Les autochtones de Rubino dans l’Agnéby ne veillent plus voir les autres Ivoiriens qui se sont installés sur leurs terres. Dure, dure est devenue la cohabitation dans cette région du Sud.
Ce n’est plus l’idylle entre les populations autochtones Abbey et leurs hôtes Baoulé et Sénoufo. La coexistence pacifique qui a régné depuis 1930 dans la sous-préfecture de Rubinho a pris du plomb dans l’aile en 2008. Au centre du conflit la terre. Les propriétaires remettent en cause les ventes faites par leurs grands-parents et parents. Ils ont décidé de reprendre leurs forêts pour les revendre à des poches plus fournies. Cette situation cause aujourd’hui le désarroi, l’angoisse et la peur dans les villages et campements de Rubino. Informé du litige nous sommes rendu sur le terrain pour constater la réalité. Samedi 23 juillet, il est 11 h, nous foulons le sol, Zou-Brou, un village situé à 9 Km du chef-lieu de sous-préfecture. La piste est impraticable. A l’école primaire de six classes les populations d’une trentaine de campements dissimilés dans la forêt sont en conclave. Autour du chef, Gnamien Kouamé, les représentants des Baoulé et des Sénoufo exposent leur situation devenu préoccupante. «Nous ne pouvons plus avoir accès à nos plantations. Des gens viennent chaque jour dans nos champs, coupent nos pieds de café et de cacao, détruisent nos jachères et plantent de l’hévéa. Ils ont vendu nos villages et nos champs à notre insu. Nous sommes menacés tous les jours et nous ne savons plus à quel saint nous vouer. Nous ne pouvons plus nous nourrir. Parce qu’ils détruisent nos champs de bananes, de riz. Les Abbey nous demandent de rentrer chez nous car ils ont vendu leurs terres. Terres sur lesquelles nous sommes installés depuis 60 ans. Nous avons tout fait ici. Nous ne comprenons rien dans l’attitude de nos tuteurs», regrette le chef Gnamien Kouamé. Mais, comment en est-on arrivé là? Une élite du village, est revenue sur l’historique du conflit foncier.
Une crise qui perdure et s’amplifie.
Oura Koffi Georges rappelle que les premières parcelles de terre ont été données aux allogènes par Abodjé Amin entre 1930 et 1935. Le chef d’alors des Baoulé, Zou Brou, fondateur du village Zou-Brou, avant de s’installer dans la forêt, a payé à la demande du tuteur, 20 litres de vin de palme, une bouteille de Gin, un coq et un gros pagne baoulé. En quelques années de labeur, des grosses plantations ont poussé. A la récolte, chaque occupant d’une parcelle remettait un sac de café décortiqué aux propriétaires terriens. Puis, précise Oura, la règle a évolué avec l’avènement de Chika Koffi, à la tête de la famille d’accueil. «Il a demandé à chacun de lui verser deux sacs de café au lieu d’un. Les allogènes ont refusé. L’affaire a été portée devant les autorités et le 24 novembre 1957, le commandant de poste d’Agboville a recommandé un règlement à l’amiable». Notre informateur ajoute que tous les occupants lui versaient en sus 5.000 Fcfa par an. Cet accord sera abrogé par le président Houphouët Boigny, le 12 juillet 1974 après 20 ans de pratique. Les rapports entre les deux parties ne se sont pas pour autant détériorées. Ils sont restés au beau fixe. Mieux le petit-fils de N’Cho Kouassi tisse de solides amitiés avec les allogènes. Eux ceux-ci l’assistent dans ses difficultés. Les choses prennent une autre tournure quand le patriarche tombe malade et sollicite l’aide des allogènes en début de l’année 2008. Les 21.000 Fcfa collectés pour lui venir en aide sont largement en deçà de son attente et provoquent l’ire de la famille tutrice. Contre toute attente un chef de terre du nom de Déchi vend la parcelle de Saraka Yao, pour soigner son parent. Dès lors le conflit prend forme et s’intensifie à la guérison de N’Cho Kouassi. La parcelle mise en vente dépasse le champ de Saraka Yao pour s’élargir aux 112 ha les allogènes sont installés depuis 1930. Dans le dernier