Présenté comme l'une des personnalités les plus avares en confidences aux médias, Ehui Koutoua Bernard, ambassadeur de la Côte d'Ivoire au Ghana et au Togo, s'est ouvert au quotidien "Le Nouveau Réveil". Il passe à la loupe le vécu quotidien des réfugiés ivoiriens au Ghana depuis le déclenchement de la crise post-électorale en Côte d'Ivoire, la réconciliation nationale et le retour des personnalités Lmp au pays. Dans l'interview que SEM Ehui nous a accordée, nous avons abordé le problème du pétrole au large des deux (2) pays mais aussi et surtout des tentatives de déstabilisation de la Côte d'Ivoire à partir du Ghana.
Dans quel état avez-vous trouvé l'ambassade de Côte d'Ivoire au Ghana ?
Je suis à Accra il y a exactement trois mois. J'ai présenté mes lettres de créance le 26 mai 2011 et nous sommes aujourd'hui le 26 août 2011. Je voudrais d'abord renouveler ma gratitude au chef de l'Etat, le président Alassane Ouattara, pour la confiance qu'il a placée en moi en me demandant d'être son Ambassadeur au Ghana et au Togo. J'ai été bien accueilli à Accra par le bureau des diplomates africains accrédités au Ghana. Et j'ai été très bien accueilli par les autorités du Ghana. Voyez-vous, en 48 heures, j'ai présenté les copies figurées de ma lettre de créance au ministre des Affaires étrangères et au chef de l'Etat. C'est un fait rare qui mérite d'être souligné en diplomatie. Ce fait est significatif de notre bon début, de l'intérêt que le chef de l'Etat du Ghana, Atta Mills, attache au renforcement des relations entre le Ghana et la Côte d'Ivoire. Et à la confiance qu'il place en notre président, le président Alassane Ouattara. Et l'attente qu'il place en la mission qui nous a été confiée, qui est une mission de renforcement de la coopération entre les deux pays. Et je me suis dit que je suis dans un rôle d'artisan de paix, d'acteur de développement et d'agent de rapprochement. J'ai été donc bien accueilli. L'environnement est sain, quoique difficile au départ. Le contexte est bon pour exécuter la mission qui m'a été confiée par le président Alassane Ouattara.
Vous succédez à un ambassadeur. Dans quel état avez-vous trouvé les locaux et le personnel ?
J'ai été très bien accueilli par le personnel. La première rencontre que j'ai eue avec le personnel de l'Ambassade a été édifiante et riche. Je leur ai dit que le président m'a envoyé pour représenter la Côte d'Ivoire, mais aussi pour rassembler les Ivoiriens. Favoriser le retour de nos réfugiés qui sont ici pour qu'ils soient tous des acteurs de la réconciliation.
N'y a-t-il pas eu de chasse aux sorcières ?
J'ai pris le soin de leur dire qu'il n'y aura pas de chasse aux sorcières. Il n'y a pas de règlement de compte et que nous sommes tous au service de l'Etat de Côte d'Ivoire. Ce message a été très bien perçu et cela a permis aux uns et aux autres de se montrer très disponibles et d'aider le nouvel ambassadeur à accomplir la mission qui lui a été confiée. De ce point de vue, je suis satisfait de la collaboration du personnel que j'ai trouvé sur place.
Vous êtes dans un pays où vivent des dignitaires du régime déchu. Dans quelles conditions avez-vous trouvé les Ivoiriens ?
Il y a deux (2) catégories essentielles. Il y a les militaires (beaucoup d'officiers et de sous-officiers ont trouvé refuge au Ghana). Ceux-là, il faut les traiter à part. Personne ne peut vous dire combien ils sont. Puisqu'ils sont venus se mettre à l'abri. Donc, ils ne s'exposent pas et nous n'avons pas pu les compter. A côté des militaires, il y a les civils et parmi ces civils, il y a les responsables politiques et les citoyens ordinaires. Officiellement, nous avons au Ghana, 16.320 réfugiés ivoiriens. Ils sont repartis dans quatre (4) camps (Kampê, Kerekoum, Bujumbura...). Il y a également le centre de transit qui est celui de Elibu qui a grossi à tel point qu'on a déplacé une partie de ce centre à El Mina (à l'intérieur du pays). Voilà où sont nos frères et sœurs. Le chiffre de 16.320 que j'avance, en majorité des femmes et des enfants, n'inclut pas ceux qu'on ne connaît pas. Qu'ils soient leaders politiques, qu'ils soient officiers et sous-officiers, qui ne se sont pas présentés. Ils sont probablement en nombre plus important. C'est ceux-là que nous devons rencontrer, que nous devons encadrer pour faciliter leur retour, les autorités du Ghana et le Hcr. Et le président Ouattara nous a instruit pour que cela se fasse dans les meilleurs délais. Vous vous souvenez que même lors de son message à la nation le 6 août soir, il a tendu à nouveau la main à nos frères du Fpi et de Lmp, leur demandant de rentrer au pays.
