Observateur de la vie politique ivoirienne, ancien collaborateur du Président Houphouët-Boigny et fils du doyen Abdoulaye Diallo, Noum Antoine Diallo aborde sans faux-fuyant dans cette interview, les questions brûlantes de l’actualité sociopolitique de la Côte d’Ivoire. Accusé à tort ou à raison d’être un soutien de l’ex-rébellion, Noum Diallo qui a tout perdu pendant ces dernières années, s’en remet à Dieu. Il a décidé de reprendre ses activités comme par le passé. Avec l’espoir que tout ira mieux dans le meilleur des mondes. Surtout avec l’arrivée au pouvoir des enfants du père fondateur, le Président Félix Houphouët-Boigny. ‘’Nous avons à la tête de la Côte d’Ivoire, un homme compétent qui veut mettre les Ivoiriens au travail’’, indique celui qui fut à l’époque le plus jeune des conseillers du Président Houphouët.
On vous a beaucoup vu sous Houphouët-Boigny. Avec l’avènement du régime de Laurent Gbagbo, vous avez disparu. Où étiez-vous passé ?
Il est difficile de revenir sur ce qui s’est passé, parce que cela a été un mauvais souvenir pour moi. J’étais dans les affaires et j’avais un complexe agropastoral au niveau de Katiola-Marabadiassa. J’aimais bien y aller parce que pour moi, c’était la détente, c’était le contact avec la nature. L’endroit était bien reposant et en même temps je m’occupais de ma ferme, de mes cultures de maïs. Je reprenais un peu les travaux du complexe sucrier de Marabadiassa. Chaque semaine, je partais d’Abidjan pour me rendre dans ce complexe et ce pendant quatre jours (du jeudi au dimanche). Cela a duré de 2000 jusqu’au déclenchement de la crise militaro-politique en 2002. Malheureusement, on m’a personnellement accusé de financer la rébellion parce qu’on me voyait, régulièrement, sur les routes. Les gens ont même essayé d’attenter à ma vie. Sur conseil de mes proches qui ne pouvaient pas vraiment assurer ma sécurité à cent pour cent, j’ai préféré quitter la Côte d’Ivoire. Je suis allé en France puis au Mali. Sept (07) ans après, je suis revenu sur insistance de mon père qui m’a signifié que cela lui faisait aussi de la peine.
Sept ans après, vous êtes revenu au bercail et votre retour coïncide avec la chute du régime de Laurent Gbagbo. Quel commentaire faites-vous ?
Je savais que ce régime allait tomber, mais je ne savais pas que cette chute allait prendre du temps parce que tout était une affaire de Dieu. J’avais le pressentiment que Dieu allait nous donner raison. Parce que le Seigneur ne pouvait pas abandonner nous qui avons beaucoup souffert dans cette crise. Personnellement, j’ai perdu tout ce que j’avais à Marabadiassa. Mes deux usines m’ont été retirées sur le domaine du Port, sans raison. A l’époque, j’ai rencontré le directeur du Port, Gossio Marcel. Tout s’était bien passé. Mais à la sortie du bureau, le lendemain, ce sont des décisions contraires qui ont été prises. Je me suis donc confié à Dieu en me retranchant dans la prière. Je vous apprends aussi que je suis tombé gravement malade mais grâce à Dieu, à la prière et au soutien de mes proches, j’ai pu m’en sortir. Pour moi, cela a été une grosse perte. Parce que dans la vie d’un homme, c’était l’âge de validité où l’on devrait s’exprimer véritablement. Je suis resté de 40 ans à pratiquement 50 ans, à ne rien faire. C’était vraiment dur. Je remercie ma famille qui m’a beaucoup soutenu.
Avec ce changement de régime, comment voyez-vous l’avenir de la Côte d’Ivoire ?
Vous savez la Côte d’Ivoire est un pays béni de Dieu et aujourd’hui il n’y a pas de place pour les tricheurs. Le système du gouvernement actuel est un système américain. Ce qui veut dire que si réellement vous avez envie de travailler pour ceux qui connaissent leur travail, ils trouveront de l’emploi. Ceux qui veulent tricher, ce n’est plus le moment. C’est du passé ! C’est la raison pour laquelle, on demande à tous de se mettre au travail. Les choses vont changer. Vous savez, le Président Houphouët-Boigny avait déjà tracé les sillons du développement de la Côte d’Ivoire dans l’avenir. Il y a eu un dérapage mais nous sommes en train de revenir pour rattraper le retard perdu. On constate maintenant que le pays est dirigé. Certes, il y a encore quelques réglages à faire mais pour le peu de temps, le travail qui a été fait est énorme. Tout est en bonne voie. Toutefois, j’estime qu’il y a beaucoup de véhicules en ville qui ne doivent plus rouler.
Vous êtes opérateur économique, quel est votre avis sur la nouvelle réforme de la filière café-cacao ?
A ce niveau, nous sommes également sur la bonne voie. Comme nous l’avons souhaité, il fallait revenir avec la caisse de stabilisation mais avec des réaménagements. Et je crois que c’est ce qui est en train d’être fait. J’ai lu le projet de réforme qui n’est pas mal. Cependant, il faut encore des modifications. La seule chose, c’est qu’il faut qu’on revienne entièrement dans l’esprit du Président Houphouët-Boigny. C’est cela le plus important.
C'est-à-dire…
En clair, que chacun reste à sa place. Les exportateurs à leur place, les traitants à leur place, les pisteurs également ainsi que les producteurs. Chacun doit être à sa place. Aujourd’hui, on constate que des acheteurs sont devenus des exportateurs. Mais ils n’ont pas appris ce métier ! Il faut donc sortir les brebis galeuses de la filière café-cacao. Les problèmes de qualité que nous avons aujourd’hui sont inhérents au gain facile recherché par certaines personnes de la filière. L’Etat doit mettre de l’ordre. Autrefois, lorsqu’il y avait la caisse de stabilisation, il y avait la rigueur. Les ventes se faisaient à terme, les exportateurs étaient surveillés et étaient convoqués lorsqu’il y avait des problèmes avec des gros acheteurs à l’étranger. Quand un exportateur était en faute, il était sanctionné. En fait, la caisse était comme une sorte de garantie. Mais nous savons que depuis dix ans, il y a des personnes qui ont eu des contrats avec des sociétés et qui n’ont jamais été réalisés et cela reste sans suite. Ce qui n’est pas normal. La filière café-cacao doit être gérée sous le contrôle du Chef de l’Etat et du Premier ministre parce que c’est le poumon de l’économie ivoirienne. A l’époque, le Président Houphouët-Boigny disait que la Côte d’Ivoire produisait seulement 800 mille tonnes et le prix du cacao était à 400 ou 300 voire 250 F CFA. Mais vous voyez ce qui a pu être fait avec cet argent. Mais depuis dix ans, le cacao est vendu à plus de 1500 F CFA et on produit plus d’un million 400 mille tonnes. Qu’est-ce qui a pu être fait avec toutes ces sommes ? Nous avons espoir parce qu’aujourd’hui, nous avons les vraies personnes, aux différentes places qu’il faut.
