Les populations de Yopougon Port-Bouët 2, comme celles d’Abobo, ont souffert le martyre pendant la crise post électorale. Cinq mois après l’arrestation du président déchu, nous sommes allés à la rencontre de ces populations. Comment vivent-elles, comment se reconstruisent-elles ? Enquête.
La crise post électorale a laissé des traces. Des traces indélébiles chez les populations de Yopougon Port Bouët 2. Une visite, un mercredi d’août, a suffit pour s’en convaincre. Le spectacle est désolant, voire révoltant. Le quartier précaire de Port Bouët 2 derrière le carrefour zone n’existe quasiment plus. En lieu et place des baraques, il n’y a plus qu’un sol noirâtre à perte de vue où sont juxtaposés pneus brûlés et toutes sortes d’immondices. Sans compter des clôtures ébréchées et noircies par la fumée. Voilà tout ce qui reste de ce quartier précaire. Ceux qui n’ont pu se recaser ailleurs sont obligés de se créer des logis de fortune. D’où des baraques de plastique construites à la hâte pour ne serait-ce que s’abriter. Des débris de brique entassés attendent d’être utilisés. Aucune habitation de Port-Bouët 2 n’a été épargnée. Des impacts de balles sont encore visibles sur les murs. Les habitants de ce quartier n’ont pas encore retrouvé le goût de la vie. Ils ont grise mine. Cinq mois après cette dure épreuve, des jeunes de Port Bouët 2 témoignent : «On a gros sur le cœur et il va falloir des mois, voire des années pour qu’on arrive à pardonner. Les plaies sont encore trop ouvertes, et à chaque fois que vous viendrez nous rendre visite, c’est ainsi que vous nous trouverez. On pleure encore nos morts », explique Ibouldo Iman.
Malgré les blessures encore vivaces…
Les attaques perpétrées contre ce secteur ont endeuillé beaucoup de familles dont celle de Maré Habibou. Cet homme a perdu sa sœur, Lingani Awa. Sawadogo Adjara, 58 ans, a perdu son fils et n’a plus d’abri. «Je n’ai plus rien, toute ma maison a brûlé, j’ai perdu mon fils. Quand les miliciens sont venus, mon fils a pris une balle dans le pied, il n’a pas pu s’enfuir. Il est mort calciné sous mes yeux. J’ai assisté, impuissante à la scène, cachée avec des voisins», relate-t-elle les larmes aux yeux. Une épreuve qui a aussi engendré d’importantes pertes en biens matériels. Sidibé Sékouba, propriétaire d’un magasin de friperies, ne sait plus à quel saint se vouer depuis que son magasin est parti en fumée. «Je ne sais plus quoi faire. Je suis vieux et c’est cette activité qui me permettait de ne pas trop dépendre de mes enfants. Je n’ai plus rien. Mon magasin qui me servait aussi de maison est parti dans les flammes et on n’a pas été dédommagé. Est-ce parce que la majorité des habitants de notre quartier sont des étrangers ? Avec l’aide des voisins, j’ai construit une petite baraque depuis trois semaines et j’y suis en attendant d’avoir des secours », espère ce septuagénaire. Même sort pour V. Tiémoko, propriétaire d’un garage vers le carrefour zone. Ce réparateur de véhicules a vu son garage calciné par les miliciens ainsi que les voitures qui s’y trouvaient (réparées ou non). «Ce jour là, les miliciens étaient enragés. Rien n’a échappé à leur furia. Maisons, magasins, garages, …ils ont tout brûlé. Nous ne pensions qu’à sauver notre tête ; on courait dans tous les sens», se rappelle-t-il. Mais que s’est-il vraiment passé lors de ces évènements douloureux ? Les visages se froncent. Personne ne veut en parler. Mais Bayili Félix, ce tradition-praticien qui a perdu sa maison ne fait aucune difficulté. «Tout a commencé le lundi 14 mars aux environs de 16 heures. Heureusement, ce jour là, beaucoup d’hommes étaient absents. Une centaine de jeunes habillés en tee-shirts rouges avec des bandeaux sur la tête ont débarqué au quartier. Ils ont d’abord tiré dans tous les sens. Ils ont ensuite commencé à mettre l’essence dans les maisons et à y mettre le feu. Je me souviens que je ne voulais pas sortir de ma maison car j’avais peur qu’ils tirent sur moi. Mais la chaleur était insupportable et je me suis mis à courir avec les autres dans tous les sens. Un jeune du quartier qu’on appelait ’’ Fologo’’ a reçu une balle. Dans la panique, personne ne s’est occupé de lui. Ce jour là, ce sont cinq maisons qui ont été brûlées», raconte-t-il. Un témoignage qui en a entraîné d’autres. Gnoumou Mokossen relate la seconde attaque des miliciens. «Le lundi suivant, ils sont revenus. Ils versaient de l’essence dans les maisons, y mettaient le feu et criaient : « Il y a le feu, venez vite ! Mais on connaissait cette technique, car la première fois, quand ils ont crié, une de nos doyennes est sortie avec un seau d’eau. Ils l’ont abattue froidement. Personne n’est resté sur les lieux. Nous savions que c’était les miliciens qui résidaient à la Brigade anti-émeute (Bae)», explique Gnoumou. Le pire, ajoute Gnoumou, c’est que ces miliciens avaient pris goût à martyriser la population. Cet homme explique que les plus courageux qui n’ont pas fui le quartier ont vu de toutes les couleurs.
