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Politique Publié le mercredi 7 mars 2012 | Le Nouveau Réveil

Diarra Karim (Préfet du département) : « Nous sommes convaincus qu’à Toulépleu, le chef de l’Etat va venir avec un programme de développement passant par la route »

Préfet de Toulépleu, M Diarra Karim, à cœur ouvert, s’est confié au Nouveau Réveil.
M. le préfet, comment va votre localité ?
Toulépleu va de mieux en mieux. La situation s’est beaucoup améliorée et pour bien comprendre cette évolution, il faut faire une analyse comparative de la période qui va d’avril à août 2011 et de septembre 2011 à mars 2012. Naturellement, lorsque nous venions ici en avril 2011, le département de Toulépleu était un département fantôme. Beaucoup de nos compatriotes, du fait de la crise, avaient dû sortir de Toulépleu et s’étaient réfugiés presque tous au Liberia. Nous avons dû rester ici presqu’avec des militaires. On ne pouvait pas compter plus de 200 personnes à Toulépleu. C’est dans ce contexte que nous avons évolué et progressivement, nous avons exhorté et encouragé les populations à revenir. Nous avons mobilisé surtout la communauté humanitaire parce qu’il fallait, quand même, créer les conditions d’un retour. Ce que nous avons fait et, progressivement, les populations ont commencé à venir et les humanitaires aussi ont répondu, en tout cas, aux attentes des populations. Mais, ce que je dois dire, c’est que la situation sécuritaire qui conditionne toutes les autres situations, s’est considérablement améliorée aussi. C’est vrai, tout n’est pas parfait, il reste encore beaucoup à faire. Mais, ce que je dois dire, c’est que les rapports entre les Forces républicaines de Côte d’Ivoire et les populations se sont améliorés parce qu’au début, il y avait une mauvaise perception de la présence de ces éléments. On voyait, surtout en eux, non des éléments d’une armée régulière, mais des éléments encore rebelles. On a dû demander de corriger cette approche afin que les relations s’améliorent, ce qui a été fait. Ce qu’il faut également ajouter, c’est le renforcement du dispositif sécuritaire par le redéploiement de la gendarmerie et de la police. Il y a 6 mois, la gendarmerie n’était pas là, la police non plus. Mais, aujourd’hui, ces deux forces sont là, ce sont des forces de proximité qui sont beaucoup plus proches des populations et auxquelles ces populations sont habituées. Donc, cela a contribué à améliorer nettement l’évolution de la situation sécuritaire. Il y a également les forces impartiales, le contingent marocain qui est là et tous ces éléments de façon mixte, travaillent pour la sécurité du département de façon générale. Je dois également indiquer, pour stigmatiser ou pour apprécier l’évolution de la situation, que l’école a repris. Les enfants ont repris le chemin des classes, le lycée a repris. Par ailleurs, les administrations publiques aussi, les services extérieurs de l’Etat, la plupart sont de retour. Naturellement avec beaucoup de difficultés. Nous travaillons avec beaucoup de difficultés, mais ce qu’il faut retenir, c’est que nous sommes sur une très bonne pente et nous souhaitons que les choses évoluent dans ce sens.

Que peut-on retenir, en ce qui concerne le retour des personnes déplacées qui ont trouvé refuge au Liberia ?
Nous continuons de travailler sur la question. Le Hcr nous apporte la logistique nécessaire, mais il faut savoir qu’il y a environ 70% de personnes qui s’étaient déplacées et qui sont retournées. La plupart de ces personnes étaient au Liberia, donc, aujourd’hui, beaucoup sont rentrées de façon spontanée, mais d’autres aussi de façon organisée avec le Hcr. Mais, il y a une bonne partie encore qui reste. Je pense que vous arrivez au moment où moi-même je reviens du Liberia, hier, avec une mission du représentant du Secrétaire général des Nations Unies qui était allé s’imprégner des conditions de vie de nos compatriotes au Liberia et nous avons profité pour leur présenter l’évolution de la situation, et je pense que le représentant du Secrétaire général de l’Onu a donné un message fort comme le préfet. Il a même invité les uns et les autres à rentrer. Ils nous ont indiqué qu’ils sont prêts à rentrer parce que c’est leur pays, le pays de leurs ancêtres, mais naturellement, il y a des appréhensions.

Quel est donc leur état d’âme ?
Leur état d’esprit, aujourd’hui, c’est que beaucoup ont encore une mauvaise information sur l’évolution de la situation. Ils nous ont dit : nous, on veut rentrer mais il faut que notre sécurité soit garantie. Si on rentre, il faut qu’on soit assurés qu’on ne va pas nous mettre en prison, si on rentre, il faut qu’on nous assure qu’on va retrouver nos terres, nos plantations parce que là-bas, on leur fait croire que les plantations ont été accaparées. Qu’il y a une forte pénétration d’allogènes burkinabé qui viennent s’accaparer des terres. Ce sont des informations qui circulent. Nous avons pris bonne note, par rapport à cet état d’esprit, nous allons continuer à travailler.