Vous qui avez côtoyé le Président Houphouët-Boigny, si on vous demandait de faire des propositions au niveau de la Caistab, qu’allez-vous proposer dans l’immédiat?
Déjà, ce qui est en train d’être fait est bon. Toutefois, je conseille qu’on insiste sur la compétence des dirigeants de la filière. C’est le lieu de féliciter une fois de plus un grand nom de la caisse de stabilisation, M. Avit Adro, l’actuel maire de Jacqueville. J’ai beaucoup appris avec ce monsieur. Il a beaucoup de qualités et est très respecté dans le monde du café-cacao. J’ai été marqué par sa compétence et je garde, toujours, de l’estime pour ce monsieur. Nous avons beaucoup de valeurs en Côte d’Ivoire pour diriger la filière. Il ne faut plus qu’on se trompe, comme on l’a fait ces dix dernières années où la Caistab a été éclatée en plusieurs structures. Malgré qu’on ait conseillé à l’ancien régime que le système d’éclatement de la Caistab n’était pas la solution, il a persisté. La suite on la connaît tous. La réforme de la filière est une très bonne chose en ce sens que tous les exportateurs doivent avoir une tutelle forte. L’Etat doit faire en sorte que l’institution qui va remplacer la caisse de stabilisation soit une institution forte avec des hommes compétents qui aiment le métier afin que la qualité du café et du cacao soit améliorée. Et pour cela, il est important qu’on fasse sortir certaines personnes de la filière. En son temps, le Président Houphouët-Boigny avait seulement trois familles ivoiro-libanaises qui étaient dans la filière en tant qu’exportateurs. Aujourd’hui, on a des acheteurs véreux à l’époque qui sont devenus des exportateurs et ils se sont servis de cette position pour faire du blanchiment. Il ne faut pas que notre cacao et notre café servent à cela. Déjà qu’on nous taxe d’employer des enfants dans nos plantations et que le gouvernement se bat pour améliorer son image, il n’est pas bon de revenir sur des affaires de blanchiment, de mauvaise qualité, etc. Une rigueur, un Etat fort pour donner à la Caistab son lustre d’antan. La Caistab doit être gérée soit par la Présidence de la République ou soit par la Primature. S’agissant de la réforme, l’Etat doit aussi associer le groupement des exportateurs qui peut faire des propositions concrètes sur la réhabilitation du secteur de la filière Café-Cacao. C’est pourquoi, il va falloir mettre un accent sur la qualité des produits et extirper les fraudeurs de la filière.
Dans cette dynamique de restructuration de la filière, si on vous faisait appel, vous qui aviez travaillé à la Caistab, sous l’ère du Président Houphouët-Boigny…
Je peux dire que nous sommes tous des soldats en réserve. Par conséquent, si l’Etat vous fait appel pour une mission, vous ne pouvez pas dire non.
Le prix du cacao qui a grimpé à 1000 F CFA n’est pas pratiqué sur le terrain. Ce qui a conduit à des mécontentements notamment à Abengourou où les paysans veulent tout bloquer…
Les paysans ont pleinement raison. C’est pourquoi j’insiste sur le fait qu’il faut des personnes compétentes pour gérer la filière. Parce que lorsqu’on fixe un prix, il faut être à côté pour assister les paysans pour que le prix soit respecté et en faisant en même temps barrage à tous ceux qui veulent acheter le produit à 600 ou 650 F CFA.
Concrètement, comment veiller au respect du prix sur le terrain notamment dans les campements les plus éloignés ?
Normalement les pisteurs, les acheteurs de produits, les exportateurs sont identifiés. Nous avons donc une traçabilité. Lorsqu’un pisteur va imposer son prix aux paysans sur le terrain, il faut donc le ramener à l’ordre. L’autorité doit donc être forte. Cependant, cette situation est aussi le fait que chacun veut avoir un bon bénéfice. Le pisteur qui vend le produit à l’acheteur, veut avoir sa commission, c’est pareil pour l’acheteur qui cède le cacao à l’exportateur. Combien toutes ces personnes en achetant le cacao à 1000 F CFA vont avoir comme bénéfice quand le produit est vendu à 1200 F CFA à l’exportation. On ne peut pas vendre le cacao bord champ à 1000 F CFA et à 1200 F CFA à l’exportation. Ce n’est pas possible. Parce que vous avez déjà le DUS qui me semble est autour de 200 F CFA peut être un peu plus, il y a les frais de transport de bord champ jusqu’en ville, il y a les commissions du pisteur et d’acheteur, les frais d’usinage, etc. Ce n’est pas possible d’acheter le produit à 1000 F CFA aux planteurs et le vendre à l’exportation à 1200 ou tout au plus 1240 F CFA. Je pense que le comité de gestion aurait été plus prudent en fixant le prix autour de 800 F CFA et amener tout doucement la nouvelle caisse à prendre le relais, l’année prochaine, sur des bases beaucoup plus solides.
Vous avez été le plus jeune conseiller du Président Houphouët-Boigny qui n’est plus. Aujourd’hui, ses enfants sont au pouvoir. Quel parallèle faites-vous entre le temps du Président Houphouët-Boigny et le régime actuel ?
Le Président Houphouët-Boigny n’est pas comparable. Moi, je suis le fils de mon père, cela ne veut pas dire que je peux me comparer à mon père. Mais je m’appuie sur les acquis de mon père pour avancer dans la vie et pour même essayer de faire mieux, parce que les temps ne sont pas pareils. Ce que je peux dire aux Houphouëtistes, c’est qu’ils restent toujours unis pour remettre véritablement la Côte d’Ivoire sur la voie de la paix et du développement. Les enfants d’Houphouët-Boigny doivent laisser de côté leurs divergences, leurs susceptibilités pour le bonheur de la Côte d’Ivoire. En nous référant toujours au Président Houphouët-Boigny, je pense qu’il va nous guider et doucement, nous allons nous en sortir. Comme il a toujours dit : «Dieu est amour», il a cultivé cet amour. Et je pense que l’amour fait partie de l’héritage que le Président Houphouët-Boigny nous a laissé.
Récemment, un séminaire gouvernemental a eu lieu pour évaluer le travail qui a été déjà fait et pour booster les autres actions en vue ?
Je pense que le Chef de l’Etat et son gouvernement avec à sa tête le Premier ministre Guillaume Soro se rendent compte du retard accusé, pendant une dizaine d’années, par la Côte d’Ivoire, par rapport aux autres pays. Le Président de la République qui voyage beaucoup a sans doute constaté la progression fulgurante de certains pays en termes de développement. Il met donc la pression pour que la Côte d’Ivoire rattrape ce retard et qu’elle puisse atteindre un meilleur niveau de développement. J’encourage le Chef de l’Etat et son Premier ministre à continuer sur cette lancée. Par ailleurs, je souligne que l’actuelle équipe gouvernementale est à la hauteur. Vous (ndlr: L’Intelligent d’Abidjan) les notez, mais aussi à notre niveau, nous les évaluons également. Pour l’instant, nous pouvons dire que dans l’ensemble, c’est bon.