trimestre de 2008, il trouve un acheteur, capitaine de douane, Kouadio Alex Didier, et lui cède les 112 hectares. La communauté baoulé devant cette attitude belliqueuse du chef Déchi saisit le sous-préfet de Rubino en début 2009. Le « commandant » après échanges avec les deux parties recommande une enquête au ministère de l’Agriculture. Il s’est agi de savoir si les parcelles litigieuses avaient été mises en valeur ou n’étaient que des portions de forêt. Pour éviter de gêner ce plan de cadrage, il a été demandé dans les villages et campements l’arrêt de défrisage de nouvelles parcelles. Mais, cette décision ne freine pas la volonté, selon les allogènes, du chef N’cho Kouassi qui remis d’aplomb a continuer de vendre plusieurs morceaux du site. De fait, bornes poussent dans les plantations de café et de cacao et la délimitation continue au grand dam des allogènes. Les jeunes des campements à bout de nerfs, devant ce qu’ils qualifient d’expropriation sans nom, ont commencé à déterrer les bornes de délimitation. Le chef, Déchi porte plainte à la gendarmerie contre ces jeunes pour destruction volontaire de biens d’autrui. Les mis en cause, Kouamé Brou Gérard, Ouffoué Kouassi et Offoué Jules sont arrêtés et jetés en prison à Agboville. Avant d’être relaxés le 10 juin 2009 par le tribunal. Le sous-préfet, Coulibaly Mamadou, convoque à nouveau les deux parties et décide que les Baoulé et Sénoufo gardent les parcelles en jachère et cèdent 60 hectares aux Abbey. La décision est rejetée par les allogènes et l’affaire atterrit sur la table du tribunal de la capitale de l’Agnéby. Le chef de terre, accuse cette fois les occupants de clandestins. «La procédure judiciaire a suivi son cours et une décision a été prise. Mais, nous n’avons pu avoir la grosse du tribunal. Elle est restée dans des mains inconnues jusqu’à ce jour», explique le chef de la communauté baoulé. Entre temps, la liste des vendeurs s’allonge. Le premier acheteur s’efface au profit d’un plus puissant, Diby Koblavy. L’opérateur économique sans perdre de temps installe dans la forêt un campement habité par ses employés. Ceux-ci détruisent les plantations et sèment des pépinières d’hévéa sur plus de 60 hectares. Non sans se faire assister par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci). Selon les populations, le démarcheur de Diby Koblavy, Artur Lobilo, fait des descentes musclées dans les campements, accompagné d’éléments Frci qui n’hésitent pas à bastonner les allogènes sous le prétexte, confie-t-on, qu’ils veillent sur les intérêts de Diby Koblavy. Ce nouveau locataire, nous révèle-t-on serait en exil depuis la chute de l’ex-président Laurent Gbagbo.
Les réactions du sous-préfet et du commandant des Frci
Joint par téléphone pour un éclairage, le sous-préfet de Rubino, Coulibaly Mamadou a refusé de se prononcer. «Je ne règle pas les affaires dans la presse. Je ne souhaite pas donner d’explication sur cette affaire. Elle existe bien mais je ne peux pas me prononcer là-dessus», a-t-il réagi. Quand le commandant des Frci dans l’Agnéby, Oustaz, a rejeté en bloc toutes les accusations portées sur ses éléments. «Je suis informé du problème mais pas de la présence d’éléments Frci là-bas. Je ne pense pas que des soldats soient capables d’aller bastonner les populations et leur dire de quitter les champs. Je ne le pense pas. Mais, je vais suivre la situation sur le terrain», a-t-il promis. En attendant, les populations demeurent dans l’angoisse. Et la famine guette avec la destruction des jachères. La bombe foncière, si on n’y prend pas garde, est sur le point d’exploser dans l’Agnéby. A la lumière des dégâts, en termes de pertes matérielles et en vies humaines, que les conflits fonciers ont occasionnés dans l’Ouest, il est souhaitable que les autorités prennent à bras le corps cette situation. L’on aura prévenu, à temps d’autres affrontements et évité des dégâts.
