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Société Publié le samedi 28 mai 2011 | Le Patriote

Reportage / Duékoué-Bloléquin-Toulépleu : Sur les traces des déplacés et des villages fantômes

Comment l’ouest ivoirien renaît peu à peu à la vie

A la mission catholique Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus de Duékoué, près de trente mille déplacés de guerre vivent un drame humanitaire depuis fin mars 2011. Passées la guerre et l’émotion, ces hommes et femmes attendent des nouvelles autorités les conditions d’un retour dans leurs foyers. Mais au delà, c’est tout le Moyen Cavally qui a été dévasté par la guerre. Reportage.
La mission catholique de Duékoué n’en est plus une, du point de vue de sa fonction originale, depuis quelques mois. Il n’y a plus de réunions du conseil paroissial, plus de catéchisme, plus de réunions des groupes associatifs qui animent la vie dans cette mission. Les activités ordinaires d’une église normale ont cessé depuis que des milliers de déplacés ont investi les lieux en quête de refuge. Pieds nus pour la plupart, n’ayant emporté que le minimum, ils y sont arrivés, par vague, dès la fin du mois de mars dernier.
Initialement estimé à 40.000 personnes, la mission catholique abritait à notre passage, du 08 au 12 mai, exactement 27.503 hommes, femmes, jeunes et enfants confondus. Ces statistiques sont de Caritas et du Haut Commissariat aux Réfugiés qui ont accouru sur les lieux pour apporter à ce beau monde l’aide humanitaire nécessaire à leur survie. Mais en dépit des efforts consentis, la mission est loin d’être un lieu d’aisance, pas plus que la situation des personnes qui s’y trouvent n’est enviable.

Un dénuement saisissant

En effet, tout visiteur qui arrive dans ce « cantonnement » est ému devant ces milliers de vie réduites par la crise postélectorale à la dépendance et qui essayent de survivre dans un environnement plus qu’incommode. C’est que les conditions de vie sont des plus pénibles qui soient. Promiscuité, misère et insalubrité: le paysage physique et mental de ce centre évoque à plus d’un titre celui d’une prison civile. Un décor déshumanisant. Car sur les 2 hectares de superficie de la mission cohabitent à la fois 27.503 personnes et des latrines de fortune auxquelles s’ajoutent des ordures ménagères produites quotidiennement. Un cocktail qui donne une certaine idée de l’hygiène dans ce centre. Les tentes et les bâches en plastique dressées par le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) ne suffisent pas à tout le monde. Obligeant beaucoup de jeunes à dormir la nuit à l’air libre. Mais en réalité, nul n’est mieux loti dans ce centre, même pas ceux qui dorment sous les bâches qui constituent la nuit tombée le réfectoire des moustiques. En outre, il suffit d’une pluie pour que tout le monde reste debout jusqu’au matin. C’est qu’en réalité les bâches ne servent qu’à protéger du soleil et non des intempéries.

Une sexualité féconde

Sous les tentes, la situation des personnes vulnérables est plus que préoccupante. En dépit des actions conjuguées de l’OMS, de Médecin sans frontière, de Action contre la faim, et du Conseil norvégien pour les réfugiés, l’aide humanitaire reste limitée. L’insuffisance de l’alimentation, quantitativement et qualitativement, touche tous les déplacés. Mais plus particulièrement les femmes enceintes et les enfants, qui ont le plus besoin de protéine. Sous des tentes d’hôpitaux de fortune, elles sont nombreuses les femmes enceintes et les nourrices qui attendent de recevoir qui des soins de Médecins Sans Frontière (MSF), qui d’autres des conseils de l’association ivoirienne du bien-être familial (Aibf).
Mais dans ce décor insalubre pour nous qui mettions les pieds dans ce centre pour la première fois, les officiels en charge de la gestion du centre rapportent, avec un brin de satisfaction l’ampleur des progrès accomplis. «Si vous étiez arrivés ici plutôt, vous auriez eu besoin d’un cache-nez pour respirer, tant les odeurs étaient insupportables. Un grand effort a été fait au niveau de l’hygiène et de la nourriture ces dernières semaines», avoue le père Cyprien Ahouré, responsable de l’Eglise. Conséquence de cet état des lieux qui a prévalu, et qui exposait à bien de maladies comme le choléra et le paludisme, de nombreuses personnes sont décédées. «Nous avons enregistré une quarantaine de décès», déplore le père.
Mais a contrario, la Mission a aussi enregistré une centaine de naissance. « Depuis le 28 février, nous avons eu 144 naissances, dont cinq jumeaux et six cas de césarienne. Il n’y a eu qu’un seul accouchement raté, c’était des jumeaux. Nous enregistrons douze naissances par jour», résume M. Koffi Aboya, responsable médical. Selon ce dernier, l’Aibf y assure les consultations prénatales, la distribution des pilules et des condoms. « En trois mois nous avons distribué dans ce centre 7.200 condoms et 3.600 préservatifs», explique M. Koffi. Avec 171 femmes sous méthode contraceptives, 210 femmes enceintes dont 40 dans leur neuvième mois et 30 dans leur sixième mois, la planification dans ce centre semble être d’une efficacité étonnante. On est bien forcé devant une telle réalité à admettre que là où il y a la vie, prospère toujours l’amour.

