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Politique Publié le vendredi 7 octobre 2011 | Le Mandat

Six mois après la chute de Gbagbo, très malade, Bouaké espère et attend toujours

Bouaké, capitale de la Vallée du Bandama. Bouaké, fief du Mpci puis des Forces nouvelles. Bouaké la sinistrée, Bouaké, symbole du retour de la stabilité en Côte d’Ivoire avec ‘’la flamme de la paix’’ le 31 juillet 2007. Bouaké, une cité et sa région qui attendent les effets de la ‘’Solution’’. Bouaké, une ville à genoux mais qui refuse de se résigner parce qu’elle croit en Alassane Ouattara. Dans la capitale du Centre, c’est un secret de polichinelle, tout est à refaire. Du mental au social en passant par l’économie. Derniers clichés d’une région qui s’accroche à la vie. Contre vents et marées.
Ce vendredi 16 septembre 2011, en foulant le sol de Bouaké, grande fut notre surprise de constater que dans la capitale du Centre, le décor n’a véritablement pas évolué malgré les efforts de retour à la normalité. Bien au contraire, Bouaké a pris un autre coup de moisissure. C’est le triste visage d’une cité qui a cessé de vivre normalement depuis la nuit du mercredi 18 au jeudi 19 septembre 2002, sous la contrainte des canons. 9 ans sans administration républicaine, 9 ans d’anarchie, 9 ans de débrouillardise. Et Bouaké a fini par sombrer. Le 11 avril 2011, quand les Frci capturent Laurent Gbagbo après près de cinq mois de crise postélectorale soldée officiellement par au moins 3050 morts, c’est le soulagement dans la Vallée du Bandama et sa cité phare. Le peu d’espoir qui y régnait trois mois plutôt, lors de notre passage (en février 2011) prend des allures de réalité. Le ciel s’éclaircit davantage lorsque Guillaume Soro, ex-patron du Mpci et des Forces nouvelles, est maintenu au poste de Premier ministre, après la fin de la crise. Avec cette nomination, Bouaké se croyait au bout du tunnel. Hélas ! Car, depuis, aucun signe ni geste d’urgence pour cette ville qui a servi de base aux Fn. L’a-t-on déjà oubliée ou s’agit-il d’une stratégie visant à lui consacrer la part du lion pour sa reconstruction ? En attendant la réponse à cette interrogation majeure, Bouaké est encore dans la dèche, même si elle se débat pour survivre. Ses maux sont nombreux et aussi cruciaux les uns que les autres. Pour tout dire, tout est à reconstruire, tout est à refaire. Décryptage.

D’abord, les infrastructures
A Bouaké, les infrastructures socio-économiques relèvent du passé. Plus de voies de communication. Or, dit-on, la route précède le développement. Hormis les deux artères qui relient les corridors au centre-ville, tout le reste est sérieusement dégradé. Mais, à Bouaké-Ville, la route n’est pas la seule équation qui s’impose. L’eau est devenue une denrée rare avec des coupures régulières. A la Sodeci, les explications techniques de certains agents sont loin de convaincre une population qui ne demande qu’à accéder à l’eau potable en tout temps. Au niveau de la Cie, les grincements de dents sont perceptibles, surtout quant au paiement des factures. En effet, demander à une population qui ne payait plus de factures depuis près d’une décennie de se mettre à jour immédiatement provoque une sorte de résistance. Les consommateurs veulent bien s’acquitter de leurs factures, mais ils veulent que l’entreprise leur fasse un forfait ou leur accorde un échéancier. Seront-ils entendus ? Pas si sûr. Il est bon de noter qu’au niveau de l’éclairage public, outre quelques petites zones d’ombre, Bouaké est largement pourvue.

Pas de marché depuis 1998
L’un des problèmes cruciaux de la ville de Bouaké, aujourd’hui, concerne le grand marché, parti en fumée en 1998. Depuis, la construction d’un nouvel édifice commercial n’a pu se concrétiser jusqu’au moment où nous arrivions dans la ville. Cette situation explique l’occupation des trottoirs et autres espaces publics par les commerçants. ‘’Avant, quand le grand marché était là, personne ne pouvait s’installer de façon anarchique’’, justifie un habitant qui ajoute que ‘’l’Etat devrait d’abord reconstruire le marché avant de chercher à déguerpir les occupants des espaces publics’’.

Comment se porte la santé
De ce côté, même si des problèmes demeurent, notamment l’insuffisance des officines publics, la situation est moins alarmante, à en croire le maire Fanny Ibrahim. Le Chr fonctionne relativement bien, au même titre que certains centres publics. Toutes nos tentatives d’en savoir un peu plus auprès des agents se sont heurtées à des refus polis, sous les prétextes de la consigne et de l’obligation de réserve.

