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Société Publié le samedi 28 mai 2011 | Le Patriote

Père Cyprien Ahouré, responsable de la mission de Duékoué : “Il y a eu des miliciens infiltrés à la Mission”

Curé de la paroisse Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus de Duékoué, le père Cyprien Ahouré, nous explique dans cet entretien, comment l’Eglise est devenu un centre d’accueil des déplacés de guerre.

Le Patriote : Votre église a été transformée en un centre d’accueil des déplacés depuis la fin du mois de mars 2011. Comment en est-on arrivé là ?
Cyprien Ahouré : Nous sommes la seule présence catholique dans la ville de Duékoué. Depuis nos pères missionnaires qui sont passés par ici, nous avons hérité d’une grande concession. Il s’avère que lorsqu’il y a des évènements ou des conflits interethniques, la population a tendance à se diriger vers la Mission catholique pour des raisons de sécurité. En 2002, je n’étais pas encore ici, mais la Mission a reçu une première vague de déplacés, des Burkinabés et des Guéré. En 2004 et 2005, il y a encore eu des Burkinabés et des Guéré. En 2010 et 2011, voilà encore que les gens se déplacent vers la Mission catholique. C’est pour vous dire que chaque fois qu’il y a une situation de conflit, les gens viennent se mettre à l’abri à l’Eglise où ils se sentent protégés, quoique nous n’ayons pas une armée autour de l’Eglise. Ces déplacés eux-mêmes disent qu’ils sont en territoire du Vatican. Pour répondre donc à votre question, je dirai que c’est le besoin de sécurité qui conduit le monde dans cette mission.

LP : Combien sont-ils aujourd’hui ?
CA : La mission compte aujourd’hui 27.503 déplacés hommes, femmes et enfants confondus. Ces chiffres ont été enregistrés et communiqués par la Caritas et le HCR.

LP : Comment avez-vous assuré l’aide humanitaire dans les premiers jours de cet afflux ?
CA : Il faut avouer que dans les premières heures de cet afflux, nous étions préoccupés par la sécurité que par tout autre chose parce que les combats faisaient rage dans la ville. Or le poste de commandement des ex-Fds dans la ville ici était à cent mètres de la mission. Nous étions donc dans une zone de combat et nous avons dû demander à tout le monde de rester coucher par terre pour éviter de prendre des balles perdues. Pendant 48 heures, les gens n’ont pas mangé parce que nous étions tous préoccupés par la survie. C’est quand les armes se sont tues que nous avons commencé à distribuer de l’eau et les vivres qu’on avait sur place, notamment des biscuits aux enfants et aux personnes âgées. Nous avons ensuite fait appel aux humanitaires qui sont arrivés 72 heures après. Ces derniers ont procédé au recensement des personnes et à la distribution des vivres.

LP : L’histoire de la Mission catholique a fait le tour du monde, créant une vive émotion, quelles retombées en termes d’aide avez-vous reçues pour tout ce monde ?
CA : L’histoire de ce centre a effectivement fait le tour du monde et les humanitaires ont réagi avec promptitude. Il s’agit du HCR, du PAM, du CICR et bien d’autres qui ont mis en place l’aide en apportant des vivres et des non vivres, notamment du riz, de la farine de soja, de l’huile, des casseroles et des couvertures. Je salue ces actions. Cela a permis de sauver des vies et de maintenir un minimum d’hygiène dans le centre. Je crois qu’il y a eu une vraie réponse humanitaire à la mission ici. C’était difficile pour nous au départ parce que gérer 27.503 personnes sur une superficie de 2 hectares n’était pas du tout évident.

LP: Des personnes auraient perdu la vie dans ce centre ?
CA : Nous avons enregistré une quarantaine de morts et plus d’une centaine de naissances. Les conditions de vie n’étaient pas faciles au départ. Vous avez vu un peu le décor, si vous étiez arrivé un peu plus tôt vous aurez utilisé un cache-nez, sinon vous n’auriez pas pu respirer. Nous avons donc mis l’accent sur l’hygiène et les ONG se sont mobilisées pour nous aider à nettoyer le centre. Un grand effort a été fait au niveau de l’hygiène et de la nourriture, ces dernières semaines. Mais pour moi, le plus important est que cette population puisse rentrer chez elle. On n’est mieux que chez soi.

