Introduction
A la fin de l’année scolaire 1988, je venais d’obtenir avec Mention la licence en relations
Internationales. Avec mes camarades Béma Coulibaly, Agnan Guy Diahoré, notre sœur depuis la première année, Bakayoko Seguela, Ake Leopold et bien d’autres amis de travail, il nous vint de décider des perspectives ensemble. Béma, un fan absolu du Shogun, entendez par là notre Professeur et Maître Semi-Bi Zan, opta pour une carrière dans l’enseignement. Avant d’aller plus loin, il voulait d’abord passer par l’Ecole Normale Supérieure. Agnan et moi nous convenions que seule la maîtrise serait l’objectif minimum à atteindre avant de penser à travailler. Seguela, après sa mésaventure de l’année précédente avec un enseignant qui la recala parce qu’elle réfusa de coucher avec lui et que le Shogun avait sanctionné sans ambages et cela devant les étudiants en guise d’avertissement pour les autres, avait repris son année et s’apprêtait à faire la licence. Issa Coulibaly, Léopold Ake et les autres avaient pour leur part voulu entrer à l’Ecole Nationale d’Administration.
Le groupe était très soudé idéologiquement en ce sens que nous avions souvent des débats houleux mais toujours les analyses se rapprochaient un temps soit peu.
C’est donc à la rentrée scolaire 1988-1989 que notre professeur de maîtrise, Pr Semi-Bi- Zan, lors de la première rencontre, proposa des sujets pour le mémoire de fin d’année aux étudiants qui n’avaient pas de sujet de recherche. Le titre initial de mon sujet de recherche était: « Etude d’un organe de presse: LE DEMOCRATE (1950-1951)». Dès que je me mis à travailler sur la méthodologie de l’analyse de contenu, il se dégagea très clairement qu’il me fallait choisir un sous-thème sur lequel je concentrerais mes recherches. En définitive, je fus, en raison de la spécificité de toute investigation sur la presse d’une part, et par rapport à mes préoccupations et ma conception de l’histoire d’autre part, amené à préciser le travail. Mon sujet s’intitula en fin de compte: «Etude d’un organe de presse : LE DEMOCRATE. Répression et mutation idéologique et politique du PDCI-RDA. (1950-1951)»
Dans l’introduction de ce memoire, j’écrivais: «Progéniture des indépendances africaines, nous avons été façonnés dans un environnement sociopolitique et culturel marqué du sceau du flot apologiste et du culte de la personnalité.
L’histoire, en tant que mémoire collective, s’est avérée une arme hautement vicieuse et
éminemment dangereuse aux mains d’une idéologie dominante l’utilisant comme phénomène de légitimation du pouvoir et érigeant comme valeurs suprêmes, voire même comme normes sociales, le goût du luxe, le culte de la couardise et du farfelu, bref, anémiant l’esprit critique et le sens de la dignité chez le citoyen.
Continuant mon analyse, je martelais: Eu égard aux conséquences foncièrement aliénantes de cette idéologie dominante, l’histoire, en tant que science du passé, se révèle comme un puissant désinfectant que l’historien, qui se propose de « faire émerger de l’ombre les coins de voile de la mémoire collective », se doit de manier avec beaucoup de circonspection. Car, comme le suggéra Miriam Makéba, il nous plaît d’entrevoir l’histoire, contrairement à l’Occident qui la perçoit « comme un animal mort, une carcasse sur laquelle s’acharnent les mouches qui se prétendent historiens et biographies», comme une chose vivante. L’histoire guide l’individu dans ses actes quotidiens, explique le présent et détermine le futur. Bien appréhendé, le passé devient une lanterne qui éclaire l’action présente, la flamme qui
entretient l’héroïsme, le sentiment d’exaltation du peuple en lutte. Fouiner dans les recoins de notre mémoire historique, en démettre les fils inextricables afin que le feu de la vérité et de la probité jaillisse, telle est la mission de l’historien.»
Cette vision de la science historique est d’autant plus déterminante que nous pouvons voir sous nos yeux son utilisation quelque peu ahurissante par une élite intellectuelle qui n’en finit par de nous désemparer. Il en ainsi de la lutte qui s’engagea résolument sur les campus et dans les lycées ivoiriens qui est à l’origine des changements politiques de ces dernières années mais que beaucoup d’historiens de cette période tendent à ignorer, du moins à réduire l’importance. Pis, devant les contradictions de leur propre interprétation de la science politique, d’aucuns vont jusqu’à falsifier leur propre histoire, pour ne pas dire, font œuvre de stalinien en se reniant. Parce que nous sommes encore vivants et que nous avons pu éviter de rejoindre la longue liste des martyrs ivoiriens qui ne sont évoqués que pour servir d’arguments politiques, nous avons pensé restituer l’histoire à ses acteurs et héros: les étudiants et élèves ivoiriens.
