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Société Publié le jeudi 14 juillet 2011 | L’expression

Interview : Fatou Kéita (Ecrivaine) / «L’intervention de la France nous a sauvés»

Enseignante à l’université de Cocody, l’écrivaine Fatou Kéita estime que ce sont les intellectuels ivoiriens qui ont failli à leur mission au cours de la crise.

On ne vous lit plus depuis la fin de la crise. Avez-vous perdu l’inspiration ?
Pas du tout. Je me suis investie jusqu’à ce point pendant la crise parce que la situation le réclamait. On ne peut pas voir une injustice se faire, le peuple bafoué et ne pas réagir. Dans mon cas, j’ai réagi par rapport à une situation donnée, de façon ponctuelle. Quand quelque chose m’irrite, je m’exprime.

Cet engagement ne va-t-il pas influencer vos prochains livres ?
Non. J’écris sur ce que je vois et ressens. Je témoigne simplement d’un fait. Evidement, on me dira que ce n’est pas la vérité. Mais c’est ce que je vois. Le comment j’interprète les choses. Je pense être honnête quand je dis que j’ai vu ceci ou cela. Je ne pense pas tordre le cou à la vérité. Je suis citoyen de la Côte d’Ivoire. J’ai vécu un drame et j’en ai parlé.

Beaucoup pensent que les écrivains ont failli à leur mission d’éveilleurs des consciences.
Je ne sais pas si le rôle de l’écrivain est d’éveiller les consciences. On donne un trop grand rôle à l’écrivain. Je ne crois pas qu’il a un rôle particulier, plus que n’importe quel citoyen. Chacun peut se lever et écrire des pamphlets. L’écrivain est un citoyen, un être humain comme les autres qui a ses convictions, ses peurs. Dans une situation de crise comme celle que nous avons connue, il n’était pas évident de s’exposer. J’ai pris le pari de le faire. Peut-être que quelque part c’était un peu irresponsable, vu le danger. Je ne condamne pas ceux qui ne se sont pas engagés. Ce n’était pas évident. Ceux que je condamne, ce sont les intellectuels qui se sont tus pendant des années. L’université où je suis enseignante au département d’Anglais est pourrie depuis longtemps. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Est-ce que, par exemple, les parents savaient que les enfants qui avaient passé le bac, pour le département d’Anglais, attendaient au moins une année voire deux années avant d’intégrer l’université. Les gens le savaient plus ou moins mais ce n’était pas dit. Aujourd’hui, on parle de sauver l’année. Quelle année ? Cela fait des années qu’on boîte. Il faut avoir le courage de mettre les pieds dans le plat. J’ai dénoncé cette situation au moment où Séry Bailly était ministre de l’Enseignement supérieur. Je l’avais interpellé pour dire que l’université est pourrie et que ça ne va pas à tous les niveaux. Et c’est là que je dis que les dirigeants ont failli. Ils n’ont pas parlé quand il le fallait. Il faut maintenant mettre le doigt où ça fait mal. Si l’écrivain a cette fibre, il doit le faire. Surtout s’il a un nom. Quand je dis un nom, cela veut dire qu’il est connu. Ce n’est pas forcément que c’est l’intellectuel qui est mieux placé pour dire certaines vérités ou un écrivain est mieux placé pour dire une vérité. Tout dépend de la personnalité, de l’intégrité, de l’honnêteté morale de la personne. Si les écrivains le font, c’est bien. Mais ils n’ont pas d’obligation. Chacun selon sa conscience peut parler.