LP: L’Eglise parvient-elle à fonctionner dans ces conditions ?
CA : L’église, comme vous le savez, a une mission particulière qui est de s’occuper de l’évangélisation de Duékoué et les villages environnants. Nous sommes seulement deux prêtres pour tout ce monde. Nous avons un rôle social mais nous ne sommes pas des humanitaires. L’église est affectée dans son fonctionnement du fait de la présence prolongée des déplacés ici. C’est pour cela que nous demandons à tous ceux qui le peuvent de nous aider à les délocaliser.

LP: Pensez-vous que la présence de ces hommes dans la mission soit encore justifiée ?
AC : Nous avons reçu la visite du préfet de la ville, qui est le représentant du chef de l’Etat. Il a pris contact avec la population à la salle de la mairie. Nous avons vu que c’est une personne de bonne volonté qui veut redonner un nouveau souffle à la ville. Mais les locaux de la préfecture ne sont pas praticables, les fonctionnaires qui nous appelaient disaient attendre d’abord l’arrivée du préfet. Mais, de façon générale, la vie se normalise à Duékoué comme vous l’avez constaté. Le transport a repris, les activités commerciales aussi et on espère que la seule banque de la ville va bientôt ouvrir. Certains retrouvent leur maison, et nous espérons qu’avec l’arrivée du préfet, les choses iront plus vite. Je pense donc que ces déplacés peuvent regagner leurs maisons. Et pour le bien de Duékoué, il faut qu’on fasse vite pour ne pas réveiller les vieux démons.

LP: La mission est aussi soupçonnée d’abriter des miliciens qui ont commis des exactions et des tueries. Comment ces personnes se sont-elles retrouvées ici ?
CA : Je vous disais tantôt que quand c’est chaud à Duékoué la population à tendance à se ruer vers la mission catholique. L’église ne refoule personne, surtout du moment où ceux qui viennent à nous pour chercher refuge ne sont pas armés. Généralement les hommes, les femmes et les jeunes arrivent dans ce centre en situation de détresse. Il ne nous appartient pas de faire des distinctions avant d’accepter quelqu’un dans la mission. Quand les rumeurs de miliciens infiltrés ont commencé à circuler, nous avons demandé à l’Onuci, notamment au contingent marocain, de venir assurer la sécurité de la mission. Lorsqu’ils sont arrivés, c’est eux qui ont confirmé la présence des miliciens sur la base de leurs expertises, qui les ont recensé et en ont exfiltré certains.

LP: Quelle a été votre réaction à cette évidence ?
CA : Lorsqu’ils m’ont fait cas de cela, je leur ai demandé à connaître ces hommes, mais ils m’ont dit que ce n’était plus de mon ressort et qu’ils allaient eux-mêmes gérer cette situation. J’ai alors continué d’exercer mon rôle de prêtre sans distinction. Donc, je confirme qu’il y a eu des miliciens infiltrés à la mission mais cela est géré par l’Onuci. C’est d’ailleurs pour tout cela que je dis qu’il y a du travail à Duékoué. Je profite de votre organe pour dire que Duékoué est le laboratoire de tout ce qu’il peut y avoir de mauvais en Côte d’Ivoire. On expérimente tout ici. Duékoué c’est le point rouge sur la carte de la Côte d’Ivoire. Je crois que la réconciliation nationale passera forcement par cette ville.

LP: Pensez-vous que l’on puisse réconcilier Duékoué ?
CA : En tant qu’éducateur, je recommande au gouvernement et à tous ceux qui peuvent nous aider, d’occuper rapidement cette jeunesse et de réconcilier les populations en résolvant les problèmes en profondeur. L’Eglise n’a pas de parti-pris, elle prône toujours l’apaisement et le dialogue. Le président Alassane Ouattara devrait se pencher sur les problèmes réels de Duékoué. Ce département doit occuper une place de choix dans le plan de reconstruction du pays, parce que tout le monde a le regard ici à cause de ce qui s’est passé. Abidjan peut se reconstruire tout seul par ses propres ressources, mais Duékoué est à 90% désœuvré. Même les fonctionnaires qui ont un salaire sont sinistrés à l’image de la ville, l’église elle-même est sinistrée. Il faut un plan marshall pour resoudre les problèmes fonciers et interethnique à Duékoué. Il y a au sein de la population un fort désir d’appartenir à une même nation et le chef de l’Etat doit prendre en compte cette réalité.

Propos recueillis par Alexandre Lebel Ilboudo
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