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Société Publié le vendredi 6 mai 2011 | Nord-Sud

Traoré Flavien (Porte-parole de la Cnec) : “La Fesci a intérêt à être dissoute”

C’est sa première sortie publique depuis l’arrestation de Laurent Gbagbo. Dans cette interview, le porte-parole du plus puissant syndicat de l’Enseignement supérieur (la Coordination nationale des enseignants et chercheurs, Cnec) se prononce sur les premières mesures des nouvelles autorités dans le milieu universitaire, et fait des propositions quant à la renaissance de ce secteur.

l Le 11 avril dernier, l’ex-chef de l’Etat Gbagbo a été arrêté. Le Président élu, Alassane Ouattara, exerce désormais pleinement ses fonctions. Quel est le premier message que vous souhaiteriez lui adresser ?
Je voudrais d’abord le féliciter pour son accession à la magistrature suprême. Titulaire d’un doctorat, il fait partie du milieu universitaire. Cette qualité va l’aider à coopérer avec nous et à satisfaire nos revendications assez rapidement. Il s’agit du décret portant reclassement indiciaire des enseignants du supérieur et des chercheurs, et le décret portant bi-appartenance des praticiens hospitaliers universitaires. Je voudrais noter au passage que nous n’avons pas encore eu nos primes de recherches de décembre 2010 et que bientôt, en juin 2011, d’autres primes de recherches devront être payés. Il y a de grands retards dans le payement des salaires au niveau des universités. A telle enseigne qu’au jour où je vous parle, nous n’avons même pas encore perçu nos salaires des mois passés. Je voudrais aussi remercier les Forces républicaines de Côte d’Ivoire(Frci) pour leur courage et leur esprit de discernement. Mes félicitations vont également à l’endroit des forces Licorne et l’Onuci qui ont évité qu’il y ait beaucoup plus de morts que ce que nous avons connu. Je voudrais remercier le président et le gouvernement pour avoir entamé le processus de réconciliation nationale. Après une guerre, il est tout à fait nécessaire qu’il y ait un retour à la paix et à la cohésion sociale comme nous l’avons connu sous les présidents Houphouet-Boigny et Konan Bédié. Nous saluons également la commission vérité et réconciliation. Puisque les enseignants, les chercheurs et le personnel administratif et technique de l’université ont subi de nombreuses difficultés avec les agressions répétées des étudiants, je pense que la Cnec a une place dans cette commission vérité et réconciliation.

l Que retenez-vous des 10 ans de régime Gbagbo ?
Il est vrai que nous n’avons pas eu d’agression directe de ce régime sur notre personne, mais il faut dire que nous en avons beaucoup souffert. Nous avons dû prendre de nombreuses précautions. La Cnec est née à un moment où les escadrons de la mort sévissaient. Et il était difficile dans ce contexte de créer un syndicat. Mais la Cnec a fait l’effort de naître compte tenu de ses objectifs nobles. Malgré toutes les précautions, j’ai été agressé par des éléments de la galaxie patriotique qui m’ont extorqué près de 600.000 Fcfa. On m’a obligé à me rendre à la résidence du président de la République pour signer le procès verbal d’une réunion que nous avions tenue à l’occasion d’une grève. Tous les autres participants à cette réunion ont reçu le PV à leur bureau pour signature. Mais, en ce qui me concerne, il m’a été exigé de venir le faire à la résidence, au motif que le parafeur de la première Dame ne pouvait pas sortir. Ce que j’ai refusé. La première Dame nous avait réunis à propos de la suspension du mot d’ordre de grève. Après la rencontre, nous avons promis consulter nos bases qui avaient rejeté la demande de suspension. Il nous était demandé de venir à la résidence pour signer le PV qui disait que le mot d’ordre était suspendu. Chose que nous avions refusée.

l Pourquoi ne l’avez-vous pas dénoncé publiquement en son temps ?
Nous nous sommes limités à en parler en assemblée générale. Pas plus. Dans le contexte, il n’était pas prudent d’aller au-delà. Je dis cela pour montrer que nous avons travaillé dans un contexte difficile et que nous souhaitons qu’avec l’arrivée du président Alassane Ouattara, nous soyons beaucoup plus libres et que les négociations sur tout ce qui concerne l’enseignement supérieur aient lieu dans une commission permanente, de sorte qu’il n’y ait pas d’arrêt de cours pour des revendications.

