Six mois après les tristes évènements de Duékoué, des milliers de déplacés continuent de survivre grâce à l’aide des organisations humanitaires. Au milieu d’une polémique sur la nécessité de les maintenir sous assistance et la responsabilité des autorités, nous sommes retournés sur les traces des sinistrés de Duékoué. Reportage.
Jeudi 08 septembre 2011, quartier Carrefour. Les habitants et les riverains de ce vaste quartier de la ville de Duékoué qui a été l’épicentre de violents combats pendant la crise post- électorale en mars dernier, se pressent autour de slistes que des organisations humanitaires viennent d’afficher sous nos yeux. Il s’agit des noms des bénéficiaires d’un projet de réinsertion socioéconomique au profit de ceux qui ont amorcé, volontairement, le retour dans ce quartier. Signe que la vie y reprend progressivement. Sourire aux lèvres, une cinquantaine de personnes, hommes, femmes et jeunes se bousculeront devant ces affichages. Et dans la foule, les plus chanceux explosent de joie : «Mon nom est sur la liste, j’aurai le financement de mon projet». Cette dame est parmi les « élus ». Son enthousiasme témoigne bien d’une volonté de surmonter les tristes épreuves qui ont bouleversé sa vie, pour amorcer un nouveau départ. Car, il y a cinq mois seulement, ce quartier n’était qu’une zone abandonnée, un cimetière, après les combats qui y ont opposé les Forces Républicaines aux miliciens qui en avaient fait leur QG.
Une volonté farouche de survivre
Comme des candidats qui réussissent à un examen, les heureux bénéficiaires des projets ne peuvent cacher leur joie. Aussi le quartier «Carrefour», était-il gai ce jeudi 08 septembre. Et de nombreux autres indices marquent le retour à la normale dans le quartier le plus tristement célèbre de Duékoué. La rue principale a renoué avec son animation d’antan. On ne voit plus ces casques bleus de l’Onuci qui, fusil à la main, étaient postés à l’entrée du quartier, comme en mai dernier. Le commerce aussi y a repris. Des éclats de rire s’échappent à nouveau des maquis, des cabarets de « bandji » et autres boisons locales. Les cours ont recommencé à bruire de cris d’enfants. On oublie peu à peu le passé douloureux pour savourer les plaisirs que la vie peut encore offrir. En parcourant le quartier, on aperçoit des ateliers de menuiserie, de salons de coiffure ou de couture, financés dans le cadre d’un programme dit « d’appui à la cohésion et au retour volontaire ». Ces programmes mis en œuvre par le Haut Commissariat aux Réfugiés et Oxfam constituent à la fois, pour ces populations, une source de motivation pour le retour mais surtout un moyen de survie à travers des activités génératrices de revenus.
Ceux qui ont décidé de retourner vivre dans leurs maisons au quartier Carrefour ne reçoivent plus une assistance alimentaire des organisations humanitaires. Cependant, leur retour est facilité par un accompagnement en termes de projets de réinsertion, pour les aider à s’occuper sainement et à revivre dignement. Mieux, certains ont décidé de lutter, même sans appui, pour survivre. C’est le cas de Yao Hubert, la quarantaine. Sans être bénéficiaire d’un projet, il est tout de même parvenu à se construire un petit « garbadrome » ou il vend de l’attiéké. «J’ai une femme et quatre enfants. Voici à quoi je suis réduit aujourd’hui pour faire vivre ma famille», soupire- t-il. Mais la recette journalière de ce nouveau commerçant est bien maigre, comme il l’atteste lui-même :«Je ne gagne qu’entre 500 et 1000 FCFA par jour. Je demande au gouvernement de nous venir en aide». Un véritable cri du cœur en direction des autorités.
A quelques pas de-là, se dresse un site d’alcool frelaté où de nombreux fidèles devisent en sirotant toutes sortes de breuvage. On n’essaie certainement de noyer les soucis. Ici, c’est une musique du terroir qui est distillée. L’ambiance est bon enfant. Personne n’évoque des questions de sécurité. Dans nos échanges avec certains d’entre eux, nous apprenons que ce sont 200 familles qui sont revenues pour le moment dans leurs maisons dans ce quartier. Des chiffres confirmés par le préfet de Duékoué, M. Benjamin Effoly et par le Chef de canton Wê, François Bataï. Pour Mamadou Koné, Vice-président du comité de recherche de la paix à Duékoué, ce retour salutaire pour ces populations constitue également un pas important vers la normalité. «Nous devrons tourner la page et regarder l’avenir avec beaucoup d’optimisme», dit-il. Selon M. Koné, le village de Niambly à quelques huit km de Duékoué a enregistré une centaine de retours. 118 exactement, selon le Chef Bataï.