L’administration publique et les finances
Depuis la cérémonie de la flamme de la paix, le lundi 31 juillet 2007, l’administration avait commencé à se redéployer progressivement. Le préfet est en place ainsi que toute son équipe et la justice est également de retour même si le manque de prison empêche les magistrats de juger les infractions pénales. La Douane, le Trésor et les Impôts sont aussi de retour après la dissolution de la Centrale des Forces novelles. Au niveau des finances, presque toutes les banques ont rouvert à Bouaké. De quoi rassurer les investisseurs et autres opérateurs économiques qui peuvent à nouveau sécuriser leurs avoirs et conduire en toute quiétude leurs différentes transactions financières.

L’école se rétablit
Lentement mais sûrement, Bouaké retrouve sa carte scolaire. Mais, il va falloir mettre les bouchées doubles pour rétablir la normalité, d’autant plus que l’université est encore dans le coma et que la question des enseignants volontaires est loin d’être réglée. Le mardi 28 septembre dernier, les bénévoles de l’éducation nationale ont débrayé et menacé de boycotter les examens de fin d’année. Il a fallu l’intervention du préfet, Aka Konin, pour calmer les esprits.

La sécurité s’améliore mais…
Au lendemain de la chute du régime Gbagbo, nombreux étaient les combattants volontaires Frci qui avaient regagné la capitale du Centre avec des armes prises sur les champs de bataille. Et ce sont ces individus qui s’adonnent à des braquages et autres délits dans la zone. ‘’Quand je venais, il y avait plein d’armes ramenées par les femmes volontaires qui nous ont accompagnés à Abidjan pour les dernières batailles de libération de la Côte d’Ivoire. C’est ce qui a compliqué ma mission au départ. Nous avons réussi à réduire au maximum le nombre d’armes en circulation illégale’’, explique l’adjudant Traoré Amoudé, chef de la sécurité de Bouaké. Le secret de cet exploit ? ‘’Dès que j’ai pris fonction, on a commencé par les coupeurs de route qui se multipliaient. On a mis en place des stratégies sur les routes qui mènent à Bouaké. Bouaké-Tiébissou, Bouaké-M’Bahiakro, Bouaké-Sakassou, Bouaké-Katiola, et même sur la voie d’Abidjan. On a abattu des coupeurs de route, en plusieurs endroits. De ce côté, il n’y a pratiquement plus de problèmes. Mais, quand ils ont vu qu’il n’était plus possible de couper les routes, ils ont changé de cibles et se sont lancés dans les vols de motos. Et les braquages de ces engins ont commencé à s’accentuer. Là également, nous avons mis des stratégies en place. Nous avons mis la main sur le plus grand braqueur en la matière du nom de Didier Okou. Depuis, les braquages de motos ont cessé et, chaque jour, nous remettons aux victimes leurs motos retrouvées. Je dis qu’actuellement Bouaké est totalement sécurisée. On a fini avec les coupeurs de route et les braqueurs de motos. Cela fait maintenant trois semaines que je ne reçois plus d’appels qui signalent le vol de motos ou un braquage. Pourtant, avant, on ne pouvait pas faire deux jours sans braquage. Depuis qu’on a mis la main sur Didier Okou, la quiétude est revenue. Nous allons prendre tous les jeunes malfrats et les mettre à la disposition de la gendarmerie qui, à son tour, va les mettre à la disposition de la justice. Moi-même, je suis un fils de la ville. Je suis né à Bouaké, j’y ai grandi. Donc, si mes chefs m’ont fait confiance pour sa sécurisation, je crois que c’est un honneur et en même temps un défi pour moi. Ce qui me réjouit, c’est que la population collabore. Chaque fois qu’il y a un suspect quelque part, on nous le signale et nous faisons le reste. Cela nous facilite la tâche. Parce qu’en matière de sécurité, vous pouvez avoir tous les hommes et tous les moyens mais si la population ne collabore pas, vous ne serez jamais efficaces’’. Depuis que la sécurité de la ville a été confiée à l’homme de main du commandant Cherif Ousmane, il y a donc une nette amélioration. Les braquages et autres agressions ont considérablement diminué. Le hic c’est que ! les véhicules d’intervention font défaut et quand même il en existe, il faut les entretenir et les alimenter en carburant. En outre, il faut entretenir tous ces braves jeunes soldats qui veillent, nuit et jour, sur les populations et leurs biens, en attendant le redéploiement effectif de la police et de la gendarmerie. Autre zone d’ombre au tableau, le comportement peu catholique de certains éléments de la sécurité qui s’adonnent à des actes répréhensibles dont le racket. Le chef s’en explique : ‘’ Vous savez, dans tous les corps, il y a des brebis galeuses et nous n’échappons pas à la règle. Mais, aujourd’hui, ça va. Depuis un moment, on ne retrouve plus de militaires parmi les braqueurs qu’on prend. Tous les jeunes qui étaient membres des Fafn sont aujourd’hui engagés. Donc, ils ne peuvent plus jouer avec leur carrière. Ils sont payés et font un travail propre. En trois mois, j’ai déjà pris plus de 30 kalachnikovs et beaucoup de pistolets automatique (PA)’’. A tous ceux qui pensent encore qu’ils peuvent toujours se complaire dans l’illicite, comme au temps de la guerre, l’adjudant Amoudé se veut clair : ‘’La guerre est terminée. Aujourd’hui, le président de la République demande la paix et la réconciliation. Mais moi, je dis que les Bouakéens sont déjà réconciliés. C’est pourquoi, je demande à tous ceux qui ont abandonné leurs maisons en septembre 2002 de revenir. Même si leurs locaux sont occupés par mes éléments, nous allons les libérer et les leur remettre. C’est notre contribution à l’effort de paix et à la réconciliation’’.