l Comment avez-vous accueilli la fermeture de l’université de Cocody et des résidences universitaires ?
C’est une mesure salutaire. Les étudiants et les organisations d’étudiants avaient pris une part trop importante dans l’institution uni­versitaire. Ils dominaient totalement cette institution. De telle sorte que les enseignants, les chercheurs et les personnels administratifs étaient agressés. Tous les commerçants, les opérateurs qui étaient sur le campus, les étudiants qui allaient toucher leurs bourses, étaient victimes de racket. Il y avait vraiment un laisser-aller. Et aux dernières nouvelles, ils étaient même armés pour participer à des combats.

l Justement. Selon plusieurs témoignages, des étudiants circulaient au campus avec des armes au vu et au su de tous. Pourquoi la Cnec n’a-t-elle jamais dénoncé cela ?
Il y a eu plusieurs périodes. Avant la crise post-électorale, nous voyions effectivement des armes. Mais ce n’était pas en grande quantité. Lorsqu’il y avait un conflit intérieur ou lorsqu’ils allaient manifester à l’extérieur, de passage, on voyait quelques uns munis d’armes à feu.

l S’agissait-il de membres de la Fesci ?
Disons que c’étaient des étudiants. Parce qu’un membre de la Fesci qui n’a même pas de carte d’étudiant, vous ne pouvez pas l’appeler étudiant. La plupart des étudiants de la Fesci n’ont même pas de carte. Il fallait reconnaître un dirigeant pour pouvoir affirmer qu’il a une arme. Ce qui est sûr, c’est qu’il y avait des armes. Mais on ne les voyait pas en masse. Et les agressions contre les enseignants ne se faisaient pas par armes à feu. C’était des agressions physiques. Nous avons tous vu à la télévision qu’à l’occasion de la destruction de tous ces petits kiosques qu’il y avait sur le campus, le chef de cabinet du ministre de l’enseignement supérieur a bien montré des armes. Nous avions des soupçons et là, nous avons des preuves. Je suis persuadé que la décision de fermeture a été prise d’abord pour une raison sécuritaire. Nous souhaitons que les gens aillent au bout de leurs enquêtes. Le président dit qu’avec son avènement, c’est la fin de l’impunité. Il faut donc que tous les méfaits des étudiants et de la Fesci soient recensés et que les individus puissent en répondre. Et si c’est l’organisation qui est à la base de ces méfaits, qu’elle puisse répondre. Nul ne doit être au-dessus de la loi. Trop souvent, on a commencé des enquêtes pour éclairer certains actes délictueux posés par la Fesci, mais ces enquêtes n’ont jamais abouti. C’est le moment de ressortir de cela.

l Faut-il aller jusqu’à dissoudre la Fesci comme le préconisent certaines personnes ?
Il faut regarder les textes juridiques. Si les actes posés sont suffisamment graves pour qu’on puisse envisager la dissolution de la Fesci, il faut le faire. Je pense que du côté des étudiants, il ne faille pas prendre cette dissolution comme un mal. Il est très difficile après avoir lié l’image de la Fesci à des crimes de sang de tout faire pour que les gens oublient ces crimes. S’il y a une nouvelle organisation qui, dès le départ, déclare les membres de son bureau national, qui, dans chaque section, déclare les membres de son bureau auprès des différents établissements, qui établit des cartes de membre pour distinguer ses membres du reste, je pense que ce serait une très belle organisation. Elle serait soutenue par tous. N’oubliez pas que nous, en tant qu’enseignants, nous avons soutenu la Fesci à sa naissance. Au moment de l’agression de ce syndicat par les hommes en armes à Yopougon, tous les enseignants l’ont soutenu. C’est lorsqu’au fur et à mesure ils ont commencé à s’éloigner de leur ligne syndicale de départ que tout le monde a commencé à décrier la Fesci. Je pense donc que la dissolution de la Fesci ne doit pas être prise comme un échec par les étudiants. Au contraire, cela peut leur permettre d’avoir un nouveau départ où ils auront le soutien de tous. Mais s’ils continuent, il est évident que ceux qui ont été touchés par les crimes de sang ne pourront jamais rester en place. On ne peut pas faire du nouveau avec de l’ancien.