Lacina Ouattara
Envoyé spécial à Rubino
Lg : Les plantations des allogènes dans la sous-préfecture de Rubino sont en train d’être détruites
Ce n’est plus l’idylle entre les populations autochtones Abbey et leurs hôtes Baoulé et Sénoufo. La coexistence pacifique qui a régné depuis 1930 dans la sous-préfecture de Rubinho a pris du plomb dans l’aile en 2008. Au centre du conflit la terre. Les propriétaires remettent en cause les ventes faites par leurs grands-parents et parents. Ils ont décidé de reprendre leurs forêts pour les revendre à des poches plus fournies. Cette situation cause aujourd’hui le désarroi, l’angoisse et la peur dans les villages et campements de Rubino. Informé du litige nous sommes rendu sur le terrain pour constater la réalité. Samedi 23 juillet, il est 11 h, nous foulons le sol, Zou-Brou, un village situé à 9 Km du chef-lieu de sous-préfecture. La piste est impraticable. A l’école primaire de six classes les populations d’une trentaine de campements dissimilés dans la forêt sont en conclave. Autour du chef, Gnamien Kouamé, les représentants des Baoulé et des Sénoufo exposent leur situation devenu préoccupante. «Nous ne pouvons plus avoir accès à nos plantations. Des gens viennent chaque jour dans nos champs, coupent nos pieds de café et de cacao, détruisent nos jachères et plantent de l’hévéa. Ils ont vendu nos villages et nos champs à notre insu. Nous sommes menacés tous les jours et nous ne savons plus à quel saint nous vouer. Nous ne pouvons plus nous nourrir. Parce qu’ils détruisent nos champs de bananes, de riz. Les Abbey nous demandent de rentrer chez nous car ils ont vendu leurs terres. Terres sur lesquelles nous sommes installés depuis 60 ans. Nous avons tout fait ici. Nous ne comprenons rien dans l’attitude de nos tuteurs», regrette le chef Gnamien Kouamé. Mais, comment en est-on arrivé là? Une élite du village, est revenue sur l’historique du conflit foncier.
Une crise qui perdure et s’amplifie.
Oura Koffi Georges rappelle que les premières parcelles de terre ont été données aux allogènes par Abodjé Amin entre 1930 et 1935. Le chef d’alors des Baoulé, Zou Brou, fondateur du village Zou-Brou, avant de s’installer dans la forêt, a payé à la demande du tuteur, 20 litres de vin de palme, une bouteille de Gin, un coq et un gros pagne baoulé. En quelques années de labeur, des grosses plantations ont poussé. A la récolte, chaque occupant d’une parcelle remettait un sac de café décortiqué aux propriétaires terriens. Puis, précise Oura, la règle a évolué avec l’avènement de Chika Koffi, à la tête de la famille d’accueil. «Il a demandé à chacun de lui verser deux sacs de café au lieu d’un. Les allogènes ont refusé. L’affaire a été portée devant les autorités et le 24 novembre 1957, le commandant de poste d’Agboville a recommandé un règlement à l’amiable». Notre informateur ajoute que tous les occupants lui versaient en sus 5.000 Fcfa par an. Cet accord sera abrogé par le président Houphouët Boigny, le 12 juillet 1974 après 20 ans de pratique. Les rapports entre les deux parties ne se sont pas pour autant détériorées. Ils sont restés au beau fixe. Mieux le petit-fils de N’Cho Kouassi tisse de solides amitiés avec les allogènes. Eux ceux-ci l’assistent dans ses difficultés. Les choses prennent une autre tournure quand le patriarche tombe malade et sollicite l’aide des allogènes en début de l’année 2008. Les 21.000 Fcfa collectés pour lui venir en aide sont largement en deçà de son attente et provoquent l’ire de la famille tutrice. Contre toute attente un chef de terre du nom de Déchi vend la parcelle de Saraka Yao, pour soigner son parent. Dès lors le conflit prend forme et s’intensifie à la guérison de N’Cho Kouassi. La parcelle mise en vente dépasse le champ de Saraka Yao pour s’élargir aux 112 ha les allogènes sont installés depuis 1930. Dans le dernier trimestre de 2008, il trouve un acheteur, capitaine de douane, Kouadio Alex Didier, et lui