Quels sont vos rapports avec les personnalités de Lmp qui sont ici ? Quelles sont celles que vous rencontrez et qu'est-ce qu'elles vous disent ?
Les Saintes écritures nous enseignent que l'inquiétude qui est dans le cœur de l'homme l'accable mais qu'une bonne parole le réjouit et j'ajoute, le rassure. Nos frères et sœurs qui ont fui le pays dans les conditions qu'on sait sont habités par l'angoisse, la peur. Donc, il fallait, dans les premières rencontres, les rassurer à partir des instructions données par le président Ouattara. Pas de règlement de compte, pas de chasse aux sorcières, pour qu'ils soient rassurés. Tous n'ont pas été aux mêmes loges pendant la crise. Il y a les premiers responsables, les seconds et les autres. Mais tous sont presque dans une situation d'angoisse. Il faut donc les rassurer pour les ramener. Il y en a qui vivent aujourd'hui dans une précarité extrême. Il faut les aider à retourner vite au pays. Il ne faut pas laisser les Ivoiriens dans ces conditions. Le Ghana a beaucoup fait. Mais on nous dit partout que le réfugié est un homme seul. Quelle que soit la sollicitude du gouvernement ghanéen, il faut se préoccuper de préparer leur retour dans les meilleures conditions et de façon diligente au pays. Alors, les leaders ont un avantage. Je les connais presque tous. Nous sommes de la même génération. Nous sommes même des amis. J'ai appelé ceux dont j'ai eu les contacts, j'en ai rencontrés. Mais l'efficacité de l'action commande que je ne dise pas qui j'ai rencontré.
Qu'est-ce qu'ils vous disent quand vous les rencontrez ?
Ils disent nous sommes prêts à rentrer. Mais, qu'en est-il de notre sécurité ? Si on rentre, qui va assurer notre sécurité ? Parmi les citoyens ordinaires, il y en a qui disent, on présente mes photos à Abobo ou à Yopougon, je suis donc "Wanted". Et vous me demandez de rentrer. Je dis oui, le président m'envoie vous demander de rentrer. Si vous acceptez la main tendue du président, les conditions vont être créées pour vous sécuriser depuis Accra, sur le trajet jusqu'à Abidjan et d'Abidjan jusqu'à vos villages ou vos quartiers. Parce qu'il ne faut pas les prendre dans des camps de réfugiés ici pour les ramener dans des camps de réfugiés à Abidjan. si on les prend, c'est pour aller faciliter leur insertion. J'ai eu à créer à Noé une cellule regroupant les Frci, la gendarmerie, la police, la douane et les autorités coutumières de Noé, avec pour point focal le sous-préfet de Noé. Ceux qui passent par petits groupes, le sous-préfet est prévenu et on assure leur transit à Noé et sur leur chemin de Noé à Abidjan pour qu'il n'y ait pas de tracasseries. Les premiers responsables militaires qui sont partis en avion ont été accueillis avec toute la sécurité nécessaire. On les a sécurisés dans un hôtel. Il y en a qui ont rejoint leur unité et qui ont commencé à travailler. Tout cela, c'est au niveau de l'intégrité physique. Mais, il y a d'autres dispositions qui sont prises concernant les comptes bloqués, les réinsertions pour ceux qui ont perdu leur emploi, et pour ceux dont les maisons ont été pillées ou brûlées. Tout cela fait partie d'un ensemble que nous examinons. Et le président est prêt à apporter des réponses à chacune de ces préoccupations parce qu'il tient à ce que tous les frères et sœurs ivoiriens rentrent au pays.
Il y a certains irréductibles qui posent comme condition de leur retour au pays, la libération de l'ancien chef de l'Etat Laurent Gbagbo et des membres de sa famille politique. Que dites-vous à ceux-là lorsque vous les rencontrez ?