l Aujourd’hui, les universités sont momentanément fermées. Quand et comment doit-on les rouvrir ?
Si cette fermeture est salutaire de façon générale, je pense qu’il faut envisager un retour de tous les partenaires de l’enseignement supérieur sur le campus. En commençant par les enseignants et par le personnel administratif. Le communiqué n’étant pas très explicite, je vous affirme que beaucoup sont sortis avec des documents. Or, on sait que les listings ont été détruits. Il faut essayer de les reconstituer. Cela nécessite des réunions d’enseignants. Les enseignants ne peuvent pas être à leurs domiciles et aller à des reconstitutions de listings. Il faut aussi qu’il y ait un minimum d’administration. Cela suppose que les forces républicaines aient fini leur travail de désarmement, que l’équipement qui a été détruit soit reconstitué à son minimum, pour permettre aux enseignants et au personnel de revenir sur le campus.

l Ne craignez-vous pas que cela prenne trop de temps?
Peut-être, mais il faut faire en sorte que ce temps soit le plus court possible. Pour l’université d’Abobo-Adjamé dont toute la mémoire a été détruite, il sera très difficile de re­constituer les listings. Et si c’est le cas, je pense que là, il faut recommencer correctement une nouvelle année. Dans les endroits où on peut reconstituer les listings et que les gens ont déjà fait un premier semestre et qu’ils sont en plein dans le deuxième, je crois qu’on peut leur donner 3 à 4 mois pour finir leurs examens, et pour qu’on valide leur année pendant que les autres préparent la rentrée.

l Pourquoi ne pas essayer de sauver l’année pour tous ou la déclarer blanche pour tous ?
Le problème est le suivant : les Ufr ont des niveaux d’avancement déjà différents. Si on décide d’aller à une année nouvelle pour tous dans l’apparence, il y aura égalité, mais certains auront perdu une année quand d’autres en perdront deux. Je pense que déclarer une année blanche pour tous serait une injustice vis-à-vis de ceux qui sont à trois mois de finir une année. Par exemple, les Ufr de sciences médicales avancent régulièrement en général. Il serait vraiment difficile de les pénaliser comme d’autres Ufr qui sont déjà en retard.

l Comment doit se faire la réouverture des résidences universitaires ?
Personnellement, je pense qu’il faut créer une police universitaire. Même si cette police doit être constituée d’anciens étudiants et d’universitaires pour qu’ils comprennent la spécificité de cette zone. Un espace où se trouvent les plus hauts cadres d’une nation, où on forme une élite pour le développement du pays ne doit pas être un lieu accessible à tous les débiles mentaux et les vagabonds criminels. C’est ce qui se passe. On laisse les plus hauts cadres que l’Etat de Côte d’Ivoire a formés depuis l’indépendance entre les mains de véritables vandales. Je vous affirme que même avant les affrontements armés, les cours étaient pratiquement arrêtés. Sentant un climat d’insécurité, nous passions à peine trois heures dans nos bureaux, juste pour venir régler les questions courantes. Ce climat n’était pas favorable à ce que les hauts cadres que nous sommes, restions sur le campus universitaire pour finir nos carrières. Surtout qu’ailleurs, on a même souvent un meilleur traitement.
Concernant les résidences, tout le monde savait que la plupart des chambres d’étudiants étaient sous-louées. D’autres étudiants les louaient à des prix triplés ou quadruplés. Les syndicats avaient des quotas à telle enseigne que les directeurs de cités ne maîtrisaient même pas les cités. Dans un tel contexte, il est salutaire qu’on vide les cités pour permettre aux seuls étudiants d’accéder à leurs chambres à des coûts qui sont fixés par l’Etat. C’est un élément non-négociable. Les cités universitaires ont été construites grâce aux deniers publics et pour les étudiants.

l Beaucoup d’Ivoiriens pensent qu’il faut carrément supprimer ces résidences universitaires. Dans des communes comme Adjamé et Port-Bouët, les populations ne veulent plus cohabiter avec des étudiants à cause des agressions qu’elles ont subies. Qu’en pensez-vous ?
La remarque c’est que nous ne sommes pas les seuls à nous plaindre des étudiants. Même à l’extérieur du campus, il y a des griefs contre ces étudiants parce qu’on les a laissés trop faire. S’il faut fermer ces cités pour créer d’autres espaces pour les étudiants, il faut le faire. Je tiens à relever une chose. A l’université de Cocody par exemple, je peux dire que le tiers des enseignants n’a pas de bureau. Ces chambres de cités peuvent être transformées en bureaux pour les enseignants qui n’en ont pas.

