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Politique Publié le jeudi 17 novembre 2011 | Le Patriote

Interview / Pr Albert Tévoedrjè (Premier patron de l`ONU en Côte d`Ivoire) : “Je me suis trompé sur Gbagbo…”

Pr. Albert Tévoedrjè a été le premier représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies en Côte d'Ivoire, entre 2003 et 2005. Aujourd'hui, il est Médiateur de la République au Bénin, son pays. Il était lundi à l'accueil du Président Alassane Ouattara lors de sa visite d'amitié à son homologue Yayi Boni. Le lendemain, nous avons rencontré le Professeur dans ses bureaux de la Capitale Porto-Novo, à 30 km de Cotonou, pour parler de la Côte d'Ivoire. Entretien.


Le Patriote : Professeur, vous avez été l'un des premiers acteurs de la résolution de la crise ivoirienne en tant que premier représentant spécial de du secrétaire général des Nations Unies en Côte d'Ivoire, entre 2003 et 2005. La manière dont les choses se sont achevées vous a-t-elle surpris ?

Albert Tévoedrjè : Oui ! Cela m'a surpris, car je pensais quand même que la raison l'emporterait. Ce qui s'est passé à la fin était tout à fait, malheureusement, déraisonnable. Je crois qu'après la décision de l'Union Africaine, qui était la seule chance offerte à la Côte d'Ivoire pour sortir de la crise sans davantage de sang versé, on aurait dû prendre le chemin offert la Communauté internationale. Et notamment l'Union Africaine. Cela n'a pas été le cas. Il a fallu avoir recours à la force conjuguée des forces républicaines et du reste. J'ai été surpris qu'on ait été obligé d'aller jusque-là. Mais c'est fini. C'est fait. Il faut maintenant aller de l'avant.


Le Patriote : Il faut aller de l'avant vous avez dit. Le Président Ouattara a justement mis en place une Commission Dialogue Vérité et Réconciliation. Croyez-vous que cela soit possible sans la justice ?

Albert Tévoedrjè : Les deux ne sont pas incompatibles. J'ai suggéré que la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation ne soit pas uniquement qu'un prétoire. Il faut en faire une circonstance d'explication et d'apaisement en même temps qu'il faut s'occuper des blessés de la période postélectorale et même avant. Donc tout ce qu'on peut faire à Duékoué, à l'Ouest dans l'ensemble, à Abobo, en tout cas partout où la souffrance a été intense, pour apaiser les populations. C'est-à-dire qu'il faut résoudre les problèmes concrets de ces gens en termes de logement, de nourriture, d'installation, d'ouverture d'écoles, centre de santé, etc. Il est nécessaire que les deux aillent de paire. La discussion dans la Commission et en même temps la capacité des ressources humaines à se reconstituer, de se retrouver et d'oublier. Cela permettra à la Commission d'être écoutée. Si rien n'est fait au niveau des meurtris de la crise et qu'on reste uniquement dans le prétoire on finira par lasser les gens. Donc je suis sûr, je l'espère, que véritablement on va travailler beaucoup à la fois sur le plan de l'explication, mais surtout sur le plan des réparations, sur le plan de retrouver une bonne santé physique, mentale et sociale dans les endroits qui ont été les plus touchés par la situation.


Le Patriote : Cela est-il possible sans la libération de l'ancien Chef de l'Etat Laurent Gbagbo comme le réclament ses partisans ?

Albert Tévoedrjè : Cela, c'est une autre chose. Je n'ai pas à me mêler de cela. La justice doit faire son travail. Les problèmes sont ce qu'ils sont. Mais, j'ai confiance en la justice nationale et en la justice internationale pour traiter cela. Il y a des choses sur lesquelles il faut que la justice se prononce. La justice n'est pas incompatible avec la réconciliation. Et surtout, il est bon de traiter le cas de ceux qui sont arrêtés.


Le Patriote : vous pensez donc que la justice internationale a raison de s'intéresser au cas de M. Gbagbo?

Albert Tévoedrjè : Pas raison…ce n'est pas mon rôle. Vous savez, je ne suis pas Ivoirien. Je ne suis qu'un ami de la Côte d'Ivoire. Je souhaite véritablement que le chemin qui est pris, où la sécurité revient, je l'espère, où la distance, l'oubli et autres permettent aux gens de se retrouver. Je suis sûr qu'après janvier, février, lorsque l'Assemblée Nationale sera installée, les choses iront de mieux en mieux. La Côte d'Ivoire doit se remettre au travail, elle doit avancer.


Le Patriote : Que pensez-vous vraiment de l'attitude de Laurent Gbagbo ?

Albert Tévoedrjè : Vous savez, si cela avait été moi, après le verdict de l'Union Africaine, je serai parti. Evidemment., apres l'Union Africaine qui donnait la dernière chance, je serais parti. Cela donnait la possibilité de beaucoup de choses. Sur le plan politique, sur le plan de l'histoire, sur le plan de modèle à donner aux jeunes générations. C'était évident. Il ne l'a pas fait. Il a fait un autre choix.