La Côte d’Ivoire vient d’être à nouveau éligible à l’Agoa…
C’est un bon point pour la Côte d’Ivoire et je voudrais surtout féliciter M. Guy M’Bengue et les autorités ivoiriennes qui nous sortent de l’autarcie. C’est le moment pour les entreprises ivoiriennes d’émerger et de tisser des partenariats avec des industriels américains. Signe véritable que la Côte d’Ivoire est de retour après un recul de dix ans. Je profite pour dire encore aux Ivoiriens que nous avons beaucoup d’espoirs. Pour ceux qui veulent travailler, c’est le moment de se mettre au travail. Parce que nous avons à la tête de ce pays quelqu’un de compétent qui veut les mettre au travail. Ceux qui travaillent bien et qui ne trichent pas auront leur place dans cette nouvelle Côte d’Ivoire. Avec le Président Ouattara, le temps de l’à peu près est terminé.
On raconte que votre frère Sidi Diallo est devenu Président de la Fif (Fédération ivoirienne de football) grâce à votre père qui aurait forcé la main au Chef de l’Etat. Quelle est la vérité ?
Non, cela n’a pas été ainsi. Quand mon frère a décidé d’être candidat à la présidence de la Fif, beaucoup de ses amis l’avaient déjà contacté. A l’époque, lui et moi en avions parlé. Je connaissais son point de vue sur la question. Et un jour, mon frère m’appelle et me dit : «mes amis me sollicitent pour briguer la présidence de la Fif. Mais je veux savoir quelle est ta position». Je lui ai dit comme je vais très bientôt à Paris, qu’on se verra là-bas pour en discuter. Arrivé à Paris, on a échangé sur le sujet et je lui ai donné mon accord pour qu’il soit candidat. Après quoi, nous sommes allés vers notre père pour lui dire que nous avons besoin de sa bénédiction parce que nous voulons être candidat à la Fif. Voilà comment nous avons eu la bénédiction de notre père. Il ne faut pas oublier pas qu’il (ndlr : le doyen Abdoulaye Diallo) est sportif. C’est lui, avec le vieux Douty Diomandé qui n’est plus de ce monde, la famille Vieyra, …, qui ont fondé le Stella Club d’Adjamé. Notre père a été aussi joueur au Stella. Mon grand-frère, paix à son âme, qu’il suivait également, a été président du Stella. Mon père a été également pendant plusieurs années, président de l’Usy (Union Sportive de Yamoussoukro). Avant que ses enfants ne se retrouvent avec leurs amis pour former l’Afad (Association de football Amadou Diallo). Tout ceci pour dire, que nous sommes une famille de sportifs et que le Chef de l’Etat n’a pas influencé le choix de mon frère à la tête de la Fif. Mon frère Sidi, avant de se lancer dans la campagne, est allé se recueillir sur la tombe de notre frère Amadou Diallo dit vieux Stella qui fut un pionnier du Football à Adjamé. Tous réunis autour de lui, nous réussirons à propulser les actions de la FIF dans l’unité.
Cela dit, quelles sont les chances de réussite de votre frère à la tête de cette institution ?
En toute chose, il faut avoir la volonté. Et mon jeune frère, je pense qu’il réussira parce que nous sommes là pour l’épauler. Il peut avoir des lacunes, mais elles peuvent servir de challenges et nous l’aiderons à relever les défis. Je pense qu’il a autour de lui des hommes de qualité qui l’aideront à atteindre les résultats escomptés. Et quant à l’équipe nationale, il lui faut un directeur technique national fort et faire en sorte que les joueurs ne partent pas si vite sous d’autres cieux. Nous avons de grands joueurs qui sont nés au quartier Biafra qui font aujourd’hui la fierté de certaines équipes nationales, telles que le Burkina-Faso, le Niger, le Benin et même la Guinée Equatoriale. Personnellement, je crois au nouveau miracle sous l’ère du Président Ouattara à tous les niveaux, notamment dans le domaine du sport.
Vous étiez récemment à l’Unesco auprès de votre père, pour la remise du prix Houphouët-Boigny. Concrètement, qu’est-ce qui s’est passé entre lui et le ministre Adama Bictogo ?
Vous savez, ce sont des querelles entre père et fils. Cela arrive même, parfois, entre lui et moi. Il faut donc passer là-dessus. Je peux vous dire que cette affaire est derrière nous.
Le fils est allé demander pardon au père…
Vous savez un père peut se fâcher contre son fils et il a la manière de réagir et lorsqu’il le fait, c’est passé. Même avec nous ses enfants, c’est pareil.
Le vieux Diallo n’est donc pas rancunier…
Pas du tout. Toutefois, je reconnais qu’on reste un peu Akan (rires).
Ivosep, Hôtel Bonheur 1 et 2, Djèkanou Transport. Vous avez fait la pluie et le beau temps. Pourquoi ce retranchement de la famille Diallo, après la mort du Premier Président de la Côte d’Ivoire?
Ce retranchement est dû au fait que la mort du Président Houphouët a été un choc pour nous. Et notre deuil a duré pratiquement près de cinq ans. Car, c’est après ces années que nous avons commencé à accepter cette mort. Cela n’a pas été facile. En plus, nous avons été victimes de beaucoup d’injustices. Des personnes ne voulaient plus nous voir, prétextant que nous étions avec le Président Houphouët et que nous avons tout eu. Je tiens à informer l’opinion que le Président Houphouët nous a appris à travailler et qu’il ne nous a pas fait de cadeau. Cela n’a pas plu à des personnes. Nous restons donc dans notre coin tout en ayant la foi et en gardant notre dignité.
Pour vous qui aviez été le plus jeune conseiller du Président Houphouët-Boigny, quel souvenir gardez-vous de lui ?
Un souvenir inoubliable et inestimable. On pourrait rester là des heures voire des jours pour en parler. C’était à la fois mon grand-père, mon père et mon ami.
Pensez-vous que si Houphouët-Boigny avait été là, la crise ivoirienne allait perdurer ?
Pas du tout. La crise n’arriverait même pas. Parce qu’à chaque fois, il disait que « La seule chose qui me restait, c’est de faire en sorte que la Côte d’Ivoire devienne une nation ». La paix, tout le monde y aspirait, mais il voulait que le pays soit une véritable nation. Et un jour, je lui ai demandé : «papa, une nation cela veut dire quoi ?». Et il m’a dit : «Une nation veut dire qu’il ne faudrait pas que le Baoulé se dise qu’il est Baoulé, pareil pour le Bété, le Dioula, etc. Mais que tous disent qu’ils sont des Ivoiriens». Pour lui, il fallait que cette notion de Baoulé, de Bété, de Dioula, disparaisse dans l’esprit des Ivoiriens. Malheureusement, Dieu ne lui a pas donné le temps de réussir cette grande mission.