La nuit s’anime à nouveau, les hôtels et restaurants aussi
Ce n’est certes pas encore la vitesse de croisière selon certains habitués du milieu de la restauration à Bouaké, mais les choses ont positivement évolué. De nombreux restaurants ont rouvert, le centre-ville baptisé centre-ivoire grouille de monde, tous les jours, à partir de 18h. Les night-clubs ont repris et chaque week-end, il n’est pas rare de voir des artistes en spectacle en plein air ou en lieu clos. Lors de notre séjour, Bouaké a été gratifiée de deux jours d’hystérie offerts par une marque de boisson alcoolisée. A l’occasion, Les Patrons, Petit Denis et bien d’autres chanteurs ont mis du baume au cœur des mélomanes et noctambules de la Vallée du Bandama. Les réceptifs hôteliers ne sont pas en reste, même si la clientèle se fait désirer.

Le désastre des motos-taxis
S’il y a une nécessité qui fait plus de mal à la population de Bouaké aujourd’hui, c’est sans conteste, le phénomène des motos-taxis. Sans assurances ni permis de conduire, des adolescents, sans expérience, causent des accidents parfois très graves quand ils n’obstruent pas la circulation. En surnombre vis-à-vis des auto-taxis, ces engins envahissent tous les carrefours et toutes les rues. Un vrai désastre décrié par les usagers de la route depuis des années, mais que personne n’ose, pour l’instant, combattre.

Une population à rééduquer
Après 9 ans d’occupation et de laisser-aller, les populations de Bouaké ont fini par se donner une autre nature : celle du désordre et de la facilité à plusieurs niveaux. Occupation anarchique des trottoirs à des fins commerciales, la pagaille routière avec les motos-taxis qui foisonnent dans tous les coins de rue, la réticence face aux différentes factures Cie et Sodeci, aux impôts, taxes municipales(…). Dans ces conditions, il s’avère plus qu’impérieux de procéder à une sensibilisation des populations car dix ans de mauvaises habitudes ne s’effacent pas en un tour de main. Y aller avec brutalité serait plutôt périlleux et produirait des effets contraires. Bouaké ne changera véritablement de mentalité qu’avec le démarrage effectif des promesses du président Ouattara et avec la relance économique. Quand le chômage va diminuer, quand les commerçants auront un marché digne de leur cité, les populations se sentiront véritablement sorties de l’ornière et reprendront les bonnes habitudes. En cela, Bouaké espère. Mais...

Entre doute et espoir
Bouaké croit à son essor malgré toutes les difficultés qui l’assaillent depuis septembre 2002. Dans l’épreuve de l’occupation, elle a tenu bon. Dans l’épreuve de la libération de la Côte d’Ivoire, elle a perdu nombre de ses fils partis au front contre les forces du dictateur Laurent Gbagbo. De nombreux morts et de blessés ! Tout simplement parce qu’ils ont placé un grand espoir dans les Solutions d’Alassane Ouattara mais aussi et surtout pour défendre la démocratie et la volonté du peuple. Mais, curieusement, la cité martyre n’a pas encore vraiment senti les délices du nouveau régime, six mois après l’installation officielle du président Ouattara, alors qu’à Abidjan, Yamoussoukro et dans bien d’autres villes du pays, le vent du renouveau souffle. Combien de temps Bouaké doit-elle attendre encore avant de voir les premières retombées de la lutte sur son sol ? Difficile à dire. Mais selon toute vraisemblance, Ado serait plutôt pour un plan Marshall en faveur de la région qui a tant souffert des différentes crises qui ont secoué la Côte d’Ivoire pendant neuf ans. On parle même d’une enveloppe de 94 milliards pour les cinq années à venir.

Tout est à reconstruire
C’est un secret de polichinelle. Bouaké est à reconstruire sur tous les plans. Les routes, les écoles, les hôpitaux, la sécurité, la justice, la cohésion sociale, l’eau potable et même le changement des mentalités. Toute chose qui fait dire à Mme Catherine Delon, opératrice économique dans la capitale du Centre, que Bouaké devrait être le laboratoire du redécollage de la Côte d’Ivoire au regard de son étendue, sa position géographique, ses potentialités multisectorielles et surtout de ce qu’elle a vécu.

MASS DOMI
massoueudomi@yahoo.fr
(Envoyé spécial
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