Les Guérés accusent….

Lors de notre passage dans ce centre, nous avons recueillis auprès des pensionnaires les raisons de leur présence dans cette mission. Mais leur histoire est la même, trop concordante pour permettre le doute : ils ont fui leurs quartiers et leurs villages à la suite des combats qui ont opposé les forces républicaines aux miliciens pro-Gbagbo pour le contrôle du département. C’était les 28 et 29 mars 2011. Une situation autour de laquelle s’est créee une solidarité émouvante. Gonhi Bahié André, habitait le tristement célèbre quartier « Carrefour », épicentre des combats de Duékoué. Il s’est retrouvé dans ce centre à cause des combats. Comme lui, ils sont nombreux, très nombreux, les habitants de ce quartier qui ont trouvé refuge dans ce centre. Gonhi Bahié dit avoir perdu sa femme (Diaé Jeanne le 29 mars) lors de sa fuite du quartier. « Les gens criaient, tuez les Guéré, tuez-les tous », se souvient-il. Bahi dit être hanté encore par « cette clameur sélective». « Si j’étais resté, je serais mort à ce jour », croit-t-il.
En effet, un regard circulaire dans le centre donne l’impression d’un monde abruti par les circonstances vécues. Ba Jeannette, la quarantaine entamée, a elle perdu son mari (Dojo Tientou Georges). « Il a été tué devant la cour alors que nous tentions de rejoindre l’Eglise », se rappelle-t-elle. Un témoignage qui a suffi à M. Bahé Sylvain pour conclure que : « C’est un génocide qui a été planifié au quartier carrefour ».
Seulement, tous les pensionnaires de la mission n’ont pas la même origine. Beaucoup sont arrivés-là des villages environnants de Duékoué, comme Yorozon où l’insécurité prévalait et donnait lieu à des règlements de comptes et à des tueries dont il était difficile d’identifier clairement les auteurs. Si les miliciens ont de tout temps été dénoncés, à l’occasion des évènements de fin mars dernier à Duékoué, les Dozo (Chasseurs traditionnels) ont aussi été indexés et accusés d’avoir commis des exactions. « Aujourd’hui, on nous demande de rentrer mais vous savez bien qu’il est difficile que la papaye et le couteau cohabitent », s’inquiète M. Déï. Pour lui, tant que les Dozo seront présents dans les villages, il n’est pas question d’un retour.
M. Batai François, Chef de Canton Central des Wê à Duékoué, que nous avons rencontré chez lui, s’interroge lui aussi sur ce qui s’est passé au quartier Carrefour les 28 et 29 mars dernier. « Je ne pense pas qu’on ait délibérément ciblé les Guérés, mais le constat est que vous ne trouverez pas de Baoulé ni de Dioula qui soit parmi les morts qu’il y a eu au quartier Carrefour. Je n’ai pas compris cela», s’interroge le chef des Wê. Pourtant, le premier responsable de cette communauté reconnaît que : « Les combats étaient tels à Duékoué que moi-même j’ai escaladé le mur pour me réfugier en brousse où j’ai passé huit jours avant de revenir. Il est difficile qu’un civil puisse intervenir dans des combats entre militaires. Nous avons donc tous fui à Dahoua avant de revenir et reconnaître la ville». Il déplore également qu’au cours de ces évènements, six chefs de villages et deux chefs de tribus aient été tués.