Le mois d’octobre a été marqué par l’arrestation du capitaine Séka Anselme. Un mot là-dessus ?
Je n’ai pas de mot là-dessus. Mais je veux seulement féliciter le travail énorme qu’abat le ministre Hamed Bakayoko. Jeune ministre, mais à la hauteur, je crois qu’il apprend vite. Il démontre qu’on peut faire confiance aux jeunes à des postes de responsabilité. Comme je vous ai dit au début, j’étais visé à l’époque. On a voulu attenter à ma vie en 2003, 2004. J’ai été donc contraint de quitter la Côte d’Ivoire. Parce qu’on m’accusait de financer la rébellion. Tout simplement parce que j’avais ma ferme à Marabadiassa-Kathiola où j’allais tout le temps. Les gens ont vite fait l’amalgame en me voyant prendre la route avec un cortège de deux ou trois voitures à chaque fois. Je pense que cette arrestation de Seka Anselme permettra d’avoir des éclairages sur beaucoup de choses.
Pour parler de réconciliation nationale, le Président Charles Konan Banny a-t-il, selon vous, la capacité de réconcilier les Ivoiriens ?
Oui, pourquoi pas ! Je ne le dis pas parce que je suis son neveu. Il a toutes les qualités et vous aurez l’occasion de le constater. Il est très méthodique, très attentif et il a de très grandes valeurs (ancestrales et traditionnelles). Et je pense que cela l’aidera à réussir sa mission. Cependant, il y a des personnes qui veulent aller très vite mais, il ne sert à rien d’aller très vite. L’essentiel est d’aller lentement et sûrement afin d’arriver à point. Parce qu’en allant très vite, il peut avoir plus de dégâts. J’ai confiance au Président Charles Konan Banny qui doit accomplir un travail énorme. Je me demande s’il arrive à dormir.
Il n’a que deux ans, est-il possible pour lui, pendant cette période de réconcilier 20 millions d’Ivoiriens ?
Dans la réconciliation et dans la tradition, il n’y a pas de temps. Ce sont ceux qui sont pressés qui ont mis deux ans. Sa mission prendra le temps qu’il faut, mais il fera bien son travail.
Pensez-vous que la CDVR (Commission dialogue, vérité et réconciliation) aura la tâche facile pour réconcilier les Ivoiriens quand, au même moment, la justice incrimine des personnes ? On parle même d’une justice des vainqueurs contre les vaincus…
La justice fait son travail. Parler de justice des vainqueurs contre les vaincus cela n’a pas de sens. Si on veut aller à la réconciliation, il faut que chacun de nous reconnaisse ce qu’il a fait.
Quel est votre commentaire sur les rapports des ONG internationales qui incriminent les deux camps (LMP et RHDP) ?
Vous savez, il y a des personnes dans ces ONG que je connais et qui ne sont pas crédibles. Dans tous les cas, laissons la justice faire son travail. Il faut éviter de s’immiscer dans les affaires de cette institution. Surtout que nous avons à nos côtés l’Onuci qui signifie une présence de l’Onu et nous avons aussi l’appui de la Cour pénale internationale.
D’aucuns estiment qu’il faut démarrer les enquêtes à partir de la crise de 2002 voire en 1999, plutôt qu’à partir de la crise postélectorale. Est-ce votre avis ?
Je suis cadre PDCI et malheureusement depuis 1999 nous n’avons pas pensé à asseoir un comité pour travailler sur cette question. Or, s’agissant de la crise postélectorale, un travail a été fait pour que les enquêtes soient menées afin que la justice s’exprime. C’est le PDCI qui doit s’organiser pour que la lumière soit faite sur la crise de 1999. Nous sommes restés passifs, sans entreprendre une véritable action pour enquêter sur le coup d’état de 1999 et c’est regrettable que cette date là ne soit pas prise en compte pour faire la lumière sur les malheureux évènements qui ont secoué la Côte d’Ivoire. Voyez-vous, sur insistance de l’opposition LMP, la CPI à défaut d’enquêter, a décidé d’ouvrir une information sur les évènements de 2002.
L’actualité, c’est aussi la mort du député-maire de Grand-Bassam, Jean-Michel Moulod et celle du colonel Kadhafi…
La mort du député-maire Moulod a été une perte pour le PDCI-RDA. C’est quelqu’un que je connaissais pour son humilité. Il y a de cela trois mois que nous avions pris rendez-vous, malheureusement, Dieu a décidé autrement. Que son âme repose en paix !
En tant qu’Africain, il est important de reconnaître ce que des dirigeants arabes dont le colonel Kadhafi ont fait pour l’Afrique noire. Il a dirigé pendant 42 ans la Libye. J’aurais préféré un retrait pacifique du pouvoir, avec l’appui de l’Union Africaine, du colonel Kadhafi. A mon avis, depuis environ quinze ans, cet homme avait changé. Il a partagé beaucoup avec certains pays africains tels que le Mali surtout, le Niger, le Burkina et le Bénin. Il a fait beaucoup de choses formidables pour ces pays. Pour moi, c’est le seul Arabe qui a vraiment pensé à l’Afrique noire. Il était infréquentable, 20 ,30 ans en arrière, mais depuis une quinzaine d’années, il avait changé. Je pense que les images de sa mort choquent. Je vous informe qu’à Paris, nous habitons le même immeuble que la famille Kadhafi. Nous sommes au rez-de-chaussée et sa famille a deux appartements, je crois bien au troisième et au quatrième. Chaque vacance, ses parents venaient et ils jouaient aussi avec nos enfants. Depuis la Saint été, ils ne sont pas venus. Du coup l’immeuble n’était pas trop animé. Mes enfants même l’ont ressenti et ils me l’ont dit. C’était triste.
A qui donc la faute ?
Ce que le colonel Kadhafi a donné à l’Afrique, le continent ne le lui a pas rendu. Il ne s’agissait en fait pour l’Afrique de lui rembourser quelque chose au cours de cette crise, mais c’était de le convaincre à laisser le pouvoir surtout que ses propres compatriotes demandaient son départ. Je ne suis pas politicien, mais je pense que c’était la meilleure solution.
Ne pensez-vous pas que sa mort risque de fragiliser l’Union Africaine ?
Je pense qu’au sein de l’Union Africaine, les prochaines réunions vont être un peu houleuses. Je crois que l’Afrique ne s’est pas suffisamment engagée pour que le colonel Kadhafi quitte le pouvoir pacifiquement.
Oumarou Kanozoé qui a laissé des traces dans la sous-région, a également quitté notre monde. Avez-vous connu l’homme?
