Alors qu’Abidjan s’embrasait, le célèbre groupe terminait à Paris l’enregistrement de « Toutè kalé ». Réactions à chaud de ces artistes qui ont choisi un seul camp, celui de la musique.
Les Magic System sont là dans le jardin d’EMI, leur maison de disques, suspendus à leurs portables, guettant la moindre nouvelle de la Côte d’Ivoire. « Il faut qu’ils fassent un ratissage, sinon ça va être chaud, il faut arracher les armes... », soupire Manadja. Tino, en aparté, raconte les nuits passées au téléphone, dit qu’ils en auront au moins pour 1 600 euros de facture ce mois-ci. Ils vivent à Paris les trois quarts de l’année, mais leurs cœurs sont restés au « pays ». Sur Facebook, les messages tombent à chaque instant. Dix ans de conflit s’achèvent en un épilogue brutal. Les Magic System sont sous le choc. Ce qui rend presque dérisoire l’objet de notre rendez-vous : évoquer la sortie de leur sixième album.
Paris Match. A l’heure où nous parlons, Laurent Gbagbo et son épouse Simone sont entre les mains des Forces républicaines à Abidjan. Ça vous inspire quels commentaires ?
Magic System. Cela fait presque de la peine. L’image de ce monsieur -hagard, perdu, malmené, pour lequel nous avions du respect, restera dans nos mémoires. C’est quelqu’un qui nous a décorés deux fois, avec qui l’on déjeunait parfois... On aurait préféré qu’au terme de l’élection présidentielle un candidat se démarque clairement et que l’autre s’éclipse. Cela n’a pas été le cas, on ne va pas refaire l’Histoire mais c’est dommage. Le plus compliqué reste à venir, c’est l’après, la réconciliation et la pacification.
La guerre, à distance, comment l’avez-vous vécue ?
On s’inquiétait pour nos proches restés au pays. Ce qui était gênant aussi, c’est que tout le monde en France, sachant que nous sommes ivoiriens, le moindre chauffeur de taxi, la caissière du supermarché, nous demandait des nouvelles de la situation. Ça n’a pas été évident non plus de se retrouver en studio alors que le pays explosait. On n’avait pas le choix, il fallait respecter nos engagements, faire avec le calendrier de la maison de disques.
Etrangement cet album est assez gai, moderne, mais proche aussi de vos racines musicales, le zouglou...
Tous les pays qui traversent une guerre comptent sur les artistes pour leur redonner espoir et joie de vivre. On voulait détourner les regards négatifs portés sur notre pays, parler d’aspects plus positifs comme la musique, le sport.
“Children of Africa” est dédié à une fondation qui porte le même nom, celle de Mme Dominique Ouattara, l’épouse d’Alassane. Cela signifie-t-il que vous avez choisi votre camp ?
Le projet d’aider la fondation de Dominique Ouattara remonte à 2008, bien avant qu’elle ne devienne première dame... A cette époque, elle nous avait reçus à Washington avec son mari et était venue assister à notre concert. Le hasard a voulu que la sortie de l’album, le premier depuis quatre ans, coïncide avec les événements... Même si en Afrique on a tendance à confondre politique et social, on a fait ça pour la bonne cause. Cette fondation réalise beaucoup de choses, depuis des années, sur le terrain, et nous sommes fiers que les droits de cette chanson lui soient intégralement reversés. Tant pis si certains l’interprètent autrement.
Côtoyant les Ouattara comme les Gbagbo, vous avez dû parfois vous sentir tiraillés...
Il y a dans le groupe deux Nordistes musulmans et deux chrétiens originaires du Grand Ouest... Et pourtant, nous ne nous sommes jamais divisés sur la question de l’ivoirité. On s’est parfois sentis comme des enfants refusant de se mêler de la bagarre de leurs parents. Ce n’est pas parce que ta mère a insulté ton père que tu ne vas pas manger le riz qu’elle prépare le soir. Pareil pour ton père, ce n’est pas parce qu’il maltraite ta mère que tu cesses de l’écouter. Nous étions ces enfants-là, incapables de choisir. D’ailleurs, aucun d’entre nous n’a voté.
Avec votre succès, donc votre fortune, à Abidjan on doit vous taper de l’argent à tous les coins de rue ?
La chance, pour nous, c’est d’avoir grandi dans un quartier pauvre. On sait comment utiliser l’argent, on sait aussi qu’on ne peut pas rendre service à tout le monde... Au village, on est à peu près tranquille, on a préservé de bons rapports avec nos amis d’enfance, on les voit tout le temps. Dans certains quartiers où l’on connaît moins de monde, on doit se protéger un peu. Même si les gens savent qu’on n’a pas la grosse tête, qu’on n’est pas des bling-bling... On est des enfants du peuple, on boit toujours dans les mêmes maquis où l’on buvait avant, on va toujours à la rue Princesse à Yopougon.
« Toutè kalé », (EMI). Magic System est en concert au Stade de France pour la Nuit africaine le 11 juin, au Zénith fin 2011, et en tournée d’été dans les festivals, dès le 14 mai à Martigues.