cède les 112 hectares. La communauté baoulé devant cette attitude belliqueuse du chef Déchi saisit le sous-préfet de Rubino en début 2009. Le « commandant » après échanges avec les deux parties recommande une enquête au ministère de l’Agriculture. Il s’est agi de savoir si les parcelles litigieuses avaient été mises en valeur ou n’étaient que des portions de forêt. Pour éviter de gêner ce plan de cadrage, il a été demandé dans les villages et campements l’arrêt de défrisage de nouvelles parcelles. Mais, cette décision ne freine pas la volonté, selon les allogènes, du chef N’cho Kouassi qui remis d’aplomb a continuer de vendre plusieurs morceaux du site. De fait, bornes poussent dans les plantations de café et de cacao et la délimitation continue au grand dam des allogènes. Les jeunes des campements à bout de nerfs, devant ce qu’ils qualifient d’expropriation sans nom, ont commencé à déterrer les bornes de délimitation. Le chef, Déchi porte plainte à la gendarmerie contre ces jeunes pour destruction volontaire de biens d’autrui. Les mis en cause, Kouamé Brou Gérard, Ouffoué Kouassi et Offoué Jules sont arrêtés et jetés en prison à Agboville. Avant d’être relaxés le 10 juin 2009 par le tribunal. Le sous-préfet, Coulibaly Mamadou, convoque à nouveau les deux parties et décide que les Baoulé et Sénoufo gardent les parcelles en jachère et cèdent 60 hectares aux Abbey. La décision est rejetée par les allogènes et l’affaire atterrit sur la table du tribunal de la capitale de l’Agnéby. Le chef de terre, accuse cette fois les occupants de clandestins. «La procédure judiciaire a suivi son cours et une décision a été prise. Mais, nous n’avons pu avoir la grosse du tribunal. Elle est restée dans des mains inconnues jusqu’à ce jour», explique le chef de la communauté baoulé. Entre temps, la liste des vendeurs s’allonge. Le premier acheteur s’efface au profit d’un plus puissant, Diby Koblavy. L’opérateur économique sans perdre de temps installe dans la forêt un campement habité par ses employés. Ceux-ci détruisent les plantations et sèment des pépinières d’hévéa sur plus de 60 hectares. Non sans se faire assister par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci). Selon les populations, le démarcheur de Diby Koblavy, Artur Lobilo, fait des descentes musclées dans les campements, accompagné d’éléments Frci qui n’hésitent pas à bastonner les allogènes sous le prétexte, confie-t-on, qu’ils veillent sur les intérêts de Diby Koblavy. Ce nouveau locataire, nous révèle-t-on serait en exil depuis la chute de l’ex-président Laurent Gbagbo.
Les réactions du sous-préfet et du commandant des Frci
Joint par téléphone pour un éclairage, le sous-préfet de Rubino, Coulibaly Mamadou a refusé de se prononcer. «Je ne règle pas les affaires dans la presse. Je ne souhaite pas donner d’explication sur cette affaire. Elle existe bien mais je ne peux pas me prononcer là-dessus», a-t-il réagi. Quand le commandant des Frci dans l’Agnéby, Oustaz, a rejeté en bloc toutes les accusations portées sur ses éléments. «Je suis informé du problème mais pas de la présence d’éléments Frci là-bas. Je ne pense pas que des soldats soient capables d’aller bastonner les populations et leur dire de quitter les champs. Je ne le pense pas. Mais, je vais suivre la situation sur le terrain», a-t-il promis. En attendant, les populations demeurent dans l’angoisse. Et la famine guette avec la destruction des jachères. La bombe foncière, si on n’y prend pas garde, est sur le point d’exploser dans l’Agnéby. A la lumière des dégâts, en termes de pertes matérielles et en vies humaines, que les conflits fonciers ont occasionnés dans l’Ouest, il est souhaitable que les autorités prennent à bras le corps cette situation. L’on aura prévenu, à temps d’autres affrontements et évité des dégâts.
Lacina Ouattara
Envoyé spécial à Rubino
Lg : Les plantations des allogènes dans la sous-préfecture de Rubino sont en train d’être détruites