Je connais l’homme depuis une vingtaine d’années. Parce que je suivais tout ce qu’il faisait dans le génie civil, dans les travaux publics, puisque moi-même j’étais un peu dans le secteur. C’est une grosse perte pour l’Afrique surtout pour le Burkina Faso où il a réalisé plusieurs actions. C’est rare de trouver ces personnes. C’était quelqu’un d’humble, travailleur et généreux. Il faisait même les appels d’offres à perte. L’essentiel, pour lui, était de trouver de l’emploi aux jeunes. C’est également une perte pour ceux qui, depuis des années, venaient, quotidiennement, prendre leur pain chez lui. C’est une perte surtout qu’il s’apprêtait à partager son savoir avec la Côte d’Ivoire en faisant des appels d’offres.
Réalisée par Dosso Villard
On vous a beaucoup vu sous Houphouët-Boigny. Avec l’avènement du régime de Laurent Gbagbo, vous avez disparu. Où étiez-vous passé ?
Il est difficile de revenir sur ce qui s’est passé, parce que cela a été un mauvais souvenir pour moi. J’étais dans les affaires et j’avais un complexe agropastoral au niveau de Katiola-Marabadiassa. J’aimais bien y aller parce que pour moi, c’était la détente, c’était le contact avec la nature. L’endroit était bien reposant et en même temps je m’occupais de ma ferme, de mes cultures de maïs. Je reprenais un peu les travaux du complexe sucrier de Marabadiassa. Chaque semaine, je partais d’Abidjan pour me rendre dans ce complexe et ce pendant quatre jours (du jeudi au dimanche). Cela a duré de 2000 jusqu’au déclenchement de la crise militaro-politique en 2002. Malheureusement, on m’a personnellement accusé de financer la rébellion parce qu’on me voyait, régulièrement, sur les routes. Les gens ont même essayé d’attenter à ma vie. Sur conseil de mes proches qui ne pouvaient pas vraiment assurer ma sécurité à cent pour cent, j’ai préféré quitter la Côte d’Ivoire. Je suis allé en France puis au Mali. Sept (07) ans après, je suis revenu sur insistance de mon père qui m’a signifié que cela lui faisait aussi de la peine.
Sept ans après, vous êtes revenu au bercail et votre retour coïncide avec la chute du régime de Laurent Gbagbo. Quel commentaire faites-vous ?
Je savais que ce régime allait tomber, mais je ne savais pas que cette chute allait prendre du temps parce que tout était une affaire de Dieu. J’avais le pressentiment que Dieu allait nous donner raison. Parce que le Seigneur ne pouvait pas abandonner nous qui avons beaucoup souffert dans cette crise. Personnellement, j’ai perdu tout ce que j’avais à Marabadiassa. Mes deux usines m’ont été retirées sur le domaine du Port, sans raison. A l’époque, j’ai rencontré le directeur du Port, Gossio Marcel. Tout s’était bien passé. Mais à la sortie du bureau, le lendemain, ce sont des décisions contraires qui ont été prises. Je me suis donc confié à Dieu en me retranchant dans la prière. Je vous apprends aussi que je suis tombé gravement malade mais grâce à Dieu, à la prière et au soutien de mes proches, j’ai pu m’en sortir. Pour moi, cela a été une grosse perte. Parce que dans la vie d’un homme, c’était l’âge de validité où l’on devrait s’exprimer véritablement. Je suis resté de 40 ans à pratiquement 50 ans, à ne rien faire. C’était vraiment dur. Je remercie ma famille qui m’a beaucoup soutenu.
Avec ce changement de régime, comment voyez-vous l’avenir de la Côte d’Ivoire ?
Vous savez la Côte d’Ivoire est un pays béni de Dieu et aujourd’hui il n’y a pas de place pour les tricheurs. Le système du gouvernement actuel est un système américain. Ce qui veut dire que si réellement vous avez envie de travailler pour ceux qui connaissent leur travail, ils trouveront de l’emploi. Ceux qui veulent tricher, ce n’est plus le moment. C’est du passé ! C’est la raison pour laquelle, on demande à tous de se mettre au travail. Les choses vont changer. Vous savez, le Président Houphouët-Boigny avait déjà tracé les sillons du développement de la Côte d’Ivoire dans l’avenir. Il y a eu un dérapage mais nous sommes en train de revenir pour rattraper le retard perdu. On constate maintenant que le pays est dirigé. Certes, il y a encore quelques réglages à faire mais pour le peu de temps, le travail qui a été fait est énorme. Tout est en bonne voie. Toutefois, j’estime qu’il y a beaucoup de véhicules en ville qui ne doivent plus rouler.
Vous êtes opérateur économique, quel est votre avis sur la nouvelle réforme de la filière café-cacao ?
A ce niveau, nous sommes également sur la bonne voie. Comme nous l’avons souhaité, il fallait revenir avec la caisse de stabilisation mais avec des réaménagements. Et je crois que c’est ce qui est en train d’être fait. J’ai lu le projet de réforme qui n’est pas mal. Cependant, il faut encore des modifications. La seule chose, c’est qu’il faut qu’on revienne entièrement dans l’esprit du Président Houphouët-Boigny. C’est cela le plus important.
C'est-à-dire…
En clair, que chacun reste à sa place. Les exportateurs à leur place, les traitants à leur place, les pisteurs également ainsi que les producteurs. Chacun doit être à sa place. Aujourd’hui, on constate que des acheteurs sont devenus des exportateurs. Mais ils n’ont pas appris ce métier ! Il faut donc sortir les brebis galeuses de la filière café-cacao. Les problèmes de qualité que nous avons aujourd’hui sont inhérents au gain facile recherché par certaines personnes de la filière. L’Etat doit mettre de l’ordre. Autrefois, lorsqu’il y avait la caisse de stabilisation, il y avait la rigueur. Les ventes se faisaient à terme, les exportateurs étaient surveillés et étaient convoqués lorsqu’il y avait des problèmes avec des gros acheteurs à l’étranger. Quand un exportateur était en faute, il était sanctionné. En fait, la caisse était comme une sorte de garantie. Mais nous savons que depuis dix ans, il y a des personnes qui ont eu des contrats avec des sociétés et qui n’ont jamais été réalisés et cela reste sans suite. Ce qui n’est pas normal. La filière café-cacao doit être gérée sous le contrôle du Chef de l’Etat et du Premier ministre parce que c’est le poumon de l’économie ivoirienne. A l’époque, le Président Houphouët-Boigny disait que la Côte d’Ivoire produisait seulement 800 mille tonnes et le prix du cacao était à 400 ou 300 voire 250 F CFA. Mais vous voyez ce qui a pu être fait avec cet argent. Mais depuis dix ans, le cacao est vendu à plus de 1500 F CFA et on produit plus d’un million 400 mille tonnes. Qu’est-ce qui a pu être fait avec toutes ces sommes ? Nous avons espoir parce qu’aujourd’hui, nous avons les vraies personnes, aux différentes places qu’il faut.
Vous qui avez côtoyé le Président Houphouët-Boigny, si on vous demandait de faire des propositions au niveau de la Caistab, qu’allez-vous proposer dans l’immédiat?