Je leur ai dit et je leur répète, grâce à votre média, qu'ils font une fausse analyse. Et je l'ai dit à Miaka Oureto à Abidjan. Je lui ai dit ceci : si vous faites de la libération de Gbagbo, de Simone et autres la condition du retour de nos frères qui sont au Ghana ou au Libéria, vous faites une fausse route. Mais commençons plutôt par exploiter l'ouverture qui est faite par le président Ouattara en direction de nos frères et sœurs qui se trouvent au Libéria. En empruntant cette porte, en saisissant, cette main tendue, ça va ouvrir la porte pour les autres et nous allons régler les problèmes les uns après les autres. On ne peut pas régler tous les problèmes en même temps. On ne peut pas dire, si on ne libère pas Gbagbo, nous qui sommes au Ghana, on reste au Ghana. Mais comme le retour est volontaire, le président Ouattara ne peut pas les ramasser pour les mettre dans un car pour les faire partir. Mais il viendra un jour où ils réaliseront qu'ils ont eu tort de n'avoir pas saisi la main tendue du président Ouattara. La majorité ne pose pas des conditions mais la majorité exprime des préoccupations. Et sollicite des mesures d'accompagnement sur lesquelles le président a déjà donné des gages puisque les préoccupations des militaires qui sont partis ont eu des solutions. Les exilés, il y en a partout mais il faut qu'ils comprennent qu'on a besoin du retour de ceux qui sont ici. Il ne faut pas qu'ils partagent le discours des exilés, ce qui serait dommageable pour tout le monde. Chacun a sa part, et au fur et à mesure qu'on leur parle, les positions s'améliorent. Il y en a qui sont en train de s'amender et dans les heures qui suivent, je dois rencontrer les leaders pour parler avec eux. Ce sont des amis, nous échangerons sur leur retour, sur leur participation à la réconciliation, sur leur participation à la reconstruction comme dit le président Ouattara.
Pensez-vous que des réfugiés à qui vous avez parlé qui vont bientôt rentrer au pays ?
Il y a deux choses. Il y a ceux qui ne sont pas connus au Hcr, nous les avons rencontrés. On a ouvert un registre et nous avons enregistré des volontaires au départ. Dans les jours qui suivent, nous saurons combien ils sont. J'irai à Abidjan et nous organiserons le convoi de ceux-là. Mais ceux qui sont connus au Hcr, la semaine prochaine, autour du 1er septembre, il y aura la signature d'un document officiel dit accord tripartite Etat hôte-Côte d'Ivoire-Hcr pour organiser le retour des réfugiés en respectant les normes internationales qui régissent la situation des exilés. Tout cela est en cours.
Il n'y a pas que le Ghana, il y a également le Togo et le Bénin. Ce qui est fait au Ghana est-il aussi valable pour les autres pays ?
Pour ma juridiction, c'est le Ghana et le Togo. Au Togo, nous avons 5890 réfugiés qui sont dans le camp d’Adépozo. J'ai rencontré le responsable du Hcr et dès la signature du document, nous allons également organiser leur retour. C'est dans le même mouvement que nous traitons cela.
On a appris récemment qu'il y a eu la bagarre entre les réfugiés ivoiriens et les policiers ghanéens. Cela se serait également passé au Togo. Qu'en est-il exactement ?
Que des Ivoiriens soient réfugiés au Ghana donne une mauvaise image de notre pays. C'est pour cela que le président parle de repositionnement diplomatique de notre pays. Concernant cette affaire, je suis au courant. Il y a des gens qui étaient dans des bagarres au Togo parce qu'ils se plaignaient des nuisances sonores. Ce sont des inconscients. Quand vous êtes réfugiés dans un pays, ce qui vous préoccupe, c'est votre sécurité dans le pays hôte. Et votre subsistance. Mais ce n'est pas aller festoyer au point de créer des nuisances sonores et vous bagarrer. Parce que quelqu'un aurait voulu qu'il y ait moins de nuisances. Qu'ils comprennent qu'ils doivent être responsables.
L'Etat de Côte d'Ivoire a aussi lancé des mandats d'arrêt contre des personnalités de l'ancien régime qui sont réfugiées au Ghana et au Togo. Ces mandats d'arrêt ne vous gêneraient-ils pas dans vos démarches pour les ramener au pays ?