In Paris Match
Les Magic System sont là dans le jardin d’EMI, leur maison de disques, suspendus à leurs portables, guettant la moindre nouvelle de la Côte d’Ivoire. « Il faut qu’ils fassent un ratissage, sinon ça va être chaud, il faut arracher les armes... », soupire Manadja. Tino, en aparté, raconte les nuits passées au téléphone, dit qu’ils en auront au moins pour 1 600 euros de facture ce mois-ci. Ils vivent à Paris les trois quarts de l’année, mais leurs cœurs sont restés au « pays ». Sur Facebook, les messages tombent à chaque instant. Dix ans de conflit s’achèvent en un épilogue brutal. Les Magic System sont sous le choc. Ce qui rend presque dérisoire l’objet de notre rendez-vous : évoquer la sortie de leur sixième album.
Paris Match. A l’heure où nous parlons, Laurent Gbagbo et son épouse Simone sont entre les mains des Forces républicaines à Abidjan. Ça vous inspire quels commentaires ?
Magic System. Cela fait presque de la peine. L’image de ce monsieur -hagard, perdu, malmené, pour lequel nous avions du respect, restera dans nos mémoires. C’est quelqu’un qui nous a décorés deux fois, avec qui l’on déjeunait parfois... On aurait préféré qu’au terme de l’élection présidentielle un candidat se démarque clairement et que l’autre s’éclipse. Cela n’a pas été le cas, on ne va pas refaire l’Histoire mais c’est dommage. Le plus compliqué reste à venir, c’est l’après, la réconciliation et la pacification.
La guerre, à distance, comment l’avez-vous vécue ?
On s’inquiétait pour nos proches restés au pays. Ce qui était gênant aussi, c’est que tout le monde en France, sachant que nous sommes ivoiriens, le moindre chauffeur de taxi, la caissière du supermarché, nous demandait des nouvelles de la situation. Ça n’a pas été évident non plus de se retrouver en studio alors que le pays explosait. On n’avait pas le choix, il fallait respecter nos engagements, faire avec le calendrier de la maison de disques.
Etrangement cet album est assez gai, moderne, mais proche aussi de vos racines musicales, le zouglou...
Tous les pays qui traversent une guerre comptent sur les artistes pour leur redonner espoir et joie de vivre. On voulait détourner les regards négatifs portés sur notre pays, parler d’aspects plus positifs comme la musique, le sport.
“Children of Africa” est dédié à une fondation qui porte le même nom, celle de Mme Dominique Ouattara, l’épouse d’Alassane. Cela signifie-t-il que vous avez choisi votre camp ?
Le projet d’aider la fondation de Dominique Ouattara remonte à 2008, bien avant qu’elle ne devienne première dame... A cette époque, elle nous avait reçus à Washington avec son mari et était venue assister à notre concert. Le hasard a voulu que la sortie de l’album, le premier depuis quatre ans, coïncide avec les événements... Même si en Afrique on a tendance à confondre politique et social, on a fait ça pour la bonne cause. Cette fondation réalise beaucoup de choses, depuis des années, sur le terrain, et nous sommes fiers que les droits de cette chanson lui soient intégralement reversés. Tant pis si certains l’interprètent autrement.
Côtoyant les Ouattara comme les Gbagbo, vous avez dû parfois vous sentir tiraillés...
Il y a dans le groupe deux Nordistes musulmans et deux chrétiens originaires du Grand Ouest... Et pourtant, nous ne nous sommes jamais divisés sur la question de l’ivoirité. On s’est parfois sentis comme des enfants refusant de se mêler de la bagarre de leurs parents. Ce n’est pas parce que ta mère a insulté ton père que tu ne vas pas manger le riz qu’elle prépare le soir. Pareil pour ton père, ce n’est pas parce qu’il maltraite ta mère que tu cesses de l’écouter. Nous étions ces enfants-là, incapables de choisir. D’ailleurs, aucun d’entre nous n’a voté.
Avec votre succès, donc votre fortune, à Abidjan on doit vous taper de l’argent à tous les coins de rue ?
La chance, pour nous, c’est d’avoir grandi dans un quartier pauvre. On sait comment utiliser l’argent, on sait aussi qu’on ne peut pas rendre service à tout le monde... Au village, on est à peu près tranquille, on a préservé de bons rapports avec nos amis d’enfance, on les voit tout le temps. Dans certains quartiers où l’on connaît moins de monde, on doit se protéger un peu. Même si les gens savent qu’on n’a pas la grosse tête, qu’on n’est pas des bling-bling... On est des enfants du peuple, on boit toujours dans les mêmes maquis où l’on buvait avant, on va toujours à la rue Princesse à Yopougon.
« Toutè kalé », (EMI). Magic System est en concert au Stade de France pour la Nuit africaine le 11 juin, au Zénith fin 2011, et en tournée d’été dans les festivals, dès le 14 mai à Martigues.
In Paris Match