Journaliste-vedette à RFO Martinique, Serge Bilé est aussi un auteur qui dérange avec ses livres. De passage à Abidjan, dans le cadre du festival CINE DROIT LIBRE 2011, il a bien voulu se confier, sans détours, au Patriote. Entretien à bâtons rompus.
Le Patriote : On vous colle une étiquette d'écrivain polémiste. La revendiquez-vous ?
Serge Bilé : Non, je ne revendique rien. Je suis un auteur, je préfère ce mot à celui d'écrivain. Quand on est auteur, cela permet d'écrire des livres des documentaires et aussi des chansons. Je me sens bien dans cette formulation. Il se trouve aussi qu'à travers le travail de recherche que je peux faire pour les livres, j'en viens à écrire des livres sur des pans cachés de certaines choses historiques que presque personne n'a abordées. Et quand vous proposez la nouveauté, ça crée toujours un choc, un étonnement et suscite l'interrogation de ceux qui veulent rester dans le conventionnel et qui ne veulent pas que les choses bougent. Moi je n'y peux rien. Les thèmes que j'aborde sont ancrés dans l'histoire, ce ne sont pas des choses que j'invente. A partir de là, il faut que ceux qui s'opposent à cela finissent par reconnaître qu'une vérité, on peut la cacher avec sa main, mais on ne peut pas la cacher indéfiniment comme le soleil.
L.P : Vos écrits, il faut l'avouer, dérangent quand même…
S.B : Ce que je note, c'est qu'au début, j'avais une résistance de la part de quelques historiens. Les historiens sont dans un processus assez nombriliste qui consiste à dire : « nous sommes sur notre plate-bande et il ne faudrait pas que quelqu'un vienne marcher dessus, en l'occurrence les journalistes». Aujourd'hui, ça change. Je pense que les gens ont compris l'intérêt et la qualité du travail. D'ailleurs, j'ai collaboré, sur mon avant-dernier livre qui s'intitule « Paroles d'esclavage » avec un historien français. Un sociologue se sert de mon livre « La légende du sexe surdimensionné des Noirs », comme base de travail, quand il parle de sexualité. Il faut que ça bouge et ne pas soucier des étiquettes.
L.P : Le caractère dérangeant de vos livres ne referme t-il pas des portes sur vous ?
S.B : En termes de recherche, ça tient à la volonté d'une personne. Si vous cherchez timidement, vous trouverez timidement. Si vous cherchez avec beaucoup de férocité, de passion et d'envie, vous trouverez toujours ce que vous cherchez. A ce niveau là, il n'y a donc pas de problèmes. Maintenant que des portes puissent se refermer ailleurs ? Oui. Quand j'ai fait un procès à une grande chaîne comme France Télévisions en 2005 lorsqu'ils m'ont refusé le prix parce que quelques petits historiens qui étaient portés sur la déportation des juifs et ne voulaient pas entendre parler de celle des Noirs, ont essayé d'escamoter mon travail. J'ai intenté un procès que j'ai gagné. Et France Télévisions a été condamnée à me payer 12 000 euros (soit 7,8 millions de FCFA). Conséquence, je peux avoir très peu de médias par rapport à mes livres. Franchement, je m'en fous. Ce qui est important, c'est ce que j'ai à faire mais pas comment un microcosme peut l'accueillir. L'essentiel, c'est que le travail soit fait et je l'ai fait. Il faut qu'on reste dans cette perspective : on ne fait pas le travail pour être reconnu, mais plutôt parce qu'il faut le faire. Chacun, à un moment donné, se trouve dans sa trajectoire personnelle à la place qu'il faut, pour faire telle ou telle chose.
