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Société Publié le mardi 10 janvier 2012 | Nord-Sud

Scandale au marché du forum d’Adjamé : Elles accouchent dans les ordures

La conjoncture a fait du marché du forum d’Adjamé le nid des vices. Fin 2009, nous publiions un reportage à scandale sur des mineures qui s’y livrent à une forme de « prostitution à ciel ouvert ». Aujourd’hui, ces mêmes filles prennent des grossesses en masse, accouchent et… vendent leurs gosses.

Le dimanche 08 janvier 2012, il est presque 23h quand une fille presque nue, frappe à la porte de l’Ong Cavoequiva, sise à Adjamé-liberté, en face de la maternité Mamie-Thérèse. La structure à but non lucratif fait dans la protection des personnes démunies. La visiteuse nocturne qui le sait, porte une grossesse à terme. Elle va accoucher dans les minutes qui suivent et a urgemment besoin d’aide. Les hommes d’Irié Bi Clément, le président de l’Ong, la conduise aussitôt à la maternité Mamie-Thérèse. Hier, pendant que nous mettions sous presse, elle avait réussi à accoucher mais souffrait de déchirures qui risquaient de s’infecter. « Nous ne savons pas encore ce que nous allons faire d’elle », soupire Irié Bi Clément qui dit être débordé par de multiples cas de ce genre. Cas dont il est obligé de s’en occuper, aux frais de Cavoequiva, qui signifie unissons-nous.

Elles dorment dans les ordures
D’où vient cette fille ? A des centaines de mètres de là : au marché du forum d’Adjamé. Là, entre les gigantesques murs de béton des commerces érigés en hauteur, mêlées à la cohue de vendeurs et de clients, elles viennent passer leurs journées. Le premier constat est frustrant. Aucun changement significatif depuis la publication de notre premier article sur le sujet, il y a un peu plus de deux ans. Celles qu’on appelle « bakôrômane », «prostituées, ou encore « filles de rue », sont toujours là. A ceci près qu’elles préfèrent maintenant rester discrètes le jour. Mais les commerçants les indexent à qui veut les rencontrer. « Les voilà couchées là-bas ; tenez, voilà une qui passe avec son enfant…» À l’occasion des fêtes de fin d’année, elles se sont toutes ou presque, faites belles : faux cils, mascara à outrance, rouge à lèvres…et il y a encore du maquillage en réserve pour tenir encore des jours. Leurs âges varient entre 10 et 17 ans.

Celles qui attirent le plus l’attention, c’est un groupe de cinq filles, couchées dans un couloir obscur destiné à des cordonniers et de bouchers qui y travaillent. A côté, des ordures qui n’ont pas été ramassées depuis belle lurette et qui traînent leur lot d’odeur, de mouches et des moustiques. Et Dieu seul sait quoi encore. Sans compter la fumée dégagée par un barbecue sur lequel des bouchers braisent sans ménagement des pattes de bœuf. Les cartons sur lesquels les filles dorment sont recouverts de pagne, quand elles le peuvent. Mais là n’est pas le drame: à côté d’elles, trois bébés dont l’âge varie entre 3 et six mois, sont totalement exposés. Difficiles de réveiller les filles quand elles dorment. Elles n’en ont pas l’occasion la nuit. Lorsque le soleil se couche, elles quittent l’endroit. La plupart doivent fréquenter les gares routières et des marchés nocturnes avec tous les risques d’agression que cela comporte, pour se livrer au premier venu. Quand ce n’est pas pour avoir leur pitance quotidienne, c’est sous la contrainte de ceux qu’Irié Bi Clément qualifie de « boy-friends ». C’est-à-dire, des sortes de « gros bras », qui les envoient se prostituer pour ensuite leur arracher la recette. Mais les « boy-friends » sont le moindre mal pour ces filles… L’une d’elles, appelons-la Ami, arrive soudain, avec un bébé de six mois au dos. Elle est surprise de nous voir là. Contrairement aux autres, Ami a eu le temps de dormir. Avant toute conversation, il faut la rassurer que nous venons pour tenter de leur venir en aide. On lui donnerait facilement 10 ans vu sa petite silhouette, mais elle en a 16. Est-ce son gosse qu’elle porte au dos? Oui, répond-elle. Il a six mois et il s’appelle Ismaël. De qui est-il? Son copain, poursuit Ami. Et qui est ce copain ? Plus de réponse. Alors que les autres filles dorment toujours, nous lui demandons si les trois bébés couchés sur le carton sont d’elles. Evidemment, s’empresse-t-elle de répondre.
Elles vendent leurs bébés

Leur père ? Elle n’en sait rien. Comment ont-elles accouché? A la maison, dit-elle. Mais quelle maison puisqu’elles n’en ont pas. Elles dorment sous des hangars de commerces au marché Gourou, appelés « Maison blanche ». Au dire des commerçants, plusieurs de ces jeunes filles ont accouché au marché, parmi les ordures. Ami dément qu’il ne s’agit que d’un seul cas. L’une d’elles qu’on appelle Fatou a créé un scandale récemment au marché, alors qu’elle portait une grossesse à terme, explique-t-elle. Elle a accouché au marché. Sans aucun soin médical. Par miracle, elle et son enfant ont survécu. Mais c’est tout, tente-t-elle de rassurer. Peu après, trois des filles se réveillent. Elles veulent que nous quittions immédiatement les lieux. Et refusent qu’Ami réponde à d’autres questions. Le bruit court dans le marché que le cas de Fatou n’est pas unique. Plusieurs d’entre elles accouchent au marché à leur risque et péril quand elles n’ont pas le temps d’aller chercher de l’aide à l’Ong Cavoéquiva, par exemple. Mais il y a pire. Irié Bi Clément qui a vu de toutes les couleurs, note que deux cas de vente de bébés lui ont déjà été signalés, l’année dernière. Deux enfants d’environ 2 ans, chacun. Le prix est immoralement déconcertant : 50.000 Fcfa par enfant. Evidemment, leur mère n’avait pas de moyens pour s’occuper d’eux. Grâce à un partenariat avec la maternité Mamie-Thérèse, en face, Cavoequiva essaie tant bien que mal de voler au secours de certaines filles. En les aidant à accoucher dans ladite maternité. Une fois, l’une des assistantes de l’hôpital est venue lui signaler qu’une des filles qu’elle venait de faire accoucher avait pris contact avec des gens. Ils étaient-là pour lui acheter le nouveau-né. Grâce à son intervention, l’action a été avortée. C’est un réseau acéphale dont M. Irié Bi n’a encore aucune idée. Généralement, ce sont les filles qui prennent contact avec ces personnes, à son insue. L’Ong ne pouvant aider que celles qu’elle peut, ne peut par conséquent contrôler toute cette mafia établie autour de ce business de prostitution. Surtout qu’après la naissance de leur bébé, les filles ne bénéficient d’aucun suivi. Libre à elle de faire ce qu’elles veulent de leurs bébés. Des organismes tels que Children of Africa ou la Fondation de France leur apportent leur aide. Mais beaucoup plus dans le domaine de la lutte contre le Vih/Sida. Car, le président de l’Ong Cavoéquiva le dit sans donner de chiffre, beaucoup d’enfants naissent séropositifs dans ces conditions. Imaginez donc le nombre d’infections au sein de leurs mères.

Raphaël Tanoh
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