En ma qualité de premier responsable du mouvement étudiant, j’ai agi en toute responsabilité
assumant ma démarche idéologique et politique tout au long de ces années. Pendant les quatre années de direction de la lutte de la jeunesse de mon pays face au régime du PDCI, c’est le Démocrate, ce journal de deux pages, enflammé contre le colonialisme, écrit avec le cœur de la vaillance et de la probité, que je transportais sur le terrain de la lutte pour la démocratie. Car, pour moi, les valeurs au nom desquelles la Rédaction de ce journal, que j’ai découvert dans mes recherches, a pris tous les risques, étaient d’actualité. En cela, l’histoire devenait une arme politique pour transformer le présent et bâtir le futur. Transformer le présent était tout simplement éduquer la masse des futurs dirigeants de notre pays pour qu’ils comprennent les dimensions historiques et idéologiques de notre combat. Lui donner un autre reflexe et une autre culture politique, voilà le gage du changement futur !
Sans Le Démocrate, sans cette foi transmise à travers les décennies par les écrits de Bernard Dadié, Coffi Gadeau, Ouezzin Coulibaly, en somme la Grande Gauche du RDA et ses ténors anticolonialistes, la Fesci n’aurait jamais eu le leadership qu’elle a eu sous ma direction. Beaucoup d’analystes s’interrogent sur les origines idéologiques et politiques et du changement radical de reflexe de cette jeunesse prête à tous les sacrifices même si les tenants du pouvoir ne l’acceptaient pas à cause de ses idéaux. Pour comprendre cette Fesci radicale et exaltée, il faut faire un tour dans ce petit journal de deux pages qui concentra toute l’espérance d’une génération en lutte pour une destinée meilleure. Ici et maintenant, c’est pour moi aussi le lieu et une façon de rendre un hommage aux précurseurs de la lutte anticolonialiste dans notre pays.
Tout au long des meetings et des luttes titanesques que notre direction a entrepris pendant près de quatre années, c’est la continuité de la lutte de la gauche ivoirienne, depuis les aînés de la période de décolonisation en passant par les militants de la période de la clandestinité sous le parti unique jusqu’à notre génération qui s’affirma. La FESCI est donc une rupture avec la réalité façonnée par le parti unique et une volonté tenace d’en finir avec la dérive droitière qui a eu lieu dans notre histoire collective à la fin des années 40 et au début des années 50. Cette rupture a lieu contre le parti unique dans sa stratégie et sa vision et contre nos prédécesseurs dans sa tactique et ses pratiques.
Dans les pages qui vont suivre, je retrace cette lutte menée de bout en bout par la jeunesse de notre pays. J’explique que l’action de la FESCI s’inscrit dans la lutte pour l’indépendance totale de notre pays. Cette indépendance est une lutte permanente contre les forces rétrogrades qui enchaînent et détruisent le patrimoine et la richesse des populations ivoiriennes. Nombreux sont certains qui crient au néocolonialisme et accable l’homme blanc de tous nos maux. Mais regardons chez nous et faisons mine de ne pas croire que la leçon de la besace de la Fontaine est la nôtre.
La Côte d’Ivoire est un beau pays non par le fait des immeubles construits au Plateau, donnant l’allure de Manhattan à cette capitale ouest-africaine, mais par la qualité de son peuple: travailleur et toujours optimiste. Si rien n’est fait pour prévenir les déchirures liées à la politique franchement inqualifiable de la prise du pouvoir par tous les moyens entre toutes les formations politiques, ce trésor risque d’être à jamais détruit par des ambitieux qui me pensent même pas à cette terre d’asile et de prospérité africaine et aux peuples qui l’ont enrichi par leur histoire commune.
C’est contre le démon de la haine et du sang que ce livre est écrit. Il veut rappeler à chaque ivoirien que seule la décision de l’individu peut prévenir le drame. Il est trop facile que tout soit remis entre les mains des appareils politiques. Hier quand Le Démocrate fut sacrifié sous l’autel de la nouvelle politique de réconciliation entre le président Houphouët et la France, rien n’indiquait que cela conduirait directement à la déchéance vers Assabou, le Sanwi, le Guébié et la catastrophe actuelle.
Aujourd’hui, il faut prévenir la descente vers l’enfer de notre pays. Car comme le disait la « Une » d’un des numéros du Démocrate, « LES HOMMES PASSENT, MAIS LE PAYS DEMEURE ». A chacun de prendre ses responsabilités maintenant. Nous l’avons fait au sein de la FESCI des origines qui fut et reste le moteur de la lutte au temps des « Démocrates » entre 1990 et 1994.