Le sort des autres déplacés
Au nombre des sites d’accueil, au lendemain des combats de Duékoué, la Mission catholique Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus comptait 40.000 déplacés. En mai, ce nombre avait considérablement baissé. On était autour de 27.000 personnes. Aujourd’hui, la mission a été décongestionnée au point où il ne reste plus que 6.000 déplacés. Une satisfaction pour le père Cyprien Ahouré qui salue les efforts qui ont été faits. « L’église fonctionne aujourd’hui à 70%. Nous avons beaucoup de paroissiens qui sont revenus, notamment des fonctionnaires. Mais nous croyons qu’avec bientôt le départ définitif des déplacés, l’Eglise pourra reprendre ses activités normales. Duékoué renaît», rassure t-il.
Mais ce n’est pas pour autant que ceux qui quittent la mission ont regagné leurs maisons ou leurs villages. La plupart ont été tout simplement transférés sur un nouveau site à la sortie de Duékoué, sur la voie qui mène à Guiglo. Il s’agit du site de Nihably, aménagé par le HCR pour servir de lieu d’accueil transitoire pour les déplacés. «Ce site a été inauguré le 05 juillet 2011 et accueille aujourd’hui 3172 déplacés avec des infrastructures de base », nous confie Mme Pelgan de l’organisme ASA, responsable du site. A l’évidence, le camp de déplacés de Nihably présente un décor plus aéré et plus décent et offre aux pensionnaires un peu plus d’intimité qu’à la mission catholique. La mission, il faut l’avouer, était noyée sous un flot humain.
Seulement, l’existence du site de Nihably ne réjouit pas forcément tout le monde. A commencer par les Chefs Wê. Ceux -ci estiment que le fait de sortir les déplacés de la mission catholique pour les conduire à nouveau sur un autre site revient à les maintenir dans l’indigence. Une situation qu’ils jugent déshonorante. «Au lieu de construire ce site sur la route de Guiglo, on peut dresser des tentes dans les villages. Nous pensons que maintenir ces gens sur un site, c’est leur faire oublier leurs villages», s’afflige le chef Bataï. La position de la chefferie est soutenue par le Pr. Amoa Urbain, Recteur de l’Université Charles Louis de Montesquieu qui dénonce également, le fait qu’on veuille prolonger la souffrance des déplacés. «Là où on a chuté, il ne faut pas transformer cet endroit en une demeure définitive. Il faut aider ceux qui sont à la mission à retourner chez eux et non sur un autre site», a martelé le Pr. Amoa Urbain qui séjournait à Duékoué, le mercredi 07 septembre dernier, dans le cadre du 8ème Festival de la route des Reines et des Rois. Selon lui, l’ouverture d’un autre nouveau site engendrera : « des enfants parasites, et des parents parasites qui n’ont pas demandé à être des parasites». Et le promoteur de la route des Reines et des Rois d’interpeller les organisations humanitaires en ces termes : «Toute aide doit nous aider à nous passer de l’aide. Une aide qui ne nous aide pas à nous passer de l’aide, n’est pas une aide»
Des marginaux
Pour Mme Mokrani Salima, responsable Ocha à Man, la communauté humanitaire vient en appui aux actions du gouvernement et ne se substitue à lui que dans une situation de carence. « Le travail humanitaire consiste à évaluer les besoins des populations et à leur apporter l’assistance partout où elles se trouvent dans le besoin », précise-t- elle. Autrement dit, il appartient à l’Etat ivoirien de prendre ses responsabilités vis- à- vis des populations en difficulté. Et sur la question, le père Cyprien Ahouré est on ne peut plus clair : «Les humanitaires ont beaucoup fait. Nous demandons maintenant à l’Etat de jouer sa partition en s’impliquant concrètement dans la gestion des déplacés. Je pense que le moment est venu pour le président Ouattara de tendre la main à ces personnes. Gouverner autrement voudrait dire ne pas faire comme les autres. Il faut tendre la main à tout le monde pour qu’il n’y ait pas en Côte d’Ivoire, des marginaux»
En la matière, l’église a pris le devant de la reconstruction à Duékoué. Ce sont aujourd’hui 13 cours et 17 maisons que la Caritas a réhabilités dans les quartiers To Guéhi, Guéré, Belleville et Kokoma. Selon le père Cyprien, la Caritas a initié ces opérations grâce au don de 20 millions FCFA offert par le Pape Benoît XVI.
Aujourd’hui, la ville de Duékoué compte plus de dix milles déplacés dont la survie dépend exclusivement des organisations humanitaires. A ceux-là, il faudra ajouter plus de 200.000 autres qui ont regagné leurs villages à Bloléquin, à Toulépleu, et dans l’ensemble de la région. Et tous ont le regard tourné vers les autorités.