L.P : D'aucuns vous reprochent de jouer subtilement sur la corde de la polémique pour vous faire remarquer davantage…
S.B : Ils peuvent dire ce qu'ils veulent. Mais, j'ai toujours été comme ça. Ici, avant même que je ne sorte mes livres, je prenais courageusement position pour dire des choses. Je n'avais rien à gagner en prenant position pour des gens qui sont en prison. Mettre les pieds dans le plat est ma nature. Dévoiler ce qu'on ne veut pas dévoiler, c'est ma façon d'être. Je ne le fais pas en voulant faire du mal. J'ai toujours un principe : quand je critique, je ne critique jamais les individus en tant que tels, je critique les actes et les actions. C'est une démarche que je respecte. Les gens peuvent dire ce qu'ils veulent. Ça m'importe peu.
L.P : Comment le Vatican a t-il réagi face à votre livre « Et si Dieu n'aimait pas les Noirs : enquête sur le racisme au Vatican » ?
S.B : Ils ont réagi positivement, parce que dans le livre, je donne la parole à des professeurs de l'Université du Vatican, qui disaient que la situation n'était pas forcément extraordinaire mais méritait qu'il y ait quelques changements. Après la parution du livre, un Africain a été nommé vice-recteur de l'Université du Vatican. En revanche, les réactions africaines et antillaises ont été complètement négatives. Ce que je trouve extraordinaire. Ceux, qui sont mis en accusation, réagissent positivement en disant qu'on va changer telle ou telle chose. Je trouve cela formidable. Paradoxalement, ceux qui sont des représentants des victimes de la chose, réagissent négativement comme, ils avaient besoin de porter secours aux Européens. Il faut arrêter.
L.P : Que pensez-vous de la liberté d'expression en Côte d'Ivoire ?
S.B : La liberté d'expression est ce qu'on en fait. Si c'est pour prendre une parole pour insulter, très franchement, je pense que cette parole ne mérite pas d'être entendue. Pour moi, ce n'est pas la liberté d'expression, même si on peut toujours ergoter sur ça. Mais la liberté d'expression qui consiste à permettre à toutes les parties, quelles qu'elles soient, de dire ce qu'elles ont à dire dans un pays et dans un conflit, oui. C'est quelque chose de primordial. Je ne suis attaché qu'à une seule chose pour l'instant : la défense des journalistes. Sous l'ancien régime, j'ai eu à donner de la voix quand des journalistes ont été jetés en prison, et sous l'actuel régime, j'ai été aussi opposé au fait qu'ils mettent des journalistes en prison, notamment ceux de « Notre Voie ». Sur la question, quel que soit le gouvernement, je resterai intransigeant.
L.P : Comment analysez-vous justement l'alternance en Côte d'Ivoire?
S.B : Le fait qu'on puisse changer de gouvernement ou de président de façon régulière est une chance pour la Côte d'Ivoire. Je note qu'actuellement, un nouveau pouvoir s'installe et qu'il y a une petite chasse aux sorcières ici et là, des gens sont privés de télévision, de médias et que finalement, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas bien parce que les gens qui soutiennent le gouvernement en place, se croient toujours permis d'aller faire une chasse aux sorcières à ceux qui étaient là avant. Et ça ce n'est pas une bonne chose. Chacun a voté pour qui il devait voter, pris ses positions tel qu'il voulait les prendre. Maintenant, on doit travailler pour le bien du pays et le faire avancer. L'alternance est une bonne chose pour la Côte d'Ivoire parce qu'elle oblige à mettre le curseur un peu plus haut en termes de démocratie. Là, on arrive avec un président qui met le curseur à un certain niveau. Celui qui va arriver dans cinq ans, je ne sais pas si ce sera le même ou un autre, va mettre le curseur un peu plus haut. Et ainsi de suite. L'alternance nous habitue à travailler en démocratie, et un jour on ne sera même plus étonné que les gouvernements changent en Côte d'Ivoire. Cette peur, qui a suscité des réactions hostiles parfois xénophobes, n'aura plus de raison d'être. Il faut donc promouvoir l'alternance et faire en sorte qu'à travers cette alternance, on puisse juger la capacité d'un gouvernement à pouvoir conduire honnêtement les affaires sans vol. Ce n'est pas dans la chasse aux sorcières qu'on avance, mais plutôt dans une alternance réfléchie et mesurée.