…les populations se reconstruisent petit à petit
Les miliciens effectuaient des incursions chaque matin à 5 h et tiraient en l’air. «On était réveillé chaque jour en sursaut par les tirs à l’arme lourde à 5h. Finalement, personne n’osait sortir pour faire ses ablutions et ses prières. Notre mosquée a été brûlée et l’Iman tué. On vivait terré dans les maisons, la peur au ventre, car on nous servait au jour le jour des tirs d’obus. On a même regretté d’être resté », se souvient-il. Néanmoins, Bancé Bintou, une doyenne, explique que les riverains qui avaient pris la fuite en mars, après l’attaque du quartier, sont en train de revenir au compte goûte. La preuve, explique-t-elle, ce sont ces briques entassées, une clôture en construction et des baraques de fortune. «Ceux qui n’ont pas encore eu le temps de construire un abri de fortune dorment chez les voisins. On a tout perdu, mais on essaie de s’entraider entre voisins. J’ai deux filles adolescentes, mon fils ainé, lui, a disparu pendant les attaques. Nous sommes sans ressources. On a la chance de ne pas dormir à la belle étoile, parce que ce sont au moins 50 maisons qui sont parties en fumée», raconte-t-elle. Les décombres calcinés font place à de nouvelles planches. Des hommes s’efforcent de construire des maisons en planches. Yacouba Diakité est à pied d’œuvre. Il explique que ces maisons permettront à ceux qui sont revenus d’avoir au moins un toit. Il ajoute que la situation précaire des victimes de guerre n’a pas évoluée de façon significative. «C’est vrai que certains dorment chez les voisins, mais ils ne possèdent plus rien et ils ont du mal à se refaire. On a donc tenu une réunion pendant laquelle on a demandé à chacun de donner ce qu’il pouvait. Certains ont des parents riches. Ceux-là ont donné 100.000 ; 50.000, 20.000 Fcfa. On a rassemblé cette somme pour pouvoir construire des ’’sicobois’’ (ndlr, abris en bois) en attendant que les autorités veuillent bien se pencher sur notre sort. D’ici là, chacun aura un toit sous lequel dormir, mais personne ne pourra remplacer les biens perdus et les souvenirs qui nous étaient chers», explique-t-il. Pour la sécurité, Bayili Félix estime que les habitants du quartier n’ont pas à s’en faire. Depuis son retour, il y a de cela deux mois, c’est lui qui est chargé de régler les questions sécuritaires, car il s’est fait enrôlé dans la compagnie guépard : «Nous sommes très organisés et vigilants sur la sécurité ».
La peur a changé de camp
Pour Diallo Mohammed, les habitants de ce quartier n’ont plus rien à craindre, car la peur a changé de camp. «Il y a des gens qu’on considérait comme nos amis. D’autres venaient souvent pour qu’on boive du thé tous les soirs ou les après-midis. On mangeait du ’’garba’’ ensemble. Mais ils n’ont pas hésité à venir abattre des personnes qui nous sont chères. Quand ils ont fait irruption dans le quartier, ils nous ont traités comme des inconnus », se rappelle Diallo avec colère. Une douleur qui l’étreint jusqu’à présent. «Depuis que les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci) contrôlent le secteur, ’’nos voisins’’ se sont volatilisés dans la nature. Il faut avouer que parmi eux, il y avait des forces de l’ordre. Tout est rentré dans l’ordre, nous les attendons», souhaite Gatior Adjaré, un autre habitant de la zone. En attendant, les populations espèrent que les autorités vont se pencher sur leur souffrance.
