABIET
Yves-M. ABIET