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Société Publié le mardi 31 janvier 2012 | Nord-Sud

Prof Philippe Jonnaert, expert des systèmes éducatifs : «Mes solutions pour l’école ivoirienne»

Philippe Jonnaert, professeur à l’université du Québec, titulaire de la Chaire Unesco de développement curriculaire, spécialisé dans l’appui aux systèmes éducatifs, travaille sur le recadrage de l’approche pédagogique par compétence en Côte d’Ivoire, depuis 2009. Nous l’avons rencontré le 25 janvier 2012, lors de son récent séjour à Abidjan. Il donne un aperçu de ce qui se prépare pour la rentrée scolaire 2012-2013.


Quel est l’objet de votre présence à Abidjan ?

Nous sommes à notre troisième mission à Abidjan, dans le but d’appuyer le ministère de l’Education nationale dans sa démarche de recadrage de la Formation pédagogique par compétence (Fpc). Il y a d’abord eu une évaluation interne faite par le ministère. Nous avons fait une évaluation externe qui corroborait vraiment ce que l’évaluation interne disait. Il y a eu une évaluation plus internationale, faite par l’Agence française de développement sur ce type d’approche et toutes ces évaluations convergent vers la nécessité de recadrer les choses.

Que relève le diagnostic qui conduit à recadrer cette approche ?

Il y a plusieurs indicateurs qui montrent qu’il y a des problèmes importants comme le taux élevé d’échec aux examens. Il y a surtout la complexité de ce qui est en place actuellement dans le système éducatif ivoirien. C’est cette complexité qui fait que les enseignants réprouvent la Fpc. Ils ont des difficultés pour l’appliquer. C’est pour cela que nous voulons simplifier les choses. Nous ne nions pas les acquis de la Fpc, car il y en a eu. Il s’agit de simplifier la Fpc pour la rendre plus accessible. Par exemple, un enseignant du primaire a trop de documents à consulter pour pouvoir être opérationnel dans sa classe. Ce qu’il y a à faire, c’est de retoucher les programmes, les retravailler. Il s’agit de retravailler aussi l’évaluation. Il s’agit surtout de viser l’essentiel. Ce n’est pas une réforme, c’est juste un recadrage. Nous sommes occupés à ajuster tout ce qui a été fait pour aller à l’essentiel. Et l’essentiel, pour nous, c’est que les enseignants puissent bien faire leur métier et qu’au bout du compte, les élèves apprennent ce qu’ils ont à apprendre. Ce qui est important, c’est que l’élève qui vient à l’école, en sorte avec des acquis. Il y a une série de cellules qui se mettent en place et chacun fait son travail de sorte que jusqu’au mois de mai voire juin, la Fpc recadrée soit dans les écoles à la rentrée. Mais déjà, l’idée va être véhiculée auprès des enseignants.

Les enseignants pourront-ils s’adapter malgré les effectifs pléthoriques?

C’est sûr qu’il y a des problèmes structuraux qui nécessitent la construction d’infrastructures. Ce sont des questions auxquelles nous ne pouvons pas répondre. Mais c’est évident qu’il y a là des difficultés dues à l’insuffisance de locaux et d’enseignants, aux effectifs pléthoriques, etc. Tout cela va trouver une solution avec un expert en science de l’éducation, un pédagogue. Ce sont des programmes déjà planifiés pour le moyen terme. Nous encourageons le ministère à augmenter les infrastructures scolaires.

Après 7 années de mal-compréhension de la Fpc par les enseignants, ne redoutez-vous pas d’échouer ?

Nous avons confiance car ils acceptent de faire le recadrage. Il y a des mesures déjà prises qui vont faire que progressivement les enseignants seront dans de meilleures conditions pour travailler. Ce qu’il faut voir à court terme, c’est la rentrée scolaire 2012-2013. Nous faisons en sorte que les enseignants disposent d’outils simples. Nous avons déjà discuté avec eux. Avant les événements (Ndlr : crise post-électorale), nous avons rencontré beaucoup de gens. Nous avons été dans des villages, dans des salles de classes. Dans un établissement construit pour 500 élèves, il y en a au moins 1000. Il y a un rapport qui décrit tout le diagnostic de même qu’une série de propositions. Je suis là pour travailler sur l’une de ces propositions qui est un travail sur les programmes. Il faut bien articuler l’évaluation qui se fait dans les salles de classes. Nous travaillons également sur l’orientation à donner à tout cela qui n’est pas forcément la Fpc. La Fpc, c’est une terminologie et ce n’est pas cela le plus important.