Napargalè Marie
La crise post électorale a laissé des traces. Des traces indélébiles chez les populations de Yopougon Port Bouët 2. Une visite, un mercredi d’août, a suffit pour s’en convaincre. Le spectacle est désolant, voire révoltant. Le quartier précaire de Port Bouët 2 derrière le carrefour zone n’existe quasiment plus. En lieu et place des baraques, il n’y a plus qu’un sol noirâtre à perte de vue où sont juxtaposés pneus brûlés et toutes sortes d’immondices. Sans compter des clôtures ébréchées et noircies par la fumée. Voilà tout ce qui reste de ce quartier précaire. Ceux qui n’ont pu se recaser ailleurs sont obligés de se créer des logis de fortune. D’où des baraques de plastique construites à la hâte pour ne serait-ce que s’abriter. Des débris de brique entassés attendent d’être utilisés. Aucune habitation de Port-Bouët 2 n’a été épargnée. Des impacts de balles sont encore visibles sur les murs. Les habitants de ce quartier n’ont pas encore retrouvé le goût de la vie. Ils ont grise mine. Cinq mois après cette dure épreuve, des jeunes de Port Bouët 2 témoignent : «On a gros sur le cœur et il va falloir des mois, voire des années pour qu’on arrive à pardonner. Les plaies sont encore trop ouvertes, et à chaque fois que vous viendrez nous rendre visite, c’est ainsi que vous nous trouverez. On pleure encore nos morts », explique Ibouldo Iman.
Malgré les blessures encore vivaces…
Les attaques perpétrées contre ce secteur ont endeuillé beaucoup de familles dont celle de Maré Habibou. Cet homme a perdu sa sœur, Lingani Awa. Sawadogo Adjara, 58 ans, a perdu son fils et n’a plus d’abri. «Je n’ai plus rien, toute ma maison a brûlé, j’ai perdu mon fils. Quand les miliciens sont venus, mon fils a pris une balle dans le pied, il n’a pas pu s’enfuir. Il est mort calciné sous mes yeux. J’ai assisté, impuissante à la scène, cachée avec des voisins», relate-t-elle les larmes aux yeux. Une épreuve qui a aussi engendré d’importantes pertes en biens matériels. Sidibé Sékouba, propriétaire d’un magasin de friperies, ne sait plus à quel saint se vouer depuis que son magasin est parti en fumée. «Je ne sais plus quoi faire. Je suis vieux et c’est cette activité qui me permettait de ne pas trop dépendre de mes enfants. Je n’ai plus rien. Mon magasin qui me servait aussi de maison est parti dans les flammes et on n’a pas été dédommagé. Est-ce parce que la majorité des habitants de notre quartier sont des étrangers ? Avec l’aide des voisins, j’ai construit une petite baraque depuis trois semaines et j’y suis en attendant d’avoir des secours », espère ce septuagénaire. Même sort pour V. Tiémoko, propriétaire d’un garage vers le carrefour zone. Ce réparateur de véhicules a vu son garage calciné par les miliciens ainsi que les voitures qui s’y trouvaient (réparées ou non). «Ce jour là, les miliciens étaient enragés. Rien n’a échappé à leur furia. Maisons, magasins, garages, …ils ont tout brûlé. Nous ne pensions qu’à sauver notre tête ; on courait dans tous les sens», se rappelle-t-il. Mais que s’est-il vraiment passé lors de ces évènements douloureux ? Les visages se froncent. Personne ne veut en parler. Mais Bayili Félix, ce tradition-praticien qui a perdu sa maison ne fait aucune difficulté. «Tout a commencé le lundi 14 mars aux environs de 16 heures. Heureusement, ce jour là, beaucoup d’hommes étaient absents. Une centaine de jeunes habillés en tee-shirts rouges avec des bandeaux sur la tête ont débarqué au quartier. Ils ont d’abord tiré dans tous les sens. Ils ont ensuite commencé à mettre l’essence dans les maisons et à y mettre le feu. Je me souviens que je ne voulais pas sortir de ma maison car j’avais peur qu’ils tirent sur moi. Mais la chaleur était insupportable et je me suis mis à courir avec les autres dans tous les sens. Un jeune du quartier qu’on appelait ’’ Fologo’’ a reçu une balle. Dans la panique, personne ne s’est occupé de lui. Ce jour là, ce sont cinq maisons qui ont été brûlées», raconte-t-il. Un témoignage qui en a entraîné d’autres. Gnoumou Mokossen relate la seconde attaque des miliciens. «Le lundi suivant, ils sont revenus. Ils versaient de l’essence dans les maisons, y mettaient le feu et criaient : « Il y a le feu, venez vite ! Mais on connaissait cette technique, car la première fois, quand ils ont crié, une de nos doyennes est sortie avec un seau d’eau. Ils l’ont abattue froidement. Personne n’est resté sur les lieux. Nous savions que c’était les miliciens qui résidaient à la Brigade anti-émeute (Bae)», explique Gnoumou. Le pire, ajoute Gnoumou, c’est que ces miliciens avaient pris goût à martyriser la population. Cet homme explique que les plus courageux qui n’ont pas fui le quartier ont vu de toutes les couleurs.