Déjà, ce qui est en train d’être fait est bon. Toutefois, je conseille qu’on insiste sur la compétence des dirigeants de la filière. C’est le lieu de féliciter une fois de plus un grand nom de la caisse de stabilisation, M. Avit Adro, l’actuel maire de Jacqueville. J’ai beaucoup appris avec ce monsieur. Il a beaucoup de qualités et est très respecté dans le monde du café-cacao. J’ai été marqué par sa compétence et je garde, toujours, de l’estime pour ce monsieur. Nous avons beaucoup de valeurs en Côte d’Ivoire pour diriger la filière. Il ne faut plus qu’on se trompe, comme on l’a fait ces dix dernières années où la Caistab a été éclatée en plusieurs structures. Malgré qu’on ait conseillé à l’ancien régime que le système d’éclatement de la Caistab n’était pas la solution, il a persisté. La suite on la connaît tous. La réforme de la filière est une très bonne chose en ce sens que tous les exportateurs doivent avoir une tutelle forte. L’Etat doit faire en sorte que l’institution qui va remplacer la caisse de stabilisation soit une institution forte avec des hommes compétents qui aiment le métier afin que la qualité du café et du cacao soit améliorée. Et pour cela, il est important qu’on fasse sortir certaines personnes de la filière. En son temps, le Président Houphouët-Boigny avait seulement trois familles ivoiro-libanaises qui étaient dans la filière en tant qu’exportateurs. Aujourd’hui, on a des acheteurs véreux à l’époque qui sont devenus des exportateurs et ils se sont servis de cette position pour faire du blanchiment. Il ne faut pas que notre cacao et notre café servent à cela. Déjà qu’on nous taxe d’employer des enfants dans nos plantations et que le gouvernement se bat pour améliorer son image, il n’est pas bon de revenir sur des affaires de blanchiment, de mauvaise qualité, etc. Une rigueur, un Etat fort pour donner à la Caistab son lustre d’antan. La Caistab doit être gérée soit par la Présidence de la République ou soit par la Primature. S’agissant de la réforme, l’Etat doit aussi associer le groupement des exportateurs qui peut faire des propositions concrètes sur la réhabilitation du secteur de la filière Café-Cacao. C’est pourquoi, il va falloir mettre un accent sur la qualité des produits et extirper les fraudeurs de la filière.
Dans cette dynamique de restructuration de la filière, si on vous faisait appel, vous qui aviez travaillé à la Caistab, sous l’ère du Président Houphouët-Boigny…
Je peux dire que nous sommes tous des soldats en réserve. Par conséquent, si l’Etat vous fait appel pour une mission, vous ne pouvez pas dire non.
Le prix du cacao qui a grimpé à 1000 F CFA n’est pas pratiqué sur le terrain. Ce qui a conduit à des mécontentements notamment à Abengourou où les paysans veulent tout bloquer…
Les paysans ont pleinement raison. C’est pourquoi j’insiste sur le fait qu’il faut des personnes compétentes pour gérer la filière. Parce que lorsqu’on fixe un prix, il faut être à côté pour assister les paysans pour que le prix soit respecté et en faisant en même temps barrage à tous ceux qui veulent acheter le produit à 600 ou 650 F CFA.
Concrètement, comment veiller au respect du prix sur le terrain notamment dans les campements les plus éloignés ?
Normalement les pisteurs, les acheteurs de produits, les exportateurs sont identifiés. Nous avons donc une traçabilité. Lorsqu’un pisteur va imposer son prix aux paysans sur le terrain, il faut donc le ramener à l’ordre. L’autorité doit donc être forte. Cependant, cette situation est aussi le fait que chacun veut avoir un bon bénéfice. Le pisteur qui vend le produit à l’acheteur, veut avoir sa commission, c’est pareil pour l’acheteur qui cède le cacao à l’exportateur. Combien toutes ces personnes en achetant le cacao à 1000 F CFA vont avoir comme bénéfice quand le produit est vendu à 1200 F CFA à l’exportation. On ne peut pas vendre le cacao bord champ à 1000 F CFA et à 1200 F CFA à l’exportation. Ce n’est pas possible. Parce que vous avez déjà le DUS qui me semble est autour de 200 F CFA peut être un peu plus, il y a les frais de transport de bord champ jusqu’en ville, il y a les commissions du pisteur et d’acheteur, les frais d’usinage, etc. Ce n’est pas possible d’acheter le produit à 1000 F CFA aux planteurs et le vendre à l’exportation à 1200 ou tout au plus 1240 F CFA. Je pense que le comité de gestion aurait été plus prudent en fixant le prix autour de 800 F CFA et amener tout doucement la nouvelle caisse à prendre le relais, l’année prochaine, sur des bases beaucoup plus solides.
Vous avez été le plus jeune conseiller du Président Houphouët-Boigny qui n’est plus. Aujourd’hui, ses enfants sont au pouvoir. Quel parallèle faites-vous entre le temps du Président Houphouët-Boigny et le régime actuel ?
Le Président Houphouët-Boigny n’est pas comparable. Moi, je suis le fils de mon père, cela ne veut pas dire que je peux me comparer à mon père. Mais je m’appuie sur les acquis de mon père pour avancer dans la vie et pour même essayer de faire mieux, parce que les temps ne sont pas pareils. Ce que je peux dire aux Houphouëtistes, c’est qu’ils restent toujours unis pour remettre véritablement la Côte d’Ivoire sur la voie de la paix et du développement. Les enfants d’Houphouët-Boigny doivent laisser de côté leurs divergences, leurs susceptibilités pour le bonheur de la Côte d’Ivoire. En nous référant toujours au Président Houphouët-Boigny, je pense qu’il va nous guider et doucement, nous allons nous en sortir. Comme il a toujours dit : «Dieu est amour», il a cultivé cet amour. Et je pense que l’amour fait partie de l’héritage que le Président Houphouët-Boigny nous a laissé.
Récemment, un séminaire gouvernemental a eu lieu pour évaluer le travail qui a été déjà fait et pour booster les autres actions en vue ?
Je pense que le Chef de l’Etat et son gouvernement avec à sa tête le Premier ministre Guillaume Soro se rendent compte du retard accusé, pendant une dizaine d’années, par la Côte d’Ivoire, par rapport aux autres pays. Le Président de la République qui voyage beaucoup a sans doute constaté la progression fulgurante de certains pays en termes de développement. Il met donc la pression pour que la Côte d’Ivoire rattrape ce retard et qu’elle puisse atteindre un meilleur niveau de développement. J’encourage le Chef de l’Etat et son Premier ministre à continuer sur cette lancée. Par ailleurs, je souligne que l’actuelle équipe gouvernementale est à la hauteur. Vous (ndlr: L’Intelligent d’Abidjan) les notez, mais aussi à notre niveau, nous les évaluons également. Pour l’instant, nous pouvons dire que dans l’ensemble, c’est bon.
