Kadhafi est mort. Or donc, il était mortel. Lui aussi. Le spectacle pitoyable voire bestial, de ses compatriotes exultant autour de sa dépouille, achève de convaincre les Saint Thomas que l'inénarrable Guide de la Jamahiriya libyenne est bien mort. Et dire qu'il paraissait invulnérable, « insubmersible » durant les premières semaines de la révolution qui a fini par l'emporter. En effet, c'est un Kadhafi combatif, le verbe haut et le poing furieusement levé, qui promettait l'enfer aux « rats » qui ont osé défier son autorité. Mais voilà que près de neuf mois après les premières manifestations publiques, le très craint seigneur de Tripoli « a rencontré son destin ». Ainsi donc, Mouammar Kadhafi est mort, comme le commun des mortels. Lui, le vénéré Guide libyen, lui qui était tout à la fois déifié et craint, lui qui a régné sans partage sur son peuple, 42 ans durant. La preuve est ainsi faite qu'aucun dirigeant, même élevé au rang de dieu par ses thuriféraires et autres obligés, n'est immortel. Aucun tyran, aucun seigneur, fut-il puissant, n'est assez fort pour être invulnérable. Kadhafi l'a appris à ses dépens et avec lui tous ceux pour qui le fantasque colonel était un demi-dieu. L'image de l'ex-homme fort de la Libye, croulant, visage ensanglanté, le torse tripoté tel un oiseau échoué entre des mains de bambins, est bien la preuve que Kadhafi, le redouté, était lui aussi fait de chair. Sa chute sans gloire et sa fin tragique devraient interpeller tous les potentats d'Afrique et d'ailleurs, qui se laissent griser par les cantiques laudateurs de leurs porteurs de thé au point de se prendre pour Dieu sur terre. C'est là la première leçon à tirer de sa mort. La seconde, c'est que rien, pas même la terreur des armes, ne saurait freiner la soif de liberté d'un peuple. Aucun régime oppresseur ne sera assez fort pour brider éternellement ses citoyens. Le musellement, l'étouffement de l'aspiration à la libre expression peut durer des décennies ( 42 ans dans le cas de Kadhafi), mais jamais indéfiniment. Quand le moment était venu pour les Libyens de faire sauter le couvercle et laisser éclater leur soif de liberté, Kadhafi a cru pouvoir y faire échec en déployant la grosse artillerie. A l'arrivée, il a fini par être emporté par la bourrasque. Peut-être aurait-il connu une fin moins tragique s'il avait eu l'intelligence de lâcher du lest au bon moment, comme le Tunisien Ben Ali et l'Egyptien Hosni Moubarak. Au lieu de cela, il a choisi de réprimer durement ses compatriotes, dont le seul crime était de réclamer un peu plus de liberté de parole, de liberté de penser autrement. C'est d'ailleurs cela qui a servi de prétexte aux Occidentaux pour se mêler de la cuisine intérieure des Libyens. Au nom d'une prétendue « ingérence humanitaire » visant à protéger les populations civiles, les Occidentaux se sont donc invités dans cette affaire entre Libyens. On pourrait certes leur concéder d'avoir ainsi sauvé des citoyens de ce pays de la folie d'un Kadhafi fermé à toute idée de lâcher le pouvoir, son pouvoir. Mais ce qui est discutable voire inacceptable, c'est cette propension des dirigeants du Nord à vouloir exporter la démocratie au Sud ou ailleurs, quitte à l'imposer à coups de bombardements aériens. C'est là une autre leçon de la tragédie libyenne. Ce qui est insultant voire révoltant, c'est cette arrogance des marchands de démocratie, qui se croient investis du droit d'aller contraindre, par les armes, les autres peuples à l'acheter. Non à cette démocratie armée, à cette démocratie à coups de canons que les puissants se croient investis de la mission d'imposer aux faibles. Non à cette démocratie du plus fort ! Ce qui s'est passé en Libye va bien au-delà du souci de protéger les populations civiles en danger, pour se muer en une mission d'imposition de démocratie par les Etats militairement plus forts. Il faut craindre que cette loi du plus fort ne s'étende à l'avenir à d'autres Etats africains ou d'ailleurs, militairement vulnérables et dont les régimes seraient jugés peu démocratiques par les maîtres de ce monde. Dans cette perspective, le risque est grand de voir ces Etats militairement petits, passer à nouveau sous le contrôle des marchands de démocratie, comme au bon vieux temps de la colonisation. Les dirigeants africains notamment seront alors réduits à faire le jeu des puissants qui, sous le fallacieux prétexte d'importer la démocratie, feront la pluie et le beau temps sur le continent. Bonjour l'impérialisme... démocratique.
Assane NIADA
Assane NIADA