…les populations se reconstruisent petit à petit
Les miliciens effectuaient des incursions chaque matin à 5 h et tiraient en l’air. «On était réveillé chaque jour en sursaut par les tirs à l’arme lourde à 5h. Finalement, personne n’osait sortir pour faire ses ablutions et ses prières. Notre mosquée a été brûlée et l’Iman tué. On vivait terré dans les maisons, la peur au ventre, car on nous servait au jour le jour des tirs d’obus. On a même regretté d’être resté », se souvient-il. Néanmoins, Bancé Bintou, une doyenne, explique que les riverains qui avaient pris la fuite en mars, après l’attaque du quartier, sont en train de revenir au compte goûte. La preuve, explique-t-elle, ce sont ces briques entassées, une clôture en construction et des baraques de fortune. «Ceux qui n’ont pas encore eu le temps de construire un abri de fortune dorment chez les voisins. On a tout perdu, mais on essaie de s’entraider entre voisins. J’ai deux filles adolescentes, mon fils ainé, lui, a disparu pendant les attaques. Nous sommes sans ressources. On a la chance de ne pas dormir à la belle étoile, parce que ce sont au moins 50 maisons qui sont parties en fumée», raconte-t-elle. Les décombres calcinés font place à de nouvelles planches. Des hommes s’efforcent de construire des maisons en planches. Yacouba Diakité est à pied d’œuvre. Il explique que ces maisons permettront à ceux qui sont revenus d’avoir au moins un toit. Il ajoute que la situation précaire des victimes de guerre n’a pas évoluée de façon significative. «C’est vrai que certains dorment chez les voisins, mais ils ne possèdent plus rien et ils ont du mal à se refaire. On a donc tenu une réunion pendant laquelle on a demandé à chacun de donner ce qu’il pouvait. Certains ont des parents riches. Ceux-là ont donné 100.000 ; 50.000, 20.000 Fcfa. On a rassemblé cette somme pour pouvoir construire des ’’sicobois’’ (ndlr, abris en bois) en attendant que les autorités veuillent bien se pencher sur notre sort. D’ici là, chacun aura un toit sous lequel dormir, mais personne ne pourra remplacer les biens perdus et les souvenirs qui nous étaient chers», explique-t-il. Pour la sécurité, Bayili Félix estime que les habitants du quartier n’ont pas à s’en faire. Depuis son retour, il y a de cela deux mois, c’est lui qui est chargé de régler les questions sécuritaires, car il s’est fait enrôlé dans la compagnie guépard : «Nous sommes très organisés et vigilants sur la sécurité ».
La peur a changé de camp
Pour Diallo Mohammed, les habitants de ce quartier n’ont plus rien à craindre, car la peur a changé de camp. «Il y a des gens qu’on considérait comme nos amis. D’autres venaient souvent pour qu’on boive du thé tous les soirs ou les après-midis. On mangeait du ’’garba’’ ensemble. Mais ils n’ont pas hésité à venir abattre des personnes qui nous sont chères. Quand ils ont fait irruption dans le quartier, ils nous ont traités comme des inconnus », se rappelle Diallo avec colère. Une douleur qui l’étreint jusqu’à présent. «Depuis que les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci) contrôlent le secteur, ’’nos voisins’’ se sont volatilisés dans la nature. Il faut avouer que parmi eux, il y avait des forces de l’ordre. Tout est rentré dans l’ordre, nous les attendons», souhaite Gatior Adjaré, un autre habitant de la zone. En attendant, les populations espèrent que les autorités vont se pencher sur leur souffrance.
Napargalè Marie