L’histoire de la mythique rue Princesse a pris fin le 5 août dernier avec l’arrivée des bulldozers. Célèbre pour ses maquis et ses boîtes de nuit, haut lieu de la vie nocturne de la capitale économique ivoirienne, elle a fait les frais de l’opération « Pays propre » initiée par le nouveau pouvoir. Retour sur les moments forts de cette artère qui charriait également une intense activité économique.
Qui en Afrique, et même au-delà, n’a pas entendu parler de la rue Princesse ? Les Ivoiriens et les étrangers qui posaient pour la première fois le pied à Abidjan l’appréhendaient comme un véritable passage obligé, se devant de goûter à l’ambiance particulière qui y régnait afin de pouvoir dire : « J’ai fait Abidjan » ! Pour revenir sur l’histoire de cette rue longue de d’environ 800 mètres, qui d’autre que Gahié Jean-Claude, résident dans le quartier depuis 1974 et aujourd’hui maillon fort de la nuit et du show-business abidjanais, plus connu sous le nom de J.-C. Côte d’Ivoire ?
De l’impact du grand écran…
« Je ne peux m’empêcher d’associer le nom de la rue Princesse à “La Clinique”, un bistrot qui a été ouvert décembre 1993 par un ami, DJ Ben, c’est-à-dire Kouakou Bernard. A la même époque, La rue Princesse, le film du réalisateur ivoirien Henri Duparc, connaissait son heure de gloire. Chaque soir, assis au bar, nous appelions “princesses” les jeunes filles qui passaient, en référence à ce film. C’est ainsi que cette artère est devenue la rue Princesse. La Clinique était alors le premier maquis de cette rue. C’était assez sobre, sans le luxe que l’on peut rencontrer aujourd’hui dans d’autres maquis. C’est seulement ensuite que certains sont venus avec cette volonté de moderniser les lieux afin de les rendre plus attractifs.
A l’époque, nous considérions simplement cet endroit comme un petit coin de passage à Yopougon, où l’on pouvait boire un peu. Il y avait également un autre maquis à côté qui s’appelait “Le Cachet”, puis ensuite “Le Sérum” et “Le Metal Garden” se sont créés en face de la Clinique, sur la place d’Abidjan Vip aujourd’hui. Il s’agissait de petits espaces couverts qui pouvaient compter tout au plus 100 personnes. Puis est arrivé Adama Koné, un opérateur économique connu sous le nom de Chao Mao qui a ouvert “Le Cyclone”, qui est devenu ensuite une boîte de nuit connue sous le nom de “Magnum”, avant d’ouvrir un autre maquis, le “Get 27”», se souvient J.-C. Côte d’Ivoire, notre mémoire vivante.
C’est donc le cinéma qui a transfiguré le destin de cette rue anonyme. Le réalisateur ivoirien la présente alors comme un lieu de détente où se côtoient ivrognes, belles de nuit et autres noctambules en mal de sensations fortes. Une fiction qui va rapidement se confondre avec la réalité. Dans une joyeuse cacophonie, des milliers de fêtards viennent chaque semaine y boire et y danser. Alors que les clients se trémoussent, sur les tables, la profusion de consommations fait le bonheur des propriétaires des maquis. L’artère occupe alors une place importante dans l’économie de la commune de Yopougon. La musique, la boisson… et le sexe sont au cœur de ces « échanges commerciaux » un peu particuliers.
Les heures de gloire
J.-C. Côte d’Ivoire revient ensuite sur la naissance d’une idée ingénieuse : « Un frère, nommé Alain Bidi, est venu un matin en annonçant qu’il voulait organiser une foire dans la rue Princesse. Son idée consistait à convier des opérateurs économiques qui pourraient ainsi installer des stands et vendre leurs produits, tout en reversant une certaine somme à la structure qu’il avait créée. Dès la première année, l’opération a fait un tabac, engendrant une grande affluence, pour le plus grand bonheur des maquis qui ont boosté leurs recettes. La rue Princesse, déjà connue, a alors décuplé sa renommée nationale. Malgré le flop des éditions suivantes en raison de certaines difficultés, il faut donc reconnaître qu’Alain Bidi a apporté quelque chose à la rue Princesse.
Aujourd’hui, des footballeurs de renommée internationale comme Didier Drogba ou Kader Keita, qui ont connu les grandes heures de cette rue, ne tarissent pas d’éloges à son égard. Meiway y a même a même réalisé le clip de Miss LoLo. D’autres stars l’ont également fréquenté comme le Congolais Koffi Olomidé, ou encore Robert Brazza, l’animateur de Canal + qui fut un grand fan de cette rue. Les personnalités politiques n’étaient pas en reste, à l’instar de Jack Lang, ancien ministre français de la Culture, qui est venu la visiter en présence de l’ancien président Laurent Gbagbo. Sans oublier Aubrey Hooks, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Côte d’Ivoire, qui venait de temps en temps chez nous, au Get 27 », se souvient J-C.
