Prévu pour 13h ce mardi 6 décembre 2011, c’est finalement à 14h45min que les trois journalistes de Notre Voie ont quitté le box des accusés où ils avaient pris place en compagnie d’autres détenus dont des bandits de grands chemins pour se présenter à la barre. Tour à tour, les prévenus (nos collègues) ont tenu dans un premier temps à préciser qu’ils étaient tous des journalistes professionnels. Après quoi, le procureur, Mme Désirée Tahou, a lu le chef d’accusation pour lequel les trois journalistes comparaissent à l’audience des flagrants délits. A savoir «incitation à des infractions pénales par voie de presse». Selon elle, ce chef d’accusation vise l’article 69 de la loi portant régime juridique de la presse, relatif au délit commis par voie de presse. Une disposition, au dire de Mme Tahou, qui stipule que ceux qui incitent «au vol, au pillage, à la destruction de biens publics et privés par voie de presse», allusion faite à nos trois collègues, sont passibles de peines prévues par les articles 174 et 175 du Code pénal (1 à 5 ans d’emprisonnement). A peine a-t-elle fini de lire le chef d’accusation que la salle réagit par une bronca désapprobatrice. Cela n’est pas du goût du président du tribunal. «Faites du silence !», ordonne-t-il. Puis il demande aux trois journalistes s’ils reconnaissent les faits à eux reprochés. Ces derniers les réfutent catégoriquement. Le président Kouamé Yao demande à Boga Sivori s’il est l’auteur de l’article intitulé «Alassane Ouattara s’offre 40 Mercédès à plus d’1 milliard alors que les Ivoiriens ont faim», ce qu’il recherchait, ce qu’il entendait par là et d’où il tirait ces informations. Boga Sivori a répondu en ces termes. «Oui, c’est moi qui ai écrit l’article, c’est une information de La Lettre du Continent que j’ai reprise et j’ai même indiqué ma source puisque l’information ne venait pas de moi et mon objectif, c’était d’informer la population». Le président du tribunal demande au journaliste pourquoi il n’écrit pas que Alassane Ouattara a doté son gouvernement de véhicules et pourquoi il ne propose pas une autre formulation au lieu de dire : «Ouattara s’offre». Boga Sivori réagit en soutenant qu’Alassane Dramane Ouattara est le garant de l’Etat de Côte d’ Ivoire et ne comprend pas l’opportunité d’achat de 40 Mercedes au moment où le pays sort de la crise. Puis le président du tribunal pose la question de savoir si celui qui vient regarder les titres dans les kiosques peut comprendre les choses de cette manière. «Quelle était votre intention ?», lance-t-il. «Si quelqu’un ne doute pas qu’Alassane Ouattara est le chef de l’Etat, il peut comprendre cela», répond le journaliste. «Est-ce qu’il n’y avait pas d’arrière-pensée ?», questionne à nouveau le président du tribunal. Le journaliste répond par la négative. Avant d’ajouter que l’argent des 40 Mercedès pouvait servir à acheter des médicaments pour soigner les Ivoiriens. Il en veut pour preuve le manque de médicaments, une situation qui a provoqué une grève dans les hôpitaux. Comme le président du tribunal insiste longuement pour savoir ce que le journaliste recherchait, le chef du service politique de Notre Voie a indiqué qu’il s’agit pour lui d’attirer l’attention des gouvernants sur les problèmes que vivent les Ivoiriens. De sorte qu’ils puissent orienter et sérier les actions les plus importantes en cette période de récession économique et non pour inciter à la révolte. Surtout qu’il a été, lui-même, victime de pillage pendant la crise et qu’il n’est pas question pour lui de réveiller les vieux démons. Boga Sivori rappelle alors que 322 agents de la Rti ont été jetés à la rue et que plus de 1400 autres de la présidence de la République ont subi le même sort. Il n’a pas le temps d’aller jusqu’au bout de ses idées ou d’étayer ses propos que le président de l’audience lui demande d’arrêter. «Les questions sont simples. Répondez par oui ou non», fait remarquer le parquet représenté par Mme Tahou. Après Boga Sivori, le président du tribunal a demandé à Didier Dépry, l’auteur de l’article sur la possible dévaluation du Franc Cfa, s’il avait les preuves de ces écrits. Le journaliste a dit qu’il voulait ainsi participer au débat sur la question et informer la population. Mais qu’il a pris soin de s’informer auprès de sources diverses avant de publier son article. «Mais évidemment, comme l’exige ma profession de journaliste, je ne dévoilerai pas mes sources», a précisé Didier Depry. Le président du tribunal de renchérir : «la diffusion de cette information peut porter atteinte à l’économie d’un pays. Quel objectif visiez-vous ?». «Mon objectif était d’informer la population. Mon intention n’a jamais été, monsieur le président, d’inciter à la révolte. J’ai voulu simplement informer la population et participer au débat », répond le journaliste. A César Etou, le Directeur de publication de Notre Voie, lui aussi journaliste professionnel, le président du tribunal a demandé s’il a lu les différents articles avant leur parution. Il a répondu par l’affirmative avant de soutenir que les faits sont avérés. César Etou tente d’expliquer l’utilisation du verbe «offrir». Le président du tribunal, Yao Kouamé Philippe, fait remarquer qu’il est inutile de disserter sur la question. A propos de l’article sur la dévaluation du Fcfa, César Etou a soutenu que l’information n’a pas porté atteinte à l’économie du pays. Puisqu’il n’y a eu aucune manifestation ni de soulèvement après la publication de l’article. Il a pris l’exemple de l’année 1993 où tous les médias ont fait cas de la dévaluation future du Fcfa. Pour lui, cette information avait suscité des débats, et que malgré les démentis des gouvernements et des experts en la matière, le Fcfa a été dévalué le 1er janvier 1994. Malgré l’insistance du tribunal qui voulait à tout prix savoir les objectifs que visaient les journalistes en écrivant leurs papiers, ils ont tous répondu que leur seule intention était d’informer. A ce procès, de nombreux avocats se sont constitués pour assurer la défense des journalistes de Notre Voie. Il s’agit de Maîtres Serges Essouo, Dako Zahoui, Dago Djiriga et Félix Boblé. Les avocats Dako Zahoui et Félix Boblé font, par ailleurs, partie du collectif ivoirien des avocats du Président Laurent Gbagbo.
Vincent Deh
Vincent Deh