Non. Il ne faut pas tout ménager. Parce qu'on ne peut pas tout traiter en même temps. L'Etat de droit dont parle le président Ouattara, et que nous appelons de tous nos vœux, c'est un Etat qui ne va pas de pair avec l'impunité. J'ai eu à dire aux uns et aux autres que la commission Dialogue, vérité et réconciliation elle-même, est une tribune offerte aux uns et aux autres pour s'exprimer, de se pardonner les uns aux autres, pour que nous embarquions ensemble dans le mouvement de réconciliation. L'Etat de Côte d'Ivoire ne peut pas créer des situations qui consacreraient l'impunité. Donc le politique fait son travail, le juriste fait le sien mais les deux doivent concourir à conforter l'Etat de droit. Même la prison, on n'y envoie pas les gens pour les tuer. On envoie quelqu'un en prison pour qu'il puisse s'amender. La Côte d'Ivoire est un Etat abolitionniste. La peine de mort est interdite en Côte d'Ivoire. Mais nous ne sommes pas pour la promotion de l'impunité. On doit répondre de ses actes, faire amende honorable et attendre en retour la clémence de l'Etat, c'est-à-dire, du premier magistrat qu'est le président de la République.
A Abidjan, tout le monde se demande où se cache Blé Goudé.
Je ne saurais vous le dire. Je n'ai pas la réponse.
Excellence, il y a des discussions engagées entre le Ghana et la Côte d'Ivoire par rapport à un gisement de pétrole qui a été découvert. Où en est-on avec ces discussions ?
Je voudrais d'abord vous préciser que la Côte d'Ivoire et le Ghana ont beaucoup de choses en commun. Nous partageons une frontière longue de 668 kilomètres. C'est une frontière à la fois maritime, terrestre, lagunaire. Elle est très poreuse. Donc les deux Etats ont intérêt à s'entendre pour gérer les mouvements transfrontaliers. Le Ghana et la Côte d'Ivoire partagent un héritage historique commun. Le président Atta Mills l'a dit avec une expression très forte. Il l'a dit : " Le Ghana et la Côte d'Ivoire sont liés par des liens de sang ". Donc la seule chose que je souhaite pour la Côte d'Ivoire, c'est la paix, rien que la paix. Parce que s'il y a la paix en Côte d'Ivoire, il y aura la paix au Ghana et vice-versa ". Concernant les aspects que vous évoquez, notre ambition à nous, c'est que le pétrole soit un facteur de paix et de rapprochement entre la Côte d'Ivoire et le Ghana. Et non un facteur de guerre comme nous l'avons vu dans d'autres zones entre le Cameroun et le Nigeria. Donc, lorsque nous allons aborder ces aspects au travers de la commission mixte ivoiro-ghanéenne, l'esprit qui va nous animer, c'est de voir comment ces choses peuvent être gérées de façon consensuelle. Il n'y a pas que le pétrole, il y a aussi le cacao et la délimitation de la frontière entre les deux pays. Tous ces dossiers doivent être bien gérés ensemble en respectant l'intérêt des deux (2) Etats et en faisant en sorte que le respect des deux (2) Etats favorise la collaboration. Notre chef de l'Etat ambitionne de faire de nos relations un pôle de développement qui redynamise l'intégration sous-régionale et qui impulse l'intégration régionale. Le Ghana et la Côte d'Ivoire, ensemble, présentent des atouts qui peuvent permettre d'amorcer ce mouvement-là.
Pensez-vous qu'à partir du Ghana, les anciens dirigeants de la Côte d'Ivoire peuvent déstabiliser le régime Ouattara ?
Il y a beaucoup de rumeurs. Quand on est à Abidjan, tous les jours, il y a un coup d'Etat en préparation au Ghana contre la Côte d'Ivoire. Mais quand vous êtes à Accra, la réalité est tout autre. J'ai échangé avec le chef de l'Etat qui m'a fait l'honneur de me recevoir. Je suis en relation constante avec le ministre des Affaires étrangères, le ministre de la défense. Tous ont le même souci, faire en sorte qu'il y ait la paix en Côte d'Ivoire. Ils se réjouissent de la normalité actuelle de la Côte d'Ivoire. Ils s'engagent à travailler pour une paix durable en Côte d'Ivoire. Donc, il n'y a pas de coup d'Etat en préparation à partir du Ghana. Toutes les dispositions que nous prenons au niveau des deux (2) pays sont des mesures préventives. Parce que nous devons être vigilants et avoir un esprit d'éveil. Je rassure les Ivoiriens qu'il n'y a pas de coup d'Etat en préparation à partir du Ghana.
