La mer a fait récemment des dégâts importants sur le littoral ivoirien. Dans cet entretien, le Dr Koffi Koffi Philibert, océanologue, explique ce qui s'est réellement passé et donne des pistes de solutions au problème de l'érosion côtière.
Le Patriote : Comment peut qualifier le phénomène qui s'est passé récemment sur le littoral de Port-Bouët à Grand-Bassam ?
Dr Koffi Koffi Philibert : Pour les océanologues, ce sont des grosses houles de marine tempête qui ont entraîné le déferlement de vagues de grandes amplitudes sur le rivage ivoirien, faisant des modifications morphologiques dans un délai très court. C'est-à-dire un modelé du trait de côte. Lorsqu'on va à la plage, on constate que de manière régulière sur une longue bande, des vagues arrivent. C'est ce que nous appelons les houles. D'habitude au niveau du littoral ivoirien, ces vagues sont dans la bonne fourchette de un à deux mètres. Mais quand on a des hauteurs de trois à quatre mètres, cela devient très préoccupant au niveau de l'énergie.
LP : Justement comment expliquez-vous que les vagues aient dépassé leur niveau normal ?
Dr KKP : Le phénomène s'appelle des tempêtes. Lorsque les vagues naissent et qu'il y a des conditions extrêmes de métrologie, notamment le vent, à la faveur d'une dépression australe (nos vagues viennent des environs de l'Afrique du Sud, vers le pôle sud), naissent des grosses houles qui se propagent dans la direction du Golf de Guinée, et nous les avons eu de manière frontale à la faveur donc de ces tempêtes.
LP : Ces dépressions sont-elles dues à l'activité humaine ?
Dr KKP : Non. En ce qui concerne les vagues, ce n'est pas l'activité humaine. Pour ce qui est de l'érosion côtière, il y a le processus naturel qui est que les vagues enlèvent et redistribuent les sédiments (les cordons sableux) le long des côtes. Maintenant, quand l'homme intervient, soit en aménageant des structures de protection au niveau des infrastructures tel que le port, où qu'une région aménage des ouvrages pour protéger le trait de côte (ce qui se passe généralement), cela va induire des réponses. Car le train de houle dans sa propagation a besoin de sédiments. Les vagues sont donc obligées d'aller chercher ces sédiments là où ils se trouvent.
LP : Doit-on donc cesser l'activité humaine au niveau du littoral ?
Dr KKP : Le développement veut que ce soit sur le littoral qu'on implante les équipements et les infrastructures économiques. Mais, il va falloir faire une planification pour éviter de poser des actions qui menacent la côte. Par exemple, il faut éviter de surcharger le trait de côte. Il ne faut pas habiter en plein trait de côte. Quand on vit dans un recul rapide et important, tout ce qu'il y a comme habitation s'écroule. Si vous construisez une route près d'un trait de côte, petit à petit, cette route sera coupée.
LP : Faut-il donc abandonner le projet de construction de la voie express de Bassam jusqu'à la frontière du Ghana ?
Dr KKP : Il faut tenir compte de la sensibilité du littoral au niveau des vitesses de recul. Et savoir dans ce projet, le temps qu'on se donne pour l'amortir. Evidement, si on fait un projet qui demande un temps d'amortissement qui sera contrecarré par le recul du trait de côte, ce projet on ne le fait pas. Par exemple si je dois construire la route pour l'amortir sur 10 ans et que les spécialistes me disent que dans 10 ans l'ouvrage sera gagné par le trait de côte, mieux vaut ne pas construire cette route. Il faut attendre d'abord que le recul arrive et prendre la décision appropriée.
LP : Vous indiquez que l'activité humaine favorise l'érosion côtière. De quels types d'activités s'agit-il exactement ?
Dr KKP : Les vagues « mangent littéralement le sédiment, donc le sable ». Toute activité que l'on mène et qui enlève du sable aura forcement un impact sur l'érosion côtière, dans le sens de son accélération. Si on prélève du sable en pleine plage, les vagues suivantes vont demander encore du sable. Si vous venez couper dans le cadre de l'aménagement du trait de côte, la dérive sédimentaire littorale, vous allez certainement accumuler sur une distance du sédiment, mais tout de suite, la zone en aval va à nouveau être sous appel de sédiment et le recul du trait de côte va s'opérer. Il y a également qu'au cours des décennies passées, nous avons multiplié la construction des barrages qui sont des pièges à sédiment. Dans le bilan global des apports en sédiment, quand vous avez un barrage, vous diminuez l'apport en sédiment. Cela a également tendance à augmenter l'érosion côtière.
LP : Il se dit que le changement climatique est aussi responsable des dégâts causés par la mer ?
Dr KKP : Il faut savoir que la Côte d'Ivoire est un pays côtier avec déjà une histoire bien riche. Nous avons des lagunes, des bassins sédimentaires. Cela veut dire que nous avons déjà vécu la montée du niveau marin dans le temps passé. Parce que quand on parle de changement climatique, l'indicateur qui interpelle les océanologues est la montée du niveau marin. Nous avons donc des remontées et des descentes des eaux à des moments donnés de l'histoire géologique. Aujourd'hui, nous sommes à une phase de remontée des eaux. La remontée du niveau marin vient amplifier l'action des vagues sur le rivage. Mais avec ou sans montée du niveau marin, les vagues formées vont toujours attaquer la côte. Cependant, avec la remontée du niveau marin, les vagues vont porter de plus en plus à l'intérieur des terres. Cela, en dehors même des tempêtes.
LP : Pour les populations concernées, la solution au problème serait l'ouverture de l'embouchure et la construction de digue. Qu'en pensez-vous en tant que spécialiste ?
Dr KKP : Le problème de Bassam a fait son chemin depuis un bout de temps. Il y a des études techniques qui vont être faites et qui vont venir modéliser le recul du trait de côte avec les vitesses, pour que dans ces différentes options, on sache les meilleurs ouvrages qui peuvent être efficients. Il s'agit des études techniques en vue de maîtriser dans les projections les positions du trait de côte, sur des délais compatibles avec les aménagements qu'on fera. Pour Grand-Bassam, cela n'est pas compliqué. Pour ce qui est du trait de côte, il s'agit d'une dérive littorale parallèle à la côte. Donc, dans les choix à faire sur lesquels je n'anticipe pas, il faudra penser à intercepter une bonne partie de ce sédiment qui est en train de passer devant la ville. Donc des ouvrages pour intercepter la dérive littorale, sans toutefois avoir un impact négatif sur les zones adjacentes. Pour ce qui est de l'ouverture de l'embouchure, c'est important car ça permettra d'assainir les plans d'eaux lagunaires de Grand-Bassam, et même d'avoir un plus en ce qui concerne le développement des activités économiques, surtout de pêche. Cela permettra également de venir remettre dans leur environnement naturel, au niveau des eaux internes de l'embouchure des espèces de poissons. Vous êtes sans ignorer qu'avec la fermeture de l'embouchure, les eaux du Comoé passent sur près de 35 à 40 km sur Abidjan avant de sortir au niveau du canal. Et, dans tout ce qui se fera, il faudra que le canal de Vridi et l'embouchure de Grand-Bassam fonctionnent ensemble.
Réalisée par Dao Maïmouna
Le Patriote : Comment peut qualifier le phénomène qui s'est passé récemment sur le littoral de Port-Bouët à Grand-Bassam ?
Dr Koffi Koffi Philibert : Pour les océanologues, ce sont des grosses houles de marine tempête qui ont entraîné le déferlement de vagues de grandes amplitudes sur le rivage ivoirien, faisant des modifications morphologiques dans un délai très court. C'est-à-dire un modelé du trait de côte. Lorsqu'on va à la plage, on constate que de manière régulière sur une longue bande, des vagues arrivent. C'est ce que nous appelons les houles. D'habitude au niveau du littoral ivoirien, ces vagues sont dans la bonne fourchette de un à deux mètres. Mais quand on a des hauteurs de trois à quatre mètres, cela devient très préoccupant au niveau de l'énergie.
LP : Justement comment expliquez-vous que les vagues aient dépassé leur niveau normal ?
Dr KKP : Le phénomène s'appelle des tempêtes. Lorsque les vagues naissent et qu'il y a des conditions extrêmes de métrologie, notamment le vent, à la faveur d'une dépression australe (nos vagues viennent des environs de l'Afrique du Sud, vers le pôle sud), naissent des grosses houles qui se propagent dans la direction du Golf de Guinée, et nous les avons eu de manière frontale à la faveur donc de ces tempêtes.
LP : Ces dépressions sont-elles dues à l'activité humaine ?
Dr KKP : Non. En ce qui concerne les vagues, ce n'est pas l'activité humaine. Pour ce qui est de l'érosion côtière, il y a le processus naturel qui est que les vagues enlèvent et redistribuent les sédiments (les cordons sableux) le long des côtes. Maintenant, quand l'homme intervient, soit en aménageant des structures de protection au niveau des infrastructures tel que le port, où qu'une région aménage des ouvrages pour protéger le trait de côte (ce qui se passe généralement), cela va induire des réponses. Car le train de houle dans sa propagation a besoin de sédiments. Les vagues sont donc obligées d'aller chercher ces sédiments là où ils se trouvent.
LP : Doit-on donc cesser l'activité humaine au niveau du littoral ?
Dr KKP : Le développement veut que ce soit sur le littoral qu'on implante les équipements et les infrastructures économiques. Mais, il va falloir faire une planification pour éviter de poser des actions qui menacent la côte. Par exemple, il faut éviter de surcharger le trait de côte. Il ne faut pas habiter en plein trait de côte. Quand on vit dans un recul rapide et important, tout ce qu'il y a comme habitation s'écroule. Si vous construisez une route près d'un trait de côte, petit à petit, cette route sera coupée.
LP : Faut-il donc abandonner le projet de construction de la voie express de Bassam jusqu'à la frontière du Ghana ?
Dr KKP : Il faut tenir compte de la sensibilité du littoral au niveau des vitesses de recul. Et savoir dans ce projet, le temps qu'on se donne pour l'amortir. Evidement, si on fait un projet qui demande un temps d'amortissement qui sera contrecarré par le recul du trait de côte, ce projet on ne le fait pas. Par exemple si je dois construire la route pour l'amortir sur 10 ans et que les spécialistes me disent que dans 10 ans l'ouvrage sera gagné par le trait de côte, mieux vaut ne pas construire cette route. Il faut attendre d'abord que le recul arrive et prendre la décision appropriée.
LP : Vous indiquez que l'activité humaine favorise l'érosion côtière. De quels types d'activités s'agit-il exactement ?
Dr KKP : Les vagues « mangent littéralement le sédiment, donc le sable ». Toute activité que l'on mène et qui enlève du sable aura forcement un impact sur l'érosion côtière, dans le sens de son accélération. Si on prélève du sable en pleine plage, les vagues suivantes vont demander encore du sable. Si vous venez couper dans le cadre de l'aménagement du trait de côte, la dérive sédimentaire littorale, vous allez certainement accumuler sur une distance du sédiment, mais tout de suite, la zone en aval va à nouveau être sous appel de sédiment et le recul du trait de côte va s'opérer. Il y a également qu'au cours des décennies passées, nous avons multiplié la construction des barrages qui sont des pièges à sédiment. Dans le bilan global des apports en sédiment, quand vous avez un barrage, vous diminuez l'apport en sédiment. Cela a également tendance à augmenter l'érosion côtière.
LP : Il se dit que le changement climatique est aussi responsable des dégâts causés par la mer ?
Dr KKP : Il faut savoir que la Côte d'Ivoire est un pays côtier avec déjà une histoire bien riche. Nous avons des lagunes, des bassins sédimentaires. Cela veut dire que nous avons déjà vécu la montée du niveau marin dans le temps passé. Parce que quand on parle de changement climatique, l'indicateur qui interpelle les océanologues est la montée du niveau marin. Nous avons donc des remontées et des descentes des eaux à des moments donnés de l'histoire géologique. Aujourd'hui, nous sommes à une phase de remontée des eaux. La remontée du niveau marin vient amplifier l'action des vagues sur le rivage. Mais avec ou sans montée du niveau marin, les vagues formées vont toujours attaquer la côte. Cependant, avec la remontée du niveau marin, les vagues vont porter de plus en plus à l'intérieur des terres. Cela, en dehors même des tempêtes.
LP : Pour les populations concernées, la solution au problème serait l'ouverture de l'embouchure et la construction de digue. Qu'en pensez-vous en tant que spécialiste ?
Dr KKP : Le problème de Bassam a fait son chemin depuis un bout de temps. Il y a des études techniques qui vont être faites et qui vont venir modéliser le recul du trait de côte avec les vitesses, pour que dans ces différentes options, on sache les meilleurs ouvrages qui peuvent être efficients. Il s'agit des études techniques en vue de maîtriser dans les projections les positions du trait de côte, sur des délais compatibles avec les aménagements qu'on fera. Pour Grand-Bassam, cela n'est pas compliqué. Pour ce qui est du trait de côte, il s'agit d'une dérive littorale parallèle à la côte. Donc, dans les choix à faire sur lesquels je n'anticipe pas, il faudra penser à intercepter une bonne partie de ce sédiment qui est en train de passer devant la ville. Donc des ouvrages pour intercepter la dérive littorale, sans toutefois avoir un impact négatif sur les zones adjacentes. Pour ce qui est de l'ouverture de l'embouchure, c'est important car ça permettra d'assainir les plans d'eaux lagunaires de Grand-Bassam, et même d'avoir un plus en ce qui concerne le développement des activités économiques, surtout de pêche. Cela permettra également de venir remettre dans leur environnement naturel, au niveau des eaux internes de l'embouchure des espèces de poissons. Vous êtes sans ignorer qu'avec la fermeture de l'embouchure, les eaux du Comoé passent sur près de 35 à 40 km sur Abidjan avant de sortir au niveau du canal. Et, dans tout ce qui se fera, il faudra que le canal de Vridi et l'embouchure de Grand-Bassam fonctionnent ensemble.
Réalisée par Dao Maïmouna