Dix mois après son investiture, le chef de l'État ivoirien Alassane Ouattara occupe tous les fronts et mène l'équipe gouvernementale au pas de charge. Une omniprésence que les législatives de décembre ont accentuée, et qui pourrait ralentir le chantier de la réconciliation.
Un ministre arrive à 7 heures du matin à son ministère. Son bureau est fermé à double tour. Il se démène pour prévenir le gardien, qui reste introuvable. Le fidèle serviteur de l'État ivoirien se met alors à suer à grosses gouttes. L'oreille collée à la porte, il redoute un appel du chef de l'État habitué à vérifier que les membres du gouvernement ne traînent pas dans leur lit... Cette petite histoire, rapportée par un fidèle du régime, est-elle tout droit sortie de l'imagination fertile d'un « spin doctor » ? En tout cas, elle témoigne de l'importance de la communication dans le système Ouattara, où elle est érigée en vertu. À coups de « storytelling » (méthode de marketing construite autour du récit) et de slogans publicitaires (« La nouvelle Côte d'Ivoire » ; « Opération pays propre » ; « Nous, on avance »), conseillers et ministres assurent le service après-vente des actions gouvernementales pour réhabiliter des infrastructures en piteux état, redémarrer l'administration, relancer la machine économique... À coups de travaux et de démolitions drastiques, Abidjan, Yamoussoukro et plusieurs villes de l'intérieur ont retrouvé un certain lustre, même si le retour de l'État de droit ne s'est pas fait sans heurts ni grincements de dents. À coups d'ordonnances, de décrets et d'arrêtés, le président Alassane Dramane Ouattara (ADO) a remis le pays en ordre de marche en neuf mois. Son programme d'urgence a permis de rétablir l'eau et l'électricité, de réactiver tout le dispositif médical et social. Il a aussi remis l'administration au travail - les fonctionnaires arrivent dorénavant à 7 h 30 au bureau et ne se tournent plus les pouces -, verrouillé les régies financières et entrepris de nombreuses visites en Afrique de l'Ouest, en Europe et aux États-Unis pour rassurer ses partenaires et chercher des soutiens financiers. Menant la vie dure à ses ministres, il leur a demandé de se pencher sur les programmes de développement à l'horizon 2020-2030. Ambition : que la Côte d'Ivoire devienne un pays émergent et que son produit intérieur brut (PIB) passe de 23,6 milliards à 50 milliards de dollars (de 17,9 milliards à 38 milliards d'euros) d'ici à 2020. Un pari qu'il ne pourra gagner qu'avec une forte implication des investisseurs privés et le financement de son programme national de développement (PND) de 11 500 milliards de F CFA (plus de 17,5 milliards d'euros).
Un mode de gouvernance antidémocratique ?
L'opposition dénonce un mode de gouvernance antidémocratique, l'absence de tout débat parlementaire et l'émergence d'une oligarchie politico-militaro-affairiste qui se partage le pouvoir et les juteux marchés de la reconstruction. Après les élections législatives du 11 décembre - les premières depuis 2000 -, l'ouverture de la session parlementaire d'avril était censée mettre fin à cette situation institutionnelle inédite. Mais avec une nouvelle Assemblée nationale très largement acquise à Ouattara - le Rassemblement des républicains (RDR), son parti, frôle la majorité absolue avec 127 sièges sur 255, et le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) de l'ex-président Henri Konan Bédié, son allié, en remporte 77 -, le régime présidentiel devrait conserver toute sa vigueur. Lors du premier Conseil des ministres de l'année, le 11 janvier, Alassane Ouattara a félicité ses troupes, tout en leur demandant de mettre les bouchées doubles. Sa priorité est actuellement la relance de l'emploi, surtout celui des jeunes. Fermées pour travaux, les universités n'accueilleront pas les étudiants en 2012. Une bombe sociale prête à exploser à tout instant. Fermées pour travaux, les universités n'accueilleront pas les étudiants en 2012, qui viendront s'ajouter aux 6 millions de moins de 35 ans sans emploi. Une bombe sociale prête à exploser à tout instant. Et l'une des raisons pour lesquelles le chef de l'État souhaite accélérer les grands travaux. Quelque 620 milliards de F CFA d'investissements ont été dégagés dans le budget national 2012. « Cela ne suffira pas pour donner du travail à tout le monde, explique l'un des conseillers du président. Il faut aussi que le secteur privé prenne des risques en embauchant la jeunesse ivoirienne. » En contrepartie, l'État s'est engagé à accélérer le paiement des arriérés aux fournisseurs, à relancer la formation et à améliorer l'environnement des affaires en créant des tribunaux de commerce et en appuyant les PME. L'autre grand défi est de rétablir la sécurité, une attente majeure des Ivoiriens. Fin 2011, des ex-rebelles devenus membres des Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI) s'en sont pris aux populations à Vavoua (dans l'Ouest) et Sikensi (dans le Sud). Mécontent du comportement de certains ex-comzones et de la persistance des exactions, ADO a repris la main sur ce dossier, confié jusqu'alors au Premier ministre et ministre de la Défense, Guillaume Soro. Après avoir convoqué tout l'état-major de l'armée, il a nommé l'ancien chef de guerre Zakaria Koné à la tête de la nouvelle police militaire. Cette unité spéciale est chargée de mettre au pas les ex-rebelles récalcitrants. Devrait suivre la refonte de l'armée, promise depuis la signature de l'accord politique de Ouagadougou, en 2007.