Alexandre Lebel Ilboudo, Envoyé spécial
Jeudi 08 septembre 2011, quartier Carrefour. Les habitants et les riverains de ce vaste quartier de la ville de Duékoué qui a été l’épicentre de violents combats pendant la crise post- électorale en mars dernier, se pressent autour de slistes que des organisations humanitaires viennent d’afficher sous nos yeux. Il s’agit des noms des bénéficiaires d’un projet de réinsertion socioéconomique au profit de ceux qui ont amorcé, volontairement, le retour dans ce quartier. Signe que la vie y reprend progressivement. Sourire aux lèvres, une cinquantaine de personnes, hommes, femmes et jeunes se bousculeront devant ces affichages. Et dans la foule, les plus chanceux explosent de joie : «Mon nom est sur la liste, j’aurai le financement de mon projet». Cette dame est parmi les « élus ». Son enthousiasme témoigne bien d’une volonté de surmonter les tristes épreuves qui ont bouleversé sa vie, pour amorcer un nouveau départ. Car, il y a cinq mois seulement, ce quartier n’était qu’une zone abandonnée, un cimetière, après les combats qui y ont opposé les Forces Républicaines aux miliciens qui en avaient fait leur QG.
Une volonté farouche de survivre
Comme des candidats qui réussissent à un examen, les heureux bénéficiaires des projets ne peuvent cacher leur joie. Aussi le quartier «Carrefour», était-il gai ce jeudi 08 septembre. Et de nombreux autres indices marquent le retour à la normale dans le quartier le plus tristement célèbre de Duékoué. La rue principale a renoué avec son animation d’antan. On ne voit plus ces casques bleus de l’Onuci qui, fusil à la main, étaient postés à l’entrée du quartier, comme en mai dernier. Le commerce aussi y a repris. Des éclats de rire s’échappent à nouveau des maquis, des cabarets de « bandji » et autres boisons locales. Les cours ont recommencé à bruire de cris d’enfants. On oublie peu à peu le passé douloureux pour savourer les plaisirs que la vie peut encore offrir. En parcourant le quartier, on aperçoit des ateliers de menuiserie, de salons de coiffure ou de couture, financés dans le cadre d’un programme dit « d’appui à la cohésion et au retour volontaire ». Ces programmes mis en œuvre par le Haut Commissariat aux Réfugiés et Oxfam constituent à la fois, pour ces populations, une source de motivation pour le retour mais surtout un moyen de survie à travers des activités génératrices de revenus.
Ceux qui ont décidé de retourner vivre dans leurs maisons au quartier Carrefour ne reçoivent plus une assistance alimentaire des organisations humanitaires. Cependant, leur retour est facilité par un accompagnement en termes de projets de réinsertion, pour les aider à s’occuper sainement et à revivre dignement. Mieux, certains ont décidé de lutter, même sans appui, pour survivre. C’est le cas de Yao Hubert, la quarantaine. Sans être bénéficiaire d’un projet, il est tout de même parvenu à se construire un petit « garbadrome » ou il vend de l’attiéké. «J’ai une femme et quatre enfants. Voici à quoi je suis réduit aujourd’hui pour faire vivre ma famille», soupire- t-il. Mais la recette journalière de ce nouveau commerçant est bien maigre, comme il l’atteste lui-même :«Je ne gagne qu’entre 500 et 1000 FCFA par jour. Je demande au gouvernement de nous venir en aide». Un véritable cri du cœur en direction des autorités.
A quelques pas de-là, se dresse un site d’alcool frelaté où de nombreux fidèles devisent en sirotant toutes sortes de breuvage. On n’essaie certainement de noyer les soucis. Ici, c’est une musique du terroir qui est distillée. L’ambiance est bon enfant. Personne n’évoque des questions de sécurité. Dans nos échanges avec certains d’entre eux, nous apprenons que ce sont 200 familles qui sont revenues pour le moment dans leurs maisons dans ce quartier. Des chiffres confirmés par le préfet de Duékoué, M. Benjamin Effoly et par le Chef de canton Wê, François Bataï. Pour Mamadou Koné, Vice-président du comité de recherche de la paix à Duékoué, ce retour salutaire pour ces populations constitue également un pas important vers la normalité. «Nous devrons tourner la page et regarder l’avenir avec beaucoup d’optimisme», dit-il. Selon M. Koné, le village de Niambly à quelques huit km de Duékoué a enregistré une centaine de retours. 118 exactement, selon le Chef Bataï.