A la fin de l’année scolaire 1988, je venais d’obtenir avec Mention la licence en relations
Internationales. Avec mes camarades Béma Coulibaly, Agnan Guy Diahoré, notre sœur depuis la première année, Bakayoko Seguela, Ake Leopold et bien d’autres amis de travail, il nous vint de décider des perspectives ensemble. Béma, un fan absolu du Shogun, entendez par là notre Professeur et Maître Semi-Bi Zan, opta pour une carrière dans l’enseignement. Avant d’aller plus loin, il voulait d’abord passer par l’Ecole Normale Supérieure. Agnan et moi nous convenions que seule la maîtrise serait l’objectif minimum à atteindre avant de penser à travailler. Seguela, après sa mésaventure de l’année précédente avec un enseignant qui la recala parce qu’elle réfusa de coucher avec lui et que le Shogun avait sanctionné sans ambages et cela devant les étudiants en guise d’avertissement pour les autres, avait repris son année et s’apprêtait à faire la licence. Issa Coulibaly, Léopold Ake et les autres avaient pour leur part voulu entrer à l’Ecole Nationale d’Administration.
Le groupe était très soudé idéologiquement en ce sens que nous avions souvent des débats houleux mais toujours les analyses se rapprochaient un temps soit peu.
C’est donc à la rentrée scolaire 1988-1989 que notre professeur de maîtrise, Pr Semi-Bi- Zan, lors de la première rencontre, proposa des sujets pour le mémoire de fin d’année aux étudiants qui n’avaient pas de sujet de recherche. Le titre initial de mon sujet de recherche était: « Etude d’un organe de presse: LE DEMOCRATE (1950-1951)». Dès que je me mis à travailler sur la méthodologie de l’analyse de contenu, il se dégagea très clairement qu’il me fallait choisir un sous-thème sur lequel je concentrerais mes recherches. En définitive, je fus, en raison de la spécificité de toute investigation sur la presse d’une part, et par rapport à mes préoccupations et ma conception de l’histoire d’autre part, amené à préciser le travail. Mon sujet s’intitula en fin de compte: «Etude d’un organe de presse : LE DEMOCRATE. Répression et mutation idéologique et politique du PDCI-RDA. (1950-1951)»
Dans l’introduction de ce memoire, j’écrivais: «Progéniture des indépendances africaines, nous avons été façonnés dans un environnement sociopolitique et culturel marqué du sceau du flot apologiste et du culte de la personnalité.
L’histoire, en tant que mémoire collective, s’est avérée une arme hautement vicieuse et
éminemment dangereuse aux mains d’une idéologie dominante l’utilisant comme phénomène de légitimation du pouvoir et érigeant comme valeurs suprêmes, voire même comme normes sociales, le goût du luxe, le culte de la couardise et du farfelu, bref, anémiant l’esprit critique et le sens de la dignité chez le citoyen.
Continuant mon analyse, je martelais: Eu égard aux conséquences foncièrement aliénantes de cette idéologie dominante, l’histoire, en tant que science du passé, se révèle comme un puissant désinfectant que l’historien, qui se propose de « faire émerger de l’ombre les coins de voile de la mémoire collective », se doit de manier avec beaucoup de circonspection. Car, comme le suggéra Miriam Makéba, il nous plaît d’entrevoir l’histoire, contrairement à l’Occident qui la perçoit « comme un animal mort, une carcasse sur laquelle s’acharnent les mouches qui se prétendent historiens et biographies», comme une chose vivante. L’histoire guide l’individu dans ses actes quotidiens, explique le présent et détermine le futur. Bien appréhendé, le passé devient une lanterne qui éclaire l’action présente, la flamme qui
entretient l’héroïsme, le sentiment d’exaltation du peuple en lutte. Fouiner dans les recoins de notre mémoire historique, en démettre les fils inextricables afin que le feu de la vérité et de la probité jaillisse, telle est la mission de l’historien.»
Cette vision de la science historique est d’autant plus déterminante que nous pouvons voir sous nos yeux son utilisation quelque peu ahurissante par une élite intellectuelle qui n’en finit par de nous désemparer. Il en ainsi de la lutte qui s’engagea résolument sur les campus et dans les lycées ivoiriens qui est à l’origine des changements politiques de ces dernières années mais que beaucoup d’historiens de cette période tendent à ignorer, du moins à réduire l’importance. Pis, devant les contradictions de leur propre interprétation de la science politique, d’aucuns vont jusqu’à falsifier leur propre histoire, pour ne pas dire, font œuvre de stalinien en se reniant. Parce que nous sommes encore vivants et que nous avons pu éviter de rejoindre la longue liste des martyrs ivoiriens qui ne sont évoqués que pour servir d’arguments politiques, nous avons pensé restituer l’histoire à ses acteurs et héros: les étudiants et élèves ivoiriens.