La longue route vers la réconciliation
S'il parvient à rétablir l'ordre et à créer des emplois, le chef de l'État pourra certainement réduire la méfiance, l'animosité, voire la haine des partisans du président déchu à son égard. Mais la réconciliation véritable des Ivoiriens sera bien plus longue à venir. L'exercice de catharsis nationale a débuté lentement par quelques gestes symboliques. Certains soulignent le manque de vision et d'organisation du président de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR), Charles Konan Banny. À sa décharge, le maintien en détention ainsi que le gel des avoirs des barons de l'ancien régime et, surtout, le transfert de Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale (CPI) dans l'attente d'un éventuel jugement ont radicalisé les positions et alimenté les rancœurs. Le dialogue avec les cadres du Front populaire ivoirien (FPI) de l'ex-président n'a pu aboutir, et le parti a boycotté les législatives du 11 décembre. Un scrutin qui a également exacerbé les tensions ethniques dans l'ouest du pays. Le transfert de Laurent Gbagbo à la CPI a radicalisé les positions et alimenté les rancœurs. Pour réussir son pari, Ouattara devra montrer qu'il sait tendre la main aux électeurs de Laurent Gbagbo. Pour l'instant, les nominations à la tête de l'État et des entreprises publiques ont été faites sur la base du remerciement partisan. Dix-sept dignitaires de l'ancien régime sont toujours détenus, et leurs avoirs bloqués. Aucune date pour leur procès n'a été avancée. Ce qui hypothèque les chances d'une réconciliation sincère. « Nous sommes prêts à la faire », explique Félix, un habitant de Koumassi (quartier du sud d'Abidjan) qui a voté Gbagbo à la présidentielle de 2010. « Mais on veut la vérité et un traitement équitable des exactions commises par les deux camps. »
Source : Jeune Afrique
Un ministre arrive à 7 heures du matin à son ministère. Son bureau est fermé à double tour. Il se démène pour prévenir le gardien, qui reste introuvable. Le fidèle serviteur de l'État ivoirien se met alors à suer à grosses gouttes. L'oreille collée à la porte, il redoute un appel du chef de l'État habitué à vérifier que les membres du gouvernement ne traînent pas dans leur lit... Cette petite histoire, rapportée par un fidèle du régime, est-elle tout droit sortie de l'imagination fertile d'un « spin doctor » ? En tout cas, elle témoigne de l'importance de la communication dans le système Ouattara, où elle est érigée en vertu. À coups de « storytelling » (méthode de marketing construite autour du récit) et de slogans publicitaires (« La nouvelle Côte d'Ivoire » ; « Opération pays propre » ; « Nous, on avance »), conseillers et ministres assurent le service après-vente des actions gouvernementales pour réhabiliter des infrastructures en piteux état, redémarrer l'administration, relancer la machine économique... À coups de travaux et de démolitions drastiques, Abidjan, Yamoussoukro et plusieurs villes de l'intérieur ont retrouvé un certain lustre, même si le retour de l'État de droit ne s'est pas fait sans heurts ni grincements de dents. À coups d'ordonnances, de décrets et d'arrêtés, le président Alassane Dramane Ouattara (ADO) a remis le pays en ordre de marche en neuf mois. Son programme d'urgence a permis de rétablir l'eau et l'électricité, de réactiver tout le dispositif médical et social. Il a aussi remis l'administration au travail - les fonctionnaires arrivent dorénavant à 7 h 30 au bureau et ne se tournent plus les pouces -, verrouillé les régies financières et entrepris de nombreuses visites en Afrique de l'Ouest, en Europe et aux États-Unis pour rassurer ses partenaires et chercher des soutiens financiers. Menant la vie dure à ses ministres, il leur a demandé de se pencher sur les programmes de développement à l'horizon 2020-2030. Ambition : que la Côte d'Ivoire devienne un pays émergent et que son produit intérieur brut (PIB) passe de 23,6 milliards à 50 milliards de dollars (de 17,9 milliards à 38 milliards d'euros) d'ici à 2020. Un pari qu'il ne pourra gagner qu'avec une forte implication des investisseurs privés et le financement de son programme national de développement (PND) de 11 500 milliards de F CFA (plus de 17,5 milliards d'euros).