Le Patriote : Vous l'avez fréquenté entre 2003 et 2005…

Albert Tévoedrjè : Ah ! Moi, je pensais qu'à la fin avec l'Union Africaine, il aurait trouvé un accommodement. Eh bien ! Je me suis trompé.


Le Patriote : Aujourd'hui, à sa place, que diriez-vous à ses partisans ?

Albert Tévoedrjè : Vous savez, il y a la parole formelle et la parole quotidienne. Je sais qu'il y aura des députés de son camp qui seront à l'Assemblée nationale, ils auront un groupe parlementaire et ils vont jouer un rôle politique.


Le Patriote : Le FPI absent au Parlement, cela n'entrainera-t-il pas une nouvelle crise ?
Albert Tévoedrjè : Il peut y avoir une crise. Mais il n'y a pas que cette option. La vie continue en Côte d'Ivoire. Nous sommes tous précaires et révocables.


Le Patriote : Pourquoi, lorsque vous étiez à la tête de l'ONU en Côte d'Ivoire, ça n'a pas marché ?

Albert Tévoedrjè : Ça a marché ! J'ai sorti un livre avec votre confrère Venance Konan : ''Un frère parmi nous''. Lisez-le. Tout ce que nous avions prévu, il n'a rien fait d'autres.


Le Patriote : Mais il y a eu novembre 2004…

Albert Tévoedrjè : Certes, mais novembre 2004 et même novembre 2005 quand je quittais la mission, tout était terminé. Et il n'y a rien eu de plus après. Donc, moi, mon travail était terminé. C'était la volonté des intéressés d'appliquer ce que nous avons décidé. Ils ont fini par le faire après des années. Apres, ça s'est mal terminé du point de vue de la démarche. Si en ce moment-là, les élections avaient été organisées, Gbagbo avait des chances de gagner. Mais légèrement. Et il a laissé le temps passé, les autres se rapprocher et avoir un peu plus que lui. (Ndlr : il reçoit un coup de fil du Président Boni Yayi). Vous savez, j'aime bien la Côte d'Ivoire. C'est un pays moteur. Je suis content de ce que le Président Ouattara entreprend. Il est venu ici pour la relance du Conseil de l'Entente. Il faut que votre pays reprenne son rôle. C'est un pays moteur. Je crois que ceux qui essaient de prendre votre place vont baisser un peu le caquet. Il faut que la Côte d'Ivoire se retrouve, économiquement d'abord, ensuite internationalement et prenne des positions africaines un peu plus fortes. Il ne faut pas être tout le temps à l'écoute des Américains ou des Français. Il faut reprendre votre rôle.


Le Patriote : Parlant justement de leadership, quelle est votre appréciation des chutes en cascade de Ben Ali, Gbagbo, Moubarak, Kadhafi...

Albert Tévoedrjè : Tout Pouvoir livré à lui-même fini par devenir fou. C'est évident que ça ne pouvait que se passer ainsi. Ce n'est pas moi qui vais les plaindre. Pas les dictateurs et les gens qui veulent rester au Pouvoir tout le temps. Ce n'est pas possible.


Le Patriote : Nous avons pourtant senti un attachement à Kadhafi, ici au Bénin…

Albert Tévoedrjè : Ah ! Certains oui. Certains qui voient sans doute leur présent. Mais pourquoi s'accrocher ? C'est terrible, je ne comprends pas. C'est vrai que dans ce métier, à un moment donné on devient fou.


Le Patriote : En quoi consiste votre rôle de médiateur ?

Albert Tévoedrjè : Vous en avez un en Côte d'Ivoire. C'est pareil. Je suis celui qui est au carrefour des conflits entre les citoyens et l'administration. Je suis au carrefour, en ce qui concerne la région, d'un certain nombre de démarches, confidentielles souvent, pour régler des problèmes en Côte d'Ivoire, au Niger et ailleurs. Je suis très consulté. Je passe mes dernières années, j'ai 82 ans cette année, c'est manière de terminer ma vie en offrant mes services à la jeunesse, à la réconciliation et à la paix. L'Afrique a besoin de se ressaisir. Nous sommes contents en tout cas de la Côte d'Ivoire. Nous sommes libérés, nous sommes libérés d'une situation qui gênait toute la région. Nous n'avons pas la chance de faire les choses sérieusement, de nous développer avec la Côte d'Ivoire en guerre. Nous sommes tous là-bas. Il n'existe pas de béninois qui n'ait pas de parents en Côte d'Ivoire. Je demande aux politiques de profiter de la leçon pour les dix ans à venir. Et de ne plus jamais commencer. Profiter des dix ans à de ne plus jamais recommencer. Que tout le monde joue sa partition dans la réconciliation et la reconstruction, les religieux, les politiques, la société civile etc. Personne ne doit être indifférent.

Réalisée par KIGBAFORY Inza
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