Réalisée par Y. Sangaré
Le Patriote : On vous colle une étiquette d'écrivain polémiste. La revendiquez-vous ?
Serge Bilé : Non, je ne revendique rien. Je suis un auteur, je préfère ce mot à celui d'écrivain. Quand on est auteur, cela permet d'écrire des livres des documentaires et aussi des chansons. Je me sens bien dans cette formulation. Il se trouve aussi qu'à travers le travail de recherche que je peux faire pour les livres, j'en viens à écrire des livres sur des pans cachés de certaines choses historiques que presque personne n'a abordées. Et quand vous proposez la nouveauté, ça crée toujours un choc, un étonnement et suscite l'interrogation de ceux qui veulent rester dans le conventionnel et qui ne veulent pas que les choses bougent. Moi je n'y peux rien. Les thèmes que j'aborde sont ancrés dans l'histoire, ce ne sont pas des choses que j'invente. A partir de là, il faut que ceux qui s'opposent à cela finissent par reconnaître qu'une vérité, on peut la cacher avec sa main, mais on ne peut pas la cacher indéfiniment comme le soleil.
L.P : Vos écrits, il faut l'avouer, dérangent quand même…
S.B : Ce que je note, c'est qu'au début, j'avais une résistance de la part de quelques historiens. Les historiens sont dans un processus assez nombriliste qui consiste à dire : « nous sommes sur notre plate-bande et il ne faudrait pas que quelqu'un vienne marcher dessus, en l'occurrence les journalistes». Aujourd'hui, ça change. Je pense que les gens ont compris l'intérêt et la qualité du travail. D'ailleurs, j'ai collaboré, sur mon avant-dernier livre qui s'intitule « Paroles d'esclavage » avec un historien français. Un sociologue se sert de mon livre « La légende du sexe surdimensionné des Noirs », comme base de travail, quand il parle de sexualité. Il faut que ça bouge et ne pas soucier des étiquettes.
L.P : Le caractère dérangeant de vos livres ne referme t-il pas des portes sur vous ?
S.B : En termes de recherche, ça tient à la volonté d'une personne. Si vous cherchez timidement, vous trouverez timidement. Si vous cherchez avec beaucoup de férocité, de passion et d'envie, vous trouverez toujours ce que vous cherchez. A ce niveau là, il n'y a donc pas de problèmes. Maintenant que des portes puissent se refermer ailleurs ? Oui. Quand j'ai fait un procès à une grande chaîne comme France Télévisions en 2005 lorsqu'ils m'ont refusé le prix parce que quelques petits historiens qui étaient portés sur la déportation des juifs et ne voulaient pas entendre parler de celle des Noirs, ont essayé d'escamoter mon travail. J'ai intenté un procès que j'ai gagné. Et France Télévisions a été condamnée à me payer 12 000 euros (soit 7,8 millions de FCFA). Conséquence, je peux avoir très peu de médias par rapport à mes livres. Franchement, je m'en fous. Ce qui est important, c'est ce que j'ai à faire mais pas comment un microcosme peut l'accueillir. L'essentiel, c'est que le travail soit fait et je l'ai fait. Il faut qu'on reste dans cette perspective : on ne fait pas le travail pour être reconnu, mais plutôt parce qu'il faut le faire. Chacun, à un moment donné, se trouve dans sa trajectoire personnelle à la place qu'il faut, pour faire telle ou telle chose.
L.P : D'aucuns vous reprochent de jouer subtilement sur la corde de la polémique pour vous faire remarquer davantage…
S.B : Ils peuvent dire ce qu'ils veulent. Mais, j'ai toujours été comme ça. Ici, avant même que je ne sorte mes livres, je prenais courageusement position pour dire des choses. Je n'avais rien à gagner en prenant position pour des gens qui sont en prison. Mettre les pieds dans le plat est ma nature. Dévoiler ce qu'on ne veut pas dévoiler, c'est ma façon d'être. Je ne le fais pas en voulant faire du mal. J'ai toujours un principe : quand je critique, je ne critique jamais les individus en tant que tels, je critique les actes et les actions. C'est une démarche que je respecte. Les gens peuvent dire ce qu'ils veulent. Ça m'importe peu.