La rue Princesse était aussi un lieu qui défiait les barrières sociales, un endroit où les jeunes des quartiers populaires pouvaient côtoyer des Ivoiriens plus aisés venus passer du bon temps. Pour autant, elle suscitait également des critiques en raison de ses constructions anarchiques, de l’insalubrité, du bruit et de la prostitution qui étaient son lot quotidien. D’où la décision du gouvernement du président Ouattara de faire la chasse au désordre urbain et aux passe-droits. Une volonté politique qui allait se traduire par l’arrivée des bulldozers dans cette rue mythique à la veille de la fête de l’indépendance du pays, le 5 août 2011, dans le cadre de l’opération « Pays propre ».
De la nostalgie pour certains
Malgré les efforts de quelques bars qui ont survécu et qui essaient de renaître, la rue Princesse a perdu son âme, enfouie sous les gravats. Gahié Jean-Claude est aujourd’hui très amer : « Dire qu’elle va renaître serait mentir. Nous avions créé cette rue, maintenant c’est autre chose, c’est fini, il n’y a plus de monde ! Les maquis n’ont pas encore repris, ils sont en travaux. Certains vont rouvrir, mais avec une désaffection du public et sur des espaces très réduits. Ce qui ne sera plus la rue Princesse que nous avons connue. C’est regrettable car beaucoup de personnes y gagnaient leur vie ! Les tabliers, les cabines téléphoniques, les vendeuses de poisson, de poulets, pouvaient nourrir leurs familles avec ce qu’elles y gagnaient. Il en va de même des prostituées, que je ne défends pas, mais on y peut rien c’est le plus vieux métier du monde. Or, beaucoup de filles vivaient de ça ici ! »
Au-delà de cette activité qui peut questionner sur le plan de la morale, la rue Princesse était également incontournable dans le domaine de la culture. Elle a joué un rôle important dans la diffusion des productions discographiques et la promotion du coupé-décalé et du zouglou. Elle a vu naître une classe de DJs qui ont su se faire une place sur la scène internationale : DJ Mackenzy (de la Nouvelle Ecriture), DJ Arafat (du Shangaï), DJ Boumbastik (de la Station), Tata Kheny (de la Nouvelle Ecriture et du Get 27). Tous ces artistes étaient devenus des ambassadeurs de la rue Princesse et du coupé-décalé dans le monde entier.
Qu’en est-il aujourd’hui ? « Les gens maintenant préfèrent rester dans leurs quartiers », reconnaît J-C. La tradition de l’ambiance et du show dans le Tout-Abidjan a perdu une partie de son histoire. Même si l’instinct de noceurs des Ivoiriens, lui, est resté intact.
Fidèle Bouabré
Qui en Afrique, et même au-delà, n’a pas entendu parler de la rue Princesse ? Les Ivoiriens et les étrangers qui posaient pour la première fois le pied à Abidjan l’appréhendaient comme un véritable passage obligé, se devant de goûter à l’ambiance particulière qui y régnait afin de pouvoir dire : « J’ai fait Abidjan » ! Pour revenir sur l’histoire de cette rue longue de d’environ 800 mètres, qui d’autre que Gahié Jean-Claude, résident dans le quartier depuis 1974 et aujourd’hui maillon fort de la nuit et du show-business abidjanais, plus connu sous le nom de J.-C. Côte d’Ivoire ?
De l’impact du grand écran…
« Je ne peux m’empêcher d’associer le nom de la rue Princesse à “La Clinique”, un bistrot qui a été ouvert décembre 1993 par un ami, DJ Ben, c’est-à-dire Kouakou Bernard. A la même époque, La rue Princesse, le film du réalisateur ivoirien Henri Duparc, connaissait son heure de gloire. Chaque soir, assis au bar, nous appelions “princesses” les jeunes filles qui passaient, en référence à ce film. C’est ainsi que cette artère est devenue la rue Princesse. La Clinique était alors le premier maquis de cette rue. C’était assez sobre, sans le luxe que l’on peut rencontrer aujourd’hui dans d’autres maquis. C’est seulement ensuite que certains sont venus avec cette volonté de moderniser les lieux afin de les rendre plus attractifs.
A l’époque, nous considérions simplement cet endroit comme un petit coin de passage à Yopougon, où l’on pouvait boire un peu. Il y avait également un autre maquis à côté qui s’appelait “Le Cachet”, puis ensuite “Le Sérum” et “Le Metal Garden” se sont créés en face de la Clinique, sur la place d’Abidjan Vip aujourd’hui. Il s’agissait de petits espaces couverts qui pouvaient compter tout au plus 100 personnes. Puis est arrivé Adama Koné, un opérateur économique connu sous le nom de Chao Mao qui a ouvert “Le Cyclone”, qui est devenu ensuite une boîte de nuit connue sous le nom de “Magnum”, avant d’ouvrir un autre maquis, le “Get 27”», se souvient J.-C. Côte d’Ivoire, notre mémoire vivante.