Interview réalisée à Accra par
Patrice Yao
Coll : Jules Claver Aka
Dans quel état avez-vous trouvé l'ambassade de Côte d'Ivoire au Ghana ?
Je suis à Accra il y a exactement trois mois. J'ai présenté mes lettres de créance le 26 mai 2011 et nous sommes aujourd'hui le 26 août 2011. Je voudrais d'abord renouveler ma gratitude au chef de l'Etat, le président Alassane Ouattara, pour la confiance qu'il a placée en moi en me demandant d'être son Ambassadeur au Ghana et au Togo. J'ai été bien accueilli à Accra par le bureau des diplomates africains accrédités au Ghana. Et j'ai été très bien accueilli par les autorités du Ghana. Voyez-vous, en 48 heures, j'ai présenté les copies figurées de ma lettre de créance au ministre des Affaires étrangères et au chef de l'Etat. C'est un fait rare qui mérite d'être souligné en diplomatie. Ce fait est significatif de notre bon début, de l'intérêt que le chef de l'Etat du Ghana, Atta Mills, attache au renforcement des relations entre le Ghana et la Côte d'Ivoire. Et à la confiance qu'il place en notre président, le président Alassane Ouattara. Et l'attente qu'il place en la mission qui nous a été confiée, qui est une mission de renforcement de la coopération entre les deux pays. Et je me suis dit que je suis dans un rôle d'artisan de paix, d'acteur de développement et d'agent de rapprochement. J'ai été donc bien accueilli. L'environnement est sain, quoique difficile au départ. Le contexte est bon pour exécuter la mission qui m'a été confiée par le président Alassane Ouattara.
Vous succédez à un ambassadeur. Dans quel état avez-vous trouvé les locaux et le personnel ?
J'ai été très bien accueilli par le personnel. La première rencontre que j'ai eue avec le personnel de l'Ambassade a été édifiante et riche. Je leur ai dit que le président m'a envoyé pour représenter la Côte d'Ivoire, mais aussi pour rassembler les Ivoiriens. Favoriser le retour de nos réfugiés qui sont ici pour qu'ils soient tous des acteurs de la réconciliation.
N'y a-t-il pas eu de chasse aux sorcières ?
J'ai pris le soin de leur dire qu'il n'y aura pas de chasse aux sorcières. Il n'y a pas de règlement de compte et que nous sommes tous au service de l'Etat de Côte d'Ivoire. Ce message a été très bien perçu et cela a permis aux uns et aux autres de se montrer très disponibles et d'aider le nouvel ambassadeur à accomplir la mission qui lui a été confiée. De ce point de vue, je suis satisfait de la collaboration du personnel que j'ai trouvé sur place.
Vous êtes dans un pays où vivent des dignitaires du régime déchu. Dans quelles conditions avez-vous trouvé les Ivoiriens ?
Il y a deux (2) catégories essentielles. Il y a les militaires (beaucoup d'officiers et de sous-officiers ont trouvé refuge au Ghana). Ceux-là, il faut les traiter à part. Personne ne peut vous dire combien ils sont. Puisqu'ils sont venus se mettre à l'abri. Donc, ils ne s'exposent pas et nous n'avons pas pu les compter. A côté des militaires, il y a les civils et parmi ces civils, il y a les responsables politiques et les citoyens ordinaires. Officiellement, nous avons au Ghana, 16.320 réfugiés ivoiriens. Ils sont repartis dans quatre (4) camps (Kampê, Kerekoum, Bujumbura...). Il y a également le centre de transit qui est celui de Elibu qui a grossi à tel point qu'on a déplacé une partie de ce centre à El Mina (à l'intérieur du pays). Voilà où sont nos frères et sœurs. Le chiffre de 16.320 que j'avance, en majorité des femmes et des enfants, n'inclut pas ceux qu'on ne connaît pas. Qu'ils soient leaders politiques, qu'ils soient officiers et sous-officiers, qui ne se sont pas présentés. Ils sont probablement en nombre plus important. C'est ceux-là que nous devons rencontrer, que nous devons encadrer pour faciliter leur retour, les autorités du Ghana et le Hcr. Et le président Ouattara nous a instruit pour que cela se fasse dans les meilleurs délais. Vous vous souvenez que même lors de son message à la nation le 6 août soir, il a tendu à nouveau la main à nos frères du Fpi et de Lmp, leur demandant de rentrer au pays.