Quelle est la situation réelle, est-ce que les terres sont effectivement récupérées par des Burkinabé ?
Je dois dire honnêtement qu’il y a un phénomène qui s’observe en ce moment. Ce n’est pas à Toulépleu mais c’est depuis Bloléquin jusqu’à Toulépleu. C’est l’infiltration clandestine et massive de nos frères burkinabé, un peu dans la zone forestière de Bloléquin et de Toulépleu. Ces informations sont récurrentes et nous-même, nous n’avons pas pu vérifier entièrement, mais ce sont des situations que les populations nous rapportent. Donc, je pense que nous devons travailler là-dessus parce que ce sont des germes potentiels de conflits fonciers et c’est ce qui freine un peu l’élan de retour de nos compatriotes. Mais, ce n’est pas un phénomène très répandu à Toulépleu. Tout simplement parce que nous, déjà en 2002, nous avions plus ou moins réussi à régler ce problème foncier. C’étaient des allogènes qui avaient vécu la crise de 2002 et qui étaient partis, dont les terres ont été prises par certains autochtones. Naturellement, avec la crise de 2011, maintenant ce sont les autochtones qui sont partis, donc la tendance naturelle pour les allogènes, c’était de reprendre leurs terres. Voilà présentée schématiquement la situation. Il suffit pour nous de sensibiliser et c’est d’ailleurs à cet effet que cette circulaire établit une tournée départementale d’informations que nous allons entreprendre pour sensibiliser et inviter nos populations à la paix et à la réconciliation.

Comment se fait la cohabitation entre les différentes communautés ?
De ce point de vue, je peux vous dire que nous n’avions pas un problème de cohésion intercommunautaire. Parce que bien avant la crise, il n’y a pas eu d’affrontements interethniques, ici. C’est vrai, du fait de la crise, un climat de méfiance s’était installé mais je crois qu’aujourd’hui, les populations sont progressivement en train de dominer ce mauvais ressentiment et je peux vous assurer que la vie intercommunautaire se déroule normalement. C’est vrai, il y a toujours des germes comme je vous l’ai indiqué, les problèmes fonciers, la mauvaise approche des relations avec les Frci souvent, sont des situations qui peuvent à tout moment dégénérer. Ecoutez, c’est ça aussi la vie en société. Il appartient au préfet, au sous-préfet et aux autorités administratives et coutumières de régenter cette situation.

Pouvez-vous dire un mot sur l’hôpital ?
L’hôpital, c’est à l’image de tous les services sociaux de base. Ce sont des services qui ont été fortement endommagés au point que quand l’administration est revenue, la couverture médicale était assurée par Medecins sans frontière et le Cicr. Aujourd’hui, progressivement, le personnel médical est revenu, nous avons fait des plaidoyers. L’hôpital dispose d’un minimum d’équipements, nous avons été également ravitaillés en médicaments. L’hôpital a commencé à fonctionner mais pas encore comme on le souhaite, il y a encore beaucoup de difficultés. C’est l’occasion de lancer encore un appel aux autorités ministérielles pour qu’une attention particulière soit observée à l’endroit de l’hôpital de Toulépleu parce que c’est le seul hôpital de référence depuis Zuedrew au Liberia jusqu’à Bloléquin. A l’époque, cet hôpital avait un plateau technique bien fourni, un cabinet dentaire, un bloc opératoire mais du fait de la crise, tout a été emporté au point qu’aujourd’hui, l’hôpital de Toulépleu ressemble à un gros dispensaire.

Que savez-vous sur la situation des ex-combattants ?
J’avoue que j’ai toujours de la peine à parler des ex-combattants parce que ce sont des jeunes gens qui ont été fortement impliqués dans les événements malheureux de Toulépleu. Vouloir en parler, on risque encore de remuer le couteau dans la plaie. Mais je dois indiquer que beaucoup de ces jeunes aujourd’hui sont en fuite vers le Liberia suite aux événements de 2011. Et ils rechignent à rentrer et leur refus du retour s’explique par la peur de la vengeance de l’autre, la réaction de l’autre. C’est pas forcément les Frci ou les gendarmes qui font peur, vous savez, c’est des jeunes qui ont commis beaucoup d’exactions. Donc, il faut sensibiliser les populations, il faut sensibiliser les jeunes pour leur dire qu’il faut mettre ce qui s’est passé au compte du passé. Mais en même temps, il faut que ces jeunes sentent le besoin de renter. Quand j’ai été au Liberia, j’ai constaté que l’état d’esprit de ces jeunes aussi n’est pas totalement bon. Les quelques-uns qui sont rentrés au début avaient beaucoup de frayeur parce qu’ils se faisaient traquer un peu par les Frci. Mais c’est normal, c’est des forces combattantes donc, ils se regardaient toujours en ennemis. J’ai dit que les premiers moments allaient être difficiles, je l’ai même dit au chef de détachement mais j’ai dit que progressivement, il faut que lui en tant qu’autorité, il prenne de la hauteur, qu’il comprenne qu’il n’est plus le chef rebelle, qu’il est d’une armée régulière, qu’il est une autorité militaire, qu’il sache communiquer, qu’il sache donner confiance, qu’il amène ces jeunes gens à s’inscrire dans le processus de réconciliation. Ça me paraît essentiel.