La Côte d’Ivoire vient d’être à nouveau éligible à l’Agoa…
C’est un bon point pour la Côte d’Ivoire et je voudrais surtout féliciter M. Guy M’Bengue et les autorités ivoiriennes qui nous sortent de l’autarcie. C’est le moment pour les entreprises ivoiriennes d’émerger et de tisser des partenariats avec des industriels américains. Signe véritable que la Côte d’Ivoire est de retour après un recul de dix ans. Je profite pour dire encore aux Ivoiriens que nous avons beaucoup d’espoirs. Pour ceux qui veulent travailler, c’est le moment de se mettre au travail. Parce que nous avons à la tête de ce pays quelqu’un de compétent qui veut les mettre au travail. Ceux qui travaillent bien et qui ne trichent pas auront leur place dans cette nouvelle Côte d’Ivoire. Avec le Président Ouattara, le temps de l’à peu près est terminé.
On raconte que votre frère Sidi Diallo est devenu Président de la Fif (Fédération ivoirienne de football) grâce à votre père qui aurait forcé la main au Chef de l’Etat. Quelle est la vérité ?
Non, cela n’a pas été ainsi. Quand mon frère a décidé d’être candidat à la présidence de la Fif, beaucoup de ses amis l’avaient déjà contacté. A l’époque, lui et moi en avions parlé. Je connaissais son point de vue sur la question. Et un jour, mon frère m’appelle et me dit : «mes amis me sollicitent pour briguer la présidence de la Fif. Mais je veux savoir quelle est ta position». Je lui ai dit comme je vais très bientôt à Paris, qu’on se verra là-bas pour en discuter. Arrivé à Paris, on a échangé sur le sujet et je lui ai donné mon accord pour qu’il soit candidat. Après quoi, nous sommes allés vers notre père pour lui dire que nous avons besoin de sa bénédiction parce que nous voulons être candidat à la Fif. Voilà comment nous avons eu la bénédiction de notre père. Il ne faut pas oublier pas qu’il (ndlr : le doyen Abdoulaye Diallo) est sportif. C’est lui, avec le vieux Douty Diomandé qui n’est plus de ce monde, la famille Vieyra, …, qui ont fondé le Stella Club d’Adjamé. Notre père a été aussi joueur au Stella. Mon grand-frère, paix à son âme, qu’il suivait également, a été président du Stella. Mon père a été également pendant plusieurs années, président de l’Usy (Union Sportive de Yamoussoukro). Avant que ses enfants ne se retrouvent avec leurs amis pour former l’Afad (Association de football Amadou Diallo). Tout ceci pour dire, que nous sommes une famille de sportifs et que le Chef de l’Etat n’a pas influencé le choix de mon frère à la tête de la Fif. Mon frère Sidi, avant de se lancer dans la campagne, est allé se recueillir sur la tombe de notre frère Amadou Diallo dit vieux Stella qui fut un pionnier du Football à Adjamé. Tous réunis autour de lui, nous réussirons à propulser les actions de la FIF dans l’unité.
Cela dit, quelles sont les chances de réussite de votre frère à la tête de cette institution ?
En toute chose, il faut avoir la volonté. Et mon jeune frère, je pense qu’il réussira parce que nous sommes là pour l’épauler. Il peut avoir des lacunes, mais elles peuvent servir de challenges et nous l’aiderons à relever les défis. Je pense qu’il a autour de lui des hommes de qualité qui l’aideront à atteindre les résultats escomptés. Et quant à l’équipe nationale, il lui faut un directeur technique national fort et faire en sorte que les joueurs ne partent pas si vite sous d’autres cieux. Nous avons de grands joueurs qui sont nés au quartier Biafra qui font aujourd’hui la fierté de certaines équipes nationales, telles que le Burkina-Faso, le Niger, le Benin et même la Guinée Equatoriale. Personnellement, je crois au nouveau miracle sous l’ère du Président Ouattara à tous les niveaux, notamment dans le domaine du sport.
Vous étiez récemment à l’Unesco auprès de votre père, pour la remise du prix Houphouët-Boigny. Concrètement, qu’est-ce qui s’est passé entre lui et le ministre Adama Bictogo ?
Vous savez, ce sont des querelles entre père et fils. Cela arrive même, parfois, entre lui et moi. Il faut donc passer là-dessus. Je peux vous dire que cette affaire est derrière nous.
Le fils est allé demander pardon au père…
Vous savez un père peut se fâcher contre son fils et il a la manière de réagir et lorsqu’il le fait, c’est passé. Même avec nous ses enfants, c’est pareil.
Le vieux Diallo n’est donc pas rancunier…
Pas du tout. Toutefois, je reconnais qu’on reste un peu Akan (rires).
Ivosep, Hôtel Bonheur 1 et 2, Djèkanou Transport. Vous avez fait la pluie et le beau temps. Pourquoi ce retranchement de la famille Diallo, après la mort du Premier Président de la Côte d’Ivoire?
Ce retranchement est dû au fait que la mort du Président Houphouët a été un choc pour nous. Et notre deuil a duré pratiquement près de cinq ans. Car, c’est après ces années que nous avons commencé à accepter cette mort. Cela n’a pas été facile. En plus, nous avons été victimes de beaucoup d’injustices. Des personnes ne voulaient plus nous voir, prétextant que nous étions avec le Président Houphouët et que nous avons tout eu. Je tiens à informer l’opinion que le Président Houphouët nous a appris à travailler et qu’il ne nous a pas fait de cadeau. Cela n’a pas plu à des personnes. Nous restons donc dans notre coin tout en ayant la foi et en gardant notre dignité.
Pour vous qui aviez été le plus jeune conseiller du Président Houphouët-Boigny, quel souvenir gardez-vous de lui ?
Un souvenir inoubliable et inestimable. On pourrait rester là des heures voire des jours pour en parler. C’était à la fois mon grand-père, mon père et mon ami.
Pensez-vous que si Houphouët-Boigny avait été là, la crise ivoirienne allait perdurer ?
Pas du tout. La crise n’arriverait même pas. Parce qu’à chaque fois, il disait que « La seule chose qui me restait, c’est de faire en sorte que la Côte d’Ivoire devienne une nation ». La paix, tout le monde y aspirait, mais il voulait que le pays soit une véritable nation. Et un jour, je lui ai demandé : «papa, une nation cela veut dire quoi ?». Et il m’a dit : «Une nation veut dire qu’il ne faudrait pas que le Baoulé se dise qu’il est Baoulé, pareil pour le Bété, le Dioula, etc. Mais que tous disent qu’ils sont des Ivoiriens». Pour lui, il fallait que cette notion de Baoulé, de Bété, de Dioula, disparaisse dans l’esprit des Ivoiriens. Malheureusement, Dieu ne lui a pas donné le temps de réussir cette grande mission.
Le mois d’octobre a été marqué par l’arrestation du capitaine Séka Anselme. Un mot là-dessus ?