C’est donc le cinéma qui a transfiguré le destin de cette rue anonyme. Le réalisateur ivoirien la présente alors comme un lieu de détente où se côtoient ivrognes, belles de nuit et autres noctambules en mal de sensations fortes. Une fiction qui va rapidement se confondre avec la réalité. Dans une joyeuse cacophonie, des milliers de fêtards viennent chaque semaine y boire et y danser. Alors que les clients se trémoussent, sur les tables, la profusion de consommations fait le bonheur des propriétaires des maquis. L’artère occupe alors une place importante dans l’économie de la commune de Yopougon. La musique, la boisson… et le sexe sont au cœur de ces « échanges commerciaux » un peu particuliers.
Les heures de gloire
J.-C. Côte d’Ivoire revient ensuite sur la naissance d’une idée ingénieuse : « Un frère, nommé Alain Bidi, est venu un matin en annonçant qu’il voulait organiser une foire dans la rue Princesse. Son idée consistait à convier des opérateurs économiques qui pourraient ainsi installer des stands et vendre leurs produits, tout en reversant une certaine somme à la structure qu’il avait créée. Dès la première année, l’opération a fait un tabac, engendrant une grande affluence, pour le plus grand bonheur des maquis qui ont boosté leurs recettes. La rue Princesse, déjà connue, a alors décuplé sa renommée nationale. Malgré le flop des éditions suivantes en raison de certaines difficultés, il faut donc reconnaître qu’Alain Bidi a apporté quelque chose à la rue Princesse.
Aujourd’hui, des footballeurs de renommée internationale comme Didier Drogba ou Kader Keita, qui ont connu les grandes heures de cette rue, ne tarissent pas d’éloges à son égard. Meiway y a même a même réalisé le clip de Miss LoLo. D’autres stars l’ont également fréquenté comme le Congolais Koffi Olomidé, ou encore Robert Brazza, l’animateur de Canal + qui fut un grand fan de cette rue. Les personnalités politiques n’étaient pas en reste, à l’instar de Jack Lang, ancien ministre français de la Culture, qui est venu la visiter en présence de l’ancien président Laurent Gbagbo. Sans oublier Aubrey Hooks, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Côte d’Ivoire, qui venait de temps en temps chez nous, au Get 27 », se souvient J-C.
La rue Princesse était aussi un lieu qui défiait les barrières sociales, un endroit où les jeunes des quartiers populaires pouvaient côtoyer des Ivoiriens plus aisés venus passer du bon temps. Pour autant, elle suscitait également des critiques en raison de ses constructions anarchiques, de l’insalubrité, du bruit et de la prostitution qui étaient son lot quotidien. D’où la décision du gouvernement du président Ouattara de faire la chasse au désordre urbain et aux passe-droits. Une volonté politique qui allait se traduire par l’arrivée des bulldozers dans cette rue mythique à la veille de la fête de l’indépendance du pays, le 5 août 2011, dans le cadre de l’opération « Pays propre ».
De la nostalgie pour certains
Malgré les efforts de quelques bars qui ont survécu et qui essaient de renaître, la rue Princesse a perdu son âme, enfouie sous les gravats. Gahié Jean-Claude est aujourd’hui très amer : « Dire qu’elle va renaître serait mentir. Nous avions créé cette rue, maintenant c’est autre chose, c’est fini, il n’y a plus de monde ! Les maquis n’ont pas encore repris, ils sont en travaux. Certains vont rouvrir, mais avec une désaffection du public et sur des espaces très réduits. Ce qui ne sera plus la rue Princesse que nous avons connue. C’est regrettable car beaucoup de personnes y gagnaient leur vie ! Les tabliers, les cabines téléphoniques, les vendeuses de poisson, de poulets, pouvaient nourrir leurs familles avec ce qu’elles y gagnaient. Il en va de même des prostituées, que je ne défends pas, mais on y peut rien c’est le plus vieux métier du monde. Or, beaucoup de filles vivaient de ça ici ! »
Au-delà de cette activité qui peut questionner sur le plan de la morale, la rue Princesse était également incontournable dans le domaine de la culture. Elle a joué un rôle important dans la diffusion des productions discographiques et la promotion du coupé-décalé et du zouglou. Elle a vu naître une classe de DJs qui ont su se faire une place sur la scène internationale : DJ Mackenzy (de la Nouvelle Ecriture), DJ Arafat (du Shangaï), DJ Boumbastik (de la Station), Tata Kheny (de la Nouvelle Ecriture et du Get 27). Tous ces artistes étaient devenus des ambassadeurs de la rue Princesse et du coupé-décalé dans le monde entier.
Qu’en est-il aujourd’hui ? « Les gens maintenant préfèrent rester dans leurs quartiers », reconnaît J-C. La tradition de l’ambiance et du show dans le Tout-Abidjan a perdu une partie de son histoire. Même si l’instinct de noceurs des Ivoiriens, lui, est resté intact.
Fidèle Bouabré