l Comment pourrait-on résoudre alors la question du logement des étudiants quand on sait que la piaule est une des conditions de bonnes études ?
On peut par exemple envisager que tout l’ancien campus soit transformé en bureaux. Et tout le reste peut servir à loger des étudiants à partir de critères rigoureux. Ces critères doivent faire en sorte que les occupants soient là pour étudier et non pour construire des maquis. Au campus, à 20 heures, on se croyait à la rue princesse. S’ils doivent faire des activités extra-scolaires que celles-ci soient encadrées par l’autorité. C’est de façon anarchique qu’ils occupaient l’espace. En conseil d’université, on nous a informés que certains espaces du campus sont vendus comme des lots à des particuliers. Et cela, à Cocody comme à Abobo-Adjamé. Sans élite intellectuelle correctement formée, il ne peut y avoir de développement. Le développement de la Corée du Sud est partie d’abord de hauts cadres bien formés. En Côte d’Ivoire, l’université est un espace livré à lui-même. Ce n’est pas normal, parce que là où on met son or est l’espace qui doit être le mieux gardé et réglementé.

l Parmi les personnalités interpellées pour leur rôle dans la crise post-électorale, figurent des responsables d’université. Comment vivez-vous cela en tant qu’acteur de l’enseignement supérieur ?
A partir du moment où le président de l’université a été nommé Premier ministre, le conseil de l’université s’est réuni. Nous avons décidé de nommer un président intérimaire en la personne du professeur N’Douba Valentin qui était vice-président. En principe, ce président intérimaire devait gérer l’université jusqu’à ce que le Premier ministre soit libéré de ses fonctions. On allait peut-être procéder à des élections pour choisir un nouveau président. Cette question avait été réglée. Maintenant que nous sommes informés que ces hauts responsables de l’université détenaient des armes, vous comprenez que nous ne pouvons que demander que justice soit faite. Il (Ndlr le président de l’université de Cocody, le prof Aké N’Gbo, Premier ministre de Laurent Gbagbo pendant la crise post-électorale) est présumé innocent. Mais si les faits sont établis, comme c’est le cas pour certains ministres et certains proches de l’ancien régime, je pense qu’il répondra de ses actes comme tout citoyen ivoirien.

l Une telle situation est-elle prévue par les textes de l’université ?
Les textes parlent d’un empêchement permanent. Or, le poste de Premier ministre qu’il occupait n’était pas un empêchement absolu. Et, à partir du moment où le décret de nomination n’était plus reconnu, il pouvait retourner à son poste. Mais il se trouve que l’université elle-même appartient à un pays qui a ses règles. Si un président d’université comme un vice- président, un enseignant ou un étudiant commet un acte délictueux, condamnable par la loi, je crois qu’il appartient à la justice de trancher. S’il y a une peine qui empêche le président de revenir à son poste, il appartiendra au ministre de tutelle d’analyser la situation en regardant, bien sûr, les textes de l’université de Cocody pour voir quelle est la mesure qui s’impose dans ce cas d’espèce.
Vous avez souvent dénoncé une mauvaise gestion de cette université. On se souvient de la dénonciation d’un détournement de fonds qui vous a valu un procès.

l Qu’est-ce qui doit changer dans la gestion de l’université de Cocody et dans la gestion de l’université en général ?
Les enseignants du supérieur sont l’élite de l’élite. Je ne le dis pas par fanfaronnade. Je le dis parce que l’université a trois fonctions essentielles : la formation des formateurs, la recherche scientifique et l’expertise. Donc nous ne devons pas être traités comme tout le monde de façon à préserver notre dignité. Le budget général de l’Etat est payé. Mais jusqu’à ce jour, nous n’avons pas nos salaires et on ne sait même pas quand est-ce qu’on les aura. Deuxième chose, nous avons droit à une prime de recherches payée tous les 6 mois. A la fin du mois de décembre 2010, nous devions recevoir une prime, nous ne l’avons pas. A la fin du mois de juin, nous devons recevoir une prime. Et compte tenu de la crise, nous n’avons pas osé réclamer la prime de décembre. Maintenant que nous allons vers une normalité, c’est une nécessité absolue qu’on nous paye notre prime de l’année dernière, en attendant que dans un ou deux mois, on nous paye la 2ème tranche. Ensuite, des décrets ont été signés reclassant les enseignants du supérieur et accordant une indemnité particulière aux praticiens hospitaliers universitaires. Les décrets ont été satisfaits à moitié. Nous souhaitons vraiment que le président Alassane Ouattara puisse les satisfaire pleinement.


Interview réalisée par Cissé Sindou
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