Un mode de gouvernance antidémocratique ?
L'opposition dénonce un mode de gouvernance antidémocratique, l'absence de tout débat parlementaire et l'émergence d'une oligarchie politico-militaro-affairiste qui se partage le pouvoir et les juteux marchés de la reconstruction. Après les élections législatives du 11 décembre - les premières depuis 2000 -, l'ouverture de la session parlementaire d'avril était censée mettre fin à cette situation institutionnelle inédite. Mais avec une nouvelle Assemblée nationale très largement acquise à Ouattara - le Rassemblement des républicains (RDR), son parti, frôle la majorité absolue avec 127 sièges sur 255, et le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) de l'ex-président Henri Konan Bédié, son allié, en remporte 77 -, le régime présidentiel devrait conserver toute sa vigueur. Lors du premier Conseil des ministres de l'année, le 11 janvier, Alassane Ouattara a félicité ses troupes, tout en leur demandant de mettre les bouchées doubles. Sa priorité est actuellement la relance de l'emploi, surtout celui des jeunes. Fermées pour travaux, les universités n'accueilleront pas les étudiants en 2012. Une bombe sociale prête à exploser à tout instant. Fermées pour travaux, les universités n'accueilleront pas les étudiants en 2012, qui viendront s'ajouter aux 6 millions de moins de 35 ans sans emploi. Une bombe sociale prête à exploser à tout instant. Et l'une des raisons pour lesquelles le chef de l'État souhaite accélérer les grands travaux. Quelque 620 milliards de F CFA d'investissements ont été dégagés dans le budget national 2012. « Cela ne suffira pas pour donner du travail à tout le monde, explique l'un des conseillers du président. Il faut aussi que le secteur privé prenne des risques en embauchant la jeunesse ivoirienne. » En contrepartie, l'État s'est engagé à accélérer le paiement des arriérés aux fournisseurs, à relancer la formation et à améliorer l'environnement des affaires en créant des tribunaux de commerce et en appuyant les PME. L'autre grand défi est de rétablir la sécurité, une attente majeure des Ivoiriens. Fin 2011, des ex-rebelles devenus membres des Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI) s'en sont pris aux populations à Vavoua (dans l'Ouest) et Sikensi (dans le Sud). Mécontent du comportement de certains ex-comzones et de la persistance des exactions, ADO a repris la main sur ce dossier, confié jusqu'alors au Premier ministre et ministre de la Défense, Guillaume Soro. Après avoir convoqué tout l'état-major de l'armée, il a nommé l'ancien chef de guerre Zakaria Koné à la tête de la nouvelle police militaire. Cette unité spéciale est chargée de mettre au pas les ex-rebelles récalcitrants. Devrait suivre la refonte de l'armée, promise depuis la signature de l'accord politique de Ouagadougou, en 2007.
La longue route vers la réconciliation
S'il parvient à rétablir l'ordre et à créer des emplois, le chef de l'État pourra certainement réduire la méfiance, l'animosité, voire la haine des partisans du président déchu à son égard. Mais la réconciliation véritable des Ivoiriens sera bien plus longue à venir. L'exercice de catharsis nationale a débuté lentement par quelques gestes symboliques. Certains soulignent le manque de vision et d'organisation du président de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR), Charles Konan Banny. À sa décharge, le maintien en détention ainsi que le gel des avoirs des barons de l'ancien régime et, surtout, le transfert de Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale (CPI) dans l'attente d'un éventuel jugement ont radicalisé les positions et alimenté les rancœurs. Le dialogue avec les cadres du Front populaire ivoirien (FPI) de l'ex-président n'a pu aboutir, et le parti a boycotté les législatives du 11 décembre. Un scrutin qui a également exacerbé les tensions ethniques dans l'ouest du pays. Le transfert de Laurent Gbagbo à la CPI a radicalisé les positions et alimenté les rancœurs. Pour réussir son pari, Ouattara devra montrer qu'il sait tendre la main aux électeurs de Laurent Gbagbo. Pour l'instant, les nominations à la tête de l'État et des entreprises publiques ont été faites sur la base du remerciement partisan. Dix-sept dignitaires de l'ancien régime sont toujours détenus, et leurs avoirs bloqués. Aucune date pour leur procès n'a été avancée. Ce qui hypothèque les chances d'une réconciliation sincère. « Nous sommes prêts à la faire », explique Félix, un habitant de Koumassi (quartier du sud d'Abidjan) qui a voté Gbagbo à la présidentielle de 2010. « Mais on veut la vérité et un traitement équitable des exactions commises par les deux camps. »
Source : Jeune Afrique