Doit-on s’attendre à de nouveaux ouvrages dès la rentrée prochaine ?

Ce sont des questions qu’on pose. Il ne faut pas tout le temps nier la pertinence des outils de travail dont on dispose actuellement. On réfléchit à améliorer les approches pédagogiques et didactiques. C’est aux enseignants d’adapter leur façon de faire et d’utiliser le manuel. Avoir de nouveaux manuels pour la rentrée prochaine est une illusion. La conception d’un manuel prend neuf mois. Et pour tout le travail éditorial, il faut encore neuf mois. Ce qui fait au minimum deux ans. Il faut viser tout un parcours scolaire, ça fait beaucoup d’argent. Si on donne trop d’importance au manuel, on court le risque de changer à chaque fois que de nouvelles idées interviennent. Par contre, il faut que les enseignants et les élèves aient tous des manuels. L’enseignant doit être capable de prendre dans les manuels ce qui est bon, même si ce sont de vieux livres.

Si la manière d’enseigner doit changer pour la rentrée, cela n’aurait-il pas d’influence négative sur l’élève habitué à une autre manière d’être enseigné?

Ce n’est pas parce que cette approche est définie qu’elle est appliquée dans toutes les classes systématiquement. On est toujours dans la phase où elle n’est pas générale. Elle est implantée dans un certain secteur. Nous réorganisons les choses pour que l’enseignant s’adapte en fonction de l’élève. Ce n’est pas que l’enseignant change de méthode mais il s’adapte au type d’élèves en face de lui. Non, nous ne remettons pas tout en cause.

Vous évoquiez plus haut la question des évaluations. Comment vont-elles se dérouler?

Quand le taux d’échecs est important, on accuse vite l’élève. Mais on devrait aussi regarder comment l’évaluation est construite. Nous constatons qu’il y a un décalage entre ce qu’on propose à l’élève lors des évaluations et ce qu’il a vu en classe. Nous avons un principe qui est qu’on ne peut évaluer que ce qu’on a fait. Dans les pays qui ont un taux d’échec élevé aux examens comme ici au baccalauréat, en général, on note que c’est quand l’évaluation s’éloigne de ce qui est fait en classe. Ce que nous conseillons, c’est d’harmoniser les outils d’évaluation, c'est-à-dire les textes, les épreuves, les items, avec la programmation des activités dans la classe pour qu’il n’y ait plus d’écart entre les deux. Dans un second point, on doit bien articuler les différents niveaux de l’évaluation dans la salle de classe. C’est l’enseignant qui renforce l’élève. Il l’aide à se corriger. Régulièrement, il fait un bilan avec ses élèves. Et les parents reçoivent le bulletin avec les résultats. Et il y a l’évaluation certificative qui relève du ministère. C’est le ministère qui décide de délivrer le diplôme, s’il constate un acquis chez l’enfant à la fin du cycle de formation. Il faut que ces trois niveaux d’évaluations soient bien articulés, sinon l’élève est perdu. L’enfant de l’école primaire doit pouvoir lire et écrire. Il doit maîtriser l’arithmétique de base, des éléments de géométrie et connaître son environnement. Si on veut que son enfant soit un génie, il faut respecter la progression. S’il y a des trous dans sa formation, il ne pourra pas les récupérer. Il ne faut pas non plus mettre un enfant trop jeune avec des enfants plus âgés, surtout qu’il y a dans les classes ivoiriennes des enfants qui sont plus âgés que la moyenne. Ce n’est pas normal. En mettant un enfant trop tôt à l’école parce qu’on prétend qu’il est un génie, on lui vole son enfance.

Et quelle attitude adopter face à un élève moins brillant ?

Il ne faut surtout pas être violent envers ce type d’élève. Quand on est violent, on crée une relation qui fait que l’enfant a peur de la discipline. Nous créons un blocage de plus. A ce niveau, les parents ont une grande responsabilité. Dès qu’ils constatent un problème d’assimilation chez l’enfant, ils doivent immédiatement contacter l’enseignant. L’enseignant est formé pour identifier la difficulté dans la progression de l’élève. Si l’enfant est noyé dans un grand groupe, la tâche est difficile. Si on laisse la difficulté, elle va faire boule de neige et se transformer en catastrophe.


Interview réalisée par Nesmon De Laure
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