Avec lui, la dénomination ‘’artiste’’ prend tout son sens. Un être avec des atouts extraordinaires et démesurés. Handicapé moteur, Traoré Adama dit ‘’Adamo’’, traduit le mystère de la divinité. Comment est-il possible pour un manchot de peindre ou de portraiturer avec une précision des plus démentielles ? Seul un détour dans l’antre de cet artiste hors du commun, doué d’une intelligence prodigieuse, pourrait convaincre les sceptiques ou les ‘’bossonnistes’’, de l’existence d’un être suprême, Dieu. A l’entrée Est de Sococé – II Plateaux, jouxtant le boulevard Latrille, un handicapé physique, qui, contrairement à ses pairs dans le district d’Abidjan accompagnent des yeux et des psalmodies, tous les usagers, hommes d’affaires et clients. C’est un homme d’environ un mètre de taille juché sur deux béquilles qui n’est pas méconnu des cinéphiles et téléspectateurs ivoiriens. «J’étais dans la rue et Adama Dahico m’a approché pour me dire de venir tourner un film et je me suis engagé dans le projet de long métrage, Roues Libres», confie-t-il. Une expérience très mal ingurgitée par cet acteur qui préfère donner force à sa peinture. « Non ! Je n’ai plus envie de continuer à cause de l’expérience que j’ai reçue. Si c’est en Europe, je peux continuer, sinon en Afrique, je préfère me cantonner sur mon métier de peintre», soutient l’artiste. Cette réticence voire cette grogne, Adamo l’a cultivée à la suite de sa désillusion par rapport aux promesses à lui faites par son aîné, en l’occurrence, le réalisateur Sidiki Bakaba, cinéaste ivoirien, par ailleurs, directeur du Palais de la culture d’Abidjan. «Sidiki Bakaba m’avait promis des réalisations qu’il n’a pas honorées. Je lui ai demandé de m’acheter un véhicule que j’allais utiliser pour faire le transport en commun. Je lui ai demandé de m’offrir un atelier afin que j’y commercialise mes toiles. Parce que je suis un peintre avant tout. Il me l’avait promis. Quand j’ai fini de tourner dans le film, il m’a lâché. A chaque fois que j’allais le voir, il me donnait des miettes : 10.000 FCFA. Gagné par le découragement, j’ai préféré laisser tomber pour aller aux II Plateaux les Vallons. Aujourd’hui, je suis à Sococé », a-t-il révélé. Voir Adamo réaliser des toiles, découle de l’irrationnel. Son handicap fait de lui un ‘’rebus de la société’’, car, précise-t-il : « Les gens me regardent comme si je suis un mendiant ». Recommandant son sort à ‘’Allah’’ (Dieu), le jeune homme est admis comme pensionnaire dans un centre à Abobo, précisément au quartier BC, où il y passa neuf (9) ans. Malheureusement, le décès de sa tutrice ne lui laisse aucun choix. Livré à lui, le jeune ‘’Adamo’’ retourne dans la rue où mendicité, indigence et misère forgent son talent, relate-t-il presqu’en sanglots. Son inspiration, il dit la tirer de son biotope. Bien qu’il soit ensorcelé par le paysage et la nature qui, affirme-t-il, renvoie à la naïveté, à la pauvreté et à la misère, l’artiste semble être attiré gloutonnement par les interminables scènes de ménages de campagne. Mais il reste cependant un avocat-défenseur de l’environnement. «La nature souffre à cause des actions inopinées des humains. Mes tableaux tirent la sonnette d’alarme sur les questions existentielles que sont de l’écologie en Côte d’Ivoire et la biodiversité. Tels sont quelques sujets que je traite dans mes toiles», explique-t-il. À côté de sa peinture et de son incursion mal négociée dans le cinéma, Traoré Adama est portraitiste. Malgré ses aptitudes qui feraient jaser des mauvaises langues sur ses avoirs, ‘’l’artiste de Sococé’’ fulmine tout net : «Vraiment, je ne peux pas vivre de mon art. En Afrique, les gens ne connaissent pas la valeur d’une œuvre d’art. Si c’était en Europe, on aurait vu la valeur de ce que je fais. Quand les gens passent et qu’ils me voient, ils en sont étonnés. Parce que c’est un handicapé qui fait ces tableaux. Ils peuvent te donner 5.000 ou 10.000 FCFA. En réalité, ça ne peut pas t’aider. Au contraire, ce que je peux leur demander c’est qu’il m’aide à monter un atelier digne de ce nom. Parce que tout ce que j’ai comme don de Dieu est encore inerte dans ma tête ». Toutefois, Adamo reste confiant et introduit un plaidoyer auprès du Chef de l’Etat ivoirien : « Je voudrais que le Président de la République fasse un magasin pour moi. Où je pourrai ranger et pratiquer tranquillement mon métier. Parce qu’à Sococé, vous voyez je n’ai aucun abri. Je suis la proie de toutes les intempéries à savoir le soleil ou la pluie. A me voir ici, les gens me prennent pour un mendiant alors que je ne le suis pas. Que le Président Ouattara fasse quelque chose pour que je puisse m’en sortir».
Patrick Krou
Patrick Krou