Quels sont vos rapports avec les personnalités de Lmp qui sont ici ? Quelles sont celles que vous rencontrez et qu'est-ce qu'elles vous disent ?
Les Saintes écritures nous enseignent que l'inquiétude qui est dans le cœur de l'homme l'accable mais qu'une bonne parole le réjouit et j'ajoute, le rassure. Nos frères et sœurs qui ont fui le pays dans les conditions qu'on sait sont habités par l'angoisse, la peur. Donc, il fallait, dans les premières rencontres, les rassurer à partir des instructions données par le président Ouattara. Pas de règlement de compte, pas de chasse aux sorcières, pour qu'ils soient rassurés. Tous n'ont pas été aux mêmes loges pendant la crise. Il y a les premiers responsables, les seconds et les autres. Mais tous sont presque dans une situation d'angoisse. Il faut donc les rassurer pour les ramener. Il y en a qui vivent aujourd'hui dans une précarité extrême. Il faut les aider à retourner vite au pays. Il ne faut pas laisser les Ivoiriens dans ces conditions. Le Ghana a beaucoup fait. Mais on nous dit partout que le réfugié est un homme seul. Quelle que soit la sollicitude du gouvernement ghanéen, il faut se préoccuper de préparer leur retour dans les meilleures conditions et de façon diligente au pays. Alors, les leaders ont un avantage. Je les connais presque tous. Nous sommes de la même génération. Nous sommes même des amis. J'ai appelé ceux dont j'ai eu les contacts, j'en ai rencontrés. Mais l'efficacité de l'action commande que je ne dise pas qui j'ai rencontré.
Qu'est-ce qu'ils vous disent quand vous les rencontrez ?
Ils disent nous sommes prêts à rentrer. Mais, qu'en est-il de notre sécurité ? Si on rentre, qui va assurer notre sécurité ? Parmi les citoyens ordinaires, il y en a qui disent, on présente mes photos à Abobo ou à Yopougon, je suis donc "Wanted". Et vous me demandez de rentrer. Je dis oui, le président m'envoie vous demander de rentrer. Si vous acceptez la main tendue du président, les conditions vont être créées pour vous sécuriser depuis Accra, sur le trajet jusqu'à Abidjan et d'Abidjan jusqu'à vos villages ou vos quartiers. Parce qu'il ne faut pas les prendre dans des camps de réfugiés ici pour les ramener dans des camps de réfugiés à Abidjan. si on les prend, c'est pour aller faciliter leur insertion. J'ai eu à créer à Noé une cellule regroupant les Frci, la gendarmerie, la police, la douane et les autorités coutumières de Noé, avec pour point focal le sous-préfet de Noé. Ceux qui passent par petits groupes, le sous-préfet est prévenu et on assure leur transit à Noé et sur leur chemin de Noé à Abidjan pour qu'il n'y ait pas de tracasseries. Les premiers responsables militaires qui sont partis en avion ont été accueillis avec toute la sécurité nécessaire. On les a sécurisés dans un hôtel. Il y en a qui ont rejoint leur unité et qui ont commencé à travailler. Tout cela, c'est au niveau de l'intégrité physique. Mais, il y a d'autres dispositions qui sont prises concernant les comptes bloqués, les réinsertions pour ceux qui ont perdu leur emploi, et pour ceux dont les maisons ont été pillées ou brûlées. Tout cela fait partie d'un ensemble que nous examinons. Et le président est prêt à apporter des réponses à chacune de ces préoccupations parce qu'il tient à ce que tous les frères et sœurs ivoiriens rentrent au pays.
Il y a certains irréductibles qui posent comme condition de leur retour au pays, la libération de l'ancien chef de l'Etat Laurent Gbagbo et des membres de sa famille politique. Que dites-vous à ceux-là lorsque vous les rencontrez ?
