Avec la réaction plus que tiède dans l’ensemble, des journalistes ivoiriens et des organisations professionnelles de la presse en Côte d’Ivoire sur ce qu’il convient d’appeler « l’affaire des trois journalistes de Notre Voie », le constat est fait qu’il y a des corporations plus aptes que d’autres à défendre dans les faits, leurs droits à l’existence. En novembre 2008, l’ancien procureur de la République Raymond Tchimou avait envoyé des policiers interpeller à son cabinet, un avocat du barreau ivoirien qui plus est, était un ancien bâtonnier. Comme un seul homme, l’ensemble des avocats, amenés par le bâtonnier en exercice de l’époque maître Claude Mentenon, avaient fait échec à cette arrestation avant de dénoncer de la façon la plus virulente mais pacifiquement, cette tentative de « violation d’un cabinet d’avocat », ordonnée par un procureur de la République au mépris de la loi. Dans le conflit qui s’en est suivi, les magistrats du parquet, dans un esprit de corps, avaient fait bloc derrière le procureur. Les avocats également, derrière maître Assi, leur confrère, sans se préoccuper outre-mesure de son appartenance politique. Pendant près d’une semaine, ce conflit avait paralysé le tribunal de première instance d’Abidjan. Finalement, magistrats et avocats ont été reçus par l’ancien président Laurent Gbagbo et le conflit pris fin. On retient de cette affaire une leçon fondamentale : lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts d’une corporation, aucun petit calcul ne doit prospérer. Si les avocats n’avaient pas réagi comme ils l’ont fait, ç’en était fini de leur tranquillité. N’importe quel magistrat pourrait envoyer désormais, n’importe quel quidam interpeller un avocat dans son cabinet et le conduire manu militari au violon. Mais une telle solidarité devant les menaces répétées contre leurs intérêts n’existe pas au niveau de la presse ivoirienne. Depuis le vote de la loi de 2004 portant régime juridique de la presse, laquelle loi exclut la peine d’emprisonnement pour les journalistes pour les délits commis dans l’exercice de leurs fonctions, le parquet d’Abidjan, sous le procureur Tchimou, n’a cessé d’emprisonner les journalistes. Et chaque fois, devant ces violations de la loi sur la presse, les journalistes ont réagi en fonction de leur appartenance politique. Quand Nanankoua Gnamantêh de «Le Nouveau Réveil » avait été arrêté en mars 2009, alors que les journaux proches du Rhdp dénonçaient cette arrestation, les journaux proches de Lmp écrivaient plutôt que ce dernier n’était pas journaliste. En 2010, trois journalistes de « Le Nouveau Courrier », journal proche de Gbagbo seront arrêtés à leur tour. Gênés aux entournures, les journaux pro-Gbagbo ne savaient quoi écrire, alors qu’il s’agissait d’une inacceptable violation de la loi sur la presse. Heureusement dans les deux affaires, les journalistes avaient recouvré la liberté après jugement, mails ils avaient passé de nombreux jours en prison, ce que la loi sur la presse était censée avoir aboli. Aujourd’hui, le pouvoir ayant changé de camp, ce sont trois journalistes d’un quotidien proche de l’ancien président qui sont derrière les barreaux. Pour les conduire à la Maca, le parquet, comme sous Tchimou Raymond, a utilisé le même procédé. Il les poursuit non pas pour délit de presse, mais pour délit commis par voie de presse. Juste un petit jeu de mots pour contourner la loi. Poursuivis dans un premier temps pour « délit d’offense au chef de l’Etat et d’atteinte à l’économie nationale », infractions sur la base desquelles ils avaient été arrêtés le 24 novembre, c’est finalement sous de nouveaux chefs d’accusations qu’ils ont été placés sous mandat de dépôt et écroués à la Maca. Et d’ici la fin de la semaine, ils répondront des faits d’ « incitation au vol et au pillage, et de destruction des biens d’autrui, par voie de presse ». Ce n’est donc pas en leur qualité de journalistes que le parquet entend les présenter devant le tribunal mais en qualité de simple citoyens voire de simples vandales. C’est ce que le procureur Tchimou avait tenté de faire avec les journalistes de « Le nouveau Courrier » qu’il a poursuivis non pas pour délit de presse mais pour « vol de documents administratifs », donc une infraction de droit commun. Et c’est devant ce genre de pratiques que la réaction des journalistes en général et des organisations professionnelles de ce secteur de métier nous apparaît totalement scandaleuse. Tout se passe comme si, étouffés par leurs compromissions politiques et politiciennes, les journalistes ne réalisent pas clairement les dangers qui menacent leur métier. Une loi les protège dans l’exercice de leur fonction mais la justice, sans que cette loi ne soit abrogée, a trouvé la tactique pour les emprisonner chaque fois qu’elle le souhaite, sans qu’ils ne bronchent. Sans que de façon unanime, ils ne condamnent cette façon de faire qui laisse planer constamment une épée de Damoclès sur leur tête. Hier, c’était Tchimou Raymond avec le pouvoir Gbagbo. Aujourd’hui, c’est Koffi Simplice avec le pouvoir Ouattara. Et c’est chaque fois le même procédé. Journalistes de Côte d’Ivoire, sommes-nous vraiment conscients de ce qui nous arrive ? Notre métier est en danger de mort !
Antoine Assalé Tiémoko
Directeur général de la SNECI, éditrice de « L’Eléphant Déchaîné ».
22 52 47 68/01 26 02 62
infos@lelephantdechaine.com
www.lelephantdechaine.com
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