Je n’ai pas de mot là-dessus. Mais je veux seulement féliciter le travail énorme qu’abat le ministre Hamed Bakayoko. Jeune ministre, mais à la hauteur, je crois qu’il apprend vite. Il démontre qu’on peut faire confiance aux jeunes à des postes de responsabilité. Comme je vous ai dit au début, j’étais visé à l’époque. On a voulu attenter à ma vie en 2003, 2004. J’ai été donc contraint de quitter la Côte d’Ivoire. Parce qu’on m’accusait de financer la rébellion. Tout simplement parce que j’avais ma ferme à Marabadiassa-Kathiola où j’allais tout le temps. Les gens ont vite fait l’amalgame en me voyant prendre la route avec un cortège de deux ou trois voitures à chaque fois. Je pense que cette arrestation de Seka Anselme permettra d’avoir des éclairages sur beaucoup de choses.
Pour parler de réconciliation nationale, le Président Charles Konan Banny a-t-il, selon vous, la capacité de réconcilier les Ivoiriens ?
Oui, pourquoi pas ! Je ne le dis pas parce que je suis son neveu. Il a toutes les qualités et vous aurez l’occasion de le constater. Il est très méthodique, très attentif et il a de très grandes valeurs (ancestrales et traditionnelles). Et je pense que cela l’aidera à réussir sa mission. Cependant, il y a des personnes qui veulent aller très vite mais, il ne sert à rien d’aller très vite. L’essentiel est d’aller lentement et sûrement afin d’arriver à point. Parce qu’en allant très vite, il peut avoir plus de dégâts. J’ai confiance au Président Charles Konan Banny qui doit accomplir un travail énorme. Je me demande s’il arrive à dormir.
Il n’a que deux ans, est-il possible pour lui, pendant cette période de réconcilier 20 millions d’Ivoiriens ?
Dans la réconciliation et dans la tradition, il n’y a pas de temps. Ce sont ceux qui sont pressés qui ont mis deux ans. Sa mission prendra le temps qu’il faut, mais il fera bien son travail.
Pensez-vous que la CDVR (Commission dialogue, vérité et réconciliation) aura la tâche facile pour réconcilier les Ivoiriens quand, au même moment, la justice incrimine des personnes ? On parle même d’une justice des vainqueurs contre les vaincus…
La justice fait son travail. Parler de justice des vainqueurs contre les vaincus cela n’a pas de sens. Si on veut aller à la réconciliation, il faut que chacun de nous reconnaisse ce qu’il a fait.
Quel est votre commentaire sur les rapports des ONG internationales qui incriminent les deux camps (LMP et RHDP) ?
Vous savez, il y a des personnes dans ces ONG que je connais et qui ne sont pas crédibles. Dans tous les cas, laissons la justice faire son travail. Il faut éviter de s’immiscer dans les affaires de cette institution. Surtout que nous avons à nos côtés l’Onuci qui signifie une présence de l’Onu et nous avons aussi l’appui de la Cour pénale internationale.
D’aucuns estiment qu’il faut démarrer les enquêtes à partir de la crise de 2002 voire en 1999, plutôt qu’à partir de la crise postélectorale. Est-ce votre avis ?
Je suis cadre PDCI et malheureusement depuis 1999 nous n’avons pas pensé à asseoir un comité pour travailler sur cette question. Or, s’agissant de la crise postélectorale, un travail a été fait pour que les enquêtes soient menées afin que la justice s’exprime. C’est le PDCI qui doit s’organiser pour que la lumière soit faite sur la crise de 1999. Nous sommes restés passifs, sans entreprendre une véritable action pour enquêter sur le coup d’état de 1999 et c’est regrettable que cette date là ne soit pas prise en compte pour faire la lumière sur les malheureux évènements qui ont secoué la Côte d’Ivoire. Voyez-vous, sur insistance de l’opposition LMP, la CPI à défaut d’enquêter, a décidé d’ouvrir une information sur les évènements de 2002.
L’actualité, c’est aussi la mort du député-maire de Grand-Bassam, Jean-Michel Moulod et celle du colonel Kadhafi…
La mort du député-maire Moulod a été une perte pour le PDCI-RDA. C’est quelqu’un que je connaissais pour son humilité. Il y a de cela trois mois que nous avions pris rendez-vous, malheureusement, Dieu a décidé autrement. Que son âme repose en paix !
En tant qu’Africain, il est important de reconnaître ce que des dirigeants arabes dont le colonel Kadhafi ont fait pour l’Afrique noire. Il a dirigé pendant 42 ans la Libye. J’aurais préféré un retrait pacifique du pouvoir, avec l’appui de l’Union Africaine, du colonel Kadhafi. A mon avis, depuis environ quinze ans, cet homme avait changé. Il a partagé beaucoup avec certains pays africains tels que le Mali surtout, le Niger, le Burkina et le Bénin. Il a fait beaucoup de choses formidables pour ces pays. Pour moi, c’est le seul Arabe qui a vraiment pensé à l’Afrique noire. Il était infréquentable, 20 ,30 ans en arrière, mais depuis une quinzaine d’années, il avait changé. Je pense que les images de sa mort choquent. Je vous informe qu’à Paris, nous habitons le même immeuble que la famille Kadhafi. Nous sommes au rez-de-chaussée et sa famille a deux appartements, je crois bien au troisième et au quatrième. Chaque vacance, ses parents venaient et ils jouaient aussi avec nos enfants. Depuis la Saint été, ils ne sont pas venus. Du coup l’immeuble n’était pas trop animé. Mes enfants même l’ont ressenti et ils me l’ont dit. C’était triste.
A qui donc la faute ?
Ce que le colonel Kadhafi a donné à l’Afrique, le continent ne le lui a pas rendu. Il ne s’agissait en fait pour l’Afrique de lui rembourser quelque chose au cours de cette crise, mais c’était de le convaincre à laisser le pouvoir surtout que ses propres compatriotes demandaient son départ. Je ne suis pas politicien, mais je pense que c’était la meilleure solution.
Ne pensez-vous pas que sa mort risque de fragiliser l’Union Africaine ?
Je pense qu’au sein de l’Union Africaine, les prochaines réunions vont être un peu houleuses. Je crois que l’Afrique ne s’est pas suffisamment engagée pour que le colonel Kadhafi quitte le pouvoir pacifiquement.
Oumarou Kanozoé qui a laissé des traces dans la sous-région, a également quitté notre monde. Avez-vous connu l’homme?
Je connais l’homme depuis une vingtaine d’années. Parce que je suivais tout ce qu’il faisait dans le génie civil, dans les travaux publics, puisque moi-même j’étais un peu dans le secteur. C’est une grosse perte pour l’Afrique surtout pour le Burkina Faso où il a réalisé plusieurs actions. C’est rare de trouver ces personnes. C’était quelqu’un d’humble, travailleur et généreux. Il faisait même les appels d’offres à perte. L’essentiel, pour lui, était de trouver de l’emploi aux jeunes. C’est également une perte pour ceux qui, depuis des années, venaient, quotidiennement, prendre leur pain chez lui. C’est une perte surtout qu’il s’apprêtait à partager son savoir avec la Côte d’Ivoire en faisant des appels d’offres.
Réalisée par Dosso Villard