Le sort des autres déplacés
Au nombre des sites d’accueil, au lendemain des combats de Duékoué, la Mission catholique Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus comptait 40.000 déplacés. En mai, ce nombre avait considérablement baissé. On était autour de 27.000 personnes. Aujourd’hui, la mission a été décongestionnée au point où il ne reste plus que 6.000 déplacés. Une satisfaction pour le père Cyprien Ahouré qui salue les efforts qui ont été faits. « L’église fonctionne aujourd’hui à 70%. Nous avons beaucoup de paroissiens qui sont revenus, notamment des fonctionnaires. Mais nous croyons qu’avec bientôt le départ définitif des déplacés, l’Eglise pourra reprendre ses activités normales. Duékoué renaît», rassure t-il.
Mais ce n’est pas pour autant que ceux qui quittent la mission ont regagné leurs maisons ou leurs villages. La plupart ont été tout simplement transférés sur un nouveau site à la sortie de Duékoué, sur la voie qui mène à Guiglo. Il s’agit du site de Nihably, aménagé par le HCR pour servir de lieu d’accueil transitoire pour les déplacés. «Ce site a été inauguré le 05 juillet 2011 et accueille aujourd’hui 3172 déplacés avec des infrastructures de base », nous confie Mme Pelgan de l’organisme ASA, responsable du site. A l’évidence, le camp de déplacés de Nihably présente un décor plus aéré et plus décent et offre aux pensionnaires un peu plus d’intimité qu’à la mission catholique. La mission, il faut l’avouer, était noyée sous un flot humain.
Seulement, l’existence du site de Nihably ne réjouit pas forcément tout le monde. A commencer par les Chefs Wê. Ceux -ci estiment que le fait de sortir les déplacés de la mission catholique pour les conduire à nouveau sur un autre site revient à les maintenir dans l’indigence. Une situation qu’ils jugent déshonorante. «Au lieu de construire ce site sur la route de Guiglo, on peut dresser des tentes dans les villages. Nous pensons que maintenir ces gens sur un site, c’est leur faire oublier leurs villages», s’afflige le chef Bataï. La position de la chefferie est soutenue par le Pr. Amoa Urbain, Recteur de l’Université Charles Louis de Montesquieu qui dénonce également, le fait qu’on veuille prolonger la souffrance des déplacés. «Là où on a chuté, il ne faut pas transformer cet endroit en une demeure définitive. Il faut aider ceux qui sont à la mission à retourner chez eux et non sur un autre site», a martelé le Pr. Amoa Urbain qui séjournait à Duékoué, le mercredi 07 septembre dernier, dans le cadre du 8ème Festival de la route des Reines et des Rois. Selon lui, l’ouverture d’un autre nouveau site engendrera : « des enfants parasites, et des parents parasites qui n’ont pas demandé à être des parasites». Et le promoteur de la route des Reines et des Rois d’interpeller les organisations humanitaires en ces termes : «Toute aide doit nous aider à nous passer de l’aide. Une aide qui ne nous aide pas à nous passer de l’aide, n’est pas une aide»
Des marginaux
Pour Mme Mokrani Salima, responsable Ocha à Man, la communauté humanitaire vient en appui aux actions du gouvernement et ne se substitue à lui que dans une situation de carence. « Le travail humanitaire consiste à évaluer les besoins des populations et à leur apporter l’assistance partout où elles se trouvent dans le besoin », précise-t- elle. Autrement dit, il appartient à l’Etat ivoirien de prendre ses responsabilités vis- à- vis des populations en difficulté. Et sur la question, le père Cyprien Ahouré est on ne peut plus clair : «Les humanitaires ont beaucoup fait. Nous demandons maintenant à l’Etat de jouer sa partition en s’impliquant concrètement dans la gestion des déplacés. Je pense que le moment est venu pour le président Ouattara de tendre la main à ces personnes. Gouverner autrement voudrait dire ne pas faire comme les autres. Il faut tendre la main à tout le monde pour qu’il n’y ait pas en Côte d’Ivoire, des marginaux»
En la matière, l’église a pris le devant de la reconstruction à Duékoué. Ce sont aujourd’hui 13 cours et 17 maisons que la Caritas a réhabilités dans les quartiers To Guéhi, Guéré, Belleville et Kokoma. Selon le père Cyprien, la Caritas a initié ces opérations grâce au don de 20 millions FCFA offert par le Pape Benoît XVI.
Aujourd’hui, la ville de Duékoué compte plus de dix milles déplacés dont la survie dépend exclusivement des organisations humanitaires. A ceux-là, il faudra ajouter plus de 200.000 autres qui ont regagné leurs villages à Bloléquin, à Toulépleu, et dans l’ensemble de la région. Et tous ont le regard tourné vers les autorités.
Alexandre Lebel Ilboudo, Envoyé spécial