Est-ce que des cadres Lmp se signalent et reviennent ? Est-ce qu’ils accordent un peu d’intérêt à leur région ?
De l’intérêt peut-être à distance. Je crois quand même que beaucoup ont compris la nécessité de joindre leurs efforts à ceux des autorités locales pour emmener leurs parents à sortir de cette situation. J’observe aussi qu’un moment, il y a eu cet élan de solidarité, d’organisation autour de Mme le ministre Anne Ouloto et de son frère Kah Zion. Moi, je salue cet esprit parce qu’on n’avait jamais vu ça à Toulépleu. Je pense que c’est quand même le début de la cohésion au sein des élites mais honnêtement, je trouve que c’est encore timide. Il y a beaucoup qui n’ont peut-être pas encore compris qu’il faut voir surtout le développement de Toulépleu, qu’il faut aller au-delà des positionnements politiques, que ce qui compte aujourd’hui, c’est ce qu’on peut faire pout Toulépleu. Parce que ce qui est passé est passé. Moi le préfet, je ne cherche plus aujourd’hui à savoir qui a fait quoi, qui est responsable de ce qui est arrivé. Mais ce que je veux savoir, c’est qui est en mesure de faire quoi pour que Toulépleu puisse sortir de cette situation. Donc en cela, j’interpelle les cadres, je leur demande de trouver un cadre beaucoup plus moins politique, une sorte de mutuelle où ils font fédérer leur intelligence, leur réflexion pour qu’eux aussi, ils puissent participer effectivement à la reconstruction du pays. On ne doit pas laisser la reconstruction du pays uniquement entre les mains des humanitaires. Les cadres doivent s’impliquer et c’est encore timide. Parce que depuis la fin de la crise, très peu d’entre eux sont venus se joindre à nous pour tourner, pour sensibiliser. C’est peut-être la peur mais ceux qui sont revenus, ils ont pu s’en rendre compte pendant la période électorale, il n’y a pas de chasse aux sorcières.

Toulépleu grouille souvent de rumeurs folles… ?
Je dois dire qu’ici, nous avons un ennemi commun, un ennemi coriace. Toutes les autorités font front contre les rumeurs. Ces rumeurs s’intensifient et s’expliquent surtout par le fait que beaucoup de jeunes gens qui ont été impliqués dans la survenance des événements se retrouvent de l’autre côté. Mais la plupart de ces jeunes, selon le constat que j’ai fait, ont un pied dans la camp des réfugiés, un autre dans les familles d’accueil et ils sont également en Côte d’Ivoire. Vous comprenez que la situation telle que présentée, c’est comme des électrons libres. Il suffit qu’on les voit une heure en Côte d’Ivoire pour dire qu’ils sont en train de s’organiser pour venir attaquer. Je pense que c’est tout ça aussi qui favorise les rumeurs et qui crée ce sentiment d’insécurité. Certains, malheureusement, continuent de dire à ces jeunes que ce n’est pas fini. Il faut qu’on arrête d’intoxiquer ces jeunes et nos populations. La situation est normale. Les ruines à Toulépleu, je crois que c’est suffisant pour interpeller la conscience collective pour que ce qui est arrivé n’arrive plus à Toulépleu. La reconstruction ne doit pas être l’affaire des autres seulement. Il faut que les jeunes travaillent, nous n’avons pas su mettre ces jeunes au travail.

Qu’attend Toulépleu de la visite du chef de l’Etat qui a été annoncée ?
Je pense que l’arrivée du chef de l’Etat va nous permettre de démontrer à la face de la Côte d’Ivoire que Toulépleu est une terre de fraternité. Nous allons réserver un accueil chaleureux au chef de l’Etat et nous inscrivons cette visite dans un contexte de réconciliation, de paix. Je pense que le chef de l’Etat doit venir lancer un message de réconciliation, un message de reconstruction morale, un message de reconstruction physique. Nous sommes convaincu qu’à Toulépleu, le chef de l’Etat va venir avec un programme de développement passant par la route. En tout cas, c’est le rêve de toute la population de Toulépleu, nous pensons qu’avec sa visite, la route Bloléquin-Toulépleu trouvera un début de solution. Et que le chef de l’Etat viendra honorer les fonctionnaires qui ont exercé dans cette zone difficile.
Interview réalisée par Paul Koffi et Diarrassouba Sory
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