Je leur ai dit et je leur répète, grâce à votre média, qu'ils font une fausse analyse. Et je l'ai dit à Miaka Oureto à Abidjan. Je lui ai dit ceci : si vous faites de la libération de Gbagbo, de Simone et autres la condition du retour de nos frères qui sont au Ghana ou au Libéria, vous faites une fausse route. Mais commençons plutôt par exploiter l'ouverture qui est faite par le président Ouattara en direction de nos frères et sœurs qui se trouvent au Libéria. En empruntant cette porte, en saisissant, cette main tendue, ça va ouvrir la porte pour les autres et nous allons régler les problèmes les uns après les autres. On ne peut pas régler tous les problèmes en même temps. On ne peut pas dire, si on ne libère pas Gbagbo, nous qui sommes au Ghana, on reste au Ghana. Mais comme le retour est volontaire, le président Ouattara ne peut pas les ramasser pour les mettre dans un car pour les faire partir. Mais il viendra un jour où ils réaliseront qu'ils ont eu tort de n'avoir pas saisi la main tendue du président Ouattara. La majorité ne pose pas des conditions mais la majorité exprime des préoccupations. Et sollicite des mesures d'accompagnement sur lesquelles le président a déjà donné des gages puisque les préoccupations des militaires qui sont partis ont eu des solutions. Les exilés, il y en a partout mais il faut qu'ils comprennent qu'on a besoin du retour de ceux qui sont ici. Il ne faut pas qu'ils partagent le discours des exilés, ce qui serait dommageable pour tout le monde. Chacun a sa part, et au fur et à mesure qu'on leur parle, les positions s'améliorent. Il y en a qui sont en train de s'amender et dans les heures qui suivent, je dois rencontrer les leaders pour parler avec eux. Ce sont des amis, nous échangerons sur leur retour, sur leur participation à la réconciliation, sur leur participation à la reconstruction comme dit le président Ouattara.
Pensez-vous que des réfugiés à qui vous avez parlé qui vont bientôt rentrer au pays ?
Il y a deux choses. Il y a ceux qui ne sont pas connus au Hcr, nous les avons rencontrés. On a ouvert un registre et nous avons enregistré des volontaires au départ. Dans les jours qui suivent, nous saurons combien ils sont. J'irai à Abidjan et nous organiserons le convoi de ceux-là. Mais ceux qui sont connus au Hcr, la semaine prochaine, autour du 1er septembre, il y aura la signature d'un document officiel dit accord tripartite Etat hôte-Côte d'Ivoire-Hcr pour organiser le retour des réfugiés en respectant les normes internationales qui régissent la situation des exilés. Tout cela est en cours.
Il n'y a pas que le Ghana, il y a également le Togo et le Bénin. Ce qui est fait au Ghana est-il aussi valable pour les autres pays ?
Pour ma juridiction, c'est le Ghana et le Togo. Au Togo, nous avons 5890 réfugiés qui sont dans le camp d’Adépozo. J'ai rencontré le responsable du Hcr et dès la signature du document, nous allons également organiser leur retour. C'est dans le même mouvement que nous traitons cela.
On a appris récemment qu'il y a eu la bagarre entre les réfugiés ivoiriens et les policiers ghanéens. Cela se serait également passé au Togo. Qu'en est-il exactement ?
Que des Ivoiriens soient réfugiés au Ghana donne une mauvaise image de notre pays. C'est pour cela que le président parle de repositionnement diplomatique de notre pays. Concernant cette affaire, je suis au courant. Il y a des gens qui étaient dans des bagarres au Togo parce qu'ils se plaignaient des nuisances sonores. Ce sont des inconscients. Quand vous êtes réfugiés dans un pays, ce qui vous préoccupe, c'est votre sécurité dans le pays hôte. Et votre subsistance. Mais ce n'est pas aller festoyer au point de créer des nuisances sonores et vous bagarrer. Parce que quelqu'un aurait voulu qu'il y ait moins de nuisances. Qu'ils comprennent qu'ils doivent être responsables.
L'Etat de Côte d'Ivoire a aussi lancé des mandats d'arrêt contre des personnalités de l'ancien régime qui sont réfugiées au Ghana et au Togo. Ces mandats d'arrêt ne vous gêneraient-ils pas dans vos démarches pour les ramener au pays ?