Comment avez-vous jugé les positions de Calixte Beyala, Thierno Monenembo,…?
J’ai été surprise de la part de Thierno Monenembo que je connais bien. Je l’ai interpellé d’ailleurs. Il s’en est un peu excusé en disant qu’il n’avait pas bien compris et qu’il soutenait de façon générale la politique de non-ingérence et pas Gbagbo Laurent. Quant à Calixte Beyala, je ne veux pas commenter sa prise de position. Ce serait lui faire trop d’honneur. Elle s’est comportée d’une façon lamentable en racontant des inepties sur le plateau de la télé en compagnie de Blé Goudé. Et comme la mode recommandait de dénoncer, de parler de néocolonialisme, cela faisait plus africain que les autres. Mais je suis désolée pour eux. Etre africain, c’est aussi aimer son pays. S’il n’y avait pas eu cette intervention de l’armée française, je ne pense pas que je serais vivante aujourd’hui. Il faut savoir faire la part des choses. Alassane Ouattara est un économiste, il ne va pas brader son pays. Bien sûr qu’il y a le jeu des intérêts. La France a des intérêts, ça on n’est pas dupe mais il va savoir aussi profiter de ces échanges. On ne peut pas faire pire plus que ce qui a été fait. On ne peut que se relever. On est descendu tellement bas qu’on ne peut pas creuser. Donc, on ne peut que remonter. Et je pense qu’on va remonter.

Les écrivains se sont posé la question de la renaissance après la crise. Cette renaissance peut-elle être le fait des écrivains ?
Nous allons interpeller le gouvernement afin que ce dernier mène une politique du livre. Cette politique va apprendre aux jeunes Ivoiriens à lire, à aimer la lecture, à s’ouvrir intellectuellement, à ne pas être embrigadés comme cela parce qu’ils ne connaissent rien de l’extérieur. Leur donner cette faculté de s’ouvrir au monde à travers le livre. C’est fondamental. Cela a manqué. Les enfants de Côte d’Ivoire lisent très peu.

Faut-il pour cela susciter des œuvres plus engagées ?
Je ne suis pas tellement d’accord à ce qu’on dirige l’écriture de l’écrivain. Ce dernier écrit sur ce dont il a envie de parler. Si on lui commande d’écrire sur la crise, ça va manquer de naturel et ça ne sera pas une belle écriture. Il faut laisser les gens écrire comme ils l’entendent. Même à travers un petit livre pour enfant, on peut donner des leçons extraordinaires. On peut déjà introduire des notions de paix, de tolérance, de partage à la base. Sinon, sur les sujets de l’écrivain, il n’y a pas de limite. C’est sûr que la crise que nous avons vécue va générer des textes. Les gens vont écrire sur la crise. Il est évident qu’il aura autant de points de vue que de livre. Il n’y a pas un point de vue. Celui qui a soutenu Gbagbo Laurent va faire son roman et ça aura une certaine orientation. Celui qui a soutenu Alassane Ouattara va en faire également. Je pense qu’il faut qu’on ait différents points de vue parce qu’il n’y a pas de neutralité.

Cela ne va-t-il pas mettre à mal le processus de réconciliation ?
On n’est pas à être forcément d’accord sur un sujet. Il faut simplement que chacun puisse s’exprimer. Il y a longtemps que la parole a été confisquée et qu’on ne pouvait pas véritablement s’unir autour d’un livre. Maintenant qu’on le peut, on pourra s’en donner à cœur joie et dire ce qu’on pense et comme on le pense. Il faut féliciter les éditeurs qui n’ont pas arrêté de publier même pendant la crise. Les livres sont sortis. Même en temps de guerre, les éditeurs recevaient des textes de l’étranger. Du Sénégal, du Bénin et même de la France. Abidjan, du point de vue de la littérature, reste la plaque tournante. On espère que le ministre de la Culture, Bandama Maurice, qui est un écrivain, ne va pas perdre de vue les problèmes des écrivains ivoiriens. Nous n’avons même pas de siège. Il faut qu’on réhabilite le livre et l’écrivain qu’on prend un peu pour quantité négligeable alors qu’il joue un rôle fondamental.
Fofana Ali (Stagiaire)
Légende : Fatou Kéita encourage le gouvernement à opter pour une politique du livre en Côte d’Ivoire.
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