Les Malinkés se défendent…

Hors de la mission, et de la cour du chef de canton central des Wê, on balaie du revers de la main les accusations des Guéré. Selon N’Guessan Kouadio, fonctionnaire à Duékoué, les Guéré ne se sont jamais distingués des miliciens pro-Gbagbo. « Je m’inscris en faux contre les affirmations tendant à faire croire que les Guéré ont été ciblés pour n’avoir pas voté Ouattara. Si c’était le cas, ceux qui vivent dans les autres quartiers auraient été aussi tués. Or vous ne trouverez pas un seul Guéré tué dans les autres quartiers de Duékoué ville à l’occasion de cette guerre», rectifie-t-il. N’Guessan va même plus loin en précisant que : «Les villages où il y a eu des problèmes sont-là où les chefs de village se sont comportés en Chef milicien sous l’ex-regime. Si le chef qui doit protéger ses administrés les fait tuer, il n’y a pas de raison qu’il échappe à la vengeance ».
Mais la réponse au fait que seuls des Guéré soient morts au quartier Carrefour viendra de Koné Mamadou, Président du comité de coordination de recherche de la paix à Duékoué. « Ce que les gens ignorent, c’est qu’aucune autre communauté n’était autorisée à vivre au quartier Carrefour en dehors des Guéré. Même la police ne pouvait pas se rendre dans ce quartier pour arrêter quelqu’un. C’était le quartier général des miliciens et des mercenaires», explique-t-il. Et de nuancer ses propos : « C’est possible qu’il y ait eu des règlements de comptes. Mais c’était un nid de miliciens et c’est aussi là que se sont concentrés les combats en ville.»
Une réalité indéniable du moment où des parents de victimes des actes des miliciens prétendent reconnaître des bourreaux au sein de la population réfugiée à la mission Catholique. C’est ce qu’affirment les parents de l’Imam Konaté Idriss et de El Hadj Siriki Samassi, exécutés par les miliciens à leur domicile dans leur repli lors des combats des 28 et 29 mars dernier contre les FRCI. « Ceux qui ont tué l’imam et mon père sont aujourd’hui à la Mission. Ils ont encore les portables de nos parents et répondent quand on appelle », accuse Moussa Samassi, frère du défunt Imam et fils du défunt Samassi.
Là aussi des phrases du genre « Tuez tous les Dioula » on été entendues par les riverains du quartier résidentiel, majoritairement composés de Malinké. Heureusement que l’avancée rapide des forces républicaines n’a pas permis aux miliciens de camper longtemps dans ce quartier. « On aurait dénombré autant de mort qu’au quartier Carrefour si les forces républicaines n’étaient pas arrivés à bout des miliciens ici », fait remarquer Konaté Aboubacar. A la mission Catholique, le père Cyprien confirme la présence de miliciens infiltrés parmi les déplacés (Lire son interview). Comme quoi tout le monde n’est pas innocent à la Mission catholique.
Pour être complet sur la question, nous avons interrogé le commandant du détachement des forces républicaines à ce sujet. « Il n’y a pas eu, contrairement, à ce que les gens racontent de massacre au quartier carrefour. Il y a eu des combats acharnés et il y a eu des miliciens tombés. Nous ne nous reprochons rien. Et nous pensons qu’au lieu de polémiquer, il faut laisser la justice faire son travail et tirer ses conclusions au moment opportun», tranche-t-il.
En effet, au regard du tapage médiatique tout azimut sur le dossier de Duékoué, le président de la République, soucieux des questions des droits de l’Homme, a actionné la justice pour faire toute la lumière sur ce qui s’est réellement passé. Mais en attendant les conclusions et d’éventuelles poursuites, les populations, elles, sont condamnées à vivre ensemble dans la nouvelle Côte d’Ivoire.

Des villages défigurés

Pour notre part, nous avons fait le tour d’une dizaine de villages situés à une quinzaine de kilomètre à la ronde de Duékoué ville pour toucher du doigt la réalité. Si dans les villages de Bahé-B, de Pinhou, de Diahouin et de Dahoua, on rencontre la présence de vie villageoise, ce n’est pas le cas à Niambly, Tobly Bangolo, et Nanandy où plusieurs maisons ont été incendiées et saccagées.
Bien au-delà de Duékoué, les préfectures de Bloléquin et de Toulépleu où nous nous sommes rendus, les stigmates de la guerre sont perceptibles et donnent la chair de poule. Des villages incendiés et vidés de leur monde offrent un paysage effroyable et témoignent de la violence qui a prévalu. Le désastre est saisissant. A Toulépleu, où les forces onusiennes ont dû fuir le 28 février 2011, le harcèlement des miliciens, la vie s’est presque arrêtée. On y notait à notre passage dans cette ex-zone d’affrontement des bandes armées de miliciens libériens une poignée d’habitants. « Tout le monde a fui au Libéria. C’est à 17 km d’ici», indique un riverain. A Bloléquin, ont note plus de présence de vie dans la préfecture tenue par les Forces républicaines. Mais le décor est fantomatique dans les villages environnants. Aucun service n’est opérationnel, pas d’administration, ni de réseau téléphonique. Pas d’eau potable ni d’électricité. Même les humanitaires rechignent à s’y aventurer.

La volonté de revivre ensemble

L’insécurité est, certes, un lointain souvenir, comme l’affirme le commandant du détachement des forces républicaines de Duékoué, l’adjudant Koné Daouda, mais la population a besoin de bien plus pour y retourner. Il s’agit de la réhabilitation de leurs maisons. Selon le père Cyprien : « Il y a une volonté d’appartenir tous à une même nation dans cette région.» Il plaide donc pour un plan marshall pour reconstruire l’Ouest tout entier. Mais en attendant des solutions concrètes de réhabilitation, un comité local de recherche de la paix a été mis en place. Il est présidé par Mamadou Koné, un opérateur économique très influent et très respecté dans le département, qui a déjà pris langue avec les responsables de toutes les communautés et œuvre à la restauration d’un climat de confiance, et de réconciliation. « Nous n’avons pas d’autre choix que de vivre ensemble dans la vérité et dans le respect de l’autre. Nous saurons nous réconcilier», promet-il. Un vœu que caresse pour toute la Côte d’Ivoire, le président Alassane Ouattara.

Reportage réalisé par Alexandre Lebel Ilboudo
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