Non. Il ne faut pas tout ménager. Parce qu'on ne peut pas tout traiter en même temps. L'Etat de droit dont parle le président Ouattara, et que nous appelons de tous nos vœux, c'est un Etat qui ne va pas de pair avec l'impunité. J'ai eu à dire aux uns et aux autres que la commission Dialogue, vérité et réconciliation elle-même, est une tribune offerte aux uns et aux autres pour s'exprimer, de se pardonner les uns aux autres, pour que nous embarquions ensemble dans le mouvement de réconciliation. L'Etat de Côte d'Ivoire ne peut pas créer des situations qui consacreraient l'impunité. Donc le politique fait son travail, le juriste fait le sien mais les deux doivent concourir à conforter l'Etat de droit. Même la prison, on n'y envoie pas les gens pour les tuer. On envoie quelqu'un en prison pour qu'il puisse s'amender. La Côte d'Ivoire est un Etat abolitionniste. La peine de mort est interdite en Côte d'Ivoire. Mais nous ne sommes pas pour la promotion de l'impunité. On doit répondre de ses actes, faire amende honorable et attendre en retour la clémence de l'Etat, c'est-à-dire, du premier magistrat qu'est le président de la République.
A Abidjan, tout le monde se demande où se cache Blé Goudé.
Je ne saurais vous le dire. Je n'ai pas la réponse.
Excellence, il y a des discussions engagées entre le Ghana et la Côte d'Ivoire par rapport à un gisement de pétrole qui a été découvert. Où en est-on avec ces discussions ?
Je voudrais d'abord vous préciser que la Côte d'Ivoire et le Ghana ont beaucoup de choses en commun. Nous partageons une frontière longue de 668 kilomètres. C'est une frontière à la fois maritime, terrestre, lagunaire. Elle est très poreuse. Donc les deux Etats ont intérêt à s'entendre pour gérer les mouvements transfrontaliers. Le Ghana et la Côte d'Ivoire partagent un héritage historique commun. Le président Atta Mills l'a dit avec une expression très forte. Il l'a dit : " Le Ghana et la Côte d'Ivoire sont liés par des liens de sang ". Donc la seule chose que je souhaite pour la Côte d'Ivoire, c'est la paix, rien que la paix. Parce que s'il y a la paix en Côte d'Ivoire, il y aura la paix au Ghana et vice-versa ". Concernant les aspects que vous évoquez, notre ambition à nous, c'est que le pétrole soit un facteur de paix et de rapprochement entre la Côte d'Ivoire et le Ghana. Et non un facteur de guerre comme nous l'avons vu dans d'autres zones entre le Cameroun et le Nigeria. Donc, lorsque nous allons aborder ces aspects au travers de la commission mixte ivoiro-ghanéenne, l'esprit qui va nous animer, c'est de voir comment ces choses peuvent être gérées de façon consensuelle. Il n'y a pas que le pétrole, il y a aussi le cacao et la délimitation de la frontière entre les deux pays. Tous ces dossiers doivent être bien gérés ensemble en respectant l'intérêt des deux (2) Etats et en faisant en sorte que le respect des deux (2) Etats favorise la collaboration. Notre chef de l'Etat ambitionne de faire de nos relations un pôle de développement qui redynamise l'intégration sous-régionale et qui impulse l'intégration régionale. Le Ghana et la Côte d'Ivoire, ensemble, présentent des atouts qui peuvent permettre d'amorcer ce mouvement-là.
Pensez-vous qu'à partir du Ghana, les anciens dirigeants de la Côte d'Ivoire peuvent déstabiliser le régime Ouattara ?
Il y a beaucoup de rumeurs. Quand on est à Abidjan, tous les jours, il y a un coup d'Etat en préparation au Ghana contre la Côte d'Ivoire. Mais quand vous êtes à Accra, la réalité est tout autre. J'ai échangé avec le chef de l'Etat qui m'a fait l'honneur de me recevoir. Je suis en relation constante avec le ministre des Affaires étrangères, le ministre de la défense. Tous ont le même souci, faire en sorte qu'il y ait la paix en Côte d'Ivoire. Ils se réjouissent de la normalité actuelle de la Côte d'Ivoire. Ils s'engagent à travailler pour une paix durable en Côte d'Ivoire. Donc, il n'y a pas de coup d'Etat en préparation à partir du Ghana. Toutes les dispositions que nous prenons au niveau des deux (2) pays sont des mesures préventives. Parce que nous devons être vigilants et avoir un esprit d'éveil. Je rassure les Ivoiriens qu'il n'y a pas de coup d'Etat en préparation à partir du Ghana.
Interview réalisée à Accra par
Patrice Yao
Coll : Jules Claver Aka