L.P : Comment le Vatican a t-il réagi face à votre livre « Et si Dieu n'aimait pas les Noirs : enquête sur le racisme au Vatican » ?
S.B : Ils ont réagi positivement, parce que dans le livre, je donne la parole à des professeurs de l'Université du Vatican, qui disaient que la situation n'était pas forcément extraordinaire mais méritait qu'il y ait quelques changements. Après la parution du livre, un Africain a été nommé vice-recteur de l'Université du Vatican. En revanche, les réactions africaines et antillaises ont été complètement négatives. Ce que je trouve extraordinaire. Ceux, qui sont mis en accusation, réagissent positivement en disant qu'on va changer telle ou telle chose. Je trouve cela formidable. Paradoxalement, ceux qui sont des représentants des victimes de la chose, réagissent négativement comme, ils avaient besoin de porter secours aux Européens. Il faut arrêter.
L.P : Que pensez-vous de la liberté d'expression en Côte d'Ivoire ?
S.B : La liberté d'expression est ce qu'on en fait. Si c'est pour prendre une parole pour insulter, très franchement, je pense que cette parole ne mérite pas d'être entendue. Pour moi, ce n'est pas la liberté d'expression, même si on peut toujours ergoter sur ça. Mais la liberté d'expression qui consiste à permettre à toutes les parties, quelles qu'elles soient, de dire ce qu'elles ont à dire dans un pays et dans un conflit, oui. C'est quelque chose de primordial. Je ne suis attaché qu'à une seule chose pour l'instant : la défense des journalistes. Sous l'ancien régime, j'ai eu à donner de la voix quand des journalistes ont été jetés en prison, et sous l'actuel régime, j'ai été aussi opposé au fait qu'ils mettent des journalistes en prison, notamment ceux de « Notre Voie ». Sur la question, quel que soit le gouvernement, je resterai intransigeant.
L.P : Comment analysez-vous justement l'alternance en Côte d'Ivoire?
S.B : Le fait qu'on puisse changer de gouvernement ou de président de façon régulière est une chance pour la Côte d'Ivoire. Je note qu'actuellement, un nouveau pouvoir s'installe et qu'il y a une petite chasse aux sorcières ici et là, des gens sont privés de télévision, de médias et que finalement, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas bien parce que les gens qui soutiennent le gouvernement en place, se croient toujours permis d'aller faire une chasse aux sorcières à ceux qui étaient là avant. Et ça ce n'est pas une bonne chose. Chacun a voté pour qui il devait voter, pris ses positions tel qu'il voulait les prendre. Maintenant, on doit travailler pour le bien du pays et le faire avancer. L'alternance est une bonne chose pour la Côte d'Ivoire parce qu'elle oblige à mettre le curseur un peu plus haut en termes de démocratie. Là, on arrive avec un président qui met le curseur à un certain niveau. Celui qui va arriver dans cinq ans, je ne sais pas si ce sera le même ou un autre, va mettre le curseur un peu plus haut. Et ainsi de suite. L'alternance nous habitue à travailler en démocratie, et un jour on ne sera même plus étonné que les gouvernements changent en Côte d'Ivoire. Cette peur, qui a suscité des réactions hostiles parfois xénophobes, n'aura plus de raison d'être. Il faut donc promouvoir l'alternance et faire en sorte qu'à travers cette alternance, on puisse juger la capacité d'un gouvernement à pouvoir conduire honnêtement les affaires sans vol. Ce n'est pas dans la chasse aux sorcières qu'on avance, mais plutôt dans une alternance réfléchie et mesurée.
Réalisée par Y. Sangaré