En ma qualité de premier responsable du mouvement étudiant, j’ai agi en toute responsabilité
assumant ma démarche idéologique et politique tout au long de ces années. Pendant les quatre années de direction de la lutte de la jeunesse de mon pays face au régime du PDCI, c’est le Démocrate, ce journal de deux pages, enflammé contre le colonialisme, écrit avec le cœur de la vaillance et de la probité, que je transportais sur le terrain de la lutte pour la démocratie. Car, pour moi, les valeurs au nom desquelles la Rédaction de ce journal, que j’ai découvert dans mes recherches, a pris tous les risques, étaient d’actualité. En cela, l’histoire devenait une arme politique pour transformer le présent et bâtir le futur. Transformer le présent était tout simplement éduquer la masse des futurs dirigeants de notre pays pour qu’ils comprennent les dimensions historiques et idéologiques de notre combat. Lui donner un autre reflexe et une autre culture politique, voilà le gage du changement futur !
Sans Le Démocrate, sans cette foi transmise à travers les décennies par les écrits de Bernard Dadié, Coffi Gadeau, Ouezzin Coulibaly, en somme la Grande Gauche du RDA et ses ténors anticolonialistes, la Fesci n’aurait jamais eu le leadership qu’elle a eu sous ma direction. Beaucoup d’analystes s’interrogent sur les origines idéologiques et politiques et du changement radical de reflexe de cette jeunesse prête à tous les sacrifices même si les tenants du pouvoir ne l’acceptaient pas à cause de ses idéaux. Pour comprendre cette Fesci radicale et exaltée, il faut faire un tour dans ce petit journal de deux pages qui concentra toute l’espérance d’une génération en lutte pour une destinée meilleure. Ici et maintenant, c’est pour moi aussi le lieu et une façon de rendre un hommage aux précurseurs de la lutte anticolonialiste dans notre pays.
Tout au long des meetings et des luttes titanesques que notre direction a entrepris pendant près de quatre années, c’est la continuité de la lutte de la gauche ivoirienne, depuis les aînés de la période de décolonisation en passant par les militants de la période de la clandestinité sous le parti unique jusqu’à notre génération qui s’affirma. La FESCI est donc une rupture avec la réalité façonnée par le parti unique et une volonté tenace d’en finir avec la dérive droitière qui a eu lieu dans notre histoire collective à la fin des années 40 et au début des années 50. Cette rupture a lieu contre le parti unique dans sa stratégie et sa vision et contre nos prédécesseurs dans sa tactique et ses pratiques.
Dans les pages qui vont suivre, je retrace cette lutte menée de bout en bout par la jeunesse de notre pays. J’explique que l’action de la FESCI s’inscrit dans la lutte pour l’indépendance totale de notre pays. Cette indépendance est une lutte permanente contre les forces rétrogrades qui enchaînent et détruisent le patrimoine et la richesse des populations ivoiriennes. Nombreux sont certains qui crient au néocolonialisme et accable l’homme blanc de tous nos maux. Mais regardons chez nous et faisons mine de ne pas croire que la leçon de la besace de la Fontaine est la nôtre.
La Côte d’Ivoire est un beau pays non par le fait des immeubles construits au Plateau, donnant l’allure de Manhattan à cette capitale ouest-africaine, mais par la qualité de son peuple: travailleur et toujours optimiste. Si rien n’est fait pour prévenir les déchirures liées à la politique franchement inqualifiable de la prise du pouvoir par tous les moyens entre toutes les formations politiques, ce trésor risque d’être à jamais détruit par des ambitieux qui me pensent même pas à cette terre d’asile et de prospérité africaine et aux peuples qui l’ont enrichi par leur histoire commune.
C’est contre le démon de la haine et du sang que ce livre est écrit. Il veut rappeler à chaque ivoirien que seule la décision de l’individu peut prévenir le drame. Il est trop facile que tout soit remis entre les mains des appareils politiques. Hier quand Le Démocrate fut sacrifié sous l’autel de la nouvelle politique de réconciliation entre le président Houphouët et la France, rien n’indiquait que cela conduirait directement à la déchéance vers Assabou, le Sanwi, le Guébié et la catastrophe actuelle.
Aujourd’hui, il faut prévenir la descente vers l’enfer de notre pays. Car comme le disait la « Une » d’un des numéros du Démocrate, « LES HOMMES PASSENT, MAIS LE PAYS DEMEURE ». A chacun de prendre ses responsabilités maintenant. Nous l’avons fait au sein de la FESCI des origines qui fut et reste le moteur de la lutte au temps